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Full text of "Le culte des héros et ses conditions sociales : Saint Patrick, héros national de l'Irlande"

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Stephen  B.  Roman 


LE  CULTE  DES  HÉROS 


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SES  CONDITIONS  SOCIALES 


LIBRAIRIE   FELIX   ALCAN 


BIBLIOTHEQUE  DE  PHILOSOPHIE  CONTEMPORAINE 


TRAVAUX  DE  L  ANNÉE  SOCIOLOGIQUE 

PUBLIÉS    SOUS   I.  A    UIUECTIU.N    DE    M.     É.    D  L  K  K  11  li  1  M  , 

Professeur  à  la  Sorbonne. 

BOL'GLlù  (C).  chargé  de  cours  à  la  Sorbonne.  Essais  sur  le  régime  des 
castes.  1  vol.  in-8 :>  fr. 

HUBERT  (H.)  cl  M.\USS  (M.),  rlirectours  adjoints  à  lEcole  des  Hautes- 
Etudes.  Mélangés  dhistoire  des  religions.  1  vol.  in-8.  .   .         .5  fr. 

LEVY-BRUHL  (L.).  professeur  à  la  Sorbonne.  Les  fonctions  mentales 
dans  les  sociétés  inférieures.  1  vol.  in-8 7  fr.  .'jO 

DURKHEIM  (E.).  professeur  à  la  Sorbonne.  Les  formes  élémentaires  de 
la  vie  religieuse.  Le  système  totémique  en  Australie.  Avec  une  carte. 
1  vol.  in-8 10  fr. 

HALBWACHS  (M.),  agrégé  de  philosopliie.  docteur  en  droit  et  docteur 
c's  lettres.  La  classe  ouvrière  et  les  niveaux  de  vie.  Recherclies  sur 
la  kiérarchie  des  besoins  dans  les  sociétés  industrielles  contempo- 
raines. 1  vol.  in-8 7  fr.  50 


L'ANNÉE  SOCIOLOGIQUE 

PUBLIÉE   SOUS   LA    DIM&riO^  DE    É.    DURKIIEIM. 


Première  année  il896-1897j  à  cinquième  année  il900-1901),  chacune 

i  vol.  in-8 .".....:> 10  fr. 

(Troisième  et  Cinquième  ani^s  épuisées.) 
Sixième  année  (i901-1902]  à  dixième  année  l»905-1906K  chacune  1  vol. 

in-8 \ 12  fr.  50 

{^eptié/ne  année  épuiséei^ 
Tome  XI.  —  Analyse  dès  travaux  parus  da  19f6  à  1909.  1  fort  volume 

in-8 " •   •    /• ^^  '^'■• 

Tome  XII.  —  Analyse  des  travaux  ■oarus  de  1M}9  à  1913.  i  fort  volume 

in  3 \    .........  ^. 15  fr. 


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TnAVAUX  DE    L'ANNÉE  SOCIOLOGIQUE 

PUBLIÉS  sors  LA  DIRECTIOX  DE  il.  È.  DURKHEIM 

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CULTE  DES  riEROS 

ET 

SES  CONDITIONS  SOCIALES 


SAINT  PATRICK 

HÉROS  NATIONAL  DE  L'IRLANDE 

PAR 

S.  CZARNOWSKi 


Préface  de  .M.  H.  HUBERT 

Directeur  adjoint  à  l'École  pratique  dos  Ilautes-Éludcs. 


PARIS 

LIBRAIRIE  FÉLIX   ALCAN 

108,     BOULEVARD    S A  I N T -  G E RM A I N  ,    108 

1919 

Tous  droits  de  reproduction,  de  traduction  et  d'adaptation  réservés 
pour  tous  pays. 


AVANT-PROPOS 


L'objet  «te  ce  livre  est  de  mettre  en  lumière  les 
relations  entre  le  cnlte  des  héros  et  Forganisation 
sociale.  Mais  ce  qni  me  Ta  fait  eotreprenflre  ce  sont 
des  préoccupations  sociologiques  d'un  ordre  plus 
général.  \\  s'agissait  d'approcher  la  question  de 
l'autorité  sociale  en  tant  que  forme  concrète  sous 
laqiie'lle  apparaissent  les  valeurs  sociales  fondamen- 
tales ;  les  héros  sont  une  de  ces  formes,  et  d^es  plus 
typiques.  C'est  pourquoi  j'ai  commencé  mes  re- 
cherches par  là.  Bien  que  le  présent  livre  ne  touche 
qu'indirectement  à  ce  problème  si  vaste,  je  croi- 
rai n'être  pas  resté  trop  loin  de  mon  but  si  l'on 
estime  que  mon  travail  apporte  quelque  précision  à 
la  connaissance  des  héros,  considérés  au  point  de 
vue  sociologique. 

Si  ce  livre  rencontre  quelque  approbation,  le  mé- 
rite en  revient  pour  la  plus  grande  part  à  mes 
maîtres.  M.  Henri  Hubert,  dont  j'ai  été  l'élève  à 
l'École  Pratique  des  Hautes  Éludes,  a  suivi  toutes 
les  phases  de  la  préparation  et  de  la  rédaction  du 


II  AVANT-PROPOS 

livre,  poussant  sa  sollicitude  jusqu'au  détail  de  la 
composition,  du  style  et  même  de  l'impression. 
M.  Marcel  Mauss,  mon  maître  également,  m'a 
engagé  le  i)remier  à  publier  le  résultat  de  mes  re- 
cherches, et  il  ne  m'a  ménagé  ni  ses  critiques,  ni 
ses  conseils.  M.  Vendryès  a  bien  voulu  lire  une 
épreuve  du  livre  et  je  lui  dois  d'avoir  évité  bien  des 
erreurs  philologiques.  S'il  en  subsiste  encore  dans 
mon  livre  —  et  il  y  en  a  —  la  faute  n'en  est  pas  à 
ces  Messieurs.  Il  ne  me  reste  qu'à  leur  exprimer 
mes  remerciements  pour  le  mal  qu'ils  se  sont 
donnés. 

Je  dois  aussi  remercier  tous  mes  camarades  de 
l'Ecole  Pratique  des  Hautes  Études,  qui  ont  bien 
voulu  écouter  les  conférences  que  je  leur  ai  faites 
sur  certaines  parties  de  mon  livre,  car  leurs  bien- 
veillantes remarques  m'ont  toujours  été  précieuses. 

Stefan  Czarnowski. 


Varsovie,  décembre  1913. 


PREFACE 


I 


On  se  demandera  comment  une  étude  aux  données  étroi- 
tement circonscrites,  comme  celle-ci,  qui  se  limite  à  la  vie 
d'un  saint,  d'un  seul  saint,  peut  avoir  une  portée  sociolo- 
gique et  si  l'on  peut  passer  d'un  bond  de  saint  Patrick, 
héros  national  de  l'Irlande,  aux  conditions  sociales  du  culte 
des  héros. 

M.  Czarnowski  nous  raconte,  pièces  à  l'appui,  l'histoire 
positive  de  saint  Patrick;  elle  est  courte.  Il  analyse  son 
histoire  légendaire,  qui  est  longue.  Saint  Patrick  ressemble 
à  des  dieux  et  à  des  héros  irlandais,  dont  les  mythes  vont 
nous  être  exposés  dans  leurs  épisodes  caractéristiques. 
Hagiographie,  étude  philologique  de  mythologie  irlandaise, 
histoire,  en  fin  de  compte,  tel  est  le  fond  du  livre. 

Or,  la  sociologie  est  encore  affaire  de  philosophes.  Les 
faits  particuliers  sont  plutôt  mentionnés  que  racontés  dans 
un  travail  de  sociologie.  Ils  y  paraissent  à  titre  de  preuves 
et  d'exemples.  Sociologie  semble  être  toujours  théorie.  Il 
est  vrai  que,  pour  faire  la  théorie  des  faits  sociaux, 
le  sociologue  devra  souvent  en  faire  lui-même  l'étude  histo- 

CZ\RN0WSKI.  a 


II  l'RKFACE 

riquc  cl  philologique  tju'il  n'uuru  pas  trouvée  loulc  faite. 
Mais  pcul-ùtre  aura-t-il  alors  le  souci  de  ne  pas  présenter 
de  front  son  double  travail. 

Ici  la,  discussion  du  problème  sociologique  général 
énoncé  par  le  litre  est,  au  contraire,  enveloppée  dans  l'ex- 
posé minutieux  d'un  fait  particulier,  l'histoire  réelle  et 
légendaire  de  saint  Patrick.  En  nous  demandant  de  quelle 
façon  et  dans  quelle  mesure  la  thèse  se  dégage  de  l'exemple, 
nous  nous  proposons  de  définir  les  caractéristiques  d'un 
type  de  travail  sociologique,  utile  et  recommandable. 

Mais,  question  préjudicielle,  s'agit-il  bien  d'un  problème 
sociologique  ?  Tout  prol)lcme  d'histoire  des  religions  n'est 
pas  nécessairement  tel.  Tout  phénomène  qui  se  passe  dans 
la  société  n'est  pas  nécessairement  social. 

M.  Czarnowski  s'applique  à  nous  présenter,  dès  ses  pre- 
mières pages,  une  idée  générale  des  héros  dont  l'intérêt 
sociologique  est  évident.  Ne  devient  pas  héros,  nous  dit-il, 
qui  veut  ou  qui  l'on  veut  ;  il  y  faut  une  sorte  de  consente- 
ment collectif,  qui  a  pris  des  formes  rituelles  dans  quelques 
cas  notés  avec  soin.  Seuls,  des  personnages  dont  le  carac- 
tère représentatif  est  bien  apparent  peuvent  en  être  l'objet. 
Ils  représentent  virtuellement  les  qualités  idéales  d'un 
groupe  d'hommes,  auxquels  ils  sont  attachés  par  des  liens 
spéciaux,  souvent  imaginaires;  ce  sont  ceux  qui  unissent 
les  parents  entre  eux,  les  chefs  à  leurs  subordonnés,  les 
patrons  à  la  communauté,  à  la  cité,  à  l'institution  qu'ils 
ont  fondée.  L'alliance  du  représentant  et  des  représentés 
est  perpétuée  par  les  services  effectifs,  spirituels  et  tem- 
porels, que  ceux-ci  attendent  et  croient  recevoir  de  celui- 
là.  Ainsi,  la  notion  des  héros  comporte  celle  de  rapports 
sociaux  entre  un  personnage  de  légende  ou  de  mythe  et  un 


PREFACE  III 

groupe  d'hommes.  Elle  contient  donc  en  fait  un  élément 
social.  EUle  se  prôte  par  conséquent  à  une  élude  de  socio- 
logie. 

La  méthode  habituelle  de  la  sociologie,  méthode  de 
recherche  et  de  démonstration,  est  la  méthode  compara- 
tive. Ses  définitions  et  ses  conclusions  sont  fondées  sur  des 
comparaisons  dont,  généralement,  elle  ne  se  contente 
pas  de  prendre  les  termes  dans  une  seule  société.  Chez 
M.  Czarnowslci,  saint  Patrick  n'entre  en  comparaison 
qu'avec  les  saints,  les  dieux,  les  héros  de  l'Irlande;  c'est 
d'ailleurs  pour  laisser  voir  qu'il  leur  ressemble  et,  par 
conséquent,  qu'il  est  un  héros;  on  ne  le  quitte  que  pour  le 
mieux  connaître.  La  méthode  comparative  n'a  donc  été 
suivie  qu'à  bénéfice  réduit.  Certes,  le  travail  qu'on  va  lire 
est  fondé  sur  un  substratum  de  comparaisons  plus  étendu. 
Elles  fournissent  la  matière  d'une  introduction.  Mais  il 
n'en  est  pas  fait  état  dans  la  démonstration. 

On  voit  déjà  par  là  que  l'auteur  s'est  moins  occupé  de 
généraliser  que  d'analyser  et  peul-ôtre  moins  de  théorie 
que  de  recherche.  Il  a  voulu  tirer  d'un  cas  particulier,  celui 
de  saint  Patrick,  les  enseignements  sociologiques  qu'il 
comporte. 


L'analyse  de  cas  isolés  a  déjà  sa  place  prévue  dans  les 
méthodes  sociologiques,  soit  à  titre  de  monographie,  des- 
tinée à  s'ajouter  à  d'autres  pour  former  avec  elles  des  syn- 
thèses cumulatives,  soit  qu'il  s'agisse  de  faits  cruciaux  ou 
typiques  et  d'en  dégager  les  éléments  essentiels  d'un  phé- 
nomène. M.  Czarnowski  montrera  que  l'histoire  de  saint 


IV  PntFACE 

Patrick  présente  t\  la  sociologie  un  fait  crucial;  mais  elle 
ne  le  présente  pas  d'emblée,  A  vrai  dire,  les  éléments 
cruciaux,  décisifs  à  notre  point  de  vue,  des  faits  historiques 
ou  ethnographiques  n'apparaissent  qu'à  lanalyse  et  après 
traitement  sociologique. 

Mais,  en  fait,  il  y  a  deux  sortes  de  travaux  sociologiques. 
Dans  les  uns  des  thèses  sont  proposées  et  des  questions 
posées;  les  faits  sont  appelés,  chacun  à  son  tour,  pour 
fournir  les  réponses.  Dans  les  autres,  les  faits,  donnés 
d'abord,  posent  les  questions;  mais  ils  sont  choisis  pour  les 
questions  qu'ils  posent.  Ces  derniers  ont  des  avantages. 
Les  faits  y  gardent  leurs  détails,  leur  couleur  et  leurs 
garanties  d'authenticité,  précieuses  à  qui  sait  l'obscurité  du 
passé.  Le  livre  de  M.  Czarnowski  est  de  ceux-là.  La  minutie 
de  l'histoire  et  de  la  philologie,  mise  au  service  de  la  socio- 
logie, n'y  donnent  pas  seulement  des  sécurités,  mais  des 
raisons. 


On  concevra  mieux  leur  caractère  sociologique,  si  l'on 
aperçoit  d'abord  en  quoi  ils  peuvent  différer  des  travaux 
historiques.  Il  est  facile  de  se  figurer  comment  un  histo- 
rien traiterait  le  sujet  choisi  par  M.  Czarnowski.  On  s'éton- 
nera certainement  que,  après  avoir  commencé  par  se 
demander,  textes  en  mains,  si  saint  Patrick  était  bien  un 
personnage  historique,  il  n'ait  pas  fait  de  la  même  façon 
l'histoire  de  sa  popularité.  On  lui  reprochera  certainement 
d'avoir  été  court  sur  les  manifestations  passées  et  présentes 
de  cette  popularité.  Etudier  saint  Patrick  comme  héros  natio- 
nal de  l'Irlande,   n'est-ce  pas  compter  les  occasions   où 


PREFACE  V 

ce  caractère  s'est  professé,  déterminer  dans  la  suite  du 
temps  une  série  de  ses  variations  en  nombre  et  en  inten- 
sité, fixer  des  dates  et  des  circonstances.  La  diiïusion  du 
nom,  les  églises  placées  sous  l'invocation  du  saint,  les 
chants  populaires  et  autres,  les  emblèmes  et  leur  usage, 
autant  de  faits,  et  de  documents  qui  paraîtraient  en  bonne 
place  chez  un  historien.  M.  Czarnowski  les  traite  comme 
donnés  et  hors  de  question.  11  insiste  par  contre  sur  les  rai- 
sons et  les  conditions  du  fait  principal  ;  ce  sont  des  insti- 
tutions, choses  durables  et  générales.  Tandis  que,  pour 
l'historien,  la  série  des  effets  et  des  causes  se  passe  en 
séquences  de  faits  particuliers,  le  sociologue  remonte  d'un 
fait  social  à  un  fait  social  antécédent.  Ce  n'est  d'ailleurs 
pas  sans  bénéfice  historique.  A  travers  le  saint  Patrick  de 
la  légende,  M.  Czarnowski  nous  fait  apercevoir  assez 
clairement  quelques  traits  importants  du  saint  Patrick  de 
l'histoire.  Nous  ne  croyons  pas  qu'on  ait  encore  mieux 
expliqué,  par  exemple,  la  méthode  d'assimilation  pratiquée 
par  saint  Patrick'.  Au  surplus,  de  ce  côté,  nous  avons 
partie  gagnée,  car  personne  ne  se  refuse  à  voir  les  clartés 
que  l'esprit  sociologique  apporte  en  histoire.  Mais  ce  n'est 
pas  le  profit  de  l'histoire,  c'est  celui  de  la  sociologie  qui 
nous  importe.  C'est  un  travail  de  sociologie  à  base  d'his- 
toire que  nous  présentons  aux  lecteurs  des  Travaux  de 
l' Année  sociologique  et  non  un  travail  d'histoire  à  base 
de  sociologie. 


1.  DArbois  de  Jubainville,  Cours  de  littérature  celtique,  t.  I,  Intro- 
duction à  l'étude  de  la  littérature  celtique,  p.  158,  sqq.  (cours  de  1882 
au  Collège  de  France). 


VI  PRKFAC  E 


II 


Lorsque  nous  parlons  de  héros,  nous  nous  entendons  et 
sans  doute  l'usage  emploie-t-il  ce  mot  avec  assez  de  discer- 
nement ;  mais  les  difTicullés  commencent  avec  la  réflexion  *. 
Déjà  rallemand  possède  deux  mots  dont  on  s'applique  à 
distinguer  les  sens,  Held  et  Héi'os,  héros  dans  l'épopée, 
héros  dans  le  culte.  Distinction  est  quelquefois  confusion. 
Les  langues  qui  ne  sont  pas  nourries  aux  sources  de 
l'antiquité  classique  présentent  une  certaine  variété  de 
synonymes  dont  la  correspondance  est  imparfaite;  les  ma- 
rabouts', les  velis^  arabes  ont  quelque  chose  de  commun 
avec  les  héros  que  nous  imaginons,  sans  leur  ressem- 
bler tout  à  fait.  Il  faut  compter  surtout  avec  les  langues 
dont  le  vocabulaire  religieux  manque  d'un  terme  topique 
et  précis  pour  désigner  les  héros,  bien  que  nous  en  con- 
naissions dans  les  traditions    des  peuples  qui  ont  parlé 


1.  Depuis  que  ces  lignes  sont  écrites  a  paru,  dans  le  tome  VI  de 
ÏEncyclopsedia  of  Religion  and  Ethics  éd.  by  J.  llastings,  un  article 
Heroes  and  hero-rjods,  qui  est  l'œuvre  de  divers  collaborateurs.  C'est  un 
bel  exemple  de  la  diversité  des  opinions  que  des  hommes,  qui  sont 
d'accord  sur  l'emploi  d'un  mot,  peuvent  exprimer  sur  la  définition  de 
la  notion  correspondante.  11  y  a  des  héros  qui  sont  des  morts  illustres, 
puissants  et  recevant  un  culte  ;  d'autres  sont  des  acteurs  mythiques 
du  spectacle  de  la  nature  ;  d'autres  enfin  sont  héros  dans  l'épopée.  Ces 
trois  sortes  de  héros  sont  pris  tour  à  tour  par  les  divers  collaborateurs 
de  l'article  pour  les  types  originaux  de  l'espèce.  Nous  allons  montrer 
que  les  trois  types  y  entrent  pour  ainsi  dire  sur  le  même  plan.  En  ce 
qui  concerne  les  noms  communs,  cette  revue  universelle  des  héros  nous 
laisse  à  peu  prés  à  nos  propres  ressources. 

2.  E.  Doutté,  Magie  et  Religion  dans  V Afrique  du  Nord,  1909,  pp.  52, 
433,  590,  etc. 

3.  S.  I.  Curtiss,  Ursemilische  Religion  im  Volksleben  des  heuligen 
Orients,  1903,  passim. 


PRÉFACE  VII 

ces  lanj^ues  ;  c'est  le  cas  de  l'hébreu  ',  du  latin  -  et  celui  de 
rirlandais,  aussi  bien  que  du  gallois ^  On  y  recourt  aux 
adjectifs  pour  qualifier  des  personnages,  qui  sont  forts,  vio- 
lents, batailleurs,  illustres,  pour  décrire  leurs  magnifiques, 
mémorables  et  bieiifaisaules  brutalités,  mais  sans  les 
sé{)arer  par  un  terme  spécifique  des  hommes  ou  des  dieux. 
Certes,  nous  avons  lieu  de  croire  que  la  notion  que  nous 
exprimons  par  le  mot  héros  a  été  fort  répandue  ;  mais  elle 
n'a  pas  été  partout  distincte,  homogène  et  compacte.  Elle 
n'est  pas  de  celles  qui  se  passent  de  définition,  ni  qu'on 
risque  d'obscurcir  à  les  définir. 

Il  s'agit,  sauf  exception,  de  personnages  qui,  au  moins 
dans  l'opinion  des  hommes,  ont  vécu  et  sont  morts,  hommes 
d'un  passé  proche  ou  lointain,  réel  ou  légendaire  ;  démons 


1.  Gibbor.  fort,  violent,  désigne  le  guerrier,  le  soldat,  aussi  bien  que 
le  héros  et  la  force  divine  ;  'azzouz,  qui  signifie  fort,  s'emploie  comme 
nom  collectif  pour  désigner  les  héros,  Is.  43,  17  ;  shalish,  pourrait  à  la 
rigueur  passer  par  une  expression  spécifique,  mais  s'applique  spé- 
cialement au.x  hommes  de  choix  qui  entourent  le  roi.  Rois  II,  7,  2  ;  dans 
l'emploi  (le  l'expression  'abir  Israël,  qui  ne  se  dit  que  de  Jahve,  Gen. 
49,  24,  apparaît  quelque  chose  du  sens  que  nous  allons  définir. 

2.  Les  héros  latins  sont  les  viri  illustres  de  l'histoire  ancienne  ;  l'em- 
pire, avec  la  religion  impériale  en  a  formé  un  nouveau  ban.  —  Le  culte 
impérial  est  associé  à  celui  des  Lares.  C'est  une  question  de  savoir  si 
le  culte  des  Lares  procède  du  culte  des  morts  et  des  ancêtres  (Wissowa, 
Religion  und  Kullus  der  Rumer,  p.  148,  159)  ;  il  ne  paraît  pas  qu'elle 
soit  susceptible  de  solution.  11  n'y  a  donc  pas  à  rechercher  si  les  Lares 
sont  comparables  aux  héros  ;  toutefois,  ils  ont  des  fonction  s  qui,  ailleurs, 
sont  dévolues  aux  héros.  —  L'emploi  de  divus  dans  le  protocole  reli- 
gieux des  empereurs  est  une  nuance  qui  correspond  peut-être  à  une 
distinction,  par  le  langage,  des  dieux  et  des  héros. 

3.  V.n  irlandais,  l'un  des  mots  les  plus  usités  est  laech  (de  laicus), 
laech  fjaile,  héros  de  vaillance  ;  cm;-,  caur,  est  un  vieux  mot  (cf.  •/-jp'.oç)  ; 
gaiscedach,  gaisceack  viennent  de  gaisced,  valeur  guerrière  ;  greit, 
champion,  désignait  le  saint,  le  champion  divin,  cf.  Félire  Oengusso, 
éd.  Stokes,  passim  ;  err,  s'applique  spécialement  au  guerrier  qui 
combat  sur  le  char  à  côté  du  cocher.  On  peut  se  demander  si  nia,  gén. 
niad,  héros,  et  nia,  neveu,  sont  un  seul  et  même  mot.  —  En  gallois, 
deior  est  un  emprunt  à  l'anglo-saxon  deor,  cf.  J.  Loth,  Revue  celtique, 
L  X.\X11,  p.  ±^±'i,  J.  Vendryes,  ibid.,  p.  476;  arvcr,  gxrron,  gwrol.ldyd 
désigneût  la  prééminence,  la  vaillance. 


VIII  PREFACE 


OU  (lieux,  qui  ont  subi  les  hasards  d'une  vie  temporelle. 
Hommes,  ils  ont  clé  surhumains  ;  morts,  ils  se  distinguent 
de  la  foule  des  morts  par  le  souvenir  qui  s'attache  à  eux 
et  la  force  qu'on  leur  proie  encore;  démons  ou  dieux,  ce 
sont  des  quasi-démons  ou  des  demi-dieux,  de  puissance 
moindre,  limitée  ou  temporaire,  mais  serviables  aux  hommes 
dont  ils  se  rapprochent,  voisinant  avec  eux  dans  leurs 
images  reconnaissables  et  leurs  tombeaux  certains,  inter- 
cesseurs divins  en  un  mot.  Surhommes  ou  demi-dieux,  les 
héros  sont  en  tout  cas  divins  ;  le  héros  est  un  divits,  une 
espèce  du  divin*. 

Mais  ces  caractéristiques,  pour  limitatives  qu'elles  parais- 
sent être,  laisseraient  une  latitude  presque  indéfinie  à 
l'emploi  du  terme  en  question.  Entre  les  esprits  ancestraux 
et  les  héros,  il  n'y  a  pas  de  démarcation  qui  se  distingue 
du  premier  coup.  Il  n'y  en  a  pas  davantage  entre  les  héros 
épiques  et  ceux  des  contes  ou  du  roman.  Tous  les  démons 
agraires,  tous  les  génies  totémiques,  tous  les  dieux  qui 
descendent  sur  terre  pour  engendrer  des  hommes,  fonder 
des  races,  les  instruire,  leur  attraper  la  lune  ou  le  soleil 
et  finalement  mourir  au  sacrifice  ou  ailleurs  et  enfin  tous 
les  dieux  créateurs,  tous  les  dieux  en  un  mot  sont  exposés 
à  se  ranger  tour  à  tour  dans  la  catégorie  trop  largement 
ouverte  des  héros,  à  la  suite  des  héros  civilisateurs,  améri- 
cains ou  autres  %  dont  les  capacités  et  les  attributions  sont 


1.  En  grec,  l'expression  Gsol  r^ptutc,  qui  traduit  Dei  Mânes,  dans  des 
inscriptions  hellénistiques  n'en  dit  pas  davantage:  GIG, 3232:  Antinoos 
est  appelé  sur  les  monnais  à  son  effigie,  tantôt  'Jïpax;  et  tantôt  Oeoç  : 
G.  Blum,  AvTtvooç  Oeoç,  Mélanges  d'Ilist.  et  d'Arch.,  Ecole  française  de 
Rome,  1913,  p.  65  sqq. 

2.  La  notion  de  héros  a  été  élargie  à  l'extrême  par  MM.  Breysig  et 
Wundt.  Voir  K.  Breysig,  Die  Enlstehung  des  Gottesgedankens  und  der 
Heilbringer,  Berlin,  1905  ;  W.  Wundt,  Elemenle  der  Yôlkerpsycliologie, 


PREFACE  IX 

indénnimcnl  étendues.  En  parlant  de  héros  on  a  parlé  du 
Christ  et  du  Bouddha,  des  prophètes,  et  surtout  des  saints. 
C'est  même  le  premier  titre  de  saint  Patrick  à  entrer  ici  en 
concurrence.  Une  notion  aussi  distendue  peut  finir  par  ne 
plus  rien  comprendre  et  il  importe  d'en  resserrer  étroite- 
ment les  limites. 

C'est  du  côté  des  dieux  qu'elles  sont  le  plus  difficiles  à 
fixer,  tant  les  degrés  sont  nombreux  et  la  progression  insen- 
sible dans  le  monde  spirituel  et  divin  que  l'humanité  s'est 
superposé. 

Au  milieu  du  temple  d'Hiérapolis  en  Syrie  il  y  avait  trois 
images  divines  :  Tune  représentait  une  déesse  ;  l'autre,  la 
figure  assez  falote  d'un  très  grand  dieu  ;  de  la  troisième, 
l'auteur  du  De  Dea  Syria,  dont  le  langage  a  des  nuances, 
ne  nous  dit  pas  expressément  qu'elle  figurât  un  dieu  *.  Les 
deux  premières  recevaient  à  proprement  parler  un  culte; 
la  troisième  figurait  dans  le  culte  et  servait  aux  rites. 
Mieux  pourvu  de  mythes  et  de  légendes  que  ses  associés 
ce  personnage  ressemblait  à  Atlis,  à  Adonis  ;  aux  visiteurs 
du  temple,  curieux  de  connaître  son  nom,  on  parlait  de 
Dionysos,  de  Sémiramis  ;   même   sa   personnalité   divine 


Leipzig,  1009,  ch.  m,  Das  Zeitalter  der  Helden  und  Gôller:  id.,  Vôlker- 
psychologie,  II,  (IV*)  Mytlius  und  Relif/iort,  Tier-Ahnen-iaid  DâmonenkuU, 
ch.  V,  der  Salwmylhus.  Chez  M.  Breysig,  il  ne  s'agit  pas  expressé- 
ment de  héros,  mais  de  sauveurs  et  de  civilisateurs.  Nimporte!  C'est 
au  passage  des  civilisations  du  Nouveau-Monde  aux  civilisations 
anciennes  de  l'Asie  et  de  l'Europe,  qu'il  se  donne  ample  carrière.  Jahve, 
par  exemple,  est  rattaché  (p.  65  sqq.)  à  la  famille  des  Heillringer  par  des 
traits  de  nature  mi-animale  et  mi-héroïque.  M.  Mauss,  dans  son  compte 
rendu  de  Y  Année  Sociologique,  t.  X,  p.  317  sqq.,  a  indiqué  de  quel  point 
de  vue  nous  jugeons  ce  travail,  que  nous  ne  pouvons  utiliser  beau- 
coup, ni  discuter  longuement.  Nous  attachons  un  tout  autre  intérêt  aux 
opinions  du  philosophe  qu'est  M.  Wundt  ;  j'y  reviendrai  plus  loin.  Mais 
si  respectable  que  nous  paraisse  son  œuvre,  nous  y  trouvons  plus  d'opi- 
nions que  d'acquis.  Voir  M.  Mauss,  Année  Sociologique,  t.  XI,  p.  52  sqq. 
1.  Lucien,  De  Dea  iiyria,  32. 


X  PRÉFACE 

s'idontifiail  avoc  celle  d'un  fondateur  du  cullo,  Combabos, 
général  de  Sélcucus,  donl  on  racontait  une  curieuse 
légende.  Nous  y  reconnaîtrions  donc  volontiers  un  héros. 
Le  troisième  personnage  de  ces  trinités  sémitiques,  dont  la 
trinilé  d'Hiérapolis  est  un  exemple,  est,  par  excellence, 
un  «  dieu  vivant  »  '  et  plein  de  vie,  d'une  vie  semblable 
à  la  vie  humaine  ;  il  en  témoigne  par  la  souffrance,  par 
la  mort,  par  la  résurrection  suivie  de  morts  nouvelles  ; 
son  humanité  fait  sa  valeur;  c'est  un  médiateur;  c'est 
déjà  presque  un  Messie.  Si  les  Grecs  l'adoptent,  c'est  Her- 
cule', c'est  Méhcerte^,  lolaos  '  ou  DeucaUon  %  c'est-à-dire 
des  héros,  qu'ils  reconnaissent  en  lui.  Néanmoins  l'opinion 
des  Grecs  n'a  pas  paru  décisive  à  M.  von  Baudissin,  qui 
a  consacré  à  ces  dieux  syriens  de  si  claires  et  profondes 
études,  et  nous  nous  sommes  tentés  par  la  siemie.  Pour 
lui,  Adonis  et  ses  pareils,  n'étant  pas  tout  à  fait  des 
dieux,  sont  des  démons.  La  difficulté  est  grande  de  répar- 
tir en  catégories  nettement  définies  et  hiérarchisées  ceux 
des  êtres  religieux  dont  la  place  n'est  pas  marquée  au 
premier  rang  du  culte. 

On  a  le  sentiment  qu'il  existe  des  catégories,  mais  com- 
ment leurs  différences  s'articulent-elles?  Fixer,  comme  on 
l'a  fait*,  la  limite  entre  dieux  et  héros  au  point  où  le  culte 
commence,  c'est  exclure  des  héros  tous  les  héros  grecs, 

1.  W.  W.  von  Baudissin,  Adonis  uad  Esmun,  Inlroduction,  VI,  p.  56, 
Die  Idée  des  Lebens,  4«  partie,  III,  p.  450  sqq.,  Jahwe  der  Icbende 
Gott. 

2.  hl,  o.  l.  pp.  230,  235. 

3.  H.  Schmidt,  lona,  p.  113  sqq. 

4.  W.  W.  von  Baudissin,  o.  l.  p.  286  sqq. 

5.  Lucien,  o.  l.,  12. 

6.  K.  Breysig,  o.  L,  p.  7  sq.  ;  A.  C.  Haddon,  dans  Hastings's  Encyclo- 
paedia,  t.  VI,  p.  635  sq. 


PREFACE  XI 

les  plus  (v[)i(jiios  de  tous,  car  ils  reçoivent  un  culte,  l'rcndre 
comme  critérium  le  caractère  historique  des  actes,  passager 
des  interventions,  borné  de  la  compétence,  limité  de  la 
puissance,  c'est  nécessairement  laisser  de  côté  les  civilisa- 
teurs des  mythologies  américaines,  car  ceux-ci  ne  se 
bornent  pas  i\  aider  les  hommes  et  à  fonder  leurs  races, 
mais  ils  les  créent  et  ne  sont  pas  moins  capables  de 
donner  ù  l'humanité  le  soleil  que  le  feu.  Prendre  comme 
critérium  définitif,  sans  plus,  la  personnalité,  c'est  vouloir 
rejeter  tous  les  héros  anonymes  de  la  Grèce,  les  héros 
de  fonctions  et  nombres  de  génies  inventeurs  de  rites  ou 
de  lechni(iues  que  l'on  range  sous  la  rubrique  des  héros 
civihsateurs' ;  la  nature  humaine  des  personnages,  c'est 
renoncer  à  joindre  à  la  famille  des  héros  ses  ancêtres  à 
forme  animale,  comme  le  corbeau  de  la  Colombie  Britan- 
nique. Héros,  dieux,  démons  sont  espèces  parentes.  Mais 
leurs  ressemblances  et  leurs  différences  sont  difficiles  à 
réduire  en  systèmes. 

11  s'est  produit  certainement  de  l'une  à  l'autre  des  pas- 
sages ou  des  échanges  ;  des  héros  sont  devenus  dieux,  des 
dieux  sont  devenus  héros.  Même  des  groupes  entiers  ont 
changé  de  caractère  et  d'étage.  Les  Goths,  dit  leur  histo- 
rien, Jordanes,  appelaient  Anses  des  héros,  qui  étaient 
des  chefs;  ce  sont  les  Ases  des  Germains  septentrionaux, 
qui,  chez  ceux-ci,  sont  des  dieux  '\  Une  limite  ainsi  sou- 


1.  K.  Diirkhoim,  Les  formes  élémentaires  de  la  vie  religieuse,  p.  405. 

2.  Jordanes,  De  Getarum  origine,  13  :  proceri^s  suos,  quasi  qui  for- 
tuna  vincfbani,  non  puros  homincs,  seJ  semideos,  id  est  anses,  voca- 
vere.  —  0.  Scliradcr,  Aryan  religion,  dans  Haslings's  Encyclopxdia,  t.  II, 
p.  15  ;  id.,  Reallexikon  cler  indogermanischen  Allertumskunde,  p.  30:  les 
Ases,  comme  les  Asuras,  ont  été  connus  comme  des  Ames  de  morts  ; 
ce  sens  est  porté  par  la  racine  dont  leurs  noms  sont  dérivée. 


XII  PREFACE 

vcnl  franchie  risque  d'ôlrc  fort  ciïacée.  Dans  le  cas  qui  vient 
d'ôtrc  cilé  des  héros  sont  montés  en  grade.  Est-ce  ù  dire 
que  la  progression  des  héros  aux  dieux  soit  constante,  régu- 
lière et  naturelle?  Non  pas.  La  parenté  qui  relie  entre  elles 
les  espèces  des  esprits  ne  comporte  pas  un  ordre  généalo- 
gique évident.  Les  héros  ont-ils  précédé  ou  suivi  les  dieux? 
Sont-ils  issus  des  démons?  Ce  sont  questions  qui  se  posent, 
mais  auxquelles  on  a  donné  des  réponses  qui  ne  nous 
contentent  pas'.  L'enchevêtrement  est  la  règle.  11  résulte 
en  majeure  partie  de  l'extension  abusive  qui  s'est  faite,  sui- 
vant les  temps  et  les  pays,  de  notions  familières,  tantôt 
au  profit  des  héros,  tantôt  au  profit  des  dieux,  tantôt  au 
profit  de  certaines  sortes  de  démons,  comme  les  fées. 
Il  tient  aussi  au  caractère  complexe  des  personnages 
divins  qui  sont  indécis  entre  dieu  et  héros,  tels  Héraclès 
et  Dionysos  ".  11  y  a  plusieurs  aspects  de  la  divinité.  Tantôt 
une  seule  figure  les  réunit,  tantôt  ils  se  divisent  entre  plu- 
sieurs, qu'un  môme  culte  associe.  Les  qualités  des  héros 
correspondent  sans  doute  à  Tun  de  ces  aspects  et  inver- 
sement nous  pressentons  qu'il  y  a  pour  la  divinité  des 
rôles  de  héros. 


Le  livre  de  M.  Czarnowski  fait  une  large  place  à  la  défi- 
nition du  héros.  11  se  termine  en  définition,  11  s'ouvre  par 
une  définition  préliminaire.  Celle-ci  n'est  pas  une  revue  de 


1.  Wundt,  ÉlementederVulkerpsychologie,  pp.  281,366,372;  id.  Vôlker- 
psycholocjie,  IV.  I^  2<'  éd.  p.  455.  H.  Usener  Gôllernamen,  p.  257  sqq. 
J.  E.  Ilarrison,  Prolegomena  to  the  study  of  Greek  religion,  p.  323  sqq. 

2.  npoo;  AîovjJE,  Poelae  Lyrici  Graeci,  t.  III,  636. 


PRKFACE  XIII 

synonymes;  elle  énumère  et  résume  les  traits  d'un  type, 
donl  la  Grèce  fournit  les  principaux  exemples.  M.  Czar- 
nowski  le  retrouve  en  Irlande  et,  tout  en  faisant  le  portrait 
de  saint  Patrick,  il  en  explique  les  caractères. 

Sa  définition  provisoire  est  compréhensive,  car  elle  réu- 
nit les  héros  donl  l'épopée  ressuscite  les  aventures  tumul- 
tueuses et  ceux  qui  sont  héros  par  la  vertu  de  leur  tombeau 
et  de  leurs  reliques,  les  types  idéaux  et  les  objets  réels  du 
culte,  ceux  dont  on  commente  la  vie  et  ceux  qui  sont  des 
morts  dont  on  vénère  les  restes,  ceux  qui  ont  réellement 
vécu  et  dont  le  souvenir  est  authentique  et  ceux  dont  la 
vie  mortelle  est  un  mythe,  ceux  qui  sont  des  liommes  et 
ceux  qui  voisinent  avec  les  dieux.  Ils  ne  réalisent  pas 
tous  la  plénitude  du  type,  mais  ils  en  montrent  tous  quelque 
aspect  reconnaissable. 

L'explication  des  caractères  de  héros  attribués  par  hypo- 
thèse à  saint  Patrick  découle  de  là  méthodiquement. 
Saint  Patrick  fut,  semble-t-il,  un'e  très  forte  personnaUlé. 
Activité,  énergie,  esprit  d'organisation,  il  avait  des  qualités 
de  chef  et  méritait  ainsi  de  devenir  un  de  ces  chefs  et 
champions  surhumains  que  sont  les  héros.  Sa  légende  l'a 
paré  de  vertus  et  pourvu  de  pouvoirs,  où  se  mirent  à  la  fois 
l'idéal  chrétien  et  l'idéal  national  des  Irlandais.  Il  y  devient 
semblable  à  leurs  anciens  dieux.  Mais  ceux-ci  sont  des 
héros  ou  assimilés  à  des  héros.  Ils  ont  tous  passé  sur  terre. 
Des  combats  ou  des  catastrophes  leur  donnent  un  merveil- 
leux prestige,  une  vertu  d'exemple  à  imiter  ou  à  craindre, 
une  auréole  de  puissance  utile  et  présente.  Saint  Patrick 
s'est  insinué,  par  exemple,  dans  le  système  des  fêtes  où  les 
héros  irlandais  sont  réprésentés  triomphant  et  mourant  tour 
à  tour  ;  sa  légende  le  môle  à  des  sortes  de  sacrifices,  qui 


XIV  PRHFACE 

ressemblent  singulièrement  aux  leurs,  et  comme  eux  il 
combat,  s'il  ne  meurt  pas  comme  eux.  Parallélisme  entre 
saint  Patrick  et  les  héros  irlandais  ;  parallélisme  également 
entre  les  caractères  des  héros  irlandais  et  les  éléments  de 
la  définition  préliminaire;  mais  n'est-ce  pas  une  constante 
tautologie  ? 

Sans  doute.  Et  cette  démarche  était,  à  vrai  dire,  inévi- 
table. Car  saint  Patrick  n'est  pas  un  héros  de  piano,  mais 
un  saint  et  il  faut  montrer  que  la  définition  préliminaire 
s'applique  à  lui  malgré  les  apparences.  Ce  qu'elle  peut 
gagner  à  ce  travail,  de  clarté  et  de  précision  est  gain  sup- 
plémentaire et  bénéfice  net.  Le  but  était  non  pas  de  l'appro- 
fondir ni  de  la  justifier,  mais  d'en  étendre  l'application. 
Il  s'agit,  en  fait  de  définition,  de  définir  sociologiquement 
un  fait  historique.  C'est  un  résultat  qui,  en  soi,  est  loin 
d'être  dénué  d'intérêt,  mais  qui  vaut  surtout  parce  qu'il 
permet  d'apporter  aux  problèmes  généraux,  que  le  travail 
concerne,  un  nouveau  contingent  de  données  précises, 
évidentes  et  authentiques. 


Mais  bien  qu'il  soit  constamment  question  dans  ce  livre 
du  héros  en  général,  c'est  sur  un  héros  d'une  catégorie 
particulière  que  l'attention  est  appelée  effectivement  et  dès 
le  titre.  En  définissant  saint  Patrick  comme  héros  national, 
M.  Czarnowski  fait  déjà  entrer  en  ligne  de  compte  dans 
sa  définition  le  type  de  société  dont  son  personnage 
incarnerait,  pour  prendre  une  de  ses  expressions  «  la 
valeur  sociale  fondamentale  ».  Or,  il  est  en  mesure  de 
nous   renseigner,   assez  complètement,   sur  les  rapports 


PRÉFACE  XV 

sociologiques  du  héros  national  irlandais  et  de  la  nation 
irlandaise. 

Voici  comment,  d'après  M.  Czarnowski,  s'est  constituée  la 
légende  héroïque  de  saint  Patrick.  D'emprunts  à  la  tradi- 
tion irlandaise.  Les  épisodes  caractéristiques  des  mythes 
héroïques  y  ont  été  incorporés.  Mais  tout  spécialement 
ceu.\  qui  ont  trait  aux  fétcs'. 

L'année  irlandaise  compte  quatre  grandes  fêtes  dont  la 
date  correspond  respectivement  aux  l*"'  février,  1"  mai, 
l"août,  1"  novembre.  Entre  ces  grandes  fêtes  qui  ouvrent 
les  saisons,  tombaient  des  fêtes  de  demi-saisons.  La  fête 
de  saint  Patrick,  le  17  mars,  coïncide  avec  l'une  d'elles. 
Mais  toutes  les  autres  ont  également  quelque  chose  de 
saint  Patrick,  La  vie  légendaire  de  celui-ci  s'accomphl 
dans  le  cycle  de  l'année.  Ses  épisodes  se  passent  tous 
aux  dates  de  fêtes,  soit  à  celles  des  anciennes  fêtes 
irlandaises,  soit  à  Pâques  ;  mais  Pâques  vaut  à  la  fois 
pour  la  fête  du  1"  mai,  Beltene,  et  pour  celle  du  1"'  no- 
vembre, Samhain.  La  vie  de  saint  Patrick  est  strictement 
réglée  par  le  calendrier  et  par  l'ordre  des  fêtes,  comme  la 
vie  sociale  des  Irlandais  qui,  vivant  dispersés,  sans  villes, 
ne  se  rassemblaient  régulièrement  qu'aux  fêtes,  où  se 
décidaient  et  s'accomplissaient  les  actes  collectifs.  Elles 
suivent,  l'une  et  l'autre,  le  même  calendrier.  Il  y  a  donc 
entre  la  vie  légendaire  du  saint  et  le  milieu  social,  où  elle 
est  placée,  une  évidente  harmonie,  qui  résulte  de  la  façon 
même  dont  elle  a  été  composée. 

Cette  tradition  héroïque,  tribale  ou  nationale,  avait  des 
dépositaires  attitrés.  C'étaient  les  filid^.   En  Irlande  et 

1.  Czarnowski,  p.  139,  sqq. 

2.  Czarnowski,  p.  ilï,  sqq. 


XVI  PRËFACE 

en  Gaule,  les  ftlid  ont  formé  une  classe,  comparable  {\  celle 
des  druides  :  juges,  prôlres,  savants,  mais  surtout  poètes, 
c'étaient  eux  qui  chantaient  aux  fûtes  le  souvenir  des 
héros.  Ils  formaient  un  institut  national.  Leur  organisa- 
tion était  indépendante  de  l'organisation  des  tribus  et  des 
clans. 

Or,  saint  Patrick  a  été  adopté  par  les  /ilid.  Le  saint  Pa- 
trick de  l'histoire  a  mis  au  service  de  sa  propagande  la 
jalousie  des  deux  corporations  rivales,  druides  et  filid. 
Il  a  utilisé  l'organisation  de  ces  derniers.  Mal  accueilli 
par  les  druides,  il  a  su  néanmoins  entrer,  et  les  siens  avec 
lui,  dans  les  cadres  de  la  société  irlandaise,  mais  sous 
Tégide  des  /ilid.  Ceux-ci  lui  ont  fourni  son  clergé  et  des 
méthodes  d'action.  On  le  voit  par  exemple  entouré  de 
jeunes  gens  à  l'égard  desquels  il  assume  une  sorte  de 
paternité  d'adoption.  C'est  en  maître  /i/é  qu'il  se  com- 
porte alors.  La  société  irlandaise  abandonnait,  pour  ainsi 
dire,  ses  enfants  aux  corporations  spirituelles  qu'elle  char- 
geait de  leur  éducation.  Les  filid,  alliés  de  saint  Patrick, 
disciples  de  saint  Patrick,  ont  pris  le  soin  de  sa  légende. 
Ils  l'ont  faite  au  goût  de  leur  tradition.  Ils  y  ont  versé  leurs 
légendes  indigènes.  Mais,  corps  national  irlandais,  ils  ont 
fait  de  leur  saint  patron  un  héros  de  l'Irlande  entière. 

D'autre  part,  saint  Patrick,  inspiré  par  le  vigoureux  bon 
sens  politique  qui  paraît  avoir  été  l'un  de  ses  caractères, 
a  conformé  autant  que  possible  l'organisation  de  son  Eglise 
à  la  structure  de  la  société  dans  laquelle  il  l'implantait. 
Bien  que  les  Irlandais  aient  eu  le  sentiment  d'ôlre  une  nation 
et  que  l'on  puisse  avec  quelque  bonne  volonté,  apercevoir 
chez  eux  des  rudiments  d'Etat,  ils  n'ont  constitué  en  réa- 
lité qu'une  vaste  confédération  de  clans,  tuatha,  divisés  en 


PRÉFACE  XXI 

leurs  types  idéaux,  leurs  emblèmes  personnels,  leurs 
dieux  et  leurs  ancôlres.  Ces  personnages  étaient  des 
héros. 

De  la  môme  façon  que  l'Eglise  de  saint  Patrick  a  con- 
formé son  organisation  aux  cadres  de  la  société  irlandaise, 
elle  a  imité  dans  le  culte  de  ses  saints  les  cultes  héroïques 
de  celle-ci.  Les  saints  irlandais  tiennent  la  place  des 
ancêtres  et  des  héros  pour  les  monastères  et  les  évôchés 
qu'ils  ont  fondés,  mais  aussi  pour  les  grands  et  les  petits 
clans  qui  leur  correspondent.  Parmi  eux,  saint  Patrick,  fon- 
dateur de  l'Église  irlandaise,  tient  celle  d'un  héros  national 
parce  qu'il  a  été  adopté  par  l'institut  national  des  filid, 
grftce  ti  l'aide  desquels  il  a  pu  accomplir  sa  tâche  d'apôtre 
national.  Il  a  les  traits  d'un  héros  en  raison  de  l'assimilation 
qui  s'est  opérée  entre  son  Eglise  et  la  société  dont  elle  rem- 
plaçait les  dieux  ;  ceux-ci  étaient  des  héros  en  raison  de  la 
forme  de  celle-là. 

Ces  conclusions  impliquent  l'existence  de  liens  ration- 
nels non  seulement  entre  le  phénomène  social  qu'est  le 
type  légendaire  de  saint  Patrick  et  cet  autre  phénomène 
social  qu'est  la  société  où  il  a  fondé  son  Eglise,  mais  encore 
entre  la  notion  de  héros  et  certaines  structures  de  société, 
dont  elle  serait  fonction.  Elles  marquent  donc  vers  la 
solution  du  problème  qui  est  en  question  un  progrès 
logique  considérable.  Le  gain  positif,  dont  il  procède,  est 
de  réelle  importance. 


Une  étude   limitée  à  un   seul  cas  et  à  un  seul  type 
de  société  ne  saurait  prouver  que  le  phénomène  sur  lequel 


XXn  PRÉFACE 

elle  porte  manque  dans  d'autres,  ni  qu'il  se  produise 
sans  exception  dans  celui-ci.  M.  Czarnowski  ne  prétend 
donc  pas  que  toutes  les  sociétés  à  base  de  parenté  et  à 
forme  de  clans,  et  celles-ci  seules  produisent  des  héros, 
mais  qu'une  certaine  forme  de  ces  sociétés,  une  certaine 
phase  de  leur  évolution  leur  est  tout  spécialement  favo- 
rable. Mais  nous  pouvons  nous  avancer  avec  précaution 
dans  la  voie  qu'il  nous  ouvre,  pour  la  reconnaître  et 
savoir  jusqu'où  elle  conduit. 

Les  sociétés  à  héros  sont  de  celles  qui  ne  se  défmissent 
plus  tout  à  fait  strictement  par  la  filiation,  qui  ne  se  défi- 
nissent pas  encore  ou  pas  complètement  par  leur  territoire, 
bien  qu'il  y  ait  des  héros  territoriaux  \  ni  par  un  statut 
impersonnel  comparable  à  celui  qui  fait  les  citoyens  d'une 
république  ou  les  sujets  d'une  monarchie,  mais  qui  se 
définissent  par  leurs  chefs,  rois,  chefs  de  guerre,  magis- 
trats, fondateurs,  initiateurs  ^  La  notion  de  héros  fait  pen- 
dant à  la  notion  de  chef.  Les  sociétés  à  héros  sont  des 
sociétés  à  chefs.  Toute  société  qui  a  des  chefs,  si  elle  ne 
se  définit  pas  normalement  par  eux,  peut  passer  par  des 
crises  où  elle  se  reconnaît  en  eux  et  les  héroïse.  Cette 
formule  comporte  une  réserve;  car  nous  avons  le  senti- 
ment qu'une  double  délimitation  s'impose,  touchant  la 
nature  des  liens  sociaux  qui  unissent  les  subordonnés  et  la 
qualité  même  des  chefs. 

Un  patron  de  confrérie  est,  à  proprement  parler,  un 
héros.  La  cité  antique  a  eu  ses  héros.  La  patrie  a  les  siens. 


1.  E.  Durkheim,  Les  formes  élémenlaires  de  la  vie  religieuse,  p.  333, 
Ed.  Chavannes,  Le  dieu  du  sol  dans  la  Chine  antique  [Annales  du  Musée 
Guimet],  t.  XXXI,  p.  438  sq. 

2.  Czarnowski,  p.  326  ;  cf.  p.  212,  22G. 


PRKPACE  xxrir 

Mais  peul-on  en  dire  autant  de  TEtatS  du  di''parlemcnt,  de 
la  monarchie,  de  la  république,  de  la  démocratie?  Ces 
institutions  sont  aux  patries  et  aux  nations  ce  que  les  sociétés 
anonymes  ou  les  syndicats  sont  aux  compagnonnages. 
Or,  quand  on  désigne,  par  exemple,  un  corps  de  troupe, 
un  parti  par  le  nom  de  leurs  chefs,  on  leur  confère  par 
la  pensée  une  unité  plus  intime  que  celle  de  la  discipline 
militaire  ou  politique.  Entre  les  membres  de  ces  corps,  la 
communauté  de  vouloir  a  constitué  une  communion  réelle; 
une  même  vie,  une  môme  Ame  les  anime,  qui  émane  du 
chef;  entre  eux  et  lui  la  dépendance  ressemble  à  de  la 
parenté  ;  ils  sont  vraiment  frères  en  lui  et  le  nom  qui  leur 
est  donné  symbolise  cette  parenté  occasionnelle.  Quand  une 
société  prend  conscience  d'elle-môme  sous  les  espèces  de 
ses  héros,  elle  sent  qu'elle  relève  son  origine,  son  sang, 
son  nom  par  le  prestige  de  leur  autorité,  de  leur  force  et 
de  leur  valeur.  Saint  Louis,  Jeanne  d'Arc,  Napoléon  ont  été, 
ou  sont  des  héros  pour  la  France,  mais  héros  de  la  patrie 
française,  du  nom  français  que  nous  portons  tous  et  du 
sang  français  de  nos  veines.  Les  mots  de  patrie  et  de 
nation,  comme  celui  de  confrérie,  impliquent  la  parenté.  La 
notion  de  compagnonnage  comporte  celle  d'une  commu- 
nion. La  cite  grecque  était  un  cercle  de  parenté,  comme 
la  phratrie  et  le  yévoi. 

Peut-être  attestera-t-on  les  héros  lyrannicides,  comme 
exemples  de  héros  héroïsant  des  abstractions  politiques,  et, 
pour  rhéroïsation  de  l'Etat,  le  culte  des  empereurs  romains. 
Mais,  dans  le  cas  des  tyrannicides,   Tordre  politique  se 


1.  M.  Czarnowski  le  croit,  p.  .326;  mais  les  exemples  qu'il  cite  sont 
pris  au.\  Etals  féodaux. 


XXIV  PRKFACE 

dislingue  peul-ôlrc  mal  de  In  t:ô),'.;'.  Quant  au  cuUo  des 
empereurs,  il  s'est  édifie,  à  Rome,  sur  le  culte  des  Lares* ^ 
familier,  quasi-domestique  ;  dans  les  provinces,  l'extension 
régulière  du  droit  de  cité  romaine,  l'introduction  des  nou- 
veaux citoyens  dans  les  tribus  de  Rome  et  dans  les  gentes 
impériales,  qui  s'élargissaient  indéfiniment  [)our  les  adopter 
tous%  contribuaient  à  le  fonder  effectivement  sur  un  sys- 
tème de  parenté  ;  dans  l'ensemble,  ce  qui  pratiquait  le  culte 
impérial,  c'était,  sinon  une  famille,  du  moins  une  clientèle. 
Certes,  on  donne  volontiers  le  nom  de  héros  à  des  per- 
sonnages dont  le  propre  paraît  ôlre,  non  pas  de  commander 
idéalement  à  une  société,  mais  de  réaliser  d'éminente  façon 
quelque  épisode  ou  quelque  qualité  de  la  condition  humaine; 
ils  sont  des  emblèmes  de  vertus,  ou  de  travers,  de  succès, 
de  besoins  d'heureuse  ou  de  mauvaise  fortune,  mais  em- 
blèmes aussi  des  hommes  qui  se  mirent  en  eux  ;  ceux-ci 
forment,  au  regard  des  autres,  une  société;  notre  langage 
familier,  qui  ne  s'y  trompe  pas,  les  appelle  des  confrères  et 
parle  de  leurs  confréries*;  notre  fantaisie  populaire  a  réa- 
lisé celles-ci.  Mais  d'ailleurs  l'héroisation  ne  manque  guère 
de  les  faire  rentrer  dans  quelque  catégorie  de  héros,  qui 
soient  de  la  part  d'un  groupe  d'hommes  l'objet  d'un  culte 


1.  Sur  le  culte  d'IIarmodios  et  Aristogiton,  cf.  Aristote,  Athenaiôn 
polileia,  58,  17  ;  Démosthène,  XIX,  200  ;  Scholies,  dans  Poetœ  Lyrici 
Graeci,  t.  III.  646,  912. 

2.  G.  Boissier,  La  religion  romaine,  t.  I,  p.  137  sqq. 

3.  R.  Gagnât,  Cows  d'épigraphie  latine,  p.  75  sq. 

4.  Cf.  E.  K.  Chambers,  The  medixval  stage,  t.  I,  p.  372  sqq.  —  11  n'y 
a  pas  contradiction  entre  le  héros  chef  du  groupe  ou  emblème  de 
groupe  et  le  héros  emblème  de  qualités  :  en  Australie,  chez  les  Warra- 
munga  et  les  Tjingilli,  un  clan  porte  le  nom  d'un  ancêtre  Tliaballa, 
le  garçon  qui  rit,  qui  semble  incarner  la  gaieté  :  Spencer-Gillen,  The 
northern  tribes  of  Central  Australia,  p.  2u7  sq.  ;  E.  Durkheim,  o.  l. 
p.  147. 


PBEFACE  XVII 

grandes  familles  agnaliques,  fine,  intermédiaires  entre  la 
famille  proprement  dite  et  le  clan,  groupés  en  tribus,  qui 
sont  des  clans  plus  grands,  mor-tualha,  dont  la  réunion, 
en  nombres  d'ailleurs  fixes,  formait  des  royaumes,  qui  se 
confédéraient  à  la  façon  des  tribus  dans  une  nation,  sous 
l'égide  du  grand  roi  de  Tara'.  Le  royaume  d'Irlande  était 
à  mi-chemin  entre  le  grégarisme  tribal  et  l'organisation 
monarciiique.  Les  hommes  y  étaient  groupés  dans  une 
féodalité  patriarchale,  réunis  par  les  liens  personnels  de 
la  consanguinité,  réels,  mais  personnels  encore  de  la  pro- 
priété et  de  la  hiérarchie  sociale.  On  a  remarqué  que  les 
cadres  de  TEglise  irlandaise  reproduisaient  ceux  de  cette 
société  ;  les  diocèses  correspondent  aux  clans  ;  les  commu- 
nautés monastiques  aux  grands  groupes  d'agnats  {fine), 
dont  elles  ont  le  caractère.  Il  y  a  même  plus  que  corres- 
pondance ;  il  y  a  coïncidence  et  les  deux  systèmes  sont 
enchevêtrés  par  un  réseau  complexe  de  liens  familiaux  et 
féodaux  ^ 

Dans  cette  société  à  structure  politico-domestique,  les 
rapports  des  dieux  et  des  hommes  ont  été  conçus  comme 
ceux  des  hommes  entre  eux.  Ce  sont  à  quelque  degré  des 
parents.  Les  dieux  sont  des  ancêtres.  Par  contre,  les 
ancêtres  sont  des  divinités,  plus  précisément  des  héros 
ou  des  dieux  faisant  figure  de  héros.  Dans  la  religion  d'une 
pareille  société  le  culte  des  héros  devait  être  l'élément 
caractéristique  et  tenir  la  place  principale. 

Xous  disons  héros  et  non  pas  simplement  ancêtres,  car 
les  unités  fondamentales  de  la  société  n'avaient  pas  seu- 
lement le  rùle  moral  et  juridique  d'une  famille  ;  c'étaient 

1.  Czarnowski,  p.  231,  sqq. 

2.  Czarnowski,  p.  265,  sqq. 

Czarnowski.  b 


XYIII  PREFACE 

des  organismes  politiques,  qui  comptaient  avant  tout  par 
leurs  chefs.  Les  groupes  de  ce  type  s'idéalisent  normale- 
ment dans  leurs  ancôtres-chefs  et  ceux-ci  sont  normalement 
des  héros.  La  vanité  les  pare  à  l'envi  de  tous  les  mérites 
que  Ton  prise  ;  elle  se  complaît  à  les  figurer  plus  grands, 
plus  valeureux,  plus  beaux  que  les  meilleurs  et  les  plus 
honorables  de  leurs  descendants  ;  ils  ont  en  tout  cas  le 
mérite  d'avoir  été  les  premiers  et  de  n'avoir  derrière  eux 
que  l'inconnu  ou  les  dieux.  Les  unités  fondamentales  de 
la  société  irlandaise,  fine  et  tuatha^  rendaient  donc  un 
culte  à  des  héros,  qui  étaient  leurs  ancêtres  légitimes.  Au- 
dessus  de  ces  parentés  étroites  s'étendaient  des  parentés 
plus  larges.  Des  héros  y  correspondaient  encore,  qui  s'éle- 
vaient au-dessus  des  autres  ;  il  est  précisément  remarquable 
que  ceux-ci  aient  eu  presque  toujours,  dans  le  mythe  de 
leur  origine,  quelque  soupçon  de  bâtardise  ou  de  pérégri- 
nité;  c'est  le  cas  de  Cuchulainn*,  le  plus  populaire  des 
héros  d'Ulster. 

Dans  ce  monde  héroïque  et  divin,  dont  la  mythologie 
irlandaise  raconte  les  aventures,  il  est  des  personnages 
qui  font  plus  spécialement  figure  de  dieux  ;  ils  sont  dési- 
gnés collectivement  sous  le  nom  de  Tuatha  dé  Danann, 
les  clans  de  la  déesse  Danu.  Ils  avaient  des  ennemis 
mythiques,  les  Fomore^  dont  quelques-uns  peuvent  éga- 
lement être  qualifiés  de  dieux.  Mais  ils  sont  censés,  les  uns 
et  les  autres,  avoir  noué  avec  les  hommes  des  relations 
multiples  et  diverses.  Il  n'en  est  pas  un  qui  n'ait  passé  sur 


1.  Gzarnowski,  p.  262  :  Cuchulainn  est  fils  de  Conchobar  et  de 
sa  sœur  Dechtire  (d'Arbois  de  Jubainville,  l'Épopée  celtique,  p.  38). 
D'après  deu.x  autres  traditions,  il  est  fils  de  Lug  ou  produit  de  parthé- 
nogenèse :  d'Arbois,  o.  l.,  p.  26  sqq  ;  E.  Hall,  The  Cuchullin  saga,  p.  i5 
sqq. 


PRÉFACE  XIX 

terre  et  ne  soit  uni,  directement  ou  indirectement,  à  quelque 
groupe  d'hommes  par  les  liens  d'une  alliance  ou  d'une  pa- 
renté, soit  naturelle,  soit  adoplive.  L'Olympe  de  l'Irlande 
est  souterrain.  Les  dieux  habitent  les  sidhe,  c'est-à-dire  les 
tumulus  funéraires;  car  ils  sont  morts  ou  se  sont  retirés 
chez  les  morts'.  Tout  le  monde  spirituel  de  l'Irlande  est 
rassemblé  dans  les  tombeaux  et  les  cimetières,  autour 
desqutls  se  concentre  la  vie  relif^icuse  des  royaumes,  des 
tribus,  des  clans  et  des  fine^.  Héros  et  dieux  se  confondent 
dans  la  notion  du  «  peuple  des  sidhe^  »,  qui  comprend 
également  les  démons  et  qui  est  celle  des  fées. 

1.  Le  personnage  auquel  la  Boyne  doit  son  nom,  suivant  une  légende 
dont  nous  avons  plusieurs  versions,  est  appelé  par  VÀirne  Finrjein  (la 
Vision  de  Fingen),  2,  banghalr/liaidhe,  une  femme  héros  (Anecdota 
from  Irish  manuscripts,  II,  p,  1  sq  ).  La  fontaine  d'où  la  rivière  est  sortie 
dépend  du  sxdh  de  Sechlan  et  Buan  est  la  femme  de  Xec/Uan.  Nech- 
lan  s'appelle  également  Suadu,  sans  doute  Suada  Sechl.  La  rivière 
est  en  effet  désignée  comme  Rig  mnà  Xuadal,  le  bras  de  la  femme  de 
Nuadu  (Ed.  Gwynn.  The  melrical  Dindsenchas,  t.  III.  p.  27).  Sur  Xuadu 
Necht,  cf.  Sir  John  RhC-s,  Cellic  heathendom.  p.  119-133  :  id.,  dans  Tran- 
sactions of  Ihe  lll^  Inlernalional  Congress  foi'  Ihe  history  of  religions, 
t.  II.  p.  ilT.  sq.  Je  ne  vois  aucune  raison  do  rejeter  en  doute  les  hypo- 
thèses de  sir  John  Rh^s  sur  l'équivalence  de  Necht-Nechtan  et  Nep- 
lunus  ;  je  ne  l'attribue  pas  à  un  emprunt  mais  à  une  concordance  ilalo- 
celtique.  Quant  à  Suadu  =  Sudd  =  Nodens,  c'est  un  des  protagonistes 
de  la  mythologie  panceltique.  Buan  est  assimilée  par  les  Dindsenchas 
à  Buan.  femme  de  Dagda,  l'un  des  principaux  de  Tualha  dé  Danann 
("Wh.  Stokes,  The  Rennes  Dindsenchas,  dans  Revue  celtique,  t.  XV, 
p.  31d,  19  ;  Ed.  Gwynn,  o.  l..  vers  73  sqq.).  Le  Sidh  de  Dagda  était  pré- 
cisément le  Brugh  na  Boinne,  sur  la  rive  gauche  de  la  Boyne  :  cf.  G.  Cof- 
fey,  Sew  Grange  (Brugh  na  Boinne)  and  other  incised  tumuli  in  Jreland 
1912,  p.  20  sqq.  Buan  ou  Buanann  fait  partie  d'un  groupe  de  personna- 
lités mythiques,  qui  comprend  deux  autres  figures  très  vagues  et  très 
importantes,  Anu  et  Danu.  Elle  est  associée  par  le  dictionnaire  de 
Cormac  à  Anu,  mère  des  dieux,  comme  mère  des  héros  (Sir  John  Rh5s, 
Transactions,  l.  L,  p.  213  ;  id.,  Cellic  heathendom,  p.  4.'j0  ;  O'Curry, 
Manners  and  customs,  t.  III,  p.  4a4.  sq).  Comme  Nuadu  Necht  elle  est 
tout  à  fait  au  premier  plan  de  la  mythologie.  Suivant  Aime  Fingein, 
L  l.,  la  formation  de  la  Boyne  est  contemporaine  de  la  naissance  de 
Conn  Célcathach,  dont  le  règne  commencerait  en  123  après  J.-C.  C'est 
un  exemple  complet  de  divinité  hérolsée. 

2.  Czarnowski,  p.  165. 

3.  L'emploi  du  mot  dia,  dieu,  et  de  sa  forme  féminine,  dont  nous 
avons  deux  génitifs  dee  {dé)  et  déa  ou  dia,  est  en  somme  limité.  Le  mot 


XX  PRÉFACE 

La  preuve  de  parenté  que  donne  le  nom  de  famille  est 
abondamment  fournie  en  Irlande  pour  celle  des  clans  et  de 
leurs  fondateurs;  elle  ne  manque  pas  non  plus  par  les 
groupes  plus  étendus.  Les  clans  sont  désignes  par  des 
noms  collectifs  ou  des  gentilices,  comprenant  le  nom  patro- 
nymique, ou  bien  comme  la  race,  les  fils,  la  postérité  de 
Tancôtre  :  Corcu  Ochland,  cenél  Conaill,  Hi'd  Degaidh^ 
Mac  Eachach.  Mais  il  y  a  aussi  des  Hûi  Amalgada  et 
c'est  une  tribu*;  des  Mac  Nechta,  qui  procèdent  sans 
doute  d'un  grand  dieu,  Nuadu  Necht'-;  des  Fir  Domnann^ 
hommes  de  Domnu,  une  déesse  très  importante  et  très 
vague,  qui  sont  probablement  les  Diimnonii^  originaires  de 
la  Grande-Bretagne,  transposés  dans  la  mythologie  et 
transformés  en  tribus  démoniaques  par  les  poètes  natio- 
naux ^. 

Ainsi,  les  fine,  ttiatha,  tribus  et  royaumes  d'Ialande  se 
déQnissaient  par  rapport  à  des  personnages  qui  étaient 

est  embaumé  dans  des  expressions  toutes  faites  :  Tualha  dé  Danann, 
Fir  Dea  (hommes  de  la  déesse),  Tualha  Déa  (tribus  de  la  déesse)  ; 
Fir  trin  Dea.  homme  des  trois  dieux,  Tri  dee  Donann,  les  trois  dieux 
de  Donu,  ou  Tri  dee  Dana,  les  trois  dieux  de  la  science;  dée  ocus 
an  dée,  formule  devenue  inintelligible,  cf.  Lebar  na  Uidh7-e.  16,  2;  Voir 
Anjnann,  dans  Irische  Texte,  t.  III,  p.  355  ;  Mac  Culloch,  The  religion 
of  the  ancienl  Celts,  l'JH,  p.  G7. 

1.  Czarnowski,  p.  259  et  263. 

2.  Tain  bô  Cuailnge,  éd.  Windisch,  chap.  ix  sqq.  Sur  Nuadu  Necht, 
voir  plus  haut  p.  xxi,  n.  1. 

3.  Rh^'S,  Transactions,  o.  l.  p.  216.  Cf.  Brigantes  et  Brigit;  les  Tricasses, 
Baiocasses,  Veliocasses  et  les  dii  Casses. —  Sur  le  caractère  de  symboles 
sociaux  qu'ont  les  héros,  voir  Airne  Fingein,  l.  l.  :  à  l'heure  de  la  nais- 
sance du  héros  Conn  Cétcathach,  Conn  aux  Cent  Batailles,  qui  coïncide 
avec  un  soir  de  Samhain,  fait  à  noter,  se  produisent  les  principales 
merveilles  de  l'Irlande.  Airne  Fingein,  7  :  les  tombeaux  d'Eber  et 
Erimon,  les  deux  fils  rivaux  de  Mile,  l'ancêtre  des  Irlandais,  sont  éloi- 
gnés aux  deux  extrémités  de  la  montagne  dite  Sliab  Mis  (Slieve  Mish, 
co.  Cork)  ;  ils  doivent  rester  séparés  jusqu'au  jour  où  un  seul  pouvoir 
réunirait  l'Irlande  (nocco  comraicfedh  engreim  flalha  for  Erinn)  ;  ils 
se  réunissent  à  la  naissance  de  Conn  Cétcathach  ;  son  pouvoir  aura  son 
siège  à  Tara. 


PRÉFACE  XXIX 

OÙ  il  s'est  borné.  Mais  nous  avons  tenu  à  montrer  à  la  fuis 
la  valeur  et  la  généralité  des  inductions  où  peut  achemi- 
ner l'analyse  d'un  fait  même  très  particulier.  L'analyse 
des  faits  particuliers  discerne  dans  leurs  éléments  des  faits 
générau.x.  M.  Czarnowski  a  conduit  la  sienne  de  telle  sorte 
que  l'histoire  de  saint  Patrick,  héros  chrétien  et  national  de 
l'Irlande,  donne  l'idée  de  rapports  généraux  existant  entre 
les  héros  et  les  structures  sociales,  entre  la  hiérarchie  des 
héros  et  la  hiérarchie  de  ces  structures.  Ce  ne  sont  pas 
seulement  des  faits  importants,  mais  des  faits  nouveaux. 
C'est  le  terme  de  l'analyse  et  il  s'arrête  là,  car  son  étude 
est  purement  analytique,  au  seuil  de  l'étude  comparative  à 
laquelle  il  faut  nécessairement  recourir  pour  généraliser 
les  conclusions  et  fournir  la  preuve.  Xous  venons  de  mon- 
trer en  quoi  cette  étude  pourrait  consister. 


Mais  pourquoi  ce  grand  détour  d'analyse?  Fallait-il 
prendre  un  saint  comme  type  de  héros  national,  pour 
aboutir  à  des  conclusions  dont  le  principal  intérêt  est 
qu'elles  peuvent  valoir  pour  l'ensemble  des  héros  ?  Mais  le 
cas  normal  n'est  pas  toujours  le  plus  instructif.  Ici  le 
détour  était  bon,  sinon  nécessaire.  Ane  vouloir  choisir  qu'un 
champ  d'observations,  la  Grèce,  l'Inde  et  la  Chine  mises  à 
part,  la  société  celtique  offrait  peut-être  le  meilleur'.  En 
Irlande,  les  héros  prévalent  sur  les  dieux,  un  peu  crépuscu- 


1.  L'importance  du  culte  des  héros  chez  les  Celtes  avait  été  observée 
par  les  anciens;  c'est  ce  qu'indique,  semble-t-il,  ce  passage  de  Ter- 
tulien,  de  Anima,  57  :  Nasamonas  propria  oracula  apud  parentum 
sepulcra....  captare...  Celtas  apud  virorum  fortium  busta  eadem  de 
causa  obnoctare  ut  Nicander  afflrmat. 


XXX  PRÉFACE 

laires.  Chez  les  Gallois  ils  les  ont  tout  h  fait  absorbi's.  Mais 
choisir  entre  tous  les  héros  de  l'Irlande,  ce  héros  douteux 
qu  est  un  saint,  n'est-ce  pas  une  gageure?  Il  en  est  deux  qui 
tiennent  dans  la  tradition  irlandaise  une  place  comparable 
à  celle  de  saint  Patrick.  Ce  sont  Cuchulainn  et  Finn  mac 
Cumail.  A  vrai  dire,  ni  de  l'un,  nide  l'autre,  nous  ne  con- 
naissons le  culte.  Ce  n'est  pas,  sans  doute,  qu'ils  en  aient 
manqué,  mais  il  n'en  est  resté  que  des  traces  infimes  et  hypo- 
thétiques. Or,  si  le  héros  peut  se  passer  de  culte,  le  culte 
complète  le  héros.  Ceux-ci  sont  héros  sur  le  théâtre  de  l'ima- 
gination, l'un  dans  l'épopée,  l'autre  dans  le  conte.  Ce  ne 
sont  pas  d'ailleurs  des  héros  nationaux.  Cuchulainn  appar- 
tient à  l'Llster,  Finn  au  Leinster.  En  outre,  leurs  attaches 
sociales,  dans  leurs  provinces,  sont  moins  bien  définies  et 
moins  solides  que  celles  de  saint  Patrick  avec  l'Irlande 
entière.  Le  cas  de  saint  Patrick  était  en  somme  le  meilleur. 
Au  surplus,  peut  être  n'est-il  un  saint  que  parce  qu'il  fut 
d'abord  un  héros.  N'abusons  pas  cependant  des  irrégula- 
rités de  la  canonisation  ecclésiastique'.  Saint  de  posses- 
sion, il  faut  toujours  démontrer  qu'il  fut  un  héros.  Mais  il 
vaut  la  peine  de  le  faire;  les  faits  cruciaux  sont  assez  rares 
pour  qu'il  ne  faille  pas  négliger  d'en  accommoder,  quand 
il  se  peut. 

Il  ne  s'agit  même  pas  ici  d'un  pis-aller.  Dans  ces  réédi- 


1.  Saint  Patrick  n'a  pas  été  régulièrement  canonisé,  mais  en  fait  sa 
canonisation  a  été  reconnue  par  Rome.  Le  droit  de  l'archevêque 
d'Armagh  au  titre  de  primat  d'Irlande,  fondé  sur  la  tradition  patri- 
cienne, a  été  reconnu  au  synode  de  Kells,  en  1152,  en  présence  d'un 
légat  :  Baronius,  t.  XIX,  s.  a.  La  translation  des  cendres  des  saints 
Patrick,  Colomba  et  Brigite  a  été  faite  en  1185,  aucloritale  apostolica  : 
Annales  d'Ulster,  s.  a.  Cf.  Chastelain,  Martyrologe  Universel  traduit 
du  Martyrologe  romain,  1823,  p.  128;  Acta  Sanctorum,  Mariu,  II, 
p.  524. 


I 


PREFACE  XXXI 

lions  des  phénomènes  sociaux,  où  leurs  traits  primordiaux 
disj)ai'ai»scMit  ù  [)rcmièrc  vue  par  réduction  ou  par  con- 
fusion, on  a  chance  de  les  trouver  à  une  date  critique  de  leur 
évolution,  ou  bien  en  relations  avec  d'autres  phénomènes 
avec  lesquels  ils  ont  des  rapports  naturels.  Finn  mac 
Cuniail,  héros  dont  la  figure  est  brouillée,  traîne  après  lui 
un  long  chapelet  de  mythes  tronqués,  mais  il  a  accaparé 
tout  un  trésor  de  contes.  Le  cycle  de  Finn  serait  un 
excellent  cas  pour  l'étude  comparée  du  conte  et  du  mythe 
ou  pour  celle  de  leur  voisinage.  Finn  est  un  héros 
mythique  qui  a  quelque  chose  des  héros  de  contes.  De 
même  saint  Patrick,  parce  qu'il  est  un  saint  et  fondateur 
d'églises,  offre  un  cas  favorable  pour  une  autre  partie  de 
l'étude  des  héros.  Ou  il  faut  se  condamner  à  restreindre 
à  l'excès  les  investigations  sociologiques,  ou  il  faut  que  les 
sociologues  s'appliquent  à  débrouiller  les  faits  dilïiciles  à 
définir  et  à  classer.  L'effort  qu'ils  feront  pour  y  parvenir 
est  salutaire  et  il  en  résultera  toujours  quelque  gain  pour 
la  sociologie. 


m 


Nous  venons  d'en  marquer  un  et  c'en  est  un  égalemen 
que  de  trouver  campé  en  bonne  lumière  un  portrait  de 
héros  qui  en  évoque  beaucoup.  Mais  de  plus,  en  exposant 
systématiquement  les  faits  qui  donnent  à  saint  Patrick  ses 
caractères  de  héros,  M.  Czarnowski  a  contribué  à  une 
théorie  de  l'héroïsation,  qu'il  ne  s'est  pas  proposé  de 
faire  directement  ;  nous  allons  voir  dans  quelle  mesure 
et,  en  môme  temps,  de  quelle  façon  il  faudrait  procéder 


XXXII  PRÉFACE 

pour  ajouter  fi  son  travail  en  le  prenant  comme  point  de 
départ. 

Nos  études  à  cet  égard  présentaient  une  lacune.  Nous 
avons  sur  les  héros  grecs  ' ,  les  héros  chinois",  les  marabouts 
arabes  '  d'excellentes  données  et  de  fort  bons  travaux  ;  on 
s'est  occupé  du  culte  des  saints  et  des  traits  qu'il  possède 
en  commun  avec  celui  des  héros  *  ;  on  a  fait  la  théorie 
de  ces  rois-prôlres-dieux,qui  risquent  de  se  confondre  avec 
eux,  essayé  celle  des  génies  civihsatcurs  %  mais  Tétude 
générale,  la  théorie  des  héros  n'a  tenté  jusqu'à  présent  ni 
les  historiens  des  religions,  ni  les  anthropologues,  ni  les 
sociologues.  M.  Wundt  en  a  tracé  à  grands  traits  une 
esquisse  dans  ses  Elemente  der  Volkerpsychologie  ;  il  y 
passe  en  revue  les  époques  de  la  psychologie  ethnique  ;  la 
troisième  est  celle  des  héros.  Il  pose  lui  aussi  en  principe 
la  corrélativité  des  formes  sociales  et  de  certains  types 
idéaux,  mais  comme  il  n'en  donne  aucune  preuve  ana- 
lytique, sa  priorité  n'enlève  rien  à  Tintérèt  et  à  la  nou- 
veauté des  conclusions  exposées  plus  haut.  Quant  aux 
problèmes  que  nous  allons  aborder  maintenant,  ils  ne  sont 
pas  posés  par  son  livre. 

M.  Czarnowski  nous  conduit  à  considérer  le  héros 
comme   le    symbole    ou    l'emblème    vivant  d'une  société 


1.  F.  Deneken,  Héros,  dans  Roscher,  Lexikon  der  griechischen  und 
romischen  Mythologie,  t.  I,  2441  sqq.  :  S.  Eitrem.  Héros,  dans  Pauly-Wis- 
sow a,  Real-Encyclopâdie,  t.  VIII,  1111  sqq.;  H.  Usener,  Gôllernamen, 
1896  ;  J.  E.  Rolide,  Psyché,  4»  édit.,  1907  ;  E.  Harrison,  Prolegomena  to 
the  sludy  of  dreek  religion,  1903. 

2.  J.-J.-M.  de  Groot,  The  religions  sysletn  of  China,  t.  VI,  1910. 

3.  Voir  plus  haut  p.  vi,  n,  2. 

4.  E.  Lucius.  Die  Anfdnge  des  Beiligenkulls  in  der  christlichen  Kirche, 
1904. 

5.  K.  Breysig,  Die  Entstehung  des  Gollesgedankens  und  der  Heil- 
bringer,  1906. 


PREFACE  XXV 

régulier.  II  n'est  pas  de  héros,  en  somme,  qui  n'ait  derrière 
lui  une  société,  fût-elle  diffuse.  La  société  des  hommes  qui 
s'accordent  sur  un  héros,  les  sentiments  sociaux  qui 
l'unissent  fussent-ils  réduits  ti  la  sympathie  la  plus  indiffé- 
rente, sont  de  la  nature  de  la  parenté.  11  ne  saurait  en  ôtre 
autrement,  car,  lorsque  des  institutions  qui  réunissent 
des  hommes  expriment  le  principe  de  leur  union  par  des 
emblèmes,  tels  que  blasons,  drapeaux,  pierre  d'intronisation 
ou  héros,  l'emblème  crée  la  parenté  entre  les  hommes 
réunis*.  La  possession  d'un  emblème  commun  prouve  la 
parenté,  parce  qu'elle  la  constitue. 

Mais,  d'autre  part,  il  y  a  chef  et  chef,  roi  et  roi.  Dans 
l'épopée  irlandaise,  où  tous  les  personnages,  à  peu  près, 
sont  des  héros,  ce  ne  sont  pas  les  plus  grands  rois  qui 
sont  les  plus  grands  héros.  Il  y  a  des  rois  d'Irlande  qui  sont 
de  grands  héros,  tel  est  Conn  Cétcathach',  Conn  aux  cent 
batailles  ;  mais  ils  ne  le  sont  pas  tous  et,  pour  la  plupart, 
ont  un  héroïsme  très  effacé.  En  Ulster,  le  roi  du  cycle 
héroïque  est  Conchobar,  mais  le  héros  est  Guchulainn  ;  le 
rôle  épique  du  roi  est  secondaire,  quand  il  n'est  pas  odieux 
ou  ridicule'.  On  peut  en  dire  autant  de  Finn,  qui  est  un 
roi  pour  ses  Fiaîina;  ce  n'est  pas  à  lui  que  reviennent, 
dans  leurs  aventures,  les  plus  beaux  coups,  mais  à  Diar- 
maid,  à  Caoilte,  à  Conan  ;  il  n'entre  en  scène  que  partie 
gagnée  ;  il  ne  se  lire  d'affaire  qu'avec  l'aide  des  siens  et, 
dans  les  désaccords  qui  surgissent  entre  eux,  jamais  il 


1.  K.  Durkheim,  o.  l.  p.  142  sqq. 

2.  D'Arbois  de  Jubainvillc,  Cours  de  liltéralure  celtique,  t.  V,  l'Épopée 
celtique  en  Irlande,  p.  375  sqq. 

3.  D'Arbois  de  Jubainville.  o.  l.  passim  ;  voir  en  particulier  le  mor- 
ceau intitulé  Exil  des  fils  d'Usnech,  p.  517  sqq. 


XXVI  PREFACE 

n'a  le  beau  rôle'.  Le  fait  n'est  pas  particulier  h  Tlrlande. 
Arthur,  qui,  h  tnnt  dV'gards,  est  un  parfait  héros,  paraît 
l'ôlrc  moins  quand  on  le  compare  à  son  entourage.  Il  en 
est  de  même  de  Charlcmagne  ou  d'Agamemnon.  Le  véri- 
table héros,  en  somme,  n'est  pas  le  roi,  mais  le  champion 
du  roi'.  A  cet  égard,  l'épopée  est,  croyons-nous,  un  miroir 
fidèle  des  institutions  antiques.  Les  rois  épiques,  qu'elle 
subordonne  à  leurs  auxiliaires  dans  l'échelle  des  valeurs 
héroïques,  ont  eu  probablement  pour  modèles  des  rois 
réels,  qui  étaient  quelque  chose  de  plus  ou  de  moins, 
mais  en  tout  cas  d'autre  que  les  chefs  qui  sont  devenus 
des  héros.  La  tradition  irlandaise  a  conservé  quelques 
traits  du  caractère  primitif  du  roi.  «  Il  est  responsable 
des  récoltes,  du  croît  et  en  général  de  la  prospérité  de 
ses  sujets,  nous  dit  M.  Czarnowski.  Quand  les  vaches 
n'ont  pas  de  lait,  que  les  fruits  tombent  avant  de  mûrir 
et  que  le  blé  est  rare,  c'est  que  le  roi  n'est  pas  légitime^  ». 
Rois  du  temps,  des  champs  et  des  troupeaux,  plus  encore 
que  des  hommes,  les  rois  irlandais  appartiennent  à  la 
famiUe  des  rois-prêtres-dieux*.  Mais  ceux-ci  n'élaient-ils  pas 
par  excellence  aptes  à  devenir  des  héros  ?  n'élaient-ils  pas 
déjà  de  leur  vivant  des  héros?  11  semble  paradoxal  d'en 
douter.  On  a  expliqué  la  notion  de  héros,  dans  le  cas  des 
héros   celtiques    en    particulier,    par    celle  de    roi-dieu, 


1.  Mac  CuUoch,  The  relirjion  of  the  ancienl  Celts,  p.  142  sqq.  Sur  la 
rivalité  de  Finn  et  de  Diarmaid,  ibid.,  p.  140. 

2.  Greit  rig,  Fled  Bricrend  (Festin  de  Bricriu),  46,  dans  Windisch, 
Irische  Texte,  l,  p.  276. 

3.  Czarnowski,  p.  261  ;  Mac  Culloch,  o.  l.  p.  160,  sq;  J.  ODonovan, 
The  Book  of  Righls,  p.  8,  note  ;  O'Grady,  Silva  Gadilica,  II,  p.  416  ;  J.G. 
Frazer,  Golden  Bough*,  t.  I,  p.  157. 

4.  J.G.  Frazer,  Lectures  on  the  early  hist07'y  of  kingship,  1905  ; 
A.  B.  Cook,  The  European  sky-god,  dans  Folk-Lore,  1905  et  1906. 


PREFACE  XXVII 

mieux  étudiée  et  qui  paraît  plus  claire'.  Le  héros  n'est-il 
pas  un  homme  divin  ou  un  dieu  terrestre  ?  Le  roi-prétre- 
dieu,  qui  tout  à  la  fois  sert  cl  incarne  le  dieu  de  la  fécon- 
dité agraire,  est  véritablement  un  dieu  sur  la  terre.  C'est 
ainsi  que  Conchobar  apparaissait  aux  Ulales;  il  était  un  (lia 
talmaide  *,  dieu  terrestre.  11  recevait  pour  celle  raison  des 
hommages  tout  particuliers  ;  mais  il  tenait  moins  au  cœur 
des  siens  que  Cuchulainn.  11  était  moins  héros,  parce  qu'il 
était  plus  dieu. 

On  a  reconnu  également  chez  les  druides  les  caractères 
des  rois-prôlres-dieux  et  peut-être  conservaient-ils  mieux 
que  les  rois  d'Irlande  les  traits  primitifs  de  l'institution  \ 
Or,  parmi  les  héros  épiques  de  l'Irlande,  il  n'y  en  a  guère 
qu'un  seul  qui  soit  un  druide.  C'est  Cathbu,  le  druide  de 
Conchobar*.  Il  y  en  a  beaucoup  qui  sont  des  filid  \  Est- 
ce  un  accident  ?  On  peut  penser  que,  la  tradition  épique 
étant  entre  les  mains  des  fdid^  ceux-ci  l'avaient  arrangée 
à  leur  avantage  ;  c'est  possible.  Mais,  à  notre  avis,  le  rôle 
effacé  des  rois  dans  la  tradition  héroïque,  presque  nul  des 
druides  et  le  caractère  de  roi-dieu,  qui  s'attache  aux  uns 


1.  J.  A.  Mac  Culloch,  o.  Z.,  p.  159  sqq.;  id.,  Cells,  dans  Hastings's 
Encyclopœdia  of  Relif/ion.  and  Ethics,  t.  III,  p.  294.  —  M.  Czarnowski 
parait  vouloir  expliquer  le  roi  dieu  par  le  héros  p.  261  ;  il  pense 
en  tous  cas  qu'il  existe  une  étroite  relation  entre  les  deux  notions. 

2.  Fled  Bricrend,  15  (1.  T.  I.  p.  239)  ;  Rh5's,  Transaclions,  t.  II, 
p.  202  ;  Déduire,  sœur  de  Conchobar  et  mère  de  Cuchulainn,  est  éga- 
lement appelée  déesse;  Cuchulainn  est  dit  méic  dia  Dechtiri  =  filii 
deae  Dechlire,  Book  of  Leinsler,  p.  123, 

3.  J.  A.  Mac  Culloch,  Cells  o.  l.,  p.  294  ;  id.  Religion,  p.  293  sqq. 

4.  D'Arbois,  VÉpopée  celtique,  XX.\VIII-XL,  14-21,  etc.  Voir  cependant 
la  pièce  intitulée  Cause  de  la  Bataille  de  Cuncha,  p.  378  sqq.  ;  Nuadu, 
arriére-grand'pére  de  Finn,  est  un  druide,  mais  Cumall,  père  deFinn 
est  un  champion  royal,  c'est-à-dire  un  héros  par  excellence  ;  Finn  est 
un  filé,  cf.  O'Grady,  Silva  Gadelica,  I,  p.  90.  Sur  Suadu,  qui  est  sans 
doute  une  forme  héroïsée  du  dieu,  voir  plus  haut,  p.  xxi,  a.  1. 

5.  Czarnowski.  p.  282  sqq. 


XXVIII  PRÉFACE 

cl  aux  autres,  sont  des  faits  qui  s'appellent  cl  doivent  ôlre 
liés.  Xous  ne  prétendons  pas  qu'il  y  ail  incompatibilité 
entre  les  qualités  des  rois-prêlres-dieux  et  des  héros. 
Conchobar  cl  quelques  autres  les  réunissent.  Dans  la  vie 
réelle,  les  fonctions  de  roi-prôlre-dieu  et  de  chef  polilico- 
domeslique  ont  été  certainement  assumées  quelquefois 
par  un  môme  personnage.  Mais  les  personnages  de  la  tra- 
dition qui  en  possèdent  à  la  fois  les  caractères  ne  sont  pas 
héros  parce  que,  mais  bien  que  rois-dieux. 

Nous  insistons  sur  ces  considérations  parce  qu'elles 
ajoutent  à  nos  présomptions  sur  le  rapport  des  héros  et  des 
institutions  politico-domestiques.  L'institution  des  rois- 
dieux  n'est  pas  de  celles-là;  elle  est  politique  et  religieuse. 
Elle  a  évolué  en  monarchie  de  droit  divin  et  en  sacerdoce. 
Le  héros  n'est  pas  de  droit  divin;  il  est  de  droit  humain; 
il  émane  de  la  société  qui  se  réclame  de  lui.  Le  roi  de  droit 
divin,  qui  vient  d'ailleurs  et  représente  autre  chose,  devient 
dieu  plutôt  que  héros.  Romulus  avait  dans  son  histoire  tout 
ce  qu'il  fallait  pour  devenir  un  héros;  or,  il  reçoit  le  culte 
comme  Quirinus'  et  Quirinus  est  vraiment  un  dieu.  Adonis 
est  un  héros  douteux".  Les  Pharaons  d'Egypte  sont  des 
dieux  ^.  Nous  distinguerons  donc  théoriquement,  les  rois- 
dieux  des  rois-héros. 

Nous  nous  excusons  de  dépasser  les  limites  que  M.  Czar- 
nowski  s'est  fixées  à  bon  escient,  pour  nour  élever  à  des 
vues  beaucoup  plus  étendues,  mais  moins  sûres  que  celles 


1.  Cicero,  De  republica,  2,  10,  20;  Plutarque,  Romulus,  29;  etc. 

2.  Cf.  p.  X. 

3.  Hérodote,  II.  50,  écrit,  je  crois  avec  justesse  :  No[xi^ouTc  ù'iL-/ 
AIyj~''.0'.  ojo'  T^pio7i  o'joév.  Cf.  F.  Sethe,  Heroes  and  hero-gods,  dans 
Hastingss  Encyclopœdia,  t.  VI,  p.  647  sqq  ;  A.  Moret,  Du  caractère  reli- 
gieux de  la  royauté  pharaonique,  1902. 


PREFACE  XXllII 

définie.  M.  Ddikhoirn  a  exprime  sous  cette  forme  la  re- 
lation socioloj^icjue  des  totems  aux  clans  '  La  relation  des 
tuatha  irlandaises  et  de  leurs  héros  est  semblable  et 
doit  s'exprimer  de  mùme.  Nous  avons  touché  là,  croyons- 
nous,  à  ce  qui  fait  runilé  de  l'espèce  que  consti- 
tuent les  héros.  Ce  sont  leurs  caractères  de  symboles 
sociaux  qui  rapprochent  les  saints,  morts,  chefs,  dieux 
sacriiiés,  civilisateurs,  intermédiaires  divins  et  autres  per- 
sonnages auxquels  on  est  tenté  de  donner  le  nom  de  héros. 
Môme  dissociés,  les  héros  conservent  ces  caractères,  tant 
qu'il  leur  reste  si  peu  que  ce  soit  de  physionomie.  Les 
héros  enfin  prêtent  aux  personnes  morales  que  sont  les 
clans,  tribus,  nations,  classes  et  confréries  une  personna- 
lité réelle. 

Mais  cette  fonction,  qui  consiste  à  représenter  l'être  dif- 
fus et  multiple  des  collectivités  humaines  par  l'unité  d'un 
individu,  n'est  pas  nécessairement  dévolue  aux  seuls  héros, 
s'agit -il  même  des  sociétés  politico- domestiques.  Elle 
l'a  été  normalement,  chez  plusieurs  peuples,  à  une  caté- 
gorie d'êtres  dont  l'état  civil  est  uniquement  constitué  par 
leur  relation  avec  ce  dont  ils  intègrent  l'essence  spirituelle, 
fortunes,  génies,  dieux  spéciaux  -.  Si  cette  fonction  est  bien 
celle  du  héros,  elle  ne  suffît  donc  pas  à  le  définir.  Aussi  riches 
de  caractéristiques  que  les  génies  en  sont  pauvres,  les 
héros  la  remplissent  avec  excellence,  mais  ils  la  dépas- 
.sent. 

On   a   comparé  plus    haut  les   héros   aux   chefs;   c'est 

1.  E.  Durkheim,  Les  formes  élémentaires  de  la  vie  religieuse,  1912, 
p.  toS  sqq..  IJol'sqq. 

2.  R.  Diissaud.  Introduction  à  l'Histoire  des  Religions,  1914  :  dieux 
de  groupe,  p.  71  sqq.  A  Negrioli,  Dei  Genii  pressa  i  Romani,  1900,  p.  20  ; 
Cf.  Année  sociologique,  t.  V,  p.  269. 

CZARNOWSKI.  c 


XXXIV  PREFACE 

dire  que  leurs  personnes  peuvent  se  distinguer  entre  toutes 
par  leur  importance  e'  leur  autonomie.  Ce  sont  bien  per- 
sonnes réelles,  mois  d'une  réalité  particulière,  tantôt  indi- 
viduelle, tantôt  typique,  mais  toujours  concrète  et  proche. 
Personnes  proches  et,  de  plus,  familières,  les  héros  se 
distintj^uenlen  cela  des  dieux,  qui  sont  également  des  per- 
sonnes réelles,  importantes  et  autonomes.  Les  héros  sont 
des  personnages  avec  qui  Ion  prend  paifois  des  familiarités. 
L'Hercule  bon  enfant,  joyeux  vivant  et  grand  buveur,  qui 
s'installe  chez  Admète,  pendant  qu'Alceste  s'en  va,  ré- 
clamée par  la  mort,  est  conforme  à  son  caractère  de  héros. 
C'est  l'ami  de  la  maison.  La  légende  héroï-comique  est  la 
suite  naturelle  et  presque  nécessaire  de  la  légende  héroïque. 
Le  plus  ancien  des  romans  dominés  par  la  personnalité 
d'Arthur,  l'histoire  de  Kwlhwch  et  d'Olwen,  comprise 
dans  les  Mabinogion,  est  une  sorte  de  i)arodie'.  Les 
héros  prêtent  à  la  charge  par  l'excès  même  de  leur  valeur, 
par  la  trop  grande  énergie  dont  ils  afflrmenl  leur  vertu  et 
déploient  la  force,  par  le  trop  de  mouvement  qu'ils  se  don- 
nant à  mettre  en  déroule  les  méchants  et  secourir  les  leurs. 
Tendus  en  attitudes  violentes,  mais  expressives,  qui  sont  les 
gestes  types  de  l'activité  simphfiée  que  commande  leur  rôle, 
leurs  détentes  peuvent  être  des  chutes,  comiques,  quand  elles 
ne  sont  pas  tragiques.  Les  héros,  d'ailleurs,  ont  souvent  de 
l'humeur,  mauvaise  ou  bonne.  Ceux  de  l'Irlande  sont  parmi 
les  moins  cérémonieux.  Avec  les  Tuatha  dé  Danann,  qui 
sont,  comme  on  l'a  dit,  des  dieux  héroïsés,  ils  se  sont  perpé- 
tués sous  les  traits  des  fées,  mystérieuses  et  Iragiles,  bien- 

1.  Les  Mabinogion,  trad.  J.  Loth,  2»  éd.  t.  I.  p.  115  sqq.  Sur  l'anti- 
quité de  ce  roman,  cf.  Ibid.  introduction,  p.  13,  ±1,  35,  41,  63.  Sur  le 
caractère  comique  que  peuvent  prendre  les  histoires  de  héros,  cf.  K. 
Breysig,  o.  L,  p.  13. 


PREFACE  XXXV 

veillantes  et  quinleuses,  balailleuses  et  ménagères,  qui  sont 
à  la  fuis  les  plus  morveilloux,  les  plus  servinblos,  les  plus 
terre  à  terre  et  les  plus  familiers  des  esprits  '.  La  contre- 
partie d'une  familiarité  qui  n'est  pas  toujours  respectueuse, 
c'est  rafTeclion.  L'amourde  Dieu  s'adresse  aux  dieux  qui  sont 
assez  proches  de  la  condition  humaine  et  participent  f»  ses 
vicissitudes.  L'amour  qui  s'adresse  au  héros  complète  le 
sentiment  de  la  parenté,  quelle  qu'en  soit  la  nature,  qui 
l'unit  aux  siens. 

Sans  doute  le  héros  tient  au  sacré.  Il  y  tient  toujours  par 
sa  légende,  qui  lui  fait  une  vie  imaginaire  dans  un  monde 
qui  n'est  pas  tout  à  fait  celui  où  se  meuvent  les  hommes 
du  présent.  Mais  sa  légende  même  le  ramène  à  terre  et 
près  d'eux.  Sans  doute,  les  sentiments  qui  s'attachent 
au  héros  ont  quelque  chose  de  religieux.  Mais  ils  ne 
ressemblent  pas  à  ceux  dont  les  dieux  sont  l'objet.  Le  héros 
a  quelque  chose  non  pas  de  laïque,  car  il  y  a  eu  des  prêtres 
héroïsés-,  mais  de  séculier.  C'est  précisément  le  caractère 
des  groupements  sociaux  dont  il  émane  en  général.  Les 
sociétés  spécialisées  dans  l'exercice  de  la  rehgion,  ou  dont  la 
fonction  religieuse  est  prédominante,  ont,  en  guise  de  héros, 
des  prophètes  et  des  saints^,  qui  peuvent  avoir  beaucoup 
des  héros,  mais  s'en  distinguent  toujours  par  quelque 
caractère  typique.  Ce  sont  les  sociétés  où  la  vie  religieuse 
ne  se  détache  pas  de  l'ensemble  de  la  vie  sociale  qui  se 


1.  W.-G.  Evans  Wentz.  The  fairy  faitk  in  Cellic  countries, 
p.  283  sqq. 

2.  P.  ex,  un  collège  athénien  de  dionysiasles  élève  son  prêtre  au  rang 
de  héros  :  Alhenxsche  Millheilungen,\..  IX;  p.  291;  Usener,  Gôlternamen, 
p.  250. 

3.  Sur  la  transformalioa  du  culte  des  héros  en  une  sorte  de  culte  de 
saints  sous  l'empire  romain. cf.  Lnc\\i^.Anfdnge  des  Heilifjenkulls,  p.  25. 


XXXVI  I-nÉFACE 

donnent  des  héros  et  instiluont  des  cultes  héroïques.  Telles 
ont  été  les  cités  grecques  et  les  liiatha  irlandaises.  Forme 
temporelle  du  dieu,  séculière  et  politique  du  saint,  le  héros 
est  entouré  de  moins  de  religiosité  que  l'un  et  que  l'autre. 
Plus  loin  du  monde,  plus  près  des  hommes,  plus  près  du 
siècle,  telle  est  la  place  qu'occupent  les  héros  par  rapport 
aux  démons,  aux  dieux,  aux  saints. 

Mais  comment  et  pour  quelles  raisons  entre  les  hommes 
et  ces  personnages,  qui  ont  parlé  de  si  près  à  leur  imagi- 
nation et  à  leur  cœur,  Talliance  s'cst-elle  établie?  Tous 
les  héros  ne  sont  pas  aptes  à  nous  fournir  des  réponses. 
Il  y  a  beaucoup  de  héros  mal  venus;  il  y  a  plus  sans  doute 
de  mal  connus.  Ce  sont  les  héros  bien  réussis  qu'il  faut 
seuls  prendre  en  considération.  Ceux-là  seuls  présentent 
le  juste  mélange  de  qualités  diverses,  unissent  en  eux 
toutes  les  convenances  religieuses,  morales  et  esthétiques 
qui  constituent  à  notre  sentiment  l'idéal  des  héros.  On  a 
considéré  le  culte  des  héros  comme  un  cas  du  culte  des 
morts.  Beaucoup  de  héros  sont  effectivement  des  morts  et 
reçoivent  à  juste  titre  un  culte  funéraire.  Il  est  bon  qu'un 
héros  ait  réellement  vécu  pour  réussir;  il  est  même  bon 
qu'il  se  soit  distingué  par  une  personnalité  expressive  et 
de  véritables  faits  héroïques.  Un  peu  de  vérité,  de  vérité 
historique  se  cache  peut-être  toujours  dans  une  légende 
de  héros  ^  Néanmoins  la  vie  et  l'histoire  ne  fournissent 
que  des  candidats-héros.  Un  héros  ne  devient  tel  qu'avec 
la  légende;  c'est  elle  qui  compose  sa  vie*  et  ordonne  le 
spectacle  de  sa  mort.  Les  morts,  qui  attendent  dans  leur 


1.  Cf.  K.  Breysig,  o.  l,  p.  488. 

2.  Cf.  Czarnowski,  p.  89,  sur  le  caractère  mythique  de  la  légende  de 
saint  Patrie!;. 


PRÉFACE  XXXVII 

tombeau  un  culte  parcimonieux,  ne  deviennent,  quels 
qu'aient  été  leurs  mérites,  de  véritables  héros  que  par  la 
grAce  de  la  mythologie.  Nous  nous  occuperons  donc 
d'abord  des  héros  que  la  mythologie  a  fabriqués. 

La  question  ainsi  posée  est  tout  près  d'être  une  question 
générale  de  mythologie.  Mythologie  sociologique  bien 
entendu,  puisqu'il  résulte  de  ce  qui  a  été  dit  jusqu'à  pré- 
sent que  la  corrélation  des  mythes  et  d'organismes  sociaux, 
rehgieux  ou  politiques  doit  apparaître  tout  à  fait  nettement 
dans  le  cas  des  héros.  Ces  demi-dieux,  qui  ont  vécu  parmi 
les  hommes,  élus  entre  leurs  pairs,  dont  la  dignité  n'a  pas, 
comme  celle  des  dieux,  de  fondement  métaphysique,  dont 
le  prestige  est  fait  de  traditions  et  d'anticipations  collec- 
tives, ont  une  prédisposition  que  d'autres  n'ont  pas  à  être 
considérés  comme  des  êtres  sociaux.  A  mi-chemin  entre  les 
adorateurs  et  les  dieux  ils  sont  de  nature  à  nous  servir  de 
moyens  termes,  pour  nous  expliquer  les  caractères  sociaux 
de  ceux-ci. 

Nous  avons  jusqu'ici  employé  indifféremment  pour  dé- 
signer les  histoires  de  héros  les  expressions  de  mythe  et 
légende.  Mais,  légende  ou  mythe,  nous  ne  saurions  mettre 
en  doute  que  la  légende  héroïque  appartienne  à  la  mytho- 
logie. D'autre  part,  la  mythologie  fait  partie  de  la  religion. 
Au  point  de  vue  de  la  sociologie,  il  ne  peut  en  être  autre- 
ment. Tel  n'est  pas  l'avis  de  M.  Wundt.  Il  nie,  peut-être 
avec  apparence  de  raison,  que  les  sociologues  puissent  s'in- 
téresser à  la  mythologie  *  et  d'autre  part  il  détache  celle-ci 


1.  W.  WundI,  VôlkerpujcholoQxe,  t.  IV,  1910,  p.  155.  Les  phénomènes 
qui  consliluent  les  princij)aux  problèmes  de  la  psychologie  ethnique, 
langage,  mythe,  morale,  sont  relativement  loin  de  l'intérêt  des  socio- 
logues. 


XXXVIII  l'HliFACIi 

de  la  icligion  ^  La  mytliologie,  telle  qu'il  la  conçoit,  com- 
prend les  histoires  de  héros,  mais  il  est  tout  près  d'écrire 
qu'elle  s'y  ramène  tout  entière-.  11  en  juge  en  psycho- 
logue et  considère  avant  tout  les  fonctions  mentales 
auxquelles  elles  ressortissent;  il  les  réduit  à  un  jeu 
d'images,  où  le  phénomène  psychologique  de  l'appercop- 
lion  introduit  le  germe  de  la  personnalité.  Pour  nous  le 
mythe  est  autre  chose.  Une  croyance  s'y  attache  ;  il  s'im- 
pose catégoriquement  comme  un  dogme;  il  fait  partie, 
comme  les  règles  rituelles,  de  la  Loi.  La  prière  en  est 
nourrie,  le  sacrifice  en  est  enveloppé;  on  croit  savoir  qu'il 
fait  la  substance  des  révélations^.  11  doit  être  authentique. 
Il  a  une  valeur.  Son  authenticité  est  garantie  par  une 
société  et  c'est  dans  la  vie  sociale  que  s'exerce  sa  valeur. 
Ces  caractères  sont  communs  dans  une  large  mesure  à 
la  légende  héroïque  et  au  mythe  des  dieux.  S'ils  diffèrent 
à  cet  égard,  c'est  à  l'intérieur  d'un  même  genre. 

Mais  qui  dit  religion  dit  pratique.  La  légende  héroïque 
doit  être  pratique  comme  le  mythe  divin.  Si  la  religion  a 
donné  naissance  à  des  êtres  d'une  réalité  plus  puissante, 
plus  proche,  plus  familière,  plus  vivante  que  celle  des 
dieux,  c'est  de  la  pratique  religieuse,  de  l'exercice 
môme  de  la  vie  religieuse  que  cette  vie,  qui  la  reflète, 
a  pu  se  dégager.  IVous  essaierons  donc  de  trouver  en 
fonction  et  en  formation  les  mythes  héroïques  et  les  héros 
dans  les  pratiques  religieuses,  dans  les  rites,  aux  points  où 
se  croisent  la  représentation  et  l'action.  Ce  n'est  pas  poser  la 

1.  Id.  Elemente  der  Vôlkerpsychologie,  1913,  p.  348;  369;  Vôlkerpsy- 
ckologie,  l.  l.,  p.  410  sqq. 

2.  IbicL,  p.  381. 

3.  Sur  le  caractère  mythique  des  mystères,  cf.  L.  R.  Farnell,  Cuits of 
the  Greek  states,  t.  III.  p.  131. 


PRÉFACE  XXXIX 

(jucslion  âc  ranloriorité  des  rites  aux  myllies  ou  des  mythes 
aux  riti's  M.  Czarnowski  no  la  pose  pas  plus  que  nous. 
Mais  pi'ofondément  préoccupé,  lui  aussi,  par  les  entrecroi- 
sements des  rites  et  des  mythes,  leurs  influences  réciproques, 
leurs  chocs  en  retour,  c'est  dans  leur  étude  comparée  qu'il 
a  cherché  ses  premières  données  des  représentations 
héroïques'.  11  montre  que  tout  au  moins  nombre  d'entre 
elles  sont  nées  sur  la  frontière  indécise  des  mythes  et  du 
rituel.  S'il  a  suivi  cette  voie,  c'est  qu'il  a  considéré  de  prime 
abord  les  héros  et  lein's  mythes  comme  choses  reli<^ieuses. 
C'est  aussi  parce  qu'il  les  étudie  comme  choses  sociales. 
Produits  sociaux  que  sont  les  mythes,  c'est  dans  les  rites 
que  la  société  est  visible,  présente,  ou  nécessairement 
impliquée.  L'irna^nalion  mythologique  danse  sur  l'aire 
battue  des  rites  et  c'est  là  qu'on  peut  l'y  saisir. 


Le  sacrifice  se  présente  tout  d'abord  à  la  pensée  et  l'on 
aimerait  se  figurer  les  héros  naissant  dans  le  sacrifice, 
rite  typique,  rite  essentiel.  S'il  est  vrai,  comme  M.  Czar- 
nowski l'indique  à  plusieurs  reprises,  qu'ils  doivent  passer 
par  une  sorte  d'initiation  sanglante,  qu'ils  ne  gagnent  leur 
couronne  qu'à  l'épreuve  et  qu'une  mort  religieuse  doit  con- 
sacrer leurs  travaux,  ne  se  peut-il  que  leur  mort  soit  un 
sacrifice,  le  thème  final  et  essentiel  de  leur  légende  un 
mythe  sacrificiel. 

Il  y  a  en  effet  des  mythes  sacrificiels.  Ce  sont  des 
mythes  qui  se  rappoitent  ou  peuvent  se  rapporter  exacte- 

1.  Czarnowski,  p.  91. 


XL  l'nÉFACE 

ment  à  des  sacrifices.  Il  y  en  a  do  diiïcrenls  types.  Le 
sujet  du  mythe  est  la  célébration  par  un  héros  ou  par  un 
dieu  d'un  sacrifice  qui  est  le  premier  de  toulc  une  série  ; 
c'est  l'institution  divine  d'un  sacrifice  et  de  ses  particularités, 
le  choix  de  la  victime  par  exemple  ;  c'est  le  fait  qui  a 
donné  lieu  à  l'institution,  ou  tout  autre  fait  mythique  dont 
le  sacrifice  serait  la  transposition  rituelle.  Normalement  le 
mythe  sacrificiel  fait  partie  de  la  liturgie  du  sacrifice. 
Mais,  parmi  les  sacrifices,  il  y  en  a  où  le  rituel  et  le  mythe 
sont  encore  plus  étroitement  liés,  parce  que  le  monde  divin 
s'y  trouve  immédiatement  impliqué  :  ce  sont  ceux  qui  se 
présentent  comme  des  sacrifices  de  dieux. 

Dans  les  sacrifices  de  dieux,  les  victimes  sont  des  dieux, 
qui  viennent  mourir  à  l'autel,  pour  ressusciter  il  est  vrai. 
Dans  les  mythes  qui  leur  correspondent,  les  dieux  sacrifiés 
meurent,  comme  meurent  tous  les  héros.  A  ces  morts  divines 
on  est  tenté  d'assimiler  les  passions  héroïques  et  de  les 
considérer  comme  des  mythes  de  sacrifices,  correspondant 
par  hypothèse  à  des  sacrifices  rituels  *. 

Il  y  a  donc  apparence  d'afïinité  entre  le  sacrifice  et  la 
vie  légendaire  des  héros.  Les  épisodes  sanglants  de  celle-ci 
ne  trouvent  nulle  part,  dans  le  rituel,  correspondance  plus 
exacte.  Môme,  ce  n'est  pas  seulement  la  mort  du  héros,  ce 
sont  aussi  ses  triomphes  qui  se  transposent  aisément  en 
épisodes  de  sacrifices.  Vainqueur  ou  vaincu,  sacrifiant  ou 
sacrifié,  le  héros  est  ainsi  mêlé  à  une  sorte  de  sacrifice 
mythique,  d'où  il  paraît  suivre  que,  à  l'une  des  étapes  de 
sa  formation,  sa  personnalité  légendaire  a  été  effectivement 


1.  Voiries  exemples  donnés  dans  Huberl-Mauss,  Mélanges  d'histoire 
des  religions  (Travaux  de  l'Année  sociologique,  1909),  Essai  sur  la  nature 
et  la  fonction  du  sacrifice,  p.  103  sqq.  :  le  sacriflce  du  dieu. 


l'UliFACE  XLI 

impliquée  dans  un  sacrifice  du  rituel  Le  sacrifice  aurait 
donc  été  pour  nombre  de  iiéros  une  source  de  mérites, 
mais  peut-être  aussi  davantage.  Ses  acteurs,  j)rétres,  vic- 
times, étaient  aptes,  semblo-t-il,  à  devenir  des  supports  de 
personnalités  héroïques.  La  victime  est  déjà  une  individua- 
lité ;  le  sacrifice  la  distingue,  la  sanctifie,  la  divinise^  et 
la  personnalise;  il  exalte  de  même  et  la  personne  du  prêtre 
et  celle  du  sacrifiant.  Son  déroulement  solennel,  ses  lentes 
préparations,  son  action  réglée,  son  appareil  théâtral  en 
font  un  drame  où  peut  se  développer  un  caractère  de 
héros.  Ainsi  le  héros  souffrant  et  mourant  aurait  été 
d'abord  victime  ;  le  héros  triomphant,  sacrificateur  ou 
sacrifiant,  et  le  sacrifice,  dont  ils  tireraient  origine  ou 
qualité,  mais  qui,  dans  tous  les  cas,  ferait  des  héros, 
serait  le  principe  ou  l'un  des  principes  cherchés  de  l'hé- 
roïsation . 

Mais  les  faits  répondent-ils  à  l'apparence  ?  Si  l'on  met  à 
part  les  cas  dans  lesquels  un  héros  de  caractère  bien  défini 
est  représenté  célébrant  ou  instituant  expressément  un 
sacrifice,  les  héros  figurent-ils  effectivement  dans  des 
mythes  sacrificiels?  Y  a-t-il  eu  des  sacrifices  de  héros? 
On  n'a  pas  fait  le  départ  des  sacrifices  de  héros  et  des 
sacrifices  de  dieux.  Il  est  certain  que  les  dieux  sacrifiés  sont 
précisément  de  ces  dieux  qui  se  distinguent  mal  des  héros. 
Dieux  fils,  dieux  sauveurs,  dieux  passionnés,  ce  sont  des 
dieux  qui  ne  sont  pas  impassibles*.  Peut-être  y  a-t-il  parmi 


1.  Seler,  Die  bildlichen  Darslellungen  cler  mexikanisclien  Jahresfesle; 
die  achlzefin  Jahresfesle  der  Mexilcaner,  189'J;  sacriOces  humains  avec 
dessiccation  de  la  violime,  fôtcs  l  et  II. 

i.  J.  M.  Roberlson,  Par/an  Ç/irisls,  sludies  in  comparative  hierology, 
1903. 


XLII  PHEFACE 

eux  de  véritables  héros!'  Mais  n'a-t-on  j)as  d'ailleurs  abusé 
du  sacrifice  du  dieu? 

Le  dieu  poisson  d'Hiérapolis  en  Syrie  ^  et  le  poisson  sacré, 
mangé  cérémoniellement  par  les  prêtres  du  temple  décrit 
par  le  pseudo-Lucien,  sont  bien,  pour  parler  en  théologiens, 
une  seule  et  même  nature;  le  sacrifice  du  poisson  à  Hié- 
rapolis  était  apparemment  un  sacrifice  de  dieu-.  Nous  ne 
connaissons  pas  le  mythe  de  ce  dieu  poisson  ;  assimilé  par 
la  tradition  du  temple  à  Atlis  et  à  Adonis,  il  devait  comme 
eux  mourir  de  mort  divine.  Que  le  mythe  de  sa  mort  ait 
suivi  de  près  ou  de  loin  le  schème  du  sacrifice,  il  mourait 
en  sacrifice  ;  la  preuve  en  est  fournie  par  la  pérennité  du 
rituel  où  le  dieu  mourait  eiïectivement.  Quand  cette  preuve 
manque,  l'hypothèse  du  sacrifice  divin  est  toujours  vaine, 
car,  à  supposer  inéluctable  la  nécessité  de  trouver  aux 
mythes  un  substratum  rituel,  le  sacrifice  n'est  pas, 
après  tout,  le  seul  rite  auquel  aient  pu  s'attacher  des 
mythes  de  dieux  ou  de  héros  souffrant  et  mourant.  Mais 
pour  combien  de  dieux  qui  meurent  connaissons-nous  le 
sacrifice  rituel  où  se  serait  réalisé  périodiquement  le  mythe 
de  leur  mort.^  Nous  connaissons  bien  celui  d'Osiris  ^  ;  nous 
ne  connaissons  pas  ceux  d'Orphée  ^,  d'Hippol}i:e,  de  Mar- 
syas  et  d'Acléon;  nous  connaissons  mal  ceux  d'Adonis, 
de  Phaéthon  et  de  Diomède.  Or  ces  personnages  dont  le 
sacrifice  est  conjectural  sont  tout  justement  des  héros. 


1.  Lucien,  De  Dea  Si/rla,  oo:  Mnaseas.  frag.  32,  Fragmenta  Histori- 
corum  Graecorum,  111,  loc  ;  Dittenberger,  SyWo^e,  2  éd.,  o84;  Diogène 
Laerce.  VU!,  o4. 

2.  A.  Moret,  Le  rituel  du  culte  divin  journalier  en  Egypte,  1902. 

3.  S.  Reinach,  Cultes,  mythes  et  religions,  t.  II,  p.  8j  sqq.  (Orphée)  ; 
t.  III,  p.  24  (Actéon);  p.   54  sqq.  (Hippolyle)  ;  p.  60  sqq.  (Diomède) 
t.  IV,  p.  29  sqq.  (Marsyas)  ;  p.  43 sqq.  (Phaéthon). 


PREFACE  XLIII 

En  Irlande,  la  mythologie  rapporte  toutes  les  morts 
hôrokjues  à  des  fêles;  celles-ci  comportent  des  sacrifices. 
Nous  n'avons  pas  la  preuve  directe  de  la  concordance  de 
ces  sacrifices  avec  les  mythes  de  ces  fêtes.  Cependant 
M.  C/.arnovvski  l'admet  et  nous  sommes  tentés  de  lui 
faire  d'abord  crédit.  Xous  ajouterons  môme  aux  vraisem- 
blances dont  il  tire  argument.  11  rapporte  des  mythes 
qui  présentent  en  effet  des  traits  tout  à  fait  signifi- 
catifs. Le  roi  Muicertach  Mac  Erca  trouva  la  mort  dans 
un  vaisseau  d'hydromel  ^  C'était  un  jour  de  Samhain, 
la  grande  fête  irlandaise  d'automne.  Une  scholie  de  Lu- 
cain,  encore  mal  ulili.sée,  nous  apprend  que  les  sacrifices 
à  Tentâtes  se  faisaient  par  plongée  ia  plemtm  semicu- 
piian-.  Il  est  question,  dans  la  tradition,  de  chaudrons 
où  l'on  plonge  des  morts  qui  ressuscitent  et  des  vivants 
qui  se  divinisent  ^  Le  fameux  vase  d'argent,  décoré  de 
scènes  religieuses  dont  les  sujets  sont  celtiques,  qui  a  été 
trouvé  à  Gundestrup  en  Danemark  ',  nous  montre  sur  l'une 
de  ses  plaques  intérieures  une  scène  d'immersion  et  peut- 
être  était-il  lui-même  un  chaudron  sacrificiel  comparable  à 
ceux  que  demandait  le  culte  de  leutatès  ;  non  qu'il  fût 
assez  grand  pour  contenir  une  victime  humaine;  mais  il 
pouvait  servir  à  d'autres  sacrifices.  L'argument  d'analogie 


1.  Czaniowski,  p.  116. 

2.  Lucani  Comm.  Bernensia,  éd.  Usener,  p.  32. 

3.  Chaudron  de  résurrection  :  Branwen.  fille  de  Llyr,  dans  Les  Mabi- 
noqion.  irad.  J.  Lolh,  t.  1,  â»  éd..  p.  i'i'J  sqq.  Giraldus  Cambrensis, 
Topographia  lUbeniiae,  III,  2a  :  consécration  du  roi  de  Tirconnell. 
Cf.  Czarnowski,  p.  186. 

4.  Sophus  MulliT,  Del  store  solvknr  fra  Gundesh'up  i  Jylland,  dans 
Nordiske  Forlidsminder,  I,  2.  C.  Juiiian.  Le  vase  de  Gundeslrup  (Notes 
Gallo  Romaines),  dans  Revue  des  éludes  anciennes,  1908,  p.  73  sqq. 
U.  llnbcri.  Notes  d'archéologie  et  de  philologie  celtique,  lyGweilgi,  l'océan 
et  le  carnassier  andropliage,  dans  Revue  celtiquey  t.  XXXIV,  p.  1  sqq. 


XLIY  PRKFACE 

est  valable  cl  il  csl  probable  que  la  mort  fantastique  de 
Muiccrlach  Mac  Erca  a  été  le  mythe  de  quelque  sacri- 
fice réellement  célébré.  Semblable  fait  se  racontait  d'un 
personnage  nommé  Flann  '  ;  assiégé  par  le  roi  Diarmaid 
mac  Cerbhail,  sa  maison  fut  incendiée  ;  fuyant  le  feu,  il 
se  jeta  dans  une  cuve,  s'y  noya  et  son  corps  brûla  avec 
la  maison;  la  fêle  de  Bellene,  6  Uisnecli,  le  1"'  mai,  qui 
fui  instituée  en  son  honneur,  commémore  et  expie  sa 
mort.  Mais,  ce  sont,  croyons-nous,  les  seuls  cas  oîi  la 
mythologie  irlandaise  ail  entouré  la  mort  du  héros  de  cir- 
constances qui  rappellent  avec  précision  le  rituel  d'un  sacri- 
fice. Batailles,  meurtres,  accidents,  partout  ailleurs  le  mythe 
ne  rappelle  le  sacrifice  que  par  le  thème  de  la  mort  ;  c'est 
trop  peu.  Mais,  d'autre  part,  il  n'est  pas  sûr  que  Muicertach 
et  Flann,  dont  le  sort  exceptionnel  est  rattaché  d'ailleurs 
aux  deux  principales  des  fêtes  irlandaises,  celle  du  début 
du  printemps  et  celle  de  la  fin  de  l'été,  soient  à  propre- 
ment parler  des  héros.  L'un  d'eux  est  roi  ;  ce  peuvent  être 
des  rois-dieux.  La  mythologie  galloise  connaît  également 
un  chaudron,  un  bassin,  où  Ton  plonge  des  hommes '^; 
il  appartient  à  des  personnages  qui,  un  beau  jour,  ont  été 
enfermés  avec  leur  chaudron  dans  une  maison  de  fer,  celle- 
ci  chauffée  à  blanc.  Rencontrés  sur  un  tumulus,  étrangers 
aux  gens  dont  ils  vivaient,  gigantesques,  hirsutes  et  sau- 
vages, ces  personnages,  qui  n'avaient  pas  d'autre  histoire, 
étaient  plutôt  démoniaques  qu'héroïques. 

De  la  mythologie  germanique  se  détache  une  divinité, 
dont  la  passion  présente  avec  une  parfaite  netteté  les  traits 


1.  Czarnowski,  p.  119. 

2.  Branwen,  fille  de  Llyr.  dans  Les  Mabinogion,  trad.  J.  Loth,  2'  édif. 
t.  I,  76  sqq. 


PREFACE  XLV 

(l'un  sacrifice  mythique;  c'est  BaKIr'.  Baldr  est  un  héros 
cl  c'est  un  dieu;  c'est  un  Asc  ;  en  tous  cas  il  compte  parmi 
les  grands  dieux.  Mais  Baldr,  qui  ne  peut  être  tué  que  par 
une  branche  de  gui,  dont  la  vie,  par  conséquent,  est  asso- 
ciée à  celle  d'une  plante  sacrée,  présente  à  un  degré  tout 
à  fait  éminenl  les  caractères  de  ces  génies  de  la  végétation 
qui  s'incarnent  dans  les  rois-dieux  *.  Il  faut  néanmoins 
observer  que  le  sacrifice  de  Baldr  est  un  sacrifice  mythique, 
dont  nous  ne  savons  pas  si  un  sacrifice  réel  lui  a  jamais 
correspondu. 

11  en  est  régulièrement  ainsi  pour  tous  les  sacrifices  de 
héros.  Mais,  s'il  en  est  ainsi,  nous  entendons  tout  autre 
chose  quand  nous  parlons  de  sacrifice  du  dieu.  Le  héros 
est  mort  une  fois  j)our  toutes.  Le  dieu  sacrifié  subit  la 
mort  chaque  fois  que  le  sacrifice  s'accomplit.  La  passion 
de  Jésus  est  quotidienne.  La  mort  sacrificielle  d'Osiris  se 
réitère  à  toutes  les  fêtes  et  tous  les  jours \  Mais  ce  sont 
incontestablement  des  dieux.  La  croyance  à  la  divinité  du 
Christ  s'affaiblit  quand  la  croyance  à  la  présence  réelle 
disparaît.  La  pérennité  du  sacrifice  fait  pendant  à  l'éter- 
nité divine.  En  somme,  le  sacrifice  du  dieu  est  un  rite; 
son  mythe  le  pénètre,  mais  un  mythe  distinct  n'y  corres- 
pond pas  toujours. 

Quand  on  parle  de  sacrifice  à  propos  des  héros,  on  ne 
saurait   penser  qu'au  mythe  ou  à   la  légende.  11  se  peut 


1.  Fr.  Kaufmann,  Balder,  Mythus  und  Sage,  1902.  Ci  Année  sociolo- 
gique, t.  VII,  p.  32  sqq. 

2.  n.  Munro  Chadwick,  The  ancient  Teutonic  priesthood,  dans  Folk- 
Lore,  1900,  p.  :268  sqq.  Cf.  Année  sociologique,  t.  V,  p.  303.  J.-G.  Frazer, 
The  Golden  Bough.  3«  édit..  t.  VI  et  VII. 

3.  A.  Morel,  Caractère  religieux  de  la  royauté  pharaonique,  1902;  Cf. 
Année  sociologique,  t.  VII,  p.  446  (La  mort  quotidienne  du  roi  identiGé 
à  Osiris). 


XI.VI  PREFACE 

que  le  mvtho  d'un  dieu  sacrifié  y  ait  apporté  quelque 
élément.  Ainsi  le  héros  Gombabos,  dont  on  racontait 
à  Hiérapolis  le  niarlyrc  volontaire,  est  un  avatar  du 
dieu  poisson  sacrifié.  Mais,  bien  que  son  marlyre,  selon 
le  Pseudo- Lucien,  ait  servi  d'exemple  aux  Galles,  qui  se 
consacraient  chaque  année  au  service  de  la  déesse*,  il  n'a 
pas  avec  le  rituel  celte  relation  essentielle  et  cette  union 
parfaite  que  présentaient  dans  un  sacrifice  de  dieu  la  repré- 
sentation et  l'action  ;  quant  au  sacrifice  dont  celte  hisloire 
procède,  il  n'est  plus  pour  elle  qu'un  thème  de  narration. 
Mais  on  a  pu  et  l'on  peut  encore  assimiler  par  figure 
la  mort  des  héros  au  sacrifice.  G'est  une  figure  qui 
exprime  bien  la  valeur  religieuse  de  leur  légende,  qu'il 
s'agisse  du  mérite  acquis  par  les  héros  et  de  l'exemple 
qu'ils  donnent,  ou  des  bienfaits  sociaux  qui  émanent  d'eux. 
Le  sang  versé  par  les  martyrs  a  été  comparé  au  sang 
sacrificiel"  et  cependant  leur  mort,  à  laquelle  on  a  pu 
reconnaître  la  valeur  sacramenlaire  du  baptême  ou  de  l'or- 
dination, n'a  pas  reçu  celle  du  sacrifice.  M.  Gzarnowski,  en 
se  représentant  comme  une  sorte  d'initiation  l'acquisition 
des  mérites  héroïques,  se  donne  le  droit  de  comparer  la  mort 
qui  l'achève  à  un  sacrifice,  à  un  sacrifice  sans  doute  qui 
épuiserait  au  bénéfice  du  sacrifiant  tous  ses  effets  utiles. 
D'ailleurs  le  sacrifice  de  soi  pour  le  bien  de  tous  est  un 
exercice  de  vertu,  où  l'idéal  héroïque  trouve  l'expression 
la  plus  parfaite  de  son  énergie.  Mais  c'est  toujours  un 
sacrifice  unique  et  celui  qui  se  sacrifie  n'y  succombe  pas 
en  victime;  il  se  dévoue  en  héros.  Le  sacrifice  du  héros, 


1.  Lucien,  De  Dea  Syria,  50  sqq. 

2.  E.  Lucius,   Die  Anfànge  des  Ueiligenkults,  pp.  53.  54,  64. 


k 


PRliFACE  XLVII 

en  somme,  ne  s'accomplit  (|u'en  fip^ure  et  en  représenta- 
lion  ;  il  perpétue  son  mérilo  dans  la  légende;  il  se  passe 
de  conlrt^parlie  riluoUe.  Nous  sommes  portés  à  étendre 
celte  conclusion.  S'il  y  a  des  légendes  héroïques  qui  aient 
une  pareille  contre-partie,  elle  est  lointaine,  indirecte  et 
peut-être  inopérante.  L'héroïsation  est  un  processus  mytho- 
lo<^ique  où  la  mylliolo<»'ie  paraît  se  pnsserde  canevas  rituel. 
Ce  n'est  pas  dire  que  la  pratique  religieuse  n'y  ait  pas 
apporté  quelque  chose. 


Les  sacrifices  qui  ont  été  pris  en  considération  par 
M.  Czarnowski  ont  un  caractère  particulier;  ils  s'accom- 
plissent dans  des  fêtes.  M.  Czarnowski  ne  les  a  pas  déta- 
chés des  fôtes  dont  ils  font  partie.  C'est  aux  fêtes  qu'il 
rapporte  les  passions  héroïques  avant  de  les  rapporter  aux 
sacrifices  et  à  l'exclusion  de  toute  autre  circonstance 
rituelle.  Il  a  fait  aux  fêtes  la  plus  large  part. 

A  vrai  dire,  le  choix  même  de  son  sujet  l'y  a  conduit. 
De  la  religion  des  Celtes  irlandais  nous  ne  connaissons 
guère  de  rites  qui  n'aient  été  réservés  aux  fêtes.  C'est  que 
l'Irlande,  disséminée,  sans  villes,  où  saint  Patrick  a  prêché, 
n'avait  de  culte  vraiment  public  qu'aux  fôtes,  où  les 
hommes  se  trouvaient  réunis,  panégyries  nationales,  fêtes 
des  royaumes,  fôtes  des  clans  ;  toutes  d'ailleurs  paraissent 
tomber  aux  mêmes  dates,  dates  saisonnières  du  calendrier 
celtique.  Dans  ce  culte  public,  les  héros  tribaux  et  natio- 
naux sont  par  excellence  impliqués.  A  quel  titre  ?Ici  encore 
nous  allons  constater  que  le  débat  d'une  question  particu- 
lière va  nous  instruire  sur  des  phénomènes  généraux. 


Xl.VIll  PREFACE 

L'cludo  des  fcMcs  est  fruclucuse  entre  toutes  comme  pré- 
paration à  l'étude  des  mythes,  parce  que  c'est  dans  les  fôtes 
que  la  pensée  et  l'action  religieuses  sont  le  j)lus  intime- 
ment liées.  L'intervention  des  représentations  que  comporte 
l'exercice  de  tout  rite  est  accusée  dans  les  fôtes  par  des  signes 
plus  apparents  qu'ailleurs.  Tout  ce  qui  est  nécessairement 
présent  en  esprit  dans  un  rite  y  apparaît  de  préférence  en 
figure.  Entre  tous  les  rites,  ceux  des  fôtes  sont  les  mieux 
pourvus  de  mythes.  Mais  il  arrive  en  outre  que  la  repré- 
sentation s'y  traduise  complètement  en  action;  elle  se  mêle 
intimement  au  rituel  et  elle  l'amplifie  notablement.  Le 
geste  et  la  pensée  sont  moins  distincts  dans  les  fôtes  que 
dans  le  reste  du  culte*. 

D'autre  part,  les  hommes  rassemblés  en  fôtes,  le  mythe 
se  présente  en  plein  milieu  social,  c'est-à-dire  dans  les  con- 
ditions les  plus  propices  à  l'étude  sociologique  soit  de  sa 
genèse,  soit  de  son  fonctionnement. 

Or  les  fôtes  constituent  un  milieu  favorable  à  l'évocation 
des  personnages  divins,  esprits  qui  circulent,  dieux  qui 
paraissent ^  M.  Czarnowski  emploie  fréquemment  les 
expressions  de  génies  de  fêtes,  héros  de  fêtes,  dieux  de 
fêtes.  L'expression  génies  de  fêtes  désigne  les  génies  dont 
il  n'est  question  qu'aux  fêtes,  soit  qu'ils  y  fassent  leur 
apparition,  soit  qu'ils  naissent  ou  surgissent  au  début 
d'une  fête  pour  mourir  à  la  fin  ou  ù  une  autre  fête,  limi- 
tant aux  fêtes  la  durée  de  la  vie  éphémère  ou  intermit- 
tente qui  leur  est  prêtée.  Elle  signifie  qu'ils  existent  seule- 


1.  Quelques  exemples;  L.  R.  Farncll,  o.  L,  t.  III,  p.  90,  91,  93.  (Thes- 
mophories)  ;  t.  II,  p.  :274  (Stcpteria.  représentation  mimétique  des  aven- 
tures d'Apollon  après  sa  victoire  sur  Python). 

2.  Visite  du  dieu:  L.  R.  Farnell,  o.  L,  t.  IV,  p.  283  (Délia). 


PRKFACE  XLIX 

ment  en  relation  avec  les  fôtes,  qu'ils  en  sont  l'espriJ, 
d'ailleurs  niulliple,  et  pas  autre  chose,  représentation 
animiste  de  la  religiosité  festivale.  Par  héros  de  fêtes, 
on  veut  désigner  une  représentation  analogue,  mais  per- 
sonnelle. M.  Czarnowski  a  peut-être  étendu  cette  expres- 
sion h  des  figures  moins  éphémères,  mais  avec  le  sentiment 
que  ces  héros  ont  pu  survivre  à  l'occasion  qui  les  a  fait 
naître.  En  somme  les  fêles  sont  propices  à  l'élaboration  du 
divin  ;  elles  paraissent  l'être  tout  particulièrement  à  celle 
du  divin  héroïque. 


Les  héros  irlandais  n'agissent  pour  ainsi  dire  qu'aux 
fêtes.  Cette  relation  constante  est  sans  doute  nécessaire. 
Elle  n'est  pas  spéciale  à  Tlrlande.  C'est  un  fait  général 
que  les  dates  de  fêtes  sont  dates  d'épisodes  héroïques, 
commémorés  par  les  fêtes. 

Les  formes  de  la  légende  héroïque  qui  tendent  vers  la 
littérature  font  particulièrement  bien  apparaître  celte 
relation.  La  littérature  épique  tout  d'abord  l'atteste. 
C'est  par  excellence  une  littérature  héroïque  ^  Il  n'est 
pas  d'épopée  qui  ne  soit  légende  de  héros,  ni  de  légende 
de  héros  qui  ne  soit  une  épopée  possible.  Or  des  récitations 
du  MaliAbhôrata  et  du  RâmayAna-  se  sont  faites  et  se  font 
encore  dans  l'Inde  à  la  fête  de  la  Holi,  à  la  première  lune 
du  printemps.  La  récitation  des  poèmes  homériques  aux 


1.  W.  Wundt,  Elemente  der  Volkerpsychologie,  p.  452. 

2.  li.  Lchmann,  dans  P.  D.  Chantepie  de  la  Saussaie,  Manuel  d'his- 
toire des  reliyions,  Irad.  française,  p.  410,  sq.  ;  p.  425. 

Czarnowski.  d 


PRKFACE 


Panalhénées'  n'était  probablement  ni  un  hommage  à  leur 
beauté,  ni  un  divertissement  festival  imaginé  par  un  homme 
de  goùl;  mais  elle  avait  un  sens  religieux  et  polilique.  On 
a  pensé  qu'il  s'agissait  de  symboliser  l'unanimité  d'Athènes 
et  de  rionic  par  révocation  de  héros  nationaux  ;  ce  serait 
un  cas  type  du  culte  des  héros.  On  vient  de  nous  apprendre 
que  nos  chansons  de  gestes  devaient  leur  origine  aux  pèle- 
rinages "^  ;  Roland  et  l'archevêque  Turpin  ont  été  chantés 
sur  la  roule  de  Compostelle  ;  les  pèlerinages  mènent  à  des 
fêtes  ou  prolongent  un  état  de  fôte  sur  toute  l'année.  ElnGn 
les  filid  ont  exercé  dans  les  fêtes  leur  office  de  récitateurs  ; 
ils  y  ont  apporté  des  récils  héroïques  de  circonstances,  cir- 
constances tribales,  locales,  nationales'.  Il  se  peut  donc  que 
les  récits  épiques  aient  été  faits  pour  être  récités  aux  fêtes. 
Mais  nous  n'en  avons  pas  la  preuve.  D'autre  part  nous  ne 
les  voyons  se  présenter  au  concert  des  fêtes  qu'avec  des 
héros  tout  faits  et  nous  ne  sommes  pas  en  mesure  de 
savoir  s'il  en  fut  jamais  autrement. 

Pour  analyser  l'épopée  de  façon  à  expliquer  ce  qu'elle 
doit  el  ce  qu'elle  apporte  aux  fêtes,  tout  spécialement  en 
ce  qui  concerne  ses  acteurs  héroïques,  il  faut  recourir  à  un 
intermédiaire,  qui  est  le  drame.  Usener  l'a  fait  avec  succès*. 
Mais  le  drame  est  lui-même  une  des  formes  de  la  littéra- 
ture héroïque  dont  la  relation  avec  les  fêtes  est  à  la  fois 
plus  générale,  plus  évidente  et  plus  intime  que  celle  de 
l'épopée.    On    sait    que    les    représentations   dramatiques 


1.  G.  Murray,  The  rise  of  the  Greek  epic,  1907,  p.  171,  sqq. 

2.  J.  Bédier,  Les  légendes  épiques,  t.  III,  p.  39,  sqq. 

3.  Czarnowski,  p.  282,  sqq. 

4.  H.  Usener,  De?'  Stoff  des  griechischen  Epos,  dans  Silzungsberichie 
d.  k.  Akad  d.  Wiss.  in  Wien,ph.  h.  Klasse,  l-,  CXXXVII,  1897." 


PREFACE  LI 

d'Athènes  se  donnaicut  aux  fùlos  de  Dionysos,  les  grandes 
Dionysies,  les  Dionysies  urbaines  et  les  Lénéennes.  Les 
représentations  dramatiques  ont  fait  partout  et  longtemps 
partie  du  i-iluel  des  fôtes.  Elles  sont  restées  liées  aux 
dates  de  fêtes  bien  après  que  le  drame  se  fût  émancipé 
en  genre  littéraire  et  détaché  de  la  reUgion.  Il  s'agit  de 
montrer  que  le  héros  appartient  au  drame  comme  le  drame 
à  la  fête  et  pourquoi  '  ? 

Mais  à  cet  égard  la  tradition  irlandaise  ne  fournit  pas  de 
faits  très  instructifs.  Pour  la  place  qu'y  tiennent  les  fêtes, 
ce  qui  se  passait  dans  celles-ci  est  bien  mal  connu.  L'eCfort 
qu'a  fait  M.  Czarnowski  pour  ra|)epcevoir  à  travers  les 
mythes  ne  peut  précisément  pas  suppléer,  au  point  où  nous 
sommes,  à  l'absence  de  renseignements  directs.  EIn  dehors 
des  récitations  poétiques,  la  commémoration  des  héros  com- 
portait des  jeux  ;  c'est  aux  jeux  que  se  réduit,  à  notre  con- 
naissance l'élément  dramatique  des  fêtes  irlandaises.  Ce 
n'est  pas  assez  pour  étudier  chez  les  Celtes  le  développe- 
ment parallèle  des  cultes  héroïques  et  du  drame  festival. 

Il  faut  nous  transporter  en  Grèce.  M.  Ridgeway*  a  sou- 
tenu, il  y  a  peu  de  temps,  dans  un  livre  sur  l'origine  du 
drame  grec,  que  la  tragédie  dépendait  du  ciilte  des  héros. 
Le  drame  grec  est  un  bon  sujet  d'études,  puisqu'on  peut 
en  suivre  l'évolution  depuis  les  formes  les  plus  primitives 
jusqu'aux  plus  élaborées  du  drame.  Quand  il  produit  ses 
œuvres  les  plus  parfaites,  il  est  encore  engagé  dans  le 
culte  et  néanmoins  son  essor  esthétique  paraît  aussi  libre 
que  possible.  On  le  croyait  uni  par  des  liens  d'origine  au 


1.  Cf.  W.  Wundt,  Elemente  der  Vôlkerpsyckologie,  p.  456,  sqq. 

2.  W.  Ridgeway,   The  origln  of  Iragedy,   ivilh  spécial  références  io 
Ihe  Greek  tragedians,  1910. 


LU  l'RÈlACE 

culte  de  Dionysos.  A  y  regarder  de  près,  ces  liens  sont 
lâches.  Bien  avant  que  les  concours  tragiques  des  grandes 
Dion3'sies  aient  été  institués  h  Athènes,  il  y  a  eu,  dans 
d'autres  villes,  des  chœurs  tragiques,  qui  ont  chanté  et 
dansé  des  tragédies,  représentant  l'histoire  et  les  souffrances 
de  certains  personnages.  Ces  personnages  étaient  des 
héros.  Hérodote  nous  en  donne  un  exemple*.  A  Sic^'^one 
des  chœurs  tragiques  célébraient  la  passion  du  héros 
Adraste  sur  son  tombeau.  Ces  représentations  en  l'honneur 
d'Adraste  furent  supprimées,  dit  Hérodote,  par  le  tyran 
Clisthène  (493-560)  et  transférées  par  lui  au  culte  de 
Dionysos.  Dionysos,  à  Sicyone,  et  peut-être  aussi  en 
Atlique,  a  reçu  les  chœurs  tragiques  par  substitution  ^ 

Les  représentations  de  Sicyone  sont  le  plus  ancien 
exemple  de  représentations  dramatiques  que  l'histoire  ait 
porté  à  notre  connaissance.  Qu'elles  aient  ressemblé  aux 
vieilles  tragédies,  c'est  fort  probable  ;  que  ce  fussent  des 
tragédies  au  sens  propre,  des  chants  du  bouc,  indépendants 
du  culte  de  Dionj'sos,  Hérodote  le  dit  et  la  chose  est  pos- 
sible; car,  s'il  est  exact  que  la  Iragt'die  soit  par  définition 
un  chant  qui  accompagnait  le  sacrifice  d'un  bouc,  comme 
le  dithyrambe  celui  d'un  bœuf,  nous  ignorons  absolument 
que  le  bouc  fût  une  victime  réservée  à  Dionysos  ou  spé- 
cialement réclamée  par  lui\ 

Mais,  d'autre  part,  c'est  dans  la  légende  héroïque  et  non 
pas  dans  la  mythologie  que  la  tragédie  grecque,  fidèle, 
selon  M.  Ridgeway,  à  ses  origines,  a  toujours  choisi  ses 


1.  W.  Ridgeway,  o.  /.,  p.  26  sqq.  Hérodote,  V,  p.  67. 

2.  De  la  même  façon  le  dithyrambe  avait  pasié  du  culte  des  héros 
au  culte  de  Dionysos.  W.  Ridgeway,  o.  l.  p.  4. 

3.  L.-R.  Farnell,  o.  L,  t.  V,  1909,  p.  283. 


PRÉFACE  l.IU 

sujets.  Elle  les  a  même  choisis  de  telle  sorte  que  des  scènes 
de  culte  funéraire  s'y  intercalaient  naturellement.  Les 
personnages  se  groupent  autour  d'un  tombeau;  c'est  celui 
de  Darius,  d'Agamemnon  ;  c'est  le  tumulus  des  Sup- 
pliantes. 11  y  a  des  olTrande.s  funéraires,  des  chants  do  deuil, 
OoTvo'.  et  xouuo'l.  Le  mort  ioue  son  rùle  avec  les  vivants.  On 
le  consulte,  on  le  venge,  on  l'apaise,  on  l'évoque.  La  dis- 
position même  du  théâtre  est  significative.  Il  y  a  un  autel 
sur  lequel  est  fait  le  sacrifice  à  Dionysos;  c'est  la  BuaéXTi  ; 
mais  il  y  a  sur  la  scène  un  autre  autel,  celui  qu'utilise  le 
poète  pour  sa  mise  en  scène  ;  c'est  l'autel  du  tombeau 
(,3toij.ô;).  Ainsi  le  théâtre  est  le  temple  de  deux  cultes 
juxtaposés,  celui  d'un  héros  et  celui  de  Dionysos;  le 
deuxième  est  un  intrus.  La  tragédie  grecque,  au  surplus, 
met  en  scène  non  pas  des  actions  divines,  mais  des  actions 
humaines,  des  actes  de  héros.  Ses  représentations  ayant 
trait  à  la  mort  des  héros,  il  est  raisonnable  de  les 
rattacher  au  culte  funéraire.  Le  culte  des  héros  en  Grèce 
était  un  culte  de  morts,  mais  il  avait  aussi  d'autres 
aspects. 

La  thèse  de  M.  Ridgeway  a  été  vivement  combattue  par 
M.  Farnell,  Mais,  si  celui-ci  a  rendu  le  drame  à  Dionysos, 
il  ne  l'a  pas  enlevé  aux  héros  *.  Ce  n'est  pas  le  dieu  du 
vin  qui  reste  le  dieu  de  la  tragédie,  c'est  un  dieu  plus 
vague  et  plus  puissant,  dieu  de  la  fécondité,  de  la  nature 
qui  s'éveille,  pousse,  lutte  et  meurt  pour  renaître.  Le  Dio- 
nysos des  Dionysies  athéniennes  était  en  réalité  le  Dionysos 


l.  L.-R.  Farnoll,  o.  l.  pp.  204.  231  sqq.  A.  Dietericha  donné  l'esquisse 
dune  théorie  plus  compréhensive  dans  son  travail  postlitimo,  Die  Entsle- 
hutig  der  Tragûdie,  dans  Archiv  fiir  Religionswissenschaft,  1908,  p.  162  ; 
il  y  fait  une  part  aux  héros,  à  la  liturgie  en  général,  à  celle  des  mys- 
tères d'Eleusis  en  particulier. 


LIV  PRÉFACE 

du  bourg  d'Éloulhèrcs',  Dionysos  Melanaigis^  à  la  chèvre 
noire,  le  seul  d'ailleurs  qui  ait  quelque  chose  à  faire  avec 
les  chèvres,  sinon  avec  les  boucs.  Or,  celui-ci  figure  dans 
une  aventure  héroïque,  où  sa  nalure  divine  parait  en  aussi 
bonne  lumière  que  ses  relations  avec  les  origines  du  drame 
et  avec  les  héros.  Il  intervint  dans  un  combat  légendaire 
que  se  livrèrent  à  la  frontière  de  l'Attique  le  Béotien  Xan- 
thos  (le  blond)  et  le  Messénien  Melanthos  (le  noir);  celui-ci, 
avec  l'aide  du  dieu,  tua  celui-là  et  le  fait  était  commémoré 
par  la  fête  des  Apaluries.  Dans  le  mythe  de  Dionysos  est 
reproduit  à  plusieurs  éditions  un  combat  ou  une  passion 
qui  ressemble  à  ce  combat  du  noir  et  du  blond-,  dont  les 
scholies  de  la  mythologie  classique  nous  font  connaître  les 
aspects  multiples  et  la  grande  popularité.  Tels  ont  été,  nous 
dit-on,  les  sujets  des  plus  anciennes  tragédies.  Uest  fâcheux 
pour  la  démonstration  de  cette  thèse  que  la  fête  des  Apa- 
luries n'ait  pas  été  une  fête  à  représentations  dramatiques. 
Mais,  si  la  preuve  directe  fait  ici  défaut,  nous  en  avons 
presque  l'équivalent. 

Ce  sont  des  Jeux  des  fêles  populaires  qui  nous  le 
donnent.  Les  paysans  macédoniens  représentaient  naguère 
encore,  au  Carnaval,  des  farces,  qui  rappelaient  les  péri- 
péties du  mythe  dionysien  ^  Notre  tradition  folklorique  nous 
apprend  qu'une  semblable  figuration  des  génies  agraires, 
des  péripéties  et  des  antithèses  de  la  végétation  et  du  temps 


1.  L.-R.  Farnell,  o.  l.,  p.  224,  sqq. 

2.  L.-H.  Farnoll,  o  L,  t.  Y,  p.  88  sqq,  424,  169,  i72,  etc.  Dans  la  mytho- 
logie galloise,  la  rivalité  de  Gwynn  Ile  blond)  et  Gwylhur,  condamnés 
par  le  jugement  d'Arthur,  à  se  battre  tous  les  premiers  mai  pour  les 
beaux  yeux  de  Crekldylad,  est  un  fait  comparable  :  KvUiwch  et  Olwen, 
Les  Mabinoyion,  Irad.  J.  Loth,  2»  édit.,  t.  I,  p.  331. 

3.  L.-R.   Farnell,  o.  L,  t.  V,  p.  107.  fête  du   Carnaval  à  Viza.  Cf. 


PRÉFACE  LT 

ont  fourni  aux  lètes  de  l'Europe  occidentale  également 
des  thèmes  très  simples  de  drames'.  C'est  une  théorie  clas- 
sique que  les  mummeries,  batailles  de  masques  et  autres 
petites  pièces  carnavalesques  représentent  en  symboles  et 
actions  dramatiques  la  concurrence  des  saisons.  Mumme- 
ries saisonnières  et  drame,  telle  est  la  suite  de  faits  que 
l'on  se  plaît  à  reconstituer-. 

Mais  que  doivent  être  les  personnages  des  pièces  saison- 
nières? Dans  les  villages  sans  histoire,  ils  restent  esprits  et 
mannequins  et  cependant  ils  prennent  assez  aisément  des 
figures  de  personnat^es  historiques^.  Dans  les  cités  grecques, 
Usener  nous  l'a  appris,  ils  sont  montés  en  grade  et  sont  deve- 
nus des  héros*.  Les  drames  héroïques  rudimcntaires,  encore 
tout  proches  du  rituel  mimétique  de  la  fête,  dont  il  sup- 
pose l'existence,  ne  nous  ont  pas  été  conservés  ;  mais  il 
nous  en  est  parvenu  quelque  chose,  sous  la  forme  de  scènes 
et  d'épisodes  épiques,  dans  les  épopées  homériques  aux- 


J.-C  Lawson,  Modem  folk-lore  and  ancienl  Greek  religion,  p.  221,  224 
sq.,  2?8.  (Fêtes  dramaliques  du  !•' janvier). 

1.  E.-K.  Chambers,  The  mediaeval  slar^e,  t.  I,  p.  416,  274.  R.  Eisler, 
Lfer  Chiemijauer  ^chiffKumzug  vom  28"'"  Februar  Idli,  dans  Zeilschrift 
des  Vereins  fûrVolkskunde,  1911.  p.  H52  sqq.  R.  Lobmeyer,  Der  Pfinyst- 
quack  in  der  Saargeyend,  ibid.  1910.  p.  3<J9. 

2.  L.-R.  Farnell,  o.  l.,  t.  V,  p.  295.  M.  Farnell  fail  remonter  la  théorie 
de  la  xzftapfft;  an  caractère  sacramentaireetcatarthique  des  anciennes 
fèlesà  rcpr.'bcnlalions  dramaliques;  ibid,  p.  2^7.  Cf.  H.  Reicii,  Der  Mi- 
mus,  ein  li/lerarentnicketungsijeschichtlicher  Versuch,  l'.i03  :  cf.  Année 
sociologique,  t.  VIII,  p.  050.  K.  Th.  Preuss,  Pkallisclœ  Fruchlbarkeils- 
Dâmonen  als  Trdger  des  all-mexikanischen  Drainas,  dans  Archiv  fUr 
Anthropologie,  N.  P.  t.  I,  p.  129,  sqq. 

a.  V.  ex.  Guy  Fawkes  :  Guy  Fawkes  day.  4  nov.,  cf.  Folk-Lore,  1907, 
p.  449. 

4.  H.  Usener.  Gôllernamen,  p.  247  sqq.;  id.  Stoff  des  griechischen 
Epos,  l.  l.  passim  ;  id..  Heilige  Handlung,  dans  Arcfiiv  fUr  Religions- 
wissenschafl,  19o4,  t.  VII.  j).  2X1  sqq;  cf.  id.  Gôltliche  Synonyine,  dans 
Rheinisches  Muséum  far  Philologie  t.  III,  p.  329  sqq. 


LVI  PRÉFACE 

quelles  ils  onl  fourni  des  rnalériaux.  (]c  sonl  des  canevas 
de  drames  héroïques. 

Mais  alors,  entre  le  drame  el  le  héros,  la  relation,  j)our 
n'être  plus  la  même,  doit  être  encore  plus  étroite  que  celle 
dont  il  était  d'abord  question.  M.  Ridg-eway  nous  engageait 
à  croire  que  le  drame  s'est  formé  autour  du  héros.  L'autre 
partie  nous  donne  à  penser  que  celui-ci  s'est  pour  ainsi 
dire  formé  dans  le  drame.  Le  drame  le  précède.  C'est  une 
représentation,  impliquée  par  une  fête,  de  faits  naturels  et 
surnaturels,  dont  les  éléments,  les  moments,  les  images 
antithétiques  prennent  une  expression  vivante  et  person- 
nelle sous  les  espèces  des  héros.  Bon  nombre  de  ces  héros 
paraissent  tout  devoir  au  drame  festival,  leur  nom,  leur  état- 
civil,  leur  attitude  et  leur  caractère.  Tous  lui  devraient 
au  moins  quelque  chose  de  leur  nature  et  de  leur  vitalité 
héroïque;  car,  même  dans  ces  drames  primitifs,  l'action 
dramatique,  le  jeu  des  caractères,  l'incarnation  du  type 
par  l'acteur  ont  pu  contribuer  à  donner  au  personnage  ou 
à  développer  chez  lui  cette  personnahté  morale  dont  on  a 
voulu  faire  le  caractère  distinctif  des  héros*.  C'est  une 
personnalité  théâtrale. 

La  suite  d'observations  qui  vient  d'être  présentée  appelle 
une  réserve.  Les  faits  auxquels  nous  venons  de  remonter 
pour  expliquer  avec  M.  Farnell  l'origine  de  la  tragédie 
dionysiaque,  avec  Usener  l'origine  des  morceaux  d'épopée 
qui  racontent  des  conflits  héroïques,  sont  des  rites  mimé- 
tiques saisonniers.  Est-ce  à  dire  qu'on  nous  ait  montré  dans 
les  rites  mimétiques  à  la  fois  l'origine  du  drame  et  celle 


1.  W.  Wundt,  Elemenle  der  Vôlkerpsychologie,  p.  200  sqq.  K.  Brey- 
sig,  0.  /.,  p.  178. 


PRKFACE  LVII 

(les  héros?  La  théorie  certes  est  [)lnusible  et  les  nrg'uments 
(|ui  larecûmmaiuleiit  persuasifs,  mais  pas  assez  pour  entraî- 
ner la  conviction  qu'il  n'y  a  eu  de  drames  que  de  cette 
origine  et  de  héros  que  ceux  de  ces  drames.  Nous  nous 
garderons  donc  d'ériger  en  théorie  générale  des  rapports 
particuliers.  Quant  à  Théroïsation  de  leurs  acteurs,  les  rites 
mimétiques  qui  fournissent  le  thème  des  saynètes  saison- 
nières n'en  portent  pas  en  eux-mômes  la  raison.  Entre 
les  masques  de  feuillage,  promenés,  battus,  aspergés, 
poursuivis  dans  des  fêtes  villageoises  et  le  plus  impersonnel 
des  héros,  la  distance  est  déjà  longue  ;  la  structure  des 
rites  mimétiques  ne  fournit  rien  qui  aide  i\  la  franchir. 
Une  fois  donnés  par  le  rite  un  rôle,  une  attitude  et 
môme  un  nom,  tout  ce  qui  fait  l'intérêt  du  drame  et  la 
valeur  de  ses  héros  devait  encore  s'y  ajouter,  c'est-à-dire 
ce  qui  l'a  fait  passer  graduellement  du  conflit  sommaire  de 
Xanthos  et  de  Mélanthos  aux  débats  et  à  la  plainte 
sublimes  d "Œdipe  ;  mais  c'est  aussi  pour  nous  l'essen- 
tiel. 

Le  principe  de  l'héroïsation  ne  se  trouve  donc  pas  plus 
dans  le  rite  mimétique  que  dans  le  sacrifice  ou  dans  tout 
autre  complexus  rituel  particulier.  Reste  à  le  chercher 
dans  la  fête  elle-même,  puisque  c'est  à  son  occasion  que 
surgissent  du  rite  mimétique  et  peut-être  du  sacrifice  des 
personnes  et  des  personnes  qualifiées.  Aussi  bien,  les  héros 
supposés  des  tragédies  primitives,  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion, ont-ils  été  des  génies  de  fêtes  en  même  temps  que  des 
génies  saisonniers.  Les  héros  irlandais,  M.  Czarnowski 
nous  en  donne  la  preuve,  sojit  proches  parents  des  génies 
de  fêtes. 


b 


LVIII  PRÉFACE 


Quand  on  parle  de  iùlc,  on  parle  6  la  fois  de  temps  et 
do  rituel  ;  le  temps  est  consacré  ;  le  rituel  est  public  et 
positif.  Un  rituel  de  fête  est  plus  complexe,  plus  solennel, 
plus  important  ou  plus  particulier  qu'un  rituel  quotidien, 
il  intéresse  et  réunit  plus  de  fidèles,  occupe  j)lus  d'acteurs. 

Les  exécutants  des  actes  religieux  dans  la  fête  sont  en 
effet  des  acteurs  et  leurs  acoh'tes  également,  ou  même  leur 
l'assistance.  On  peut  en  dire  autant  sans  doute  de  toute 
cérémonie  religieuse;  mais  Taccoutumance  journalière  rap- 
proche des  gestes  normaux,  de  la  conscience  laïque  et 
individuelle  les  rites  qui  ne  sont  pas  publics  ou  se  pratiquent 
trop  souvent.  Ils  se  passent  sur  la  scène  oîi  se  passe  la 
vie  ;  dans  le  for  intéritur,  en  tant  qu'ils  l'affectent,  les  sen- 
timents qu'ils  font  vibrer  sont  devenus  familiers.  La  fête 
perd  sa  vertu  dès  qu'elle  devient  banale.  Tant  qu'elle 
n'est  pas  demi-désuète,  le  caractère  exceptionnel  des  actes 
et  des  représentations  y  est  vivement  senti.  Ce  sont  des 
actes,  des  représentations  et  des  sentiments  de  fête,  qui 
n'ont  rien  de  libre,  de  spontané,  malgré  l'apparence,  de 
personnel,  mais  que  meut  une  sorte  d'automatisme  collec- 
tif. Les  gestes  s'enchaînent  en  rôles.  Il  }-  en  a  pour  les 
protagonistes  et  pour  le  chœur  entier  de  la  foule  en  fête. 

Ces  rôles  ne  sont  pas  seulement  l'exaltation  de  la 
personne  quotidienne,  montant  d'un  ou  de  plusieurs  degrés 
dans  la  hiérarchie  des  valeurs  religieuses.  Ils  sont  repré- 
sentation et  symbole  ^  Ils  représentent  tout  ce  que  la  fête 

1.  A.  Oc\r\cV.,  WellermachenundNeujàhrsmondim  y orden,  dans  Zei<- 
schrif'l  des  Vereinsfilr  Volkskunde,  1910,  p.  57  sqq.  (personnage  respon- 
sable et  représentatiO- 


PRÉFACE  LIX 

concerne  ou  sugp:ère.  Dans  les  sociétés  lolémiques,  le 
cas  est  clair,  on  représente  le  totem.  A  quelques  degrés 
de  plus  dans  l'évolution  sociale,  la  représentation  est  moins 
directe  ;  elle  se  réfracte  dans  des  atmosphères  diverses  ; 
plusieurs  couches  d'institutions,  plusieurs  tableaux  de 
mvlhes  se  drossent  entre  la  société  qui  se  met  en  fête,  les 
pouvoirs  religieux  qu'elle  veut  évoquer  et  les  fins  qu'elle 
se  propose.  Mais,  dans  la  fête,  il  y  a  toujours  une  nécessité 
de  représenter,  de  figurer,  qui  finit  par  trouver  son  compte. 
Il  faut  toujours  invoquer  et  s'exprimer,  désigner  les  puis- 
sances intéressées  et  leur  mode  d'action',  signifier  les  cir- 
constances, le  sens  et  l'objet  de  la  fêle,  traduire  les  besoins, 
les  désirs,  les  passions,  les  craintes  de  la  société  ou  sim- 
plement son  bien  ou  son  mal  être,  le  plaisir  ou  bien  l'énerve- 
ment  d'être  ensemble.  Tout  cela  s'exprime  non  pas  tant 
en  paroles  qu'en  gestes,  en  gestes  de  personnages,  par  des 
personnages  et  sous  forme  de  jiersonnages  faisant  des 
gestes  -. 

On  a  déjà  décrit  l'épanouissement  de  sentiments  sociaux 
et  de  représentations  collectives,  qui,  dans  une  réunion 
d'hommes,  donne  de  l'objectivité,  du  corps  à  des  sentiments 
et  à  des  notions  que  la  vie  coutumière  disperse  ou  diffuse 
et  réalise  des  expériences  que,  dans  d'autres  conditions, 
l'attention  retiendrait  à  peine ^  Tout  ce  qui  est  commun 

1.  Représentation  du  dieu:  Pausanias,  IX,  22,  2  (Tanagra,  Hermès 
criophore). 

2.  I.  A.  Dickson.  The  burry-man,  dans  Folk-Lore,  1908,  p.  379  sqq 
(2*  vendredi  d'août):  cf.  Ibid,  1909,  p.  i'il  :  l'objet  de  la  procession  est 
de  procurer  de  la  chance  aux  pécheurs;  il  y  aura  autant  de  poissons 
que  de  poils  sur  le  burry-man. 

3.  flubert-Mauss,  Esquisse  d'une  théorie  générale  de  la  maqie.  dans 
Année  sociolofjique,  t.  Vil.  1904,  p  sqq.  Iv  Uurkheim.  Formes  élémen- 
taires de  la  vie  religieuse,  p.  520  sqq.  Cf.  K.  lUilide,  Psyché,  2*  édit., 
t.  II.  pp.  1  sqq.,  48  sqq.  (les  produits  de  la  religion  dionysiaque).  Sur 


I.X  l'HKFACE 

cl  dépasse  la  conscience  du  moi  devient  extérieur,  prend 
substance,  vie,  ftme,  esprit,  personne.  Ces  âmes  et  ces 
personnes  se  font  une  ligure  de  ce  qu'elles  trouvent.  Elles 
trouvent  au  moins  celles  des  olTiciants.  Ainsi  l'argument 
d'une  fôte  comporte  des  personnages,  personnages  surhu- 
mains. 

Mais,  d'ailleurs,  la  pluralité  des  olficiants  est  déjù,  pour 
le  rituel  de  la  fête,  un  principe  d'organisation  dramatique'. 
Qu'ils  s'e.xprimenl  en  paroles  et  en  prières,  il  y  a  quelqu'un 
ou  quelques-uns  qui  prononcent  les  prières  ou  qui  les 
dirigent  ;  le  sectionnement  social  et  la  hiérarchie  séparent 
et  différencient  des  parties  dans  le  chœur  ;  mais  toute  la 
masse  ne  fît-elle  qu'une  môme  chose,  elle  ne  le  fait  pas 
partout  de  même  ;  la  discipline  n'est  jamais  parfaite  ;  il  y 
a  toujours  quelqu'un  qui  n'est  pas  en  mesure,  un  choriste 
qui  improvise  ;  dans  l'individu  qui  s'émancipe  apparaît 
déjà  le  soliste  que  les  autres  accompagnent  et  auquel  ils 
répondent.  En  somme,  plusieurs  tètes  distinctes  sont  là  et 
plusieurs  groupes,  entre  lesquels  pourra  se  répartir  la 
masse  confuse  des  évocations.  Dans  l'espace  et  la  pluralité 
s'analysent  et  se  fi-xent  les  images  de  la  fête.  Cette  répar- 
tition des  rôles  et  des  valeurs  symboliques  contient  le 
drame  en  essence. 

Il  faut  à  des  gens  en  fôte  beaucoup  de  retenue,  beau- 
coup ou  trop  peu  d'imagination  pour  s'en  tenir  au  discours 


les  cérémonies  orgiasliques  du  culte  de  Dionysos  et  les  faits  psychiques 
qui  s'y  produisaient,  cf.  L.-R.  Farneli,  o.  /..  t.  V,  pp.  152  sqq  ,  167,  161 
eq.,  186,  193.  Sur  la  possession  elles  fêles,  cf.  J.-C.  Lawson.  o.  /..  pp.  208, 
288,  416;  la  description  des  fêtes  de  la  mort  et  de  la  résurrection  du 
Christ  en  Thessalie,  ibicL,  p.  o73  sqq.,  fournit  un  exemple  de  fête 
typique  et  complet. 

1.  Fr  -B.  Gummere,  The  beginnings  of  poetry,  pp.  441,  471.  Cf.  Année 
sociologique,  t.  VI,  p.  564. 


PREFACE  LXI 

cl  à  la  prière.  Que  le  gesle  complète  la  pensée,  que  des 
anticipations  figurées  réalisent  par  avance  l'attente,  que 
des  masques  rendent  les  dieux  présents  aux  fidèles,  le 
rituel  devient  représentation  et  le  m3llie  se  joue'.  Voilà 
pour  l'action;  il  n'est  pas  de  fêle  qui,  à  quelque  dcgié,  n'en 
comporte. 

Quant  aux  acteurs,  ils  sont  toujours  prêts.  Des  officiants 
aux  plus  simples  laïcs,  chacun  se  fait  un  personnage.  On 
revèl  des  insignes  et  des  oripeaux,  on  s'endimanche,  on 
se  déguise  *  ;  de  l'un  à  l'autre  la  dislance  n'est  pas  grande. 
On  se  fait  et  l'on  se  sent  autre  ;  on  a  le  diable  au  corps, 
car  l'on  est  possédé  par  l'esprit  de  la  fôte.  Une  fête  devient 
aisément  mascarade,  mascarade  éparpillée  et  désordonnée, 
mascarade  groupée  et  réglée.  Toute  coordination  de  la 
mascarade  en  fait  une  représentation  dramatique.  Le  drame 
héroïque  en  est  un  degré  supérieur. 

Les  personnages  du  drame  festival,  quand  ils  dépassent 
l'état  rudimentaire  des  génies  anonymes,  sont  des  héros 
plutôt  que  des  dieux.  Le  divin  a  plusieurs  niveaux.  A 
devenir  présent  dans  les  rites,  à  subir  les  chances  du 
sacrifice,  à  coudoyer  les  hommes  dans  les  fêtes,  il  doit 
sinon  se  séculariser,  du  moins  s'humaniser.  Le  dieu  do  la 
fête  n'est  pas  Dieu  le  Père,  mais  Dieu  le  Fils.  Il  descend 


1.  Représentation  dramatique  du  Rapt  de  Proserpine  aux  Thesmo- 
phories  :  L.-R.  Farnell,  o.  /.,  t.  III,  p.  87,  p.  .'527  ;  Clément  d'Alexandrie, 
Protrept.,  p.  14;  P. -M.  Moszkowski,  Die  Vôlkersiûuvne  am  Mamberano 
in  holiand.  Seu-Guinea,  dans  Zeilschrifl  fur  Ethnologie,  p.  191,  p.  315 
sq.  :  fête  de  la  pleine  lune  de  juillet,  noces  de  la  déesse  Bimbajo  et 
du  dieu  .Mangossi,  danse  dramatique.  —  Ridgeway,  o.  l.,  p.  95:  sha- 
manisme  et  théâtre  en  Asie  centrale,  p.  100,  etc. 

2,  L.-R.  Farnell,  o.  l.,  t.  V,  p.  172  :  bacchanls  à  la  face  plûtrée 
(t!t2vo;)  =  Titans  (mythe  du  meurtre  du  dieu-enfant  par  les  Titans), 
cf.  Nonnus.  47,  733.  Sur  le  déguisement  des  hommes  en  femmes,  cf. 
L.-R.  Farnell.  o.  l.  pp.  160.  273  (Dionysos),  p.  107,  (légende  de  Pen- 
théc). 


LXH  PRKFACE 

au  plan  de  la  vie  humaine  et  se  fait  homme  pour  rencontrer 
les  hommes.  Or,  c'est  précisément  là  qu'agissent  les  héros. 
Le  héros,  forme  séculière  du  dieu,  est  une  sorte  de  per- 
sonne divine  qui  convient  à  la  fois  aux  drames  religieux 
et  aux  fêles.  Les  fêtes  qualifient  en  héros  les  personnes 
divines,  qui  y  sont  impliquées.  Les  dieux  des  cultes  qui 
se  réduisent  aux  fêtes  tendent  vers  le  type  du  héros.  C'est 
le  cas  des  dieux  irlandais  ;  mais  ailleurs  qu'en  Irlande  des 
héros  ont  été  substitués  aux  dieux  dans  le  culte  des  fêtes, 
ou  les  dieux  s'y  présentent  en  figure  de  héros  '. 

11  faut  observer  également  que  le  divin  des  fêtes  leur  est 
souvent  particulier  ;  c'est  l'esprit  même  de  la  fête,  qui 
porte  son  nom  ou  quelque  autre  nom  propre  -;  ce  sont  les 
esprits  divers,  ou  contraires  des  parties,  des  moments  de 
la  fête,  de  ses  antithèses,  pour  ainsi  dire,  et  de  ses  rôles 
opposés.  Xés  sur  le  plan  de  la  \ie  humaine,  au  milieu  des 
hommes,  dont  ils  émanent,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour 
qu'ils  s'élèvent  beaucoup  au-dessus  d'eux  ;  s'ils  prennent 
figure  et  rang  dans  la  hiérarchie  des  figures  divines, 
l'état  qui  leur  convient  est  celui  des  héros,  qui  sont  à  la 


1.  Voiries  équivalences  exposées  par  H.  Usener.  Gôltîiche  Synonyme, 
dans  Rheiniches  Muséum,  t.  LUI,  p.  329.  Associés  héroïques  de  Dio- 
nysos :  L.-R.  Farnell,  o.  l.  t.  V,  p.  100  (Rhesos)  ;  p.  1(58  (Penthée), 
Dionysos  lui-même  est  un  héros,  ibicL,  p.  130;  voir  plus  haut  p.  xii. 
n.  2. 

2.  Divinité  portant  une  épithète  fournie  par  le  nom  d'Hine  fête, 
L.-R.  Farnell,  o.  /.,  t.  V,  p.  120  :  Dionysos  ftîoSat'^to;;  (©eooaÎTÎa), 
npotpjYa.Os  (npoToûyata)  ;  p.  405,  Ares  r->^va'.xo6o'!vaç  (Tcgée,  fête 
sacrificielle  des  femmes)  ;  cf.  p.  129,  'Ic-ooaÎTTjç.  —  Personnifications  de 
la  procession  :  J.-C.  Lawson,  o.  L,  p.  23,  Ilsp-sp'a  (^Ep-uopcta)  nom 
du  personnage  représenté  dans  une  procession  dont  le  but  est  d'obte- 
nir la  pluie.  Cf.  E.  Fischer,  Paparuda  und  Scaloian.  dans  Globes, 
1908,  t.  I,  p.  13  (Roumanie).  —  Personnifications  de  dates  :  l'arrivée 
de  Mars.  Revue  des  traditions  populaires,  l'jO",  p.  181.  —  Personnifica- 
tions de  choses  sacrées,  objets  de  fête  .Retue  des  traditions  populaires. 
1907,  p.  34. 


PREFACE  LXIII 

fois  hommes  ci  dioux  ou  déinons.  Il  leur  rosle,  au  surplus, 
toujours  quelque  chose  des  acleurs,  dans  lesquels  ils 
se  sonl  incarnés  et  avec  qui  ils  se  sont  en  quoique  sorte 
identiliés. 

Convenances  d'une  part,  origines  de  la  représentation 
d'autre  part,  voilà  des  raisons  au  rapport  que  nous  suppo- 
sons entre  les  héros  et  les  fêtes.  Il  en  est  une  autre  toute 
logique. 

Une  KHe  a  une  date  et  elle  est  une  date.  Une  date  de 
fête  est  un  élément  du  temps,  qui  se  distingue  des  autres 
par  des  qualités  particulières  de  telle  nature  que  le  sacré 
peut  s'y  produire  au  milieu  du  profane  ^  L'éternel  y  touche 
au  temj)orel.  Ce  qu'il  ne  perd  pas  à  ce  contact  de  son 
éternité  est  entretenu  par  des  répétitions  sans  fin.  Les 
points  critiques  du  temps  que  sont  les  dates  de  fêtes  for- 
ment, les  uns  par  rapport  aux  autres  et  par  rapport  aux 
autres  repères  du  temps,  des  systèmes  d'éléments  homo- 
logues, qui  sont  tenus  pour  équivalents  et  qui  se  répètent 
les  uns  les  autres  autant  que  faire  se  peut.  Chaque  fêle 
reproduit  donc  une  fête  antérieure  et  toute  la  série  des 
mêmes  fêtes  un  fait  unique,  mythique. 

Cette  répétition  peut  prendre  deux  aspects,  suivant 
l'importance  relative  (elle  est  variable)  des  idées  contra- 
dictoires qu'elle  concilie,  celui  de  la  présence  réelle  et 
celui  de  la  commémoration.  Dans  ce  deuxième  cas,  le  fait 
reproduit  par  la  fête  est  lui-même  situé  dans  le  temps;  c'est 
un  temps  fort  reculé,  mais  qui,  en  fin  de  compte,  tient  tou- 
jours à  l'histoire  ;  il  ne  se  dépouille  pas  de  ses  éléments 


1.  Hubert -Mauss,  Slélanf/es  d'hisloire  des  religions,  p.  189  sqq. 
Etude  sommaire  de  la  représentation  du  temps  dans  la  religion  et  la 
magie. 


l.XW  PREFACE 

chronologiques  ;  sa  reproduction  est  ovant  tout  souvenir  et 
rappel.  Les  personnages  dont  les  gestes  sont  commémorés, 
ou  censés  tels,  ayant  existé  dans  le  temps  et  pris  place 
dans  la  suite  de  Thistoire,  ou  du  moins  on  le  suppose, 
ont  précisément  des  caractères  essentiels  qui,  entre  les 
personnes  div^ines,  distinguent  les  héros. 

Certes,  il  y  a  des  fôtes  qui  évoquent  les  héros,  comme 
tous  les  autres  morts,  pour  qu'ils  viennent  prendre  leur 
part  des  dons  que  leur  réserve  le  culte  ;  mais  s'ils  assistent 
spirituellemenl  à  la  récitation  ou  à  la  reproduction  de  leurs 
actes  héroïques,  c'est  en  auditeurs  ou  en  spectateurs  ;  ils 
ne  refont  pas  eux-mêmes  leurs  gestes  mémorables  et  ne 
subissent  pas  une  deuxième  fois  leur  destinée  tragique.  La 
présence  réelle  est  le  fait  des  dieux.  La  commémoration 
est  l'indice  des  fêtes  de  héros.  Ainsi  s'établit,  par  rapport 
aux  fêtes,  entre  les  dieux  et  les  héros  une  distinction  com- 
parable à  celle  que  nous  avons  déterminée  par  rapport  aux 
sacrifices.  Les  dieux,  qui  s'imposent  à  la  dévotion  ailleurs 
que  dans  les  fêtes,  y  descendent  en  pleine  réalité  \  Les 
héros,  dont  le  culte  est  plus  rare  et  plus  concentré  aux 
fêtes,  y  sont  célébrés  en  figure.  L'histoire  du  dieu  est  une 
description  ;  c'est  un  mythe  à  proprement  parler.  Celle 
du  héros  est  une  tradition,  un  on-dit  du  passé  ;  c'est  une 
légende.  La  permanence,  l'infinité  du  divin  n'appartiennent 
qu'aux  dieux-.  Les  héros  sont  du  divin  de  circonstance, 
discontinu  et  fini.  Le  dieu  est  un  faisceau  d'énergies  vir- 

4.  J.-C.  Lawson,  o.  l.,  p.  o73  :  «  Happening  to  be  in  some  village  of 
Eubœa  during  Holy  Week,  he  had  been  struck  by  the  émotion  which  (he 
Good  Friday  service  evoked  ;  and  observing  the  next  day  the  same 
gênera',  air  of  gloom  and  despondency,  he  questioned  an  old  woman 
about  il  ;  whereupon  she  replied  :  «  Of  course  I  am  anxious  ;  for  if 
Christ  does  not  rise  to  morrow,  we  shall  havé  no  corn  this  year.  » 

2.  K.  Breysig,  o.  Z.,  p.  7. 


( 


PREFACE  LXV 

tiit'lles.  Le  héros  est  un  geste  qui  s'est  fait  une  fois  et  s'est 
fixé  comme  symbole. 

La  ligne  de  j)arlage  entre  les  deux  espèces  est  donc  théo- 
riquement très  nette.  Dans  la  pratique  elle  l'est  moins.  Les 
fôtes  présentent  de  subtiles  combinaisons  de  représentation 
réelle  et  de  commémoration.  Les  fêtes  chrétiennes,  par 
exemple,  commémorent  les  faits  de  la  vie  du  Christ  et  réa- 
lisent sa  présence  dans  un  sacrifice  qui  renouvelle  indéfi- 
niment sa  passion,  ou  bien  réunissent  la  célébration  de  la 
messe  à  la  commémoration  des  saints.  Il  y  a  toujours  une 
part  de  commémoration  dans  les  fêtes  et  par  conséquent 
une  place  de  héros.  Mais  la  commémoration  pure  ne  con- 
tente pas  les  fidèles  des  héros.  Ils  éprouvent  le  besoin  de 
les  rapprocher  d'eux  pour  leur  rendre  de  la  réalité  et  de 
rafraîchir,  pour  ainsi  dire,  leur  idéal  héroïque  ;  ils  le  rajeu- 
nissent en  général  en  le  changeante  Par  ce  procédé  tout 
à  fait  analogue  à  celui  qui  a  fait  remplacer  des  héros 
anciens  par  de  plus  récents,  des  dieux  ont  été  transformés 
en  héros;  pour  vivifier  la  notion  de  leur  présence  et  de 
leur  réalité,  on  les  a  humanisés  et  rajeunis.  Les  dieux  des 
fêtes  tendent  au  type  du  héros;  mais  les  héros  ne  s'écartent 
jamais  tout  à  fait  des  dieux.  On  peut  dire  que  le  type  du 
héros  convient  par  excellence  aux  dieux  des  fêtes.  Le  plan 
de  la  vie  humaine  et  celui  des  activités  divines  se  rencon- 
trent dans  les  fêtes;  les  héros  se  trouvent  à  Tintersection, 
représentants  de  l'un,  instruments  des  autres,  symboles 
divins  des  sociétés.  Ainsi  les  fêtes  donnent  lieu  à  la  forma- 
tion de  personnages  qui,  réunissant  le  divin  et  l'humain, 
sont  des  héros.  D'autre  part,  une  fois  la  notion  de  héros 


1.  Hubert-Maus.?,  o    Z  .  p.  193. 

CZARNOWSKI. 


LXVI  PREFACE 

couslihiôe,  comme  celle  de  dieu,  elles  ont  v\r  un  terrain 
favo!;il)le  ;\  ces  croisements  du  mythe  divin  et  de  la 
léfj^ende  héroïque,  sur  lesquels  TaHenlion  s'est  souvent 
poili'e  ' . 


Il  y  a  des  fêtes  qui  commémorent  effectivement  des  évé- 
nements historiques.  Entre  cette  commémoration  effective 
et  la  commémoriition  conventionnelle  d'événements  mj'- 
thiques  la  différence  originelle  s'efface  toute  seule.  Les 
héros  m^'lhiques,  commémorés  gratuitement,  rejoignent 
les  héros  historiques.  La  différence  de  leur  origine  n'en- 
traîne pas  entre  les  uns  et  les  autres  différence  de  fonc- 
tions. Assez  de  légende,  de  mythe  et  de  religiosité  s'ac- 
cumulent bien  vite  autour  des  faits  et  des  personnages 
historiques  qui  sont  objets  de  fêles,  pour  que  les  uns 
n'aient  rien  à  envier  aux  autres.  En  revanche,  les  héros 
historiques  ont  prêté  aux  héros  mythiques  un  peu  de  leur 
objectivité. 

D'autre  part,  les  rites  à  efficacité  positive  et  pour  ainsi 
dire  phvsique,  dont  on  i)eut  supposer  qu'ils  ont  fait  le 
novau  primitif  des  fêtes  qui  n'ont  pas  été  dans  le  principe 
destinées  à  célébrer  des  exploits  réels,  ont  été  débordés  par 
le  mythe,  quand  elles  sont  devenues  des  fêles  de  héros  ;  le 
but  positif  a  été  dépassé  par  la  repn^entation".  Celle-ci 
est  devenue  à  elle-même  sa  propre  fin.  C'est  précisément  ce 


1.  E.-B.  Tylor,  Primitive  C'dlure,  t.  l,  3°  édit.,  p.  34"^  sqi]. 

2.  Plntarque.  S'ilon,  29  :  vSolon  proleste  quand  Thespis  lui  confesse 
If,  caractéîre  purom  ^nt  représentatif  de  ses  pièces.  Cf.  W.  Ridgcway, 
o.  L,  p   58.  _^    , 


PRÉFACE  LXVH 

qui  s'est  pass(^  dans  les  fêtes  commémoratives.  On  y  repré- 
sente pour  ropivsenter.  Mais,  si  la  partie  de  la  fête  qui  met 
en  scène  le  héros  arrive  h  n'être  plus  que  représentation 
et  jeu,  le  héi-os  lui-môme  se  réduit  en  représentation  pure  ; 
il  est,  en  tout  et  pour  tout,  dramalis  persona.  De  là  vient 
que  tant  de  héros  sont  des  personnages  de  théâtre,  dont 
l'histoire  se  décompose  en  situations,  l'être  en  attitudes  et 
en  gestes  et  dont  le  caractère,  que  rien  d'autre  n'a  dû  déter- 
miner, se  compose,  par  contre,  en  caractère  dramatique. 
IjCs  types  moraux  que  le  drame  a  mis  en  scène  ont  pu  se 
locfer  sous  des  masques  vides  de  héros. 

11  ne  suffit  même  pas  de  dire  que  la  représentation  dra- 
matique de  faits  héroïques  déborde  le  rituel  positif  de  la 
fête.  Elle  constitue  elle-même  un  rite  distinct.  C'est  en 
tout  cas  un  élément  de  surcroît,  ajouté  aux  autres  parties 
de  la  fête.  Il  est  indépendant  de  celles-ci  et  finit  par  l'être 
de  la  fête  elle-même.  Quelque  nécessaire  qu'on  puisse  la 
supposer  t\  l'origine,  la  relation  du  héros  et  du  drame,  du 
m\ihe  et  de  la  fêle  apparaît,  à  prendre  l'ensemble  des  faits, 
comme  assez  lâche.  Les  fêtes  changent  de  mythe  ^.  Les 
mythes  changent  de  fêtes  et  l'on  sait  que  les  fêtes  à  repré- 
sentations dramatiques  ont  admis  d'autres  drames  que  ceux 
dont  leurs  propres  héros  étaient  les  sujets.  Elles  deman- 
daient des  représentations,  mais  la  pièce  représentée  leur 
était  indifférente.  Cette  autonomie  relative  du  drame  à 
l'égard  de  la  fête  a  été  certainement  en  Grèce  la  condition 
de  son  essor  définitif.  Les  héros  y  ont  gagné.  Ils  ont  bénéfi- 
cié de  l'expérience  humaine  et  de  la  réflexion  que  les  hommes 
ont  portée  sur  eux-mêmes  dans  leur  travail  littéraire. 

1.  Exemple  :  L.  R.  FarnoII,  o.  !..  t.  y,  p.  191. 


lAVIlI  Pnh'lFACE 

L'Iiéroïsalion  so  produit  ou  cours  iVuu  processus,  qui 
s'achève  avec  le  développement  du  drame.  Il  commence 
en  religion  et  se  termine  en  esthétique.  Dans  cette  évolu- 
tion de  la  représentation  dramatique  et  de  la  fête,  le 
héros,  être  religieux,  s'est  donc  lapproché,  jusqu'.^  le 
rejoindre,  du  héros  littéraire.  Ce  n'est  pas  dire  qu'ils 
fussent  identiques  dès  l'origine,  que  le  premier  ne  fût 
pas  solidement  implanté  dans  la  pratique  religieuse,  ni 
même  qu'il  soit  complètement  ou  rapidement  sorti  de  la 
religion.  Pour  pratique  que  soit  la  religion,  la  représen- 
tation pure  y  a  sa  place  et  elle  est  grande.  Laisser  en 
dehors  de  la  religion  le  mythe,  quand  il  n'est  pas  unique- 
ment employé  à  nourrir  la  piété  et  à  donner  un  sens  au  rite, 
nous  paraît  non  seulement  rétrécir  la  religion,  mais  l'ap- 
pauvrir. Un  insatiable  besoin  de  réalité,  mais  aussi  un 
irrépressible  besoin  de  fantaisie  la  mènent.  Tous  deux 
d'ailleurs  se  contentent  t\  bon  marché;  mais,  en  reli-, 
gion,  comme  dans  l'ensemble  de  la  vie  humaine,  l'ima- 
gination devance  l'activité  positive  et  finit  par  lui  donner 
des  objets. 

La  religion  ne  se  passe  pas  d'imagination,  mais  l'imagina- 
nation  qui  la  sert  est  religieuse.  L'exemple  des  héros  est 
précisément  fait  pour  montrer  que,  quand  la  repré.sentation 
s'est  émancipée,  le  mythe  garde  assez  de  valeur  pratique 
pour  suppléer  à  ce  que  l'appui  du  rite  ne  lui  donne  plus. 
En  se  déliant  de  tout  rapport  direct  et  spécial  avec  cer- 
tains rites,  certaines  fêtes,  certaines  notions  et  certains 
besoins  religieux,  la  représentation  du  héros  ne  perd  pas 
d'un  seul  coup  toute  espèce  de  sens,  de  contre-partie  senti- 
mentale et  morale.  Elle  n'est  jamais  un  simple  jeu  d'imagi- 
nation, dénué  d'intérêt  et  de  portée  pourceux  qui  s'y  livrent. 


PREFACE  LXIX 

Imogc  lumineuse  qui  surgit  d'obscures  réncxioiis,  clic  est 
un  [uMe  (rjvHi'iicliun  pour  les  pensées  floUanlcs  elles  scnli- 
ments  confus  ;  elle  est  aussi  un  principe  d'action  ^  On  peut 
dire  des  héros,  comme  des  saints,  que  leur  vie  est  édifiante, 
édilicalrice  de  valeurs  qui  ne  sont  pas  les  mômes,  mais  que 
les  religions  n'ont  pas  dédaignées.  Le  spectacle  de  leurs 
faits  et  gestes  donne  des  exemj)les  efficaces  d'énergie,  de 
courage,  de  bon  cœur,  môme  de  bonne  liumcur  et  de  gail- 
lardise. La  fête  à  laquelle  les  fidèles  prennent  part  est  une 
source  de  bienfaits  moraux,  parmi  lesquels  il  faut  compter, 
au  minimum,  le  réconfort  et  la  distraction-. 

Symboles  divins  des  sociétés,  acteurs  idéaux  de  leur  his- 
toire, modèles  de  mérite,  exemples  de  veitu,  types  moraux 
et  caractères,  les  héros  ont  passé  par  échelons  du  héros  de  la 
religion  à  celui  de  la  littérature,  dans  l'évolution  du  drame 
et  de  l'épopée  qui  procèdent  des  fêles.  Tous  les  héros,  à 
quelque  degré  que  ce  soit,  étant  des  symboles  et  des  types, 
aident  les  hommes  et  les  groupes  d'hommes  à  prendre 
conscience  d'eux-mêmes.  A  chaque  échelon,  leur  représen- 
tation garde  toujours  une  sorte  de  valeur  pratique,  dont  la 
religiosité  ne  varie  et  ne  s'atténue  qu'insensiblement.  On 
ne  saurait  marquer  le  point  où  elle  s'abolit  tout  à  fait. 
Dans  l'étude  des  héros,  comme  dans  celle  des  fêtes,  la 
part  de  la  religion  et  celle  de  l'esthétique  ne  peuvent  à 
aucun  moment  être  exactement  dosées. 

M;iis,  dans  la  mesure  où  il  tend  vers  le  héros  histo- 
rique et  surtout  vers  le  héros  de  roman,  le  héros  s'éloigne 


1.  H.  Jacoiii.  dans  Uostings.   o.  i.    p.   Go'J,  du    sentiment  de  bhakti 
appliqué  au  héros,  W.  Wundt,  Vôlkerpsychologie,  t.  IV,  p.  65  sqq. 

2.  E.  Durkheim,  Les  formes  élémentaires  de  la  vie  religieuse,  p.  537 
sqq. 


LXX  PRÉFACE 

du  dieu.  Ils  se  spécialisent  chacun  dans  leur  sens  et  se 
font  chacun  leur  domaine.  Au  dieu,  les  forces  cosmiques  ; 
au  héros,  l'ingéniosité,  la  valeur  et  la  misère  humaine. 
Us  diffèrent  comme  le  mythe  et  la  légende.  L'un  se  dirige 
vers  la  métaphysique;  l'autre  penche  vers  l'histoire  et  le 
conte.  Nous  sommes  jiortés  à  croire  que  c'est  un  penchant 
de  nature.  Nous  ne  connaissons  en  effet  l'histoire  des  héros 
que  par  des  drames,  des  épopées  ou  des  récits  qui  sont 
des  résumés  d'épopées  ou  des  di*ames  en  puissance. 
Cette  affinité  des  héros  avec  la  littérature  s'explique,  s'il 
est  vrai  que  les  fêtes,  qui  ont  fait  appel  à  ses  essais 
informes,  réunissent  les  conditions  dans  lesquelles  a  pu 
se  former  la  notion  de  héros  et  se  déterminer  ses  carac- 
tères, si  tout  au  moins  son  développement  est  en  étroite 
relation  avec  elles.  Mais  nous  ne  saurions  dire  que  tous 
les  héros  procèdent  des  fêtes.  Nous  croyons  seulement 
que  les  héros  des  fêtes  sont  les  plus  vivants,  les  {)lus  colo- 
rés, les  plus  populaires  et  les  plus  typiques,  que  les  fêtes 
constituent  des  circonstances  éminemment  favorables  à 
leur  représentation  et  que  l'exemple  fourni  par  les  fêles 
est  celui  qui  explique  le  mieux  comment  les  sociétés  se 
sont  pourvues  de  héros.  C'est  dans  les  fêtes,  où  elles  se 
concentrent,  qu'elles  peuvent  se  donner  la  plus  complète 
représentation  d'elles-mêmes  sous  les  esf)èces  de  leurs 
emblèmes'.  Le  rôle  que  tiennent  [)ar  exemple  les  totems 
dans  les  fêtes  des  sociétés  australiennes  a  été  naturellement 
dévolu  aux  héros  par  les  sociétés  qui  peuvent  se  recon- 
naître en  eux. 


1.  Par  exemple  les  fêtes  de  métiers  :  yaKxs.la.  L.-R.  Farnell,  o.  /.,t.  V, 
p.  378.  Sur  la  concentration  de  la  vie  sociale  irlandaise  aux  fôtes,  cf. 
O'Gurry,   Manners  and  Customs,  t.  II,  p.  44;  t.  III,  p.  ai'2  eq. 


PREFACE  I.XXI 


IV 


.Nous  avons  dit  quolle  place  la  tragédie  grecque  faisait  à 
des  scènes  funéraires.  Pourquoi  d'ailleui's l'imagination  des 
hommes  s'est-ello  complue  à  se  rcpiésenler  la  mort  des 
héros?  I>e  leui-  existence  dramatique  c'est  toujours  le  prin- 
cipal épisode.  Le  fait  se  comprendrait  si,  par  une  nécessité 
de  nature,  le  héros  devait  figurer  comme  victime  dans  un 
sacrifice  réel  ou  idéal.  Les  héros  du  drame  saisonnier,  que 
Ton  a  supposé  à  l'origine  de  la  tragédie,  meurent  parce 
que  ce  qu'ils  symbolisent  soud're  ou  disparaît  ;  leurs 
triomphes  sont  temporaires  et,  en  fait,  les  héros  des  fêtes 
saisonnières  triomphent  moins  qu'ils  ne  pâtissent'.  Mais, 
si  l'héroisation  est  indépendante  de  tout  rituel  dont  un 
incident  puisse  être  représenté  par  la  mort  du  héros,  pour- 
quoi donc  le  héros  meurt-il?  Les  héros  qui  n'ont  pas  vécu 
meurent  à  l'image  de  ceux  qui  sont  morts,  parce  qu'ils 
revêtent  leur  condition  humaine.  Sans  doute.  Mais  ils  pour- 
raient mourir  sans  bruit  et  passer.  Non  pas.  Leur  moit,  fiit- 
elle  tranquille,  n'est  jamais  banale.  Elle  a  toujours  quelque 
chose  de  singulier,  de  surprenant,  de  tragique  ou  d'édifiant 
qui  attire  l'allenlion.  Souvent  elle  a  le  caractère  d'une 
épreuve.  On  nous  dit  que  les  héros  devaient  passer  à 
l'épreuve.  Mais  pourquoi  fallait-il  qu'ils  y  succombassent  ? 

La  motl  du  héros  est  un  élément  de  sa  définition.  En 
Grèce,  son  sanctuaire  est  un  tombeau  ;  son  culte,  un  culte 


1.  La  comparaison  du  coucher  du  soleil  à  la  mort  a  fait  traiter  le 
fliiMi  Solaire  en  héros  :  J.  Hliys,  Cellic  healhendom,  p.  383  sqq.,  The 
siin  hero.  Cf.  W.  Wundt,  Vôlkerpsychologie,  t.  IV,  p.  51. 


LXXII  PRÉFACE 

funéraire,  où  il  reçoit  les  services  qui  sont  dus  aux  morts. 
En  Irlande,  les  fôtes,  fôtes  de  héros,  avaient  pour  llu'Alre 
des  cimetières;  elles  se  célébraient  entre  des  lumulus 
funéraires,  parmi  lesquels  se  trouvait  la  tombe  du  héros 
ou  de  rhéroïne  dont  elles  commémoraient  la  mort.  On  ne 
court  aucun  risque  à  généraliser.  11  est  vrai  qu'un  grand 
nombre  de  tombeaux  héroïques  ont  été  usurpés  ou  vides. 
Il  y  en  eut  de  supposés.  En  Irlande,  chaque  tertre,  chaque 
bulle  naturelle  ou  artificielle  est  un  ,s/rf/t,  c'est-à-dire,  en 
fin  de  compte,  un  tombeau,  et  les  personnages  dont  les 
noms  s'y  attachent  sont  des  héros.  Qu'il  y  ait  eu  des 
héros  imaginaires  et  mythiques,  on  en  tombe  d'accord. 
Mais  que  les  héros  en  général  aient  été  représentés 
comme  des  morts,  le  fait  n'est  pas  contesté.  Or  c'est  la 
représentation  qui  importe.  Héros  et  morts  sont  notions  qui 
s'appellent  ;  culte  des  héros  et  culte  des  morts  sont  choses 
connexes  et  qui  varient  ensemble*. 

Il  en  est  encore  d'autres  preuves.  En  Grèce,  par  exemple, 
on  constate  que  tous  les  dieux  qui  évoquent  en  quelque 
façon  l'idée  des  morts,  par  la  position  de  leur  sanctuaire, 
par  leur  habitat,  par  leurs  attributions,  leurs  aventures  ou 
leur  mode  d'action  se  rapprochent  des  héros  ou  peuvent 
compter  parmi  eux  ;  tels  sont  les  dieux  chthoniens,  tels 
sont  les  dieux  guérisseurs,  qui  révélaient  leurs  secrets  par 
le  songe,  comme  les  morts,  et  les  dieux  de  la  possession'-. 

Quant  aux  personnages,  probablement  exceptionnels, 
dont  rhérojsation  semble  avoir  devancé  la  mort,  ou  bien  la 
mort  est  passée  si  près  d'eux  qu'ils  en  sont  restés  touchés, 

1.  A.-C.  Haddon,  fleroes  and  hero-gods,  dans  Hastings,  o.  /.,  t.  Vf, 
p.  636. 

2.  J.  llarrison,  Prolegomena  lo  the  sludy  of  Greek  religion, \).  323 sqq. 


ritEFACK  LXXIIl 

comme  les  martyrs  cpargiiés ',  ou  bien  ils  sont  morts  par 
figure,  morts  au  monde.  M.  Czarnowski  incline  à  considérer 
riiéroïsation  comme  une  sorte  d'initiation',  dont  la  mort 
était  l'agent  ordinaire  mais  qui  pouvait  faire  défaut  ;  nous 
croyons  en  effet,  pour  prendre  un  exemple,  que  l'initia- 
tion compliquée  des  compagnons  de  Finn  était  de  nature 
ù  les  héroïser  avant  la  lettre  '  ;  or,  quand  on  a  voulu 
représenter  l'initiation  ou  l'expliquer  en  termes  de  lan- 
gage courant,  on  a  généralement  recouru  à  la  figure  de 
la  mort  et  de  la  résurrection.  Enfin,  à  l'intime  relation  des 
héros  et  des  fêtes  conviennent  leurs  caractères  de  morts, 
car  les  fôtes  sont  des  dates  du  culte  funéraire  et,  s'il  est 
des  esprits  dont  la  part  qu'ils  prennent  aux  fêtes  soit 
expressément  mentionnée,  ce  sont  les  esprits  des  morts*. 
Mais  serait-ce  la  mort  qui,  en  fin  de  compte,  héroïserait 
et  n'avons-nous  pas  fait  fausse  roule  en  cherchant  d'un  autre 
coté.^Un  tombeau,  un  nom,  une  date,  un  geste  mythique, 
voilà  la  substance  d'une  légende  et  d'un  culte  héroïque. 
Celte  réunion  d'éléments  procède-l-elle  de  la  mort?  Le 
héros  est-il  à  jjro[)rement  parler  un  mort  puissant,  un 
mort  à  tnana  ?  La  notion  de  mort  puissant  contient-elle  en 
substance  tout  ce  que  développe  celle  du  héros  *,  celle  de 
mort,   tout  ce  que  suppose  celle  de  mort  puissant?  Au 


1.  E.  Lucius,  An  fange  des  Ileiligenkults,  p.  61  sqq. 
i.  Czarnowski.  p.  18:j.   1<j7. 

3.  Cf.  Ch.  Sqilire,  The  mythology  of  Ihe  British  Islands,  1910,  p.  207. 

4.  0.  Sclirarlf*r,  An/an  religion,  dans  Ilastings,  o.  l.,  t.  IF.  p.  25. 
P.  Haupt.  l'urim,  p.  19  Hans  Schmidt.  Jona,  p.  111.  Cf.  W.  Wundt, 
Elemenle  der  Vûlkerpsychologie,  p.  140  :  Und  unler  den  GôltiTkidten 
sind  es  vornchmiich  jene,  in  dcncn  Seelcnkiill  und  Jensiilsvorslel- 
Iiingen  ziisanimcngodosson  sind.  in  denen  sich  die  Molive  zii  dieser 
dramatisrhen  Wciterbildung  der  lilurgisclien  Ilandiungen  zusammen- 
Dnden. 

5.  Cf.  E.  Rohde,  o.  l,  1,  p.  146  sqq.  :  Lueius,  /.  /..  p.  20. 


LXXIV  PREFACE 


pii'inior  examen,  le  mort  paraît  èlre  lorigii)ai  du  .'icros,  le 
iDOil  ou  rancèlre.  Telle  est,  seniblc-t-il  la  réponse  des  faits 
à  la  question  que  nous  posions. 


Il  y  a  mopis  et  morts.  Les  héros  sont  des  morts  d'une 
nature  particulière  qui  les  sauve  de  l'oubli  où  tombent 
les  autres  moris.  Ce  sont  des  morts  qui  ne  meurent 
pas.  Partout  les  morts  s'éloignent  des  vivants  en  troupes 
d'ombres  pâles  et  anonymes'.  Même  là  où  la  croyance 
à  la  vie  future  est  la  mieux  assurée,  là  mémoire  des  géné- 
rations passées  s'efface  vite.  La  rude  personnalité  des  héros 
épiques  se  détache  en  traits  violents  sur  ce  fond  terne. 
Ce  n'est  pas  le  souvenir  d'une  énergie  éteinte  qui  s'attache 
à  leur  nom,  mais  une  image  toujours  présente  et  toujours 
rafraîchie.  Quand  le  héros  est  représenté  sur  le  plan  des 
autres  morts,  le  contraste  qui  heurte  sa  faiblesse  de  mort  à 
son  éminenle  dignité  de  héros  est  choquant  et  pathétique. 
«Comme  j'aimerais  mieux,  dit  Achille,  travailler  la  terre  aux 
gages  d'autrui,  chez  un  pauvre  paysan,  à  la  huche  mal  gar- 
nie, que  de  régner  ici,  comme  Hades,  sur  les  morts  ^  » 
Achille  ne  sait  rien  des  siens  et  ne  peut  rien  pour  eux.  A  la 
vérité,  les  hommes  ont  demandé  aux  héros  les  mêmes  ser- 
vices qu'aux  autres  morts,  quand  ceux-ci  ne  sont  pas  encore 
oubliés.  Les  morts,  qui  tiennent  aux  deux  mondes,  sacré  et 
profane,  sont  en  position  den  rendre;  c'est  la  contre-partie 
des  soins  religieux  dont  ils  sont  ^objet^  Ils  ont  des  vues 

1.  K.  Breysig,   o.  l.,  p.  177. 

2.  Homère.  Odyssée,  XI,  4^i0  sqq. 

3.  Oracle  de  héros  :  E.  Bohde,  o.  l.,  t.  I,  189  sqq. 


PBÉPACE  LXXV 

sur  rau-del;\;  on  les  consulte.  Ce  sont  des  forces  désinté- 
grées, disponibles,  mais  non  pas  indépendantes,  dont  les 
vivants  peuvent  conli-ôier  l'application,  s'ils  ont  le  moyen  de 
s'en  saisir.  Mais  on  a  lomarqué  que  les  héros,  à  ce  point  de 
vue,  n'excelleni  pas  parmi  les  morts  et  ne  justifient  pas  le 
culte  exceptionnel  qui  leur  est  rendu*.  S'ils  l'emportent 
sur  les  autres,  ce  n'est  pas  par  leur  pouvoir,  mais  par 
l'appel  plus  fivquent  qui  y  a  été  fait;  c'est  par  le  sou- 
venir qui  s'attache  à  eux  et  les  désigne  aux  solliciteurs. 

Le  souvenir  même  de  leur  vie  terrestre  est  le  plus  clair 
de  leur  veitu.  C'est  parce  qu'ils  ont  servi  les  leurs  de  leur 
vivant  qu'ils  ne  cessent  de  leur  pièler  l'aide  la  plus  efficace. 
La  puissance  bienfaisante  qui  leur  reste  est  celle  de  leur 
mythe.  Us  ont  une  force  d'exemple  et  de  réconfort,  et  l'on 
pense  moins  à  la  condition  et  aux  dons  surhumains  de 
leur  âme  immortelle  que  l'on  ne  se  rappelle  leurs  gestes  de 
vivants.  Quand  les  ombres  de  ses  compagnons  achéens 
eurent  épuisé  le  peu  de  vie  qu'elles  avaient  retrouvé  au 
sang  du  sacrifice.  Ulysse  vit  défiler  d'autres  ombres^,  celles 
de  héros  plus  anciens;  Minos,  un  sceptre  à  la  main, 
jugeait  les  morts;  Orion  chassait  encore  sur  la  plaine 
d'asphodèle  les  bêtes  qu'il  avait  tuées;  Tilyos,  Tantale, 
Sisyphe,  dans  leur  attitude  consacrée,  se  détachent  sur 
le  fond  d'oubli  en  bas-rchefs;  l'ombre  d'Hercule  tire  de 
l'arc^  ;  mais  Hercule  lui-môme  n'est  pas  là,  vivant  en  liesse 
avec  les  dieux  immortels,  soustrait  à  la  mort  ou  réellement 
divinisé. 

Mais  il  y  a  d'autres  héros,  dont  on  a  attendu  des  secours 

I.  K.  Breysig,  o.  L,  pp.  G,  177. 
i.  Homère,  Odyssée,  XI.,  568  sqq. 
3.  Ihid.,  601,  sqq. 


LXXVl  PREFACE 

positifs,  sans  qu'ils  fussonl  j)oiir  oiitniil  ossimilés  aux  dieux. 
Arlluir  en  est  un;  mais  il  n'était  pas  mort  et  pouvait  reve- 
nir'. A  Castor  cl  PolUix,  auxquels  la  mort  laissait  des 
congés,  Grecs  et  Latins  ont  su  gré,  en  plusieurs  occasions, 
do  retours  opportuns  et  d'une  aide  efficace ^  Le  cas  d'Ar- 
lliur  n'est  pas  plus  exceptionnel  chez  les  Celtes  que  celui 
d'Hercule  chez  les  Grccs\  Nombreux  sont  les  héros,  et 
particulièrement  en  Irlande,  qui  ont  échappé  à  la  déchéance 
de  la  mort;  leur  mort  est  une  transgression  des  portes  inter- 
dites; c'est  ce  qui  en  fait  l'éclat  digne  de  mémoire;  ils 
sont  entrés  vivants  dans  le  monde  des  morts;  mais  ils  y 
vivent  ;  il  en  est  même  qui  savent  en  revenir*. 

En  somme,  si  l'activité  posthume  des  héros  se  distinguo 
de  celle  des  autres  morts,  c'est  par  des  actes  de  vivants, 
dont  ils  sont  crus  capables  pour  avoir  vaincu  la  mort.  S'ils 
ont,  en  tant  que  morts,  des  mérites  spéciaux,  c'est  par  ce 
que  leurs  reliques,  quand  il  en  reste,  conservent  encore 
de  leurs  vertus  et  de  leur  force,  c'est-à-dire  de  leur  vie^  Le 
culte  des  héros  comporte  un  culte  de  reliques  et  le  culte 
des  rehques  est  un  culte  de  puissances  présentes.  Mais  ils 
vivent  toujours  en  quoique  manière  i)ai'  le  souvenir  et  le 
mythe.  Honorés  comme  morts,  le  fait  de  la  mort,  n'ajoute 
rien  aux  raisons  essentielles  qui  leur  font  rendre  un  culte. 
Leur  prestige  ne  devrait  rien  à  la  mort,  si  celle-ci  n'ache- 
vait les  épreuves  qui  les  consacrent;  leur  pouvoir  surna- 


1.  J.  Rh>s,  Celfic  folk-lore,  p.  493  sqq. 

^.  Sur  la  légende  de  la  bataille  du   lac  Régillc,  cf.  G.  Wissowa. 
Religion  und  Kul/iis  cler  Romer,  p.  216. 

3.  Rhesos  :  Euripide,  Rhesos.  970  sqq.  L.-R.  Farnell,  o.  L,  t.  V,  p.  100. 

4.  A.  Null-K.  Meyer,    The  voyage  of  Bran,  189b,  2  vol. 

u.    Fr.    Pfislcr,   Der   Rel'"{uienkult  im  Allertum,  1,  1909,   cf.   Année 
sociologique,  t.  XII,  p.  247. 


PRIiFACE  LXXVU 

luivl  y  [)cn\;  celui  des  autres  morts  y  gag-no.  Ce  sont  évi- 
demment des  morts  puissants,  mais  en  vertu  de  leur  vie, 
par  la  ténacité  de  celle-ci'  et  non  pas  parce  qu'ils  possèdent 
d'éminenles  qualités  de  morts.  11  est  fort  exact  que  les 
héros  sont  des  morts,  mais  c'est  ce  qui  les  différencie  des 
morts  qui  en  fait  des  héros.  Ce  n'est  pas  la  mort  qui  les 
liéroïse.  La  considération  qui  s'attache  au  héros  ne  procède 
pas  de  celle  qui  a  pu  entourer  de  craintes,  de  respects  et 
de  soins  les  âmes  immortelles  des  hommes,  quels  qu'ils 
soient. 

On  lit  dans  VYnglinga  Saga  que,  le  dieu  Frey,  qui 
régnait  sur  la  Suède,  étant  mort,  sa  famille  le  cacha  dans  un 
lumulus  construit  en  manière  d'habitation  et  dissimula  sa 
mort  aux  Suédois  jusqu'à  ce  que  ceux-ci  fussent  rassurés 
^  ir  les  conséquences  de  sa  disparition  par  une  continuité 
(le  bonnes  récoltes  ■. 

Ce  récit  donne  l'exacte  mesure  de  ce  que  valait  un 
liéros  mort.  Les  héros  sont  de  ces  personnages  dont  on  ne 
peut  pas  croire  qu'ils  meurent  ou  dont  la  mort,  n'étant 
jamais  escomptée,  est  une  éternelle  surprise,  éternellement 
léplorée.  Les  heureux^  les  puissants  et  les  forts  sont  natu- 
rellement l'objet  de  pareils  sentiments.  La  croyance  à 
l'immortalité  de  l'Ame  triche  avec  la  mort,  par  laquelle 
sont  inopinément  brisées  des  vies,  qui  devraient  continuer. 
L'immortalité  des  chefs  a  précédé  celle  du  commune  Yoilà 
pourquoi  les  héros  vivants  ou  immortels  surnagent  entre 
les  morts. 

1.  K.  Breysig,  o.  l.  p.  177. 

■2..  Ynglinga  Saga,  XII,  dans  The  Saga  Librarg,  t.  III.  p.  22.  Cf. 
.M.-E.  Scaton,  dans  llastings,  o.  l.,  t.  VI,  p.  667.  Frey  se  présente  dans 
ce  passage  comme  une  sorte  de  roi-dieu. 

:; .  W    Wundt,  Elemenle  der  Vôlkerpsychologle.  p.  39^. 


LXXVIII  PREFACE 


Mais  la  nolion  de  la  mort  n'est  pas  une  notion  claire, 
simple  et  partout  la  m<>me.  Discourir  en  général  sur  la 
représentation  de  la  mort  et  des  morts  sans  les  définir  est 
h  peine  légitime.  Elles  présentent  des  variantes,  dont  les 
affinités  avec  la  représentation  des  héros  méritent  d'être 
prises  en  considération.  M.  Czarnowski  s'y  est  arrêté. 

\J Ynglinga  Saga  ajoute  que,  lorsque  les  Suédois  ont 
connu  la  mort  de  Frey,  ils  se  sont  gardés  de  brûler  son 
corps,  selon  l'usage,  mais  l'ont  conservé  dans  le  tumulus, 
pour  l'avoir  près  d'eux'.  Si  la  nolion  de  la  mort  est  hési- 
tante et  incertaine,  elle  est  constante  en  un  point.  Nulle 
part  on  ne  s'est  représenté  la  mort  comme  un  départ  brusque 
et  définitif^,  A  son  premier  coup,  la  vie  s'attarde  encore 
autour  du  cadavre.  Partout  on  s'est  imaginé  un  état  passa- 
ger de  demie  mort,  qui  dure  ou  peut  durer  tant  que  n'est 
pas  achevée  la  décomposition  cadavérique.  A  ce  premier 
stade  de  la  mort  correspond  une  première  série  de  rites 
funéraires,  veillée  funèbre,  sépulture  provisoire,  etc. 

On  verra  que  J\I.  Czarnowski  assimile  la  condition  des 
héros  irlandais  à  cet  état  intermédiaire  entre  la  vie  et  la 
mort  par  lequel  passent  tous  les  morts,  mais  qui  se  prolon- 
gerait pour  eux  indéfiniment.  Il  en  donne  des  exemples 
significatifs^.  D'autre  part  la  Grèce,  pays  à  héros,  est  un 


1.  Ynglinga  Sarja,  XIII,  l.  /..  p.  29. 

2.  R.  Hertz,  Conlrihulion  à  une  éJude  sur  la  représentation  collective 
de  la  mort,  dans  Année  >>ociologique,  t.  X.,  p.  48  sqq. 

3.  Czarnowski,  p.  139.  O'Curry,  Manners  and  customs  of  the  ancient 
Irish,  t.  I.  p.  cccxxi. 


r-RKPACE  LXXIX 

pays  h  vampires'.  Les  vami)iro.s,  lanlôl  danj^ereux  et  mé- 
chants, lantôl  bienfaisants  et  malhoureux,  sont  des  morts 
qui  ne  sont  pas  morls  tout  h  fait;  lein*  corps  n'a  pas  pu  se 
(lécompospr  comme  il  faut,  soit  que  les  rites  funéraires 
n'aient  pas  été  complètement  exécutés  h  leur  égard,  soit 
qu'ils  aient  manqué  leur  eiïel;  leur  Ame  n'a  pas  quitté 
leur  corps.  Or,  plusieurs  exemples,  souvent  cités,  mon- 
trent que  la  croyance  des  Grecs  incorporait  l'éner^e 
posthume  des  héros  t\  leur  d(''pouille  mortelle.  Lorsque 
Clisthène,  tyran  de  Sicyone,  dont  il  a  été  question 
plus  haut-,  voulut  faire  échec  au  pouvoir  que  le  héros 
argien  Adraste  était  encore  caprdjie  «l'exercer  sur  sa  ville 
il  y  lit  apporter  les  restes  de  son  ennemi  particulier,  Méla- 
nippe,  (ils  d'Astacos.  La  tradition  grecque  relative  aux  héros 
conserve  le  souvenir  d'un  tem[)s  où  les  prédécesseurs  des 
(Irecs  historiques  n'incinéraient  pas  les  morts,  mais  les 
inhumaient  dans  des  tombeaux  qui  étaient  des  chambres 
funéraires'.  Les  tombes  héroïques,  en  Grèce,  étaient  des 
HôXo:,  c'est-ô-dire  des  chambres  voûtées,  des  tombes  my- 
céniennes, des  habitations  des  morts,  comme  les  grands 
tombeaux  mégalithiques  d'Irlande,  qui  étaient  les  palais  de 
Trtafha  dé  Danann.  En  somme,  tandis  que  l'on  s'efforçait, 
pour  la  grande  masse  des  morts,  de  faciliter,  de  hâter  la 
désapproprialion  dw  corps,  le  départ  de  l'âme,  on  pensait, 
semble-t-il,  l'avoir  empêché  pour  les  héros. 

Ce  rapprochement  de  faits,  s'il  est  légilime,  fournit  une 
solution  de  la  difficidté  énoncée  plus  haut.  On  s'e.xplique- 
rait  de  la  sorte  qwe  les  héros  conservassent  après  la  mort 

1.  J.-C.  Lawson.  o.  l.,  p.  991  sq..  4li  sqq. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  i.ii,  n.  1. 

3.  W.  Ridîîeway,  Eavly  âge  of  Oreece.  p.  oOS  sqq. 


LXXX  PREFACE 

leurs  qualités  de  vivants,  en  y  gagnant  quelque  liberté 
dacliou,  un  peu  de  mystère  et  de  surnaturel.  Ils  entreraient 
d'ailleurs  logiquement  et  régulièrement  dans  la  classifica- 
tion des  morts.  Ce  sont  des  morts  qui,  pour  une  certaine 
raison,  n'ont  pas  dépouillé  leur  ftme.  La  raison  vaut-elle 
plus  que  l'effet?  Peut-être.  En  tout  cas,  c'est  au  tombeau, 
i\  la  relique,  suggérant  l'idée  qu'une  vie  latente  y  est 
enfermée,  capable  de  se  réveiller  avec  sa  puissance,  que 
s'adressent  en  fin  de  compte  la  révérence  et  le  culte. 
L'entretien,  le  service  et  l'usage  de  cette  puissance 
assoupie  font  l'objet  et  la  raison  de  celui-ci. 

Toutefois,  nous  n'avons  pas  comparé  sans  scrupule  à  des 
corps  de  vampires  les  reliques  de  héros.  Quand  Cimon  rap- 
j)orta  à  Athènes  celles  de  Thésée,  c'étaient  des  os  bien  secs. 
Les  morts  des  maisons  funéraires,  comme  les  momies  égyp- 
tiennes, avaient  passé  par  tous  les  degrés  du  rituel  puri- 
ficateur qui  achève  le  stage  des  morts.  La  comparaison 
proposée  entre  la  condition  posthume  des  héros  et  l'état 
premier  de  la  mort  vaut  certainement  comme  figure,  nous 
sommes  moins  sûrs  qu'elle  vaille  comme  raison,  au  moins 
comme  raison  générale  de  l'héroïsation. 

Mais,  dans  un  cas  aussi  complexe,  nous  n'en  sommes  pas 
à  un  facteur  près.  M.  Czarnowski  explique  en  effet  fort  ingé- 
nieusement d'une  autre  façon,  par  l'idée  que  les  Celtes  se 
faisaient  de  la  mort  définitive,  non  seulement  les  espérances 
de  salut  qu'ils  attachaient  aux  héros,  mais  l'aptitude  générale 
de  ceux-ci  à  remplir  un  nombre  indéfini  de  fonctions  divines. 
Les  héros,  selon  les  Irlandais,  sont  capables  de  revenir 
sur  terre  en  se  réincarnant.  Or  toutes  les  âmes  indifférem- 
ment peuvent  se  réincarner.  La  mort  les  rend  disponibles. 
C'est  sous  celte   forme  que  les  Irlandais  ont  conçu  la  vie 


PRKFACE  LXXXI 

d'oulre-tombe.  Elle  remplit  un  réservoir  de  vie  que  sans 
cesse  vident  les  naissances.  Le  pays  des  morts  est  le  ber- 
ceau de  la  vie.  Les  âmes  en  sont  sorties,  par  troupes  à 
l'origine,  puis  une  à  une,  pour  peupler  la  terre  des  vivants. 
Cette  représentation  d'une  immortalité  qui  se  déroule  en 
réincarnalions  est  apparemment  en  contradiction  avec  celle 
d'une  survie  et  d'une  mort  incomplète  que  nous  venons 
d'examiner,  car  la  transmigration  ne  peut  commencer 
qu'au  moment  où  la  mort  a  produit  toutes  ses  conséquences 
et  quand  le  corps  est  complètement  désaffecté.  Mais  il  ne 
faut  pas  s'arrêter  à  cette  contradiction;  toutes  les  notions 
religieuses  en  comportent  et  en  concilient.  Celle  des  héros 
parait  s'accommoder  d'une  pareille  représentation  de  la 
mort  et  de  ses  conséquences.  L'immortalité  commune  des 
morts  est  alors  la  raison  et  la  condition  de  leur  propre  immor- 
talité. Môme,  la  mort  qui  les  consacre  dans  l'épreuve  oij  ils 
succombent,  les  met  en  mesure  d'exercer  plus  efficacement 
leur  vertu  après  une  autre  naissance.  D'ailleurs,  les  âmes 
ne  se  distinguent  en  aucune  façon,  ni  dans  l'autre  monde 
où  elles  doivent  affiner,  ni  dans  ce  monde  où  elles  s'agitent, 
des  autres  esprits  et,  en  particulier,  de  ceux  qui  circulent 
en  troupe  invisible  dans  les  fêtes.  Le  réservoir  des  uns  et 
des  autres  est  le  môme  et  fournit  à  tout  indifi'éremment;  les 
mômes  esprits  deviennent,  selon  les  hasards  de  leur  affec- 
tation, dieux,  héros  ou  simples  mortels.  Ainsi  le  roi  irlandais 
Mongan  passait  pour  être  à  la  fois  la  réincarnation  du  héros 
Finn  et  du  dieu  Manannan'.  La  synthèse  des  principes 
contradictoires  qu'enveloppe  la  nature  héroïque  se  trouve 
réalisée  dans  de  pareilles  conditions.  Ce  passage  d'un  même 

1.  Czarnowski,  p.  16G  sqq.  A.  Nutt-K.  Meyer,  Voyage  of  Bran,  t.  I, 
p.  199  sqq. 

Czarnowski.  / 


LXXXII  PnKFACE 

esprit  à  travers  une  pluralilé  de  fondions,  qui  le  nu-ncn 
du  gouvernement  de  la  nature  à  celui  d'une  tribu,  en  lui 
donnant  le  moyen  d'y  ramifier  indéfiniment  sa  parenté, 
explique  dune  façon  concrète  quelle  est  par  rapport  c'i  une 
société  la  position  du  héros'.  Par  lui  elle  a  prise  sur  le 
monde  où  elle  vit,  sur  lui  est  fondée  l'autorité  qui  la  gou- 
verne et  de  lui  émane  la  force  sur  laquelle  elle  compte,  car, 
si  elle  se  représente  une  Ame  de  héros  se  réincarnant  parmi 
elle,  c'est  dans  le  chef  qu'elle  la  reconnaît;  en  un  mot  elle 
peut  se  résumer  en  son  héros  comme  en  son  chef  et  son 
représentant  envers  les  dieux  et  envers  les  hommes.  La 
mort  n'y  contrevient  pas  ;  elle  ne  fait  que  diversifier  les 
lions  qui  rattachent  le  symbolisé  au  symbole. 

rsous  venons  de  raisonner  comme  si  les  réincarnations 
avaient  été  censées  se  produire  dans  un  cercle  de  parenté 
étroitement  tracée  Si  quelque  esprit  de  fantaisie  a  présidé 
à  la  représentation  des  réincarnations,  le  cercle  ne  s'en  est 
pas  trouvé  indéfiniment  élargi,  car  il  ne  s'agissait  toujours 
que  de  l'Irlande.  Mais  au  moins  les  héros  et  les  autres 
morts  ne  sont  plus  séparés,  dans  celte  conception,  par  des 
différences  irréductibles;  les  premiers  ne  se  distinguent 
que  par  un  indice  d'excellence.  La  discordance  pathétique, 
où  se  sont  heurtées  quelquefois  la  représentation  de  la  mort 
et  celle  du  héros,  semble  être  aplanie.  La  difficulté  a 
disparu,  mais  par  omission  ;  les  morts  ne  comptent  plus;  il 
n'y  a  plus  que  des  esprits  parmi  lesquels  ceux  qui  reçoivent 
un  culte  sont  des  héros,  à  moins  que  ce  ne  soient  des  dieux. 

Malheureusement  ce  moyen  de  réduire  les  héros  aux 
morts  ne  nous  est  pas  donné  partout.  La  croyance  à  la 

i.  Voyage  of  Bran,  t.  I.  p.  4^  sqq;  t.  II,  p.  l  sqq. 
2.  Exemple  des  Hui  Amalgada,cL  Czarnowski,  p.  1^9. 


I 


PREFACE  LXXXIII 

réincarnation  des  âmes  n'est  pas  commune  à  toutes  les 
sociétés  qui  ont  eu  des  héros.  La  Grèce  s'en  est  passée. 
Mais  en  outre  la  même  difficulté  reparaît  d'un  autre  cùlé  ;  car 
nulle  théorie  de  l'au-delà  ne  dépouille  plus  complètement 
les  morts  de  leur  humanité  et  de  leur  individualité  que  celle 
dont  il  vient  d'être  question  ;  nulle  ne  fait  mieux  com- 
prendre que  les  morts,  comme  pour  les  Grecs,  deviennent 
normalement  des  o?'1;j.ov£;,  des  genii,  des  forces  ano- 
nymes dépourvues  d'attributs  permanents'.  Or,  pour  les 
Irlandais,  les  héros,  les  dieux  aussi,  mais  on  a  vu  qu'ils  se 
ressenjblent,  conservaient  à  travers  leurs  réincarnations 
le  souvenir  de  leur  nom  et  de  leur  caractère.  C'est  à 
notre  avis  un  trait  irréductible  et  spécifique.  Aa-lijLOvîs  et 
Y^atoî^  sont  deux  noms  et  deux  espèces.  Toutes  deux  sont 
alimentées  par  la  mort.  Le  fait  pur  et  simple  de  la  mort  ne 
qualifie  pas  les  héros.  Tout  au  contraire,  il  faut  demander  à 
leur  caractère  de  héros  la  raison  de  la  ténacité  avec  laquelle 
leur  âme  doit  demeurer  attachée  à  leurs  restes  mortels  et 
leur  nom  à  leur  âme.  Il  s'agit,  cela  va  sans  dire,  des  héros 
typiques,  par  rapport  auxquels  se  définit  par  reflet  la  valeur 
des  autres,  et  dont  il  reste  autre  chose  qu'un  culte  et  un 
monument.  Car,  là  où  sont  développés  les  cultes  héroïques, 
il  en  est  une  foule  que  rien  ne  dislingue,  pas  même  un  nom, 
du  reste  des  morts  obscurs  et  oubliés. 


N'est-ce  pas  à   titre  d'ancêtres  que  les  héros  ont  été 
pourvus  par  l'imagination  des  leurs  de  ces  dons  qui  les 

4.  H.  Usener,  Gôtternamen,  p.  2o3  sqq. 


LXXXIV  PRÉFACE 

distinguent  des  autres  morts  '  ?  Nous  avons  en  effet  admis 
que  les  sociétés  à  base  de  parenté  sont  fav  'iblcs  au  déve- 
loppement des  cultes  héroïques.  Les  ancéti^j  font  aisément 
figure  de  héros.  Mais  réciproquement  des  familles  se  sont 
arrogé  par  libre  choix  comme  ancêtres  des  héros  disponibles. 
C'est  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  familles  grecques  fai- 
saient remonter  leur  origine  à  Héraklès^,  par  désir  de  s'illus- 
trer sans  doule  ;  sans  doute  aussi  pour  a^oir  oublié  leurs 
ancôlres  véritables,  car,  là  même  où  le  culte  des  ancêtres 
est  pratiqué,  il  ne  réussit  à  sauver  la  mémoire  que  des 
plus  prochaines  générations.  On  a  indiqué  plus  haut 
que  les  principaux  d'entre  les  héros  n'avaient  avec  leurs 
associés  humains  qu'une  parenté  de  médiocre  aloi.  Ce  sont 
d'ailleurs  ceux  des  groupes  les  plus  larges,  où  la  paternité 
de  l'ancêtre  ne  peut  être  qu'une  paternité  symbolique. 
Placés  en  tête  des  généalogies  dont  les  branches  moyennes 
sont  tombées,  les  héros  s'y  dressent  comme  des  figures 
emblématiques.  C'est  moins  par  le  sang  que  par  les  armes 
qu'il  sont  les  chefs  de  la  parenté".  Le  héros  ancêtre  d'une 
famille  ou  d'un  clan  est  celui  dont  ils  tiennent  leur  blason. 
Tel  Magennis,  ancêtre  de  Conall  Cernach,  l'un  des  com- 
pagnons de  Cuchulainn.  C'était  de  lui  que  venait  l'insigne 
de  la  main  rouge,  qui  s'est  perpétué.  Dans  une  course,  qui 
avait  pour  prix  l'attribution  d'un  territoire  disputé  par 
deux  tribus  rivales,  Magennis,  près  d'être  battu,  s'était 
coupé  une  main  et  de  l'autre  l'avait  jetée  au  but*. 


1.  II.  Usener,  Stoff  des  griechischen  Epos,  l.  l.,  p.  19. 

2.  P.  Friedliinder,  Herakles,  p.  139. 

3.  J.-F.-M.  French,  Prehistoric  failhs  and  tvorship  :  XI,  Irish  tri- 
bal badges,  p.  165.  P.-W.  Joyce,  A  social  history  ofancient  Ireland,  t.  II 
p.  190  sqq. 

4.  O'Curry,  Manners  and  customs,  t.  III,  p.  265. 


PREFACE  LXXXV 

La  qualité  de  héros  domine  celle  d'ancêtre,  chez  les  per- 
sonnages qui  les  possèdent  toutes  les  deux,  comme  leur 
condition  de  iiéros  domine  leur  condition  de  mort.  Elles 
étaient  au  surplus  parfaitement  distinctes'.  On  pourra  dire 
que  l'une  procède  de  l'autre,  mais  laquelle?  Bien  loin 
qu'il  soit  évident  que  le  culte  des  héros  dérive  du  culte 
funéraire  ou  du  culte  ancestral,  il  est  vraisemblable  qu'ils 
soient  lun  et  l'autre  une  extension  du  culte  des  héros ^ 


La  nature  des  héros  s'exprime  dans  l'ensemble  de  leur 
légende.  Si  la  mort  y  ajoute  quelque  chose  de  capital,  c'est 
par  ses  circonstances.  Chaque  fois  qu'elles  sont  rapportées, 
elles  sont  en  effet  telles,  qu'elles  rehaussent  la  légende. 
M.  Czarnowski  le  dit  très  exactement  :  la  mort  des  héros 
a  une  portée  sociale  ^  Elle  apparaît  comme  un  sacrifice 
ou  comme  une  sanction,  comme  un  exemple;  elle  est 
violente,  rituelle,  exceptionnelle,  magnifique.  Si  la  mort 
entre  pour  sa  quote  part  dans  la  représentation  des  héros, 
elle  ne  contribue  à  les  qualifier  qu'à  la  condition  d'être 
une  mort  de  héros.  Pour  conclure  ce  débat,  nous  ne 
croyons  pas  que  la  notion  de  héros  résulte  de  l'adjonction 
d'un  déterminatif  à  la  notion  de  mort,  mais  que  la  mort 
est  un  adjectif  aux  autres  éléments  de  cette  notion. 


1.  Platon,  Lois,  717  a,  distingue  cinq  catégories  d'êtres,  auxquels  se 
rendent  des  honneurs  divins,  dans  l'ordre  suivant  :  dieux  olympiens 
dieux  chlhoniens,  démons,  héros,  dieu.x  anceslraux,  (Oeo(  TraToaioî). 

i.  J.-K.  llarrison,  Prolegomena.  p.  SriO  sqq.  Cf.  L.  H.  Gray,  dans  Has- 
tings.  0  /.,  t.  VI,  p.  66i,  sur  l'évolution  d'un  culte  de  héros  en  culte  des 
fravasliis. 

3.  Czarnowski,  p.  179. 


LXXXVI  PRÉFACE 

C'est  ce  qui  oj)parait  assez  clairement  dans  le  cas  des 
héros,  fort  nombreux,  qui  font  fonction  de  génies  locaux'. 
Une  chanson  ne  saurait  évoquer  deux  jeunes  gens  qui  se 
rendent  ensemble  au  bord  d'un  lac,  sans  conclure  qu'ils 
s'y  sont  noyés.  C'est  une  nécessité  logique.  La  mort  fixe 
resj)nf,  elle  arrête  le  héros  ou  le  dieu  dans  sa  course,  là 
où  son  image  doit  rester  attachée. 

Mais  de  plus  il  semble  qu'il  y  ait  une  convenance  pour 
ainsi  dire  esthétique  entre  la  quahté  des  héros  et  le  sort 
final  qui  leur  est  imaginé.  Un  héros  n'est  complet  que  s'il 
fait  une  fin  paliiétique  et  plus  encore,  s(  mble-t-il,  si  la 
société  qui  se  mire  en  lui  a  souffert  de  son  désastre.  On 
s'étonne  que  les  peuj^Ies  prennent  plaisir  à  commémorer 
leurs  défaites.  La  douleur  rétrospective  qu'ils  y  éprouvent 
est  une  source  d'intimes  satisfactions. 

Le  goût  esthétique  de  la  douleur  n'est  pas  une  dépra- 
vation sentimentale  de  l'humanité  vieillie,  ni  un  raffi- 
nement de  son  âge  adulte.  Il  commence  très  bas  et  très 
tôt.  Il  trouvait  sa  satisfaction  dons  nombre  de  fêtes.  Les 
Anthestéries  d'Athènes  et  les  Adonies,  avec  leur  étalage 
de  deuil,  suivi  de  détente  joyeuse,  en  sont  des  exemples.  Le 
jeu  de  la  douleur,  le  rappel  ou  Tanticipation  du  chagrin, 
qui  ne  blesse  pas  parce  qu'il  est  anticipé  ou  passé,  est  un 
contraste  à  la  joie  et  au  rire,  mais  il  en  est  également  un 
équivalent  et  peut-être  un  stimulant. 

S'il  s'agit  d'un  personnage,  une  suite  ininterrompue  de 
succès  et  de  réussites  ne  plaît  qu'à  demi  et  finit  par 
déplaire.  Dans  le  domaine  de  l'imagination,  elle  engendre 
l'ennui  ;  la  défaveur,  dans  la  réalité.  Il  faut  que  les  travaux 

1.  Czarnowf-ki,  p.  263. 


l'RKFACE  LXXXVII 

(l'Hercule  se  limitent  à  douze  et  qu'il  meure.  On  ne  compte 
pas  les  catastrophes  héroïques.  Roland  succombe,  Siegiried 
est  trahi,  Jeanne  d'Arc  est  condamnée,  les  dieux  d'Irlande, 
qui  sont  dcs>  héros,  sont  écrasés  et  s'enfuient  sous  terre 
dans  la  paix  de  leur  crépuscule. 

Le  pathétique  relève  l'intérêt  des  mythes  héroïques.  Mais 
surtout,  il  faut  au  héros  la  pitié,  la  sympathie,  le  retour  sur 
soi-même  que  fait  faire  au  public  l'émotion  rétrospective 
de  douleurs  dont  il  eût  j)u  être  affecté.  Lorsque  l'histoire 
toui-ne  trop  bien,  son  héros  nous  reste  étranger,  il  ne  nous 
touche  pas;  il  n'est  pas  assez  près  de  nous  et  n'est  pas 
assez   réel. 

La  continuité  du  succès  est  un  élément  d'un  merveilleux, 
qui  n'est  pas  le  merveilleux  héroïque,  mais,  par  exemple, 
celui  des  contes.  Le  conte  doit  finir  bien.  Le  mythe  héroïque 
finit  mal.  M.  Wundt  a  écrit  avec  beaucoup  de  justesse 
que  le  héros  du  conte  est  un  enfant,  auquel  s'ouvrent  sans 
limite  le  monde  et  les  aventures'.  Le  hér^os  véritable  est  un 
homme,  qui  se  heurte  aux  limites  de  son  pouvoir  et  du  pou- 
voir humain. 

La  continuité  des  triomphes  moraux,  que  remportent  les 
saints,  conslitire  l'une  des  difîérences  qui  les  séparent  des 
héros.  M.  Czarnowski  l'a  notée  justement".  Ce  sont  les  héros 
de  la  religion,  mais  ce  ne  sont  pas  sauf  exception,  comme 
saint  Patrick,  des  héros  par  excellence.  Trop  parfaits  ou 
Iroj)  heur'eux,  ils  ne  passent  pas  par  d'assez  dangereuses 
épreuves  et  leur  impassibilité  est  trop  inébranlable  pour 
qu'ils  .soient  aussi  près  du  cœur  des  hommes  que  les  héros. 


1.  W.  Wuiidr,  Elemenle  der  ]'ulkerp.<tycholo(jie,  p.  371. 

2.  Czarnowi-ki.  p.  316. 


LXXXVIII  PRÉFACE 

Les  faiblesses  de  ceux-ci  et  leurs  échecs  leur  donnent  de 
l'humanité.  Leur  catastrophe  achève  leur  type  et  finit  de  les 
accommoder  à  leur  fonction  symbolique.  Elle  termine  l'idéal 
rôvé  parla  surprise  de  la  mort.  Elle  ajoute,  pour  ainsi  dire, 
le  mythe  de  celle-ci  aux  mythes  de  la  vie.  C'est  en  effet 
par  une  véritable  mythe  de  la  mort  que  se  termine  la 
légende  du  grand  héros  polynésien  Maui,  qui  est  un  héros 
entre  les  héros.  Il  a  perfectionné  hameçons  et  filets,  inventé 
le  feu,  péché  les  îles,  enchaîné  le  soleil  ;  mais  il  est  mort  et 
c'est  parce  qu'il  est  mort  que  la  mort  sévit  dans  le  monde'. 
Mythes  de  la  vie,  mythe  de  la  mort,  dans  celui-ci  comme 
dans  ceux-là  le  héros  fait  son  personnage  et  c'est  le  per- 
sonnage principal. 

Mais  c'est  le  mythe  qui  fait  le  héros,  ce  n'est  pas  la 
mort.  Nous  ne  pensons  pas  que,  les  morts  une  fois  pourvus 
d'âmes  immortelles,  quelques-uns  d'entre  eux  n'aient  eu 
qu'à  s'élever  au  grade  de  héros-.  11  y  a  des  héros  qui 
effectivement  sont  des  morts,  d'autres  qui  ne  sont  que 
mythe  et  légende.  Nous  pensons  qu'on  ne  saurait  les  séparer 
les  uns  des  autres.  Nous  nous  sommes  surtout  occupés  des 
seconds,  croyant  qu'ils  doivent  moins  aux  premiers  que 
ceux-ci  ne  leur  doivent.  Le  développement  normal  de  leur 
légende  les  conduit  au  type  du  mort  puissant.  Les  condi- 
tions dans  lesquelles  elle  se  développe  y  sont  d'ailleurs  favo- 


i.  E.-B.  Tylor,  Primitive  culture,  t.  I,  3«  éd.  p.  336. 

2.  J.-G.  Frazer,  The  belief  in  imniortality  and  the  worship  of  the  dead 
Gifford  Lectures,  1911-12.  M.  Frazer  donne  comme  exemple  d'une  pre- 
mière forme  de  culte,  procédant  directement  de  la  ri'pre>entation  de  Tâme 
du  mort,  celui  du  serpent  Wollunqua,  chez  les  Wanamunga  (Vu.stralie 
septentrionale).  Le  Wollunqua  est  un  totem,  mais  purement  mythique 
et  seul  de  son  espèce.  Il  est  l'objet  de  fêtes  à  figurations  dramatiques 
dont  le  caractère  désintéressé  a  été  fortement  mis  en  lumière  par 
M.  Durkheim  (lî.  Durkheim,  Les  formes  élémentaires  de  la  vie  reli- 
gieuse, p.  b3y). 


PRÉFACE  LXXXIX 

rables.  La  rnorl  du  héros  convient  en  effet  à  ces  fêtes  tristes 
où  les  sociétés  troublées,  ou  bien  anticipant  leurs  troubles, 
se  recueillent  dans  la  contemplation  de  leurs  peines ^  Entre 
leur  culte  funèbre  et  le  culte  funéraire  des  échanges  se  sont 
produits.  Distincts  à  l'origine,  ils  se  sont  rejoints,  croisés, 
môme  identifiés-.  Des  morts  sont  devenus  des  héros  :  les 
héros  des  morts.  C'est  à  cet  état  d'enchevêtrement  que 
l'Irlande  présente  leurs  cultes.  Tenir  compte  de  leur  confu- 
sion n'est  pas  renoncer  à  les  distinguer  dans  leurs  ori- 
gines? 

Des  témoignages  importants  de  leurs  différences  spécifi- 
ques nous  ont  été  laissés.  Ce  qui  reste  du  héros,  en  cas 
d'extrême  réduction,  c'est  un  indice  de  fonction  :  héros 
médecins,  héros  de  la  néoménie,  chez  les  Grecs ^  Nous  en 
concluons  qu'il  est  par  essence  et  au  fond  un  symbole  de 
fait  social.  Le  tombeau  est  un  support  du  S3^mbole.  Les 
héros  tiennent  moins  aux  morts  qu'aux  dieux  de  fonc- 
tions, aux  dieux  particuliers,  aux  Sondergotier,  définis  par 
Usener.  Bon  nombre  de  ces  dieux  spéciaux  sont  des  héros. 
Tels  sont,  entre  autres,  ceux  des  fêtes  que  nous  avons  ren- 
contrés tout  à  l'heure,  en  discutant  la  relation  du  drame 
festival  et  des  cultes  héroïques.  Les  héros  sont  des  symboles 
de  fonctions  et  de  caractères  sociaux,  qui  rendent  témoi- 
gnage jusqu'à  la  mort,  comme  Hippolj'te,  héros  de  la  pureté*. 
Moins  limités  dans  leurs  attributions  ou  dans  le  cercle  de 


1.  E.  Durkheim,  o.  l.,  p.  556  sqq. 

2.  Sur  les  effets  de  ce  croisement,  cf.  Wundt,  Volket-psychologie,  l.  l., 
p.  435. 

3.  Héros  médecins  :  H.  Usener,  Gollernamen,  ch.  10,  p.  147.  Nîojjir^v'.of;  : 
W.  tjchmidt,  Geburtslag,  p.  88. 

4.  L.  Séchan,  La  légende  d'IIippolyte  dans  l'antiquité,  dans  la  Revue 
des  études  grecques,  19il,  p.  105  sqq. 


XC  PREFACE 


Iciirg   fidèles,  ils  seraient  devenus  des  dieux,  malgré   la 
mort;  mais  d'ailleurs  on  sali  (|u'ils  le  sont  devenus. 


Ce  n'est  pas  que  nous  essayions,  au  terme  de  cet 
examen,  de  réduire  aux  traits  un  peu  secs  du  genius  la 
notion  de  héros,  après  nous  être  efforcés  jusqu  ici  de  ne 
pas  la  dépouiller  en  l'analysant  de  ses  enveloppes  légen- 
daires et  littéraires.  Elle  ne  se  définit  pas  par  la  symbo- 
lisation  pure  et  simple,  sans  acception  de  signes.  Le  héros 
est  une  personne,  ou  peut-être  plutôt  un  caractère.  Sa  per- 
sonnalité est  parfois  bien  pâle,  mais  elle  tend  vers  des 
formes  colorées  et  définies.  La  personnalité  des  héros  est 
définie  par  des  actes,  qu'ils  ont  accomplis  une  fois;  ils  ont 
leur  histoire  ;  cette  histoire  est  une  légende  ;  cette  légende 
importe  à  leur  rôle.  Le  héros  est  une  formation  mytholo- 
gique. 

L'imagination  qui  fait  les  héros  travaille  sur  des  don- 
nées limitées.  Quand  les  hommes  éprouvent  le  besoin  de 
transposer  dans  un  mode  relevé  ce  qu'ils  font  ou  souffrent, 
croient  faire  ou  croient  souffrir  au  pluriel  et  au  collectif, 
les  mêmes  verbes,  mis  au  singulier,  ont  pour  sujet  le  héros. 
Les  attaches  humaines  et  sociales  des  héros  restreignent 
leur  compétence  et  leur  horizon  et  leur  assignent  dans  l'ordre 
des  formations  mythologiques  un  rang  suboi'donné.  Les  héros 
sont  des  divinités  à  la  mesure  des  sociétés  qui  ne  sont  pas 
très  vastes.  Ils  ne  symbolisent  rien  qui  ne  soit  rétréci  au 
point  de  vue  de  celles-ci.  Ils  sont  à  la  hauteur  des  étages 
sociaux  d'où  le  regard  ne  porte  pas  très  haut.  La  mythologie 


PREFACE  XCI 

populaire  cultive  les  héros'.  Les  types  de  héros  se  dévelop- 
ponl  dans  la  mythologie  quand  elle  tourne  à  la  légende. 
Mais  ordre  hiérarchique  n'est  pas  ordre  généalogique. 
Sur  la  succession  et  rcnchaînement  des  formations  mytho- 
logiques nous  sommes  dans  une  complète  obscurilé.  Elles 
réj)on(iont  à  dos  besoins  divers  de  l'esprit  religieu.x,  entre 
lesquels  nous  n'avons  aucune  raison  de  supposer  un  ordre 
chronologique.  Dieux,  héros,  démons  de  diverses  sortes  sont 
d'ailleurs  interchangeables. 

La  formation  mythologique  que  constituent  les  héros  est 
com|)le.\o;  elle  est  variable;  elle  est  flottante  à  la  limite  des 
autres  formations.  Mais  elle  est  marquée  néanmoins  de 
traits  assez  fermes  et  reconnaissables.  Elle  comporte  des 
éléments  essentiels.  Notre  examen,  comme  celui  de 
M.  Czarnowski,  en  a  retenu  doux,  Télément  funéraire  et 
l'élément  épico-dramatique  des  cultes  et  des  légendes  de 
héros.  Mort  et  tombeau  d'une  paît,  fclos  de  l'autre  sont 
pour  eux  des  données  constitutives,  dont  l'importance 
relative  est  d'ailleurs  varicble.  Il  y  a  de  part  et  d'autre  des 
possibilités  de  héros.  Mais  les  ressources  que  les  fêtes  four- 
nissent à  la  figuration,  l'élan  qu'elles  donnent  à  l'imagina- 
tion et  la  liberté  qu'elles  lui  laissent  sont  pour  l'élément 
épique  et  dramatique  des  légendes  de  héros  le  principe  et 
la  condition  d'un  développement  merveilleux.  C'est  l'élé- 
moiit  positif  de  ces  représentations.  L'autre  est  en  partie 
négatif. 

Le  jeu  de  masques  sacrés  que  possèdent  los  Indiens 
Ilopis  donne  un  exemple  complet,  clair  et  concret  de 
ce  qu'est  et  de  ce  que  comprend  le  panthéon   héroïque 

1.  E.  Rohde,  Psyché,  t.  I,  p.  191  sqq. 


XCII  PRÉFACE 

d'une  société.  On  les  nomme  Kalcinas.  Nous  en  avons  une 
énuméralion  complète,  descriptive  et  illustrée  *.  «  Les 
Katcinas  sont  les  poupées-masques  des  divers  dieux  des 
diverses  cérémonies  du  culte  hopi;  la  marionnette  a  en 
eflct  maintes  fois  remplacé,  dans  le  rituel,  le  personnage 
masqué  rcpréscntont  le  dieu  ".  »  Chacune  d'elles  figure 
dans  une  fête  ou  dans  plusieurs  fêtes.  «  Les  Katcinas 
sont  les  «  Anciens  des  clans  »  ;  ce  sont,  en  môme  temps 
que  des  dieux,  des  ancêtres,  réincarnés  d'ailleurs  dans  leurs 
descendants.  Même  celles  qui  ont  été  certainement  inven- 
tées, môme  celles  qui  sont  parvenues  aux  Hopis  par 
emprunt  à  d'autres  pucblos,  ou  celles  qui  furent  acquises  par 
héritage  dedans  éteints,  sont  figurées  sous  cette  forme.  »  '' 
Il  y  a  parmi  elles  les  figures  d'êtres  de  toutes  sortes  et  de 
tout  rang,  mais  qui,  sous  leurs  espèces  de  Katcinas,  font 
fonction  de  héros.  Elles  sont  introduites  dans  les  fêtes  pour 
y  faire,  comme  les  héros,  leur  pai'tie  représentative  et  sup- 
plémentaire. Elles  constituent  un  jeu  de  symboles  que  les 
fêtes  mettent  en  mouvement.  Mais  ces  héros  sont  des 
masques  et  les  héros  en  général  sont  des  personnages 
dont  la  figuration  est  un  jeu.  Le  langage  en  somme  dit 
juste,  qui  désigne  d'un  même  mot  les  héros  du  culte  et 
ceux  de  la  lilléralure.  Les  premiers  ne  sont  complets  que 
quand  ils  ont  déjà  quelque  chose  des  seconds. 


1.  W.  Fewkcs,  Ilopi  Katcinas,  21*'  Annual  Report  of  tke  Bureau  of 
American  Etknology,  1904. 

2.  M.  Mauss,  dans  Année  sociologique,  t.  IX,  p.  262. 

3.  M.  Mau.ss.  l.  l.,  p.  263. 


PREFACE  XCIII 


Les  Kalcinas  sont  les  symboles  des  clans  hopis  et  celles 
qui  sont  en  disponibilité  sont  également  conçues  comme 
des  symboles  de  clans.  De  la  même  façon  tous  les  héros, 
quelle  que  soit  leur  afîectalion  spéciale,  sont  des  ancêtres, 
des  fondateurs,  des  symboles  de  sociétés.  Pour  quelques-uns, 
c'est  une  convention.  Pour  la  plupart,  c'est  un  témoignage 
véridique  de  leur  nature  et  de  leur  origine.  Ils  émanent 
effectivement  de  certaines  sociétés.  Celles  qui  tiennent  du 
clan  sont  favorables  aux  héros. 

Les  clans  des  Indiens  Pueblos  sont  des  clans  tolémiques, 
dans  une  société  dont  le  totémisme  a  beaucoup  évolué. 
D'autres  sociétés  totémiques,  par  exemple  en  Australie, 
ont  imaginé  des  esprits',  qui,  par  quelques  traits,  ressem- 
blent aux  héros;  ce  sont  des  morts  du  passé  lointain,  capa- 
bles de  revenir  et  de  se  réincarner,  comme  les  héros  irlan- 
dais et  les  Kalcinas  hopis,  sans  parenté  immédiate  avec  les 
hommes,  mais  placés  au  sommet  de  la  généalogie  des 
clans.  Ce  sont  des  esprits  totémiques.  Les  héros  tiennent- 
ils  donc  des  totems?  Le  totémisme  fournit-il  un  point  de  vue 
d'où  l'on  peut  voir  se  dérouler  à  partir  du  commencement 
des  religions  le  système  entier  des  cultes  héroïques  ?  Il  est 
tentant  de  remonter  aussi  haut  et  M.  Czarnowski  y  a 
songé.  Il  a  énuméré,  dans  un  appendice,  quelques  faits  qui 


i.  B.  Spencer  et  F.-J.  Gillen,  The  native  tribes  of  Central  Australia. 
pp.  73,  119.  387  sqq.,  418,  ol3.  M.  K.  Breysig,  o.  l.,  p.  63,  range  les 
esprils  de  VAlcheringa  des  Arunta  au  nombre  de  ses  héros  civilisa- 
teurs, mais  sans  tenir  compte  de  leur  nature  totémique. 


XCIV  PREFACE 

peuvent  paraître  des  survivances  du  totémisme  '  mais 
dont  il  est  difïicile  de  conclure  que  le  culte  celtique  des 
héros  se  soit  élevé  sur  une  base  de  cullcs  totémiques. 

Héros  et  totems  tiennent  à  des  sociétés  dont  le  clan  est 
la  base  et  sont  unis  aux  hommes  par  les  liens  de  la  parenté 
lâche  qui  constitue  clans  et  tribus.  Entre  leurs  dépen- 
dants humains  et  le  monde,  c'est  du  coté  des  hommes 
qu'ils  sont.  Ressemblances  et  difl'érences  de  types  sociaux; 
différences  et  ressemblances  de  synjboles  sociaux  ;  relation 
des  êtres  imaginaires  et  des  formes  sociales  ;  le  rappro- 
chement des  totems  et  des  héros  rappelle  à  la  fin  du  livre, 
sous  une  forme  concrète  et  pressante,  son  problème  prin- 
cipal. S'il  peut,  à  peu  près,  se  poser  en  ces  termes,  les 
données  manquent  encore  pour  en  formuler  un  énoncé  plus 
précis.  On  parlera  peut-être  du  clan  héroïque  comme  on 
parle  du  clan  tolémique.  Sur  les  rapports  de  l'un  à  Taulre  je 
souhaite  que  dautres  nous  renseignent.  Mais  ce  n'est  pas 
la  tradition  celtique  qui  les  mettra  en  mesure  de  nous  ins- 
truire là-dessus  comme  il  faut. 

H.  Hubert. 


1.  Voici  un  fail  qui  me  parait  devoir  être  joint  à  la  liste.  Les  habi- 
tants du  comté  d'Ossory,  en  Irlande,  ont  une  réputation  de  lycanthro- 
pie,  dont  le  plus  ancien  témoignage  nous  est  donne  par  Giraldus  Cam- 
iirensis;  ils  la  doivent  à  la  présence  parmi  eu.x  dun  clan  descendant  des 
loups  (silinfaelchon),  dont  lancétre  humain  se  nomme  Laignech  Faelad 
(fael,  le  loup).  Dans  le  comté  d'Argyll,  les  Cinel  Loairn  sont  un  autre  clan 
du  loup  (gaélique  loarn.  loup) .  Or  le  loup,  ou  plutôt  le  chien-loup,  faelctiù, 
a  sa  famille  mythologique  :  chien-loup  de  Manannan,  chien-loup  du 
Dispater  gaulois.  G.  Henderson,  Survivais  in  behef  among  ihe  Cells. 
p.  ITi).  J.-A.  Mac  Culloch,  The  religion  of  Ihe  ancient  Celts,  p.  il8. 
Cf.  H.  Hubert,  yoles  d'archéologie  el  de  philologie  celtiques,  I.,  Gweilgi, 
l'océan  et  le  carnassier  androphage,  dans  Revue  celtique,  1913. p.  8  sqq. 


LE  CULTE  DES  HEROS 

ET  SES  COiNDITIONS  SOCIALES 

SAINT   l'ATKK.K,    UÉKOS    NATIONAL   DK    LTRLANDE 


INTRODUCTION 


En  disant  que  saint  Patrick  est  le  héros  national  des 
Irlandais,  nous  n'entendons  point  que  le  culte  rendu  à 
notre  saint  soit  la  continuation  directe  d'un  certain  culte 
héroïque.  Ce  que  nous  avançons  concerne  la  nature  de  la 
représentation  qui  est  à  la  base  de  ce  culte  et  la  raison 
d'être  de  son  caractère. 

Or  il  est  certain  que  j)Our  ses  fidèles  irlandais  saint 
Patrick  est  autre  chose  qu'un  saint  patron  dans  le  sens  que 
l'Eglise  donne  au  mot,  c'est-à-dire  un  élu  qui  intercède 
pour  eux  auprès  de  Dieu.  C'est  un  héros. 

L'analyse  que  nous  aurons  à  faire  pour  le  montrer  ser- 
vira en  même  temps  à  déterminer  ce  qu'est  au  juste  un 
héros.  Mais  ce  n'est  pas  pour  nous  dispenser  d'une  défi- 
nition provisoire. 

Emplois  du  mot  héros.  —  Le  mot  héros  a  une  double 
acception. 

On  l'emploie  pour  désif^ner  les  morts  divinisés  des 
diverses  religions  et  plus  particulièrement  ceux  du  paga- 
nisme classique.  Mais  bien  que  celte  acception  prévaille 
dans  la  tradition  scientifique,  on  y  chercherait  en  vain  une 

CZARXOWSKI.  1 


2         SAINT  PATRICK  ET  LE  CULTE  DES  HKROS 

définition  précise  de  la  notion  môme  de  héros.  On  la  rem- 
place par  une  explication  génétique  des  cultes  héroïques, 
dans  lesquels  on  voit  tantôt  un  dévcloj)pemcnt  do  celui 
qu'on  rendait  aux  ancêtres  ',  tantôt  une  de  formation  des 
cultes  funéraires  ',  ou  bien  encore  des  cultes  dont  la  raison 
est  dans  le  désir  d'avoir  des  dieux  d'essence  humaine,  plus 
accessibles  que  les  autres  et  qui  servent  d'intermédiaires 
entre  ceux-ci  et  leurs  fidèles ^ 

A  côté  du  vocabulaire  des  historiens,  une  tradition  légi- 
time du  langage  courant  baptise  héros  tous  ceux  qui  par 
une  action  d'éclat  ont  acquis  le  droit  à  l'admiration  pu- 
blique. Ainsi  les  hommes  dont  le  courage  se  manifeste 
pour  le  bien  de  leurs  prochains  sont  des  héros.  Sont  encore 
des  héros  les  grands  capitaines,  les  fondateurs  de  villes  ou 
d'états,  les  législateurs  et,  en  général,  tous  les  bienfaiteurs 
de  l'humanité.  Enfin  on  nomme  héros  les  personnages  qui 
détiennent  un  rôle  de  premier  plan  dans  une  suite  quel- 
conque d'événements  historiques,  aussi  bien  que  les  per- 
sonnages imaginaires  de  la  légende,  de  l'épopée,  du  drame 
ou  du  roman. 

A  première  vue  on  est  tenté  de  voir  là  deux  caté- 
gories distinctes  de  héros  ainsi  que  le  font  les  savants 
allemands,  qui  réservent  le  mot  Heroen  pour  les  hommes 
divinisés  et   nomment  les  autres   héros    Heiden'.   Mais 


1.  Par  exemple  Erwin  Rohde,  Psyché,  Seelencult  u.  Unslerblichkeits- 
glaube  der  Griechen,  4»  éd.,  Tubingen  1907,  I,  p.  135  ss.  Cf.  p.  170. 

t.  Ernst  Lucius,  Die  AnfUnge  des  Heiligenkulius  in  der  christlichen 
Kirche,  hrsg.  v.  Gustav  Anrich,  Tubingen  1904  p.  20  ss.  :  le  culte  des 
héros  s'explique  par  le  culte  des  morts.  Les  âmes  des  morts  sont  con- 
sidérées comme  «  esprits  d'un  ordre  supérieur  ».  A  plus  forte  raison 
les  âmes  de  ceux  qui  pendant  leur  vie  s'élevaient  au-dessus  du  com- 
mun des  hommes  deviennent  des  esprits  très  puissants  et  qui  reçoi- 
vent un  culte  particulier. 

3.  Par  exemple  Decharmc,  Mythologie  de  la  Grèce  antique,  3»  éd., 
Paris,  s.  d.  p.  503  s. 

4.  Par  exemple  B.  Symons  dans  le  Grundriss  der  Germanischen  Phi- 


INTKODUCTION  3 

rien  ne  justifie,  à  notre  avis,  une  pareille  distinction. 
On  verra,  en  effet,  que  les  deux  acceptions  du  mot  héros 
ont  un  fonds  commun  et  que,  par  conséquent,  on  peut 
les  ramener  i\  une  conception  générale  unique,  dont  nous 
allons  d'abord  énumérer  les  traits,  quitte  à  revenir  sur 
l'emploi  le  plus  spécial  du  mol. 

Le  héros  est  l'incarnation  d'une  valeur.  —  L'idée 
qu'évoque  le  mot  héi'os  dans  l'un  et  dans  Taulre  sens  est 
toujours  celle  de  la  perfection. 

"HccuT  a  en  grec  le  sens  d^honune  parfait.  Primiti- 
vement ce  mot,  qui  veut  dire  protecteur,  signifiait  mâle,, 
guerrier',  mais  Homère  remploie  déjà  dans  un  sens  hono- 
rifique. Il  appelle  le  héros  àiAÛjAiov,  sans  bldmc,  môme 
lorsqu'il  parle  d'un  criminel  comme  Aigistlios".  Hésychius 
glose  Yifws  par  Suvaxôç,  lo-yopôç,  Yevvawç,  o-£p6?%  puis-- 
sant,  fort,  bien-né,  vénérable.  Le  titre  de  héros  est  pour 
Hésiode  le  synonyme  d'une  perfection  telle,  qu'aucun  de 
ses  contemporains  ne  peut  le  mériter  et  qu'il  le  décerne  aux 
seuls  personnages  de  l'épopée*. 

Tous  ceux  qui  ont  étudié  les  héros  ont  constaté  d'autre 
part  qu'ils  «  résument  »,  ainsi  que  le  dit  Lucius,  «  l'en- 
semble des  qualités  que  l'on  considère  comme  particulière- 

loloffie  de  Hermann  Paul,  Strassburg  1893,  vol.  II,  p.  4  s.  :  la  légende 
des  Uelden  est  de  caractère  historique,  celle  des  Heroeii  de  caractère 
religieux  (mylhisch).  Les  deux  se  trouvent  mélangés  dans  l'épopée. 
C'est  l'objet  de  l'analyse  scientificiue  de  les  distinguer. 

\.  Cf.  Boisac(i,  Diclionnaire  étymologique  de  la  langue  grecque,  s.  v. 

2.  J.-Ellen  Ilarrison,  Prolegomena  to  llie  study  ofGreek Religion,  p.  333 
ss.  Cf.  Rohde,  op.  cit.,  I.  p.  154,  note  1,  sur  l'emploi  du  mot  TJpu);  chez 
Homère. 

3.  Cité  chez  Harrison,  op.  cil.,  p.  334. 

4.  Uohde,  op.  cil.,  p.  15;j,  cf.  p.  91  ss.  —  Une  évolution  analogue 
s'observe  dans  le  changement  du  sens  du  mot  latin  virlus  qui  a  com- 
mencé par  signilier  l'ensemble  des  qualités  propres  au  i;ir  et  qui  a 
fini  par  désigner  la  perfection  de  l'homme. 


4  SAINT    l'ATUICK    RT    LE    CULTE    DES    HEROS 

ment  précieuses  f»  l'époque  où  se  forment  leurs  légendes  ». 
Le  peuple  voit  dans  les  héros  «  son  idéal  le  plus  élevé  et 
le  meilleur'   », 

Catégories  de  valeurs  incarnées  par  les  héros.  —  Ce 
n'est  pas  nécessairement  un  idéal  intégral  qui  synthétise 
toutes  les  vertus  humaines. 

La  perfection  du  héros  consiste  à  réaliser  pleinement  une 
certaine  valeur,  nettement  définie.  Celle-ci  peut  être  aussi 
bien  la  valeur  par  excellence,  vertu  morale,  sainteté,  reli- 
gion, dont  découlent  toutes  les  autres,  que  la  valeur  prin- 
cipale d'une   catégorie  particulière. 

Aussi  le  contenu  de  la  notion  de  ^e>05  varie-t-elle  à  Tin- 
fini.  Elle  est  conforme  d'une  part  à  l'idéal  de  chaque  civi- 
lisation et  de  chaque  époque.  C'est  la  force  physique, 
l'habileté,  la  ruse  qui  font  mériter  le  titre  de  héros  aux 
personnages  d'Homère".  Plus  tard  la  môme  civilisation 
grecque  personnifie  un  idéal  moral  en  ses  héros  ^  Enfin  les 
philosophes,  les  mystiques,  les  morahstes  deviennent  les 
principaux  héros  du  monde  gréco-romain*  et  en  même 
temps  les  chrétiens  commencent  à  glorifier  leurs  martyrs 
et  leurs  ascètes  ^ 


i.  Lucius,  op.  cit.,  p.  84  s. 

2.  Le  titre  opwç  est  décerné  par  Homère  aux  rois,  aux  nobles  et  en 
général  aux  guerriers.  Cf.  Rohde,  loc.  cit. 

3.  Ainsi  Héraclès  est  devenu  pour  les  Stoïciens  la  personnification 
de  la  vertu  difficile  par  opi)Osilion  au  vice  facile.  Cf.  l'histoire  d'Héraclès 
à  la  bifurcation  des  deux  chemins. 

4.  Par  exemple  Pythagore  :  Kellner,  IJellenismus  und  Christentum, 
1866,  p.  l'J3  ss.,  256  ss.  ;  Platon  :  Roscher,  Ausfuhrliches  Lexikon  der 
griechischen  Mythologie,  I,  col.  2533.  —  Gelse  considérait  comme  par- 
ticulièrement digne  d'un  culte  les  héros  Héraclès,  Asclépios.  Orphée, 
Anaxarchc.  Epictète  et  la  Sibylle  :  Celse,  dans  Origène,  VII,  53.  — 
Alexandre  Sévère  vénère  particulièrement  Apollonius  de  Tyane,  le 
Christ,  Abraham  et  Orphée  :  cf.  Eusèbe,  Histoire  ecclésiastique, 
VII,  18. 

0.  Cf.  Lucius,  op.  cit.,  p.  34  ss. 


INTRODUCTION  5 

Certains  héros  d'autre  part  incarnent  l'idéal  particulier 
d'une  secte  religieuse,  d'une  société  secrète  ou  d'une 
confrérie.  Tels  sont,  par  exemple,  Orphée  dans  le  monde 
antique  '  ou  les  martyrs  à  l'aubo  du  christianisme  ^.  On 
peut  encore  citer  ici  les  saints  qui  sont  plus  particuliè- 
rement vénérés  par  les  divers  ordres  religieux,  parce  qu'ils 
ont  réalisé  l'idéal  de  vie  monastique  propre  à  chacun  de 
ces  ordres  '. 

On  a  encore  une  foule  de  héros  spécialisés.  Ainsi  beau- 
coup sont  des  guérisseurs*.  Ce  sont  les  parfaits  médecins 
qui  réalisent  tous  les  vœux  des  malades.  D'autres  person- 
nifient les  vertus  guerrières.  D'autres  encore  correspondent 
à  un  idéal  professionnel  et  comprennent  surtout  les  inven- 
teurs et  les  hommes  qui  ont  excellé  dans  leur  métier.  Ainsi 
à  Sparte  les  boulangers  vénéraient  le  héros  Matton  et  les 
cuisiniers  le  héros  Keraon.  Le  potier  Keramos  recevait  à 
Athènes  un  culte  comme  héros ^ 

Ce  sont  donc  des  espoirs  ou  un  idéal  collectifs  qui  sont 
incarnés  par  les  héros. 

Le  môme  phénomène  se  répète  dans  les  temps  modernes. 
La  glorieuse  mémoire  de  Garibaldi  est  en  Italie  l'objet  d'un 
véritable  culte  héroïque.  11  y  a  des  héros  savants,  comme 
Galilée,   Pasteur*,   Léonard   de    Vinci,    des    navigateurs 

1.  Cf.  Maas,  Orpheus. 

2.  En  effet,  le  cullc  des  martyrs  se  développe  parce  que  le  christia- 
nisme a  encore  l'aspect  dune  religion  de  secte.  Cf.  Lucius,  p.  49  ss. 

3.  Par  exemple  saint  Bernard,  saint  François  d'Assise,  saint  Ignace 
de  Loyola  et,  en  général,  tous  les  fondateurs  d'ordres  religieux. 

*.  Sur  les  héros  guérisseurs  et  en  général  sur  les  héros  spécialisés 
cf.  Roscher  Lexikon,  I,  art.  r^pm^,  col.  2480  ss.  ;  Usener,  Golternanien, 
1896,  p.  149  ss.  :  Ohiert.  Beiirdffe  zur  Heroolor/ie  der  Griechen,  1875. 
p.  3;  .Milchhôfer  dans  Jahrbuch  des  archilolofj.  Instituts,  II,  p.  -J;  dans 
Mitleilungen  des  alhenischen  Inslituls,  II,  p.  4G1  ;  IV,  p.  IGl  ss.  —  Les 
héros  guèrisst'urs  par  excellence  de  la  Grèce  sont  Asclépios  et  les  Asclé- 
piades:  .Machaon,  l'odalirios,  Polémocrate  ;  cf.  Rohde  op.  ci^,  Ip.  18b  s. 

5.  Roscher.  Lexikon,  I,  col.  2474. 

6.  Dans  un  concours  organisé  il  y  a  quelques  années  par  un  jour* 


0  SAINT    l'ArniCK    F.T    l,K    CULTK    DES    UKRdS 

comme  Glirislophc  (Colomb,  des  explorateurs  comme 
Livinostone.  Tout  le  monde  connaît  les  Iutos  de  l'amour 
parfait,  Héloïse  et  Abélard,  Roméo  et  Juliette  dont  les 
tombeaux  hypothétiques  sont  un  but  de  pieux  pèlerinages'. 
Il  n'y  a  pas  jusqu'aux  vices  et  aux  crimes  qui  n'aient 
trouvé  des  personnifications  héroïques.  Cartouche  et,  plus 
récemment,  le  bandit  italien  Musolino  ont  été  glorifiés  par 
la  légende,  le  roman  populaire,  parfois  même  par  de  grands 
poètes.  C'est  que  l'aptitude  à  faire  le  mal,  lorsqu'elle  atteint 
la  perfection,  excite  l'admiration  à  l'égal  de  la  vertu.  Elle 
représente  aussi  bien  une  catégorie  de  valeurs  que  la  pré- 
disposition au  bien.  D'autre  part,  tous  ceux  qui  ont  à  se 
plaindre  de  l'ordre  établi  sont  enclins  à  voir  dans  les  cri- 
minels des  révoltés,  des  champions  de  leur  cause,  des 
redresseurs  de  torts.  Ce  sont  ces  justiciers  que  l'imagina- 
tion populaire  célèbre  dans  Robin  Hood  et  Schiller  dans 
ses  Brigands. 

Le  héros  est  un  témoin  et  un  champion.  —  Mais  la 
plus  grande  perfection  ne  suffît  pas  à  elle  seule  à  l'acquisi- 
tion du  titre  de  héros. 

Le  héros  est  avant  tout  le  représentant,  le  témoin  et  par- 
tant \e  .champion  de  l'ordre  d'êtres  ou  de  choses  dont  il 
incarne  la  valeur  par  définition. 

Un  exemple  topique  est  le  martyr  chrétien.  Il  est  le 
témoin,  jj-àoT-jp,  de  la  foi.  On  ne  le  vénère  pas  seulement 
comme  modèle  des  vertus  exigées  d'un  parfait  fidèle.  Il  est 
glorifié  surtout  parce  qu'il  est  un  homme  qui  a  prouvé  son 
attachement  à  la  religion  chrétienne  et  par  cela  même  a 

Tial  de  Paris  et  dans  lequel  il  s'agissait  de  nommer  les  plus  grands 
hommes  du  xix»  siècle,  Pasteur  obtint  la  première  place  sur  la  liste  à 
l'immense  majorité  des  votants. 

\.  La  ville  de  Vérone  vient  d'acheter  la  «  maison  de  Juliette  »  comme 
monument  de  cette  héroïne. 


INTRODUCTION  7 

rendu  un  lômoignage  éclatant  de  la  foi  qui  anime  sa  com- 
munauté. Celle-ci  a  désormais  de  qui  se  réclamer. 

L'exemple  du  martyr  concourt  au  triomphe  prochain  du 
Rovaume  de  Dieu.  Sa  mort  est  une  victoire  de  l'esprit  éclairé 
par  la  Foi  sur  la  faiblesse  de  la  chair'.  II  est  un  champion 
qui  démontre  |)ar  le  fait  la  valeur  de  la  religion  nou- 
velle. 

Les  personnages  de  la  fiction  épique  et  dramatique  eux- 
mêmes  ne  sont  des  héros  que  dans  la  mesure  où  par  leurs 
luttes  et  leurs  souffrances  ils  sont  les  témoins  d'une  idée  ou 
d'une  passion.  C'est  à  ce  titre  que  Dante  nomme  Tristan, 
Paris,  Paolo  et  Francesca  parmi  la  foule  de  ceux  qui  sont 
damnés  pour  avoir  trop  aimé  "^  Les  preux  de  Charlemagne 
ont  affirmé  par  leurs  exploits  la  gloire  de  la  chevalerie. 
Toute  une  classe  de  caractères  humains  est  résumée  dans 
Otello  ou  lago,  dans  le  roi  Lear  ou  le  père  Goriot. 

En  somme  le  rapport  entre  le  héros  et  la  valeur  qu'il 
représente  est  comparable  à  celui  qui  existe  chez  Platon 
entre  l'essence  des  choses  et  leur  représentation  phénomé- 
nale. Le  héros  réalise  la  valeur  et,  en  même  temps,  il  en  fait 
la  preuve.  11  est,  pourrait-on  dire,  une  valeur  active. 

Reconnaissance  sociale  du  héros.  —  La  valeur  en 
question  est  une  valeur  sociale.  Le  héros  est  le  représen- 
tant d'un  groupe  ou  d'une  chose  sociale. 

Ainsi  les  héros  des  sociétés  à  base  familiale  sont  des 
ancêtres.  A  Athènes,  par  exemple,  chaque  o-A-r^  avait  la 
statue  de  son  ancêtre  sur  la  place  publique.  On  proclamait 
devant  ces  statues  les  noms  des  membres  des  cpuXai  qui 
avaient  bien  mérité  de  la  patrie  ou  bien  qui  s'étaient  cou- 

1.  Cf.  l'analyse  de  la  notion  du  martyr  gloriCé  dans  Lucius,  op.  cil., 
p.  aO  ss. 

2.  Dante,  Inferno,  canfo  V.  v.  67  et  v.  73  ss. 


8  SAINT    PATRICK    KT    I.E    CULTR    DES    HÉROS 

verts  d'opprobre'.  Ainsi  tout  ce  qui  louche  le  groupe  familial 
ou  seulement  un  de  ses  membres  atteint  le  héros  ancêtre. 

Les  villes,  les  cités  ont  des  héros  qui  sont  leurs  protec- 
teurs, leurs  défenseurs  et  à  l'intervention  desquels  on  rap- 
porte tout  ce  qui  touche  à  la  vie  de  la  collectivité.  Ce  sont 
les  héros  arche  g  êtes.  On  les  a  nommés  très  justement  les 
magist)'ats  surnaturels  des  cités.  A  cette  catégorie  appar- 
tiennent les  fondateurs  de  villes  et  d'états". 

Les  sectes  et  les  confréries  de  toute  nature  vénèrent  aussi 
comme  héros  leurs  fondateurs  ou  bien  encore  ceux  d'entre 
leurs  membres  qui  ont  incarné  l'idéal  du  groupe.  Chaque 
membre  de  la  secte  ou  de  la  confrérie,  par  cela  môme  qu'il 
y  appartient,  participe  aux  bienfaits  que  le  héros  a  réalisés. 
Les  étrangers  n'en  profilent  qu'en  second  lieu  s'ils  n'en 
sont  pas  entièrement  exclus  ^ 

Les  groupes  professionnels,  les  corps  de  métiers  ont 
pareillement  leurs  héros  et  leurs  saints  particuliers.  Ils  ont 
créé  la  profession  dont  ils  sont  les  patrons,  ou  bien  ils  l'ont 
honorée  par  leur  habileté.  D'autres  encore  sont  vénérés 
comme  des  membres  de  la  corporation  qui  se  sont  illustrés 
par  leur  martyre  et  ont  fait  ainsi  rejaillir  leur  gloire  sur 
leurs  confrères*. 

1.  Pausanias,  1.  I.  c.  5;  Démosthène,  XX,  94;  XXIV,  8;  Isocrate, 
Exceptio  adversus  Calli7naclium,^6\,  éd.  Didot.  p.  268. 

2.  Très  nombreux  exemples  dans  Roscher,  Lexikon,  art.  cité,  et  dans 
Ohlert,  OD.  cit..  Cf.  Fustel  de  Goulanges,  La  Cité  Antique.  livre  III, 
ch.  V  :  Le  culte  des  fondateurs. 

3.  Cf.  Fustel  de  Goulanges,  op.  cit.,  p.  172  et  p.  175:  exclusion  des 
étrangers  du  culte  des  divinités  poliades,  qui  souvent  sont  des  héros. 
—  II  va  de  soi  que  les  cultes  héroïques  particuliers  des  sectes  et 
confréries  sont  des  cultes  intérieurs.  Parfois  môme  ce  sont  des  cultes 
secrets. 

4.  Ainsi  les  saints  Cosme  et  Damien,  patrons  des  chirurgiens,  ont 
réussi  des  opérations  merveilleuses.  —  Saint  Crépin  et  saint  Grépi- 
nien,  deux  cordonniers  qui  ont  souffert  le  martyre,  sont  devenus  les 
patrons  de  leur  corporation.  —  On  voit  tous  les  jours  des  associations 
professionnelles  prendre  le  nom  de  quelque  homme  illustre  dans  sa 
spécialité. 


INTRODUCTION  9 

Lorsqu'il  n'est  pas  légué  au  groupe  par  une  tradition 
immémoriale,  le  culte  du  héros  est  le  résultat  d'une  véri- 
table élection. 

Le  héros  est  nommé  par  les  pouvoirs  publics  compétents. 
En  Grèce,  V/n'roïsation  est  régulièrement  prononcée  par 
l'oracle  de  Delphes'.  Plus  tard,  ce  furent  le  Sénat,  à  Rome, 
ou  bien  les  magistrats  municipaux,  dans  l'Empire,  qui 
décrétèrent  l'institution  des  cultes  héroïques*.  En  Chine, 
les  Pères  des  Murailles  et  des  Fossés,  qui  sont  les  patrons 
des  villes,  sont  nommés  parle  chef  de  TÉgUse  taoïste  avec 
l'agrément  de  l'Empereur  \  Des  héros  sont  également  nom- 
més par  des  corporations,  des  écoles  ou  des  familles  qui 
les  vénèrent  comme  patrons  particuliers  ^ 

De  même  les  saints  de  la  chrétienté  primitive,  qui  sont 
des  héros  d'une  espèce  spéciale,  furent  nommés  par  la  voix 
du  peuple,  tout  comme  les  évoques.  Peu  à  peu,  la  constitu- 
tion de  l'Eglise  se  transformant  dans  un  sens  monarchique 
et  centrahste,  les  évoques  d'abord  et  plus  tard  Rome  s'arro- 
gèrent le  droit  exclusif  de  canonisation. 

h'he'roïsation  et  la  canonisation  sont  donc  des  actes 
publics,  analogues  à  l'institution  d'un  régime  ou  à  la  nomi- 
nation  d'un  magistrat.  L'individu  peut  tout  au   plus  les 


1.  Exemples  dans  Pausanias,  VI,  38,  5;  VIII,  23,  7  :  IX,  38,  3;  Héro- 
dote, I,  167;  V,  114.  —  Cf.  l'invention  des  reliques  de  Thésée  sur  l'ordre 
de  l'oracle  :  Plutarque,  Vila  T/iesei,  cap.  XX.KVI;  Vita  Cimoni,  VIII; 
Pausanias,  III,  3,  7.  —  Cf.  Rohde,  op.  cit.,  I  p.  177  ss. 

2.  Exemples  dans  Corpus  Inscript.  Grsec,  N"  2437  ss  ;  3462,  3492,  etc. 
Cf.  Roscher,  art.  cité,  2487  ss.,  2534.  —  On  ne  peut  confondre  l'hérol- 
sation  par  le  Sénat  ou  les  maf^islrats  avec  l'introduction  de  cultes 
étrangers  que  décrètent  les  mûmes  pouvoirs.  Kn  effet,  quand  un  séna- 
tus-consulto  ordonne  une  introduction  pareille,  il  s'agit  de  divinités 
anciennes,  qu'on  transporte  seulement  à  Kome,  afin  d'afTirmer  ainsi  le 
lien  de  sujétion  qui  unit  les  provinces  à  la  capitale.  Ce  n'est  pas  une 
nomination  de  dieux  nouveaux. 

3.  Cf.  De  Groot,  Les  cultes  célébrés  annuellement  à  Amoy  (Annales 
du  Musée  Guimet,  série  in-4»,  XX).  p.  589  ss.,  cf.  p.  72. 

4.  Rohde,  op.,  cit.,  p.  353  ss.  Roscher,  art.  cité,  col.  2548  s. 


10  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTK    DES    HÉnoS 

provoquer  en  révélant,  parexcm[)lc,  Texislcnce  d'un  liéros. 
Encore  celle  intervention  se  produit-elle  toujours  dans  des 
formes  rituelles,  admises  comme  formes  régulières  de  la 
révélation.  Ainsi  les  songes  sont  un  moyen  classique  par 
lequel  les  héros  et  les  saints  se  font  connaître  et  réclament 
un  culte  '. 

Lors  même  qu'on  ne  peut  indiquer  une  nomination  solen- 
nelle comme  origine  d'un  culte  héroïque,  celui-ci  tire  sa 
légitimité  du  même  principe  dont  se  réclame  l'autorité  des 
régimes  et  des  magistrats.  C'est  le  cas  des  cultes  qui  datent 
d'un  temps  immémorial,  et  qui  sont  ainsi  légitimés  par  leur 
ancienneté  même. 

Le  fait  est  que  le  culte  des  héros  prend  l'aspect  d'un 
culte  de  magistrats.  Celui  des  Empereurs  romains  est  un 
exemple  topique.  Les  martyrs  sont  les  maîtres,  les  goii- 
vernants  des  villes'.  En  Chine,  les  Pères  des  Murailles 
et  des  Fossés  sont  chargés  de  l'administration  des  villes^. 
Ils  sont  d'ailleurs  pour  la  plupart  danciens  mandarins  et 
ils  constituent  une  hiérarchie  parallèle  à  celle  des  fonc- 
tionnaires vivants  *. 

De  plus,  tout  comme  un  magistrat,  le  héros  peut  être 


i.  Ainsi  un  certain  Naulochos  est  déclaré  héros  dans  la  ville  de  Priène 
après  qu'il  est  apparu  trois  fois  en  songe  à  Philios  de  Salamine  en 
compagnie  de  Démeter  et  de  Korc  :  Rohde,  op.  cit..  Il,  p.  359  note  3. 
On  fit  un  tel  abus  des  songes  pour  découvrir  les  reliques  de  martyrs 
inconnus  que  les  synodes  et  les  docteurs  de  l'Eglise  s'en  sont  émus 
comme  d'un  véritable  scandale  :  Cf.  Canon  XIV  du  III"  Concile  de  Car- 
thage,  dans  Mansi,  III.  p.  'J71  :  «  Quae  per  somnia  et  per  inanes  quasi 
revelationes  quorumlibet  hominum  ubique  conslituuntur  altaria  omni- 
modo  reprobentur.  »  On  sait  que  les  autels  étaientérigés  sur  les  tombes 
des  martyrs.  Cf.  aussi  Sophronius,  De  peccalorum  confessione,  dans 
Migne  P.  G.,  t.  LXXXVI,  p.  3369.  Cf.  Lucius,  op.  cit.,  p.  loi  ss. 

2.  Ainsi  saint  Démétrius  martyre  est  «  ô  oeottôtt,;  jjisTà  Oeôv  Tf)ç 
•;rô).ewc  ©î-ffjtXovixrjÇ  »,  Jean,  év.  de  Thessalonique,  Miracula,  cités  par 
Lucius,  op.  cit.,  p.  215. 

3.  De  Groot,  op  cit.,  p.  572  ss.,  p.  589  ss. 

4.  Jbid.,  p.  589  ;  Albert  Réville,  La  religion  chinoise  (Bisloii'e  des  reli- 
gions, III).  1889,  p.  603. 


INTRODUtrriON  11 

destitué  ot  rcmplncr  par  un  autre.  Le  fait  s'est  produit  plus 
d'une  fois  dans  les  villes  grecques.  En  Chine,  l'empereur 
peut  révoquer  les  héros  qui  négligent  leurs  fonctions'.  De 
même  on  voit  des  églises  chrétiennes  changer  de  vocables. 
On  les  dédie  i\  dos  saints  en  vogue  tandis  que  les  vieux 
patrons  tombent  dans  l'oubli. 

Le  cultr  du  héros  est  un  culte  public.  —  Le  fait  que 
le  culte  héroïque  est  chose  publique,  appert  aussi  de  ce 
qu'il  est  obligatoire  à  un  degré  plus  élevé,  pourrait-on  dire, 
que  celui  des  morts  en  général  ou  des  ancêtres  anonymes. 

Dans  les  groupes  à  base  familiale,  le  culte  du  héros 
résume  celui  de  tous  les  autres  ancêtres.  L'admission  à  ce 
culte  équivaut  à  l'adoption.  Le  héros  est  l'ancôtre  par 
excellence,  qu'on  invoque  toujours  individuellement,  tandis 
que  le  culte  des  autres  morts  de  la  famille,  en  tant  que  culte 
d'esprits  individuels,  devient  facultatif  après  un  certain 
temps. 

Quant  aux  héros  des  groupes  qui  sont  des  unités  poli- 
tiques, leur  culte  est  obhgatoire  dans  la  même  mesure  que 
l'est  la  soumission  aux  pouvoirs  constitués.  Se  dérober  au 
culte  de  l'Empereur  équivalait  dans  l'Empire  romain  t\  un 
crime  de  haute  trahison,  tandis  que  chacun  y  pouvait  choi- 
sir librement  ses  dieux.  De  même  un  citoyen  qui  ne  pratique 
pas  le  culte  de  ses  héros  municipaux  lèse  sa  patrie.  En  un 
mol  le  culte  des  héros  est  par  excellence  un  culte  d'Elat, 

Pareillement,  dans  les  corporations,  chaque  membre  est 
obligé  de  prendre  part  au  culte  du  héros  patron,  tout  en 
restant  libre  de  pratiquer  en  dehors  de  sa  profession  tel 
culte  qu'il  entend.  De  plus,  le  héros  est  généralement  le 
seul  mort  auquel  la  corporation  rende  un  culte.  Tout  au 

1.  De  Groot.  op.  cil.,  p.  12  s. 


12  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

plus  reconduit-elle  au  cimetière  ses  membres  décédés, 
après  quoi  elle  s'en  désintéresse.  S'ils  reçoivent  ultérieu- 
rement un  culte,  c'est  seulement  de  la  part  de  leurs  familles 
et  de  leurs  amis. 

Ainsi  les  héros  sont  des  personnages  auxquels  le  groupe 
humain  a  régulièrement  délégué  sa  propre  autorité.  Ce 
sont  des  représentants  qui  émanent  du  groupe. 

Le  héros  incarne  un  idéal  social.  —  Celui-ci  les  crée 
et  se  voit  en  eux. 

En  effet,  que  ce  soit  un  poète,  un  chroniqueur,  ou  un 
hagiographe  qui  conte  les  exploits  du  héros,  l'auteur  n'est 
pas  un  créateur  dans  le  sens  propre  du  mot.  Il  est  surtout 
un  ordonnateur  et  un  interprète.  Il  réunit  autour  de  son 
héros  des  thèmes  que  lui  fournit  la  tradition,  il  les  ordonne, 
les  amplifie.  Sans  doute  il  lui  arrive  d'en  imaginer  de  nou- 
veaux et  d'en  faire  même  le  point  culminant  de  sa  narra- 
tion. Mais  l'attitude  que  prend  son  héros  dans  ces  épisodes 
dépend  de  la  valeur  sociale  que  ce  personnage  réalise.  Le 
choix  même  du  thème  est  imposé  au  poète  par  son  entou- 
rage. Le  public  «  n'attend  du  poète  que  ce  qu'il  connaît 
déjà  et  il  ne  désire  l'entendre  que  parce  qu'il  le  connaît  »  *. 

Il  y  a  collaboration  entre  le  poète  et  le  milieu  pour 
lequel  il  chante.  Celui-ci  fournit  un  cadre  tout  prêt  que  le 
conteur  remplit  mais  qu'il  ne  peut  élargir  que  dans  une 
certaine  mesure.  Et  ensuite  toute  innovation  acceptée  par 
}e  public  devient  à  son  tour,  au  moins  pour  un  temps,  un 
schéma  obligatoire. 

Au  contraire,  lorsqu'il  s'agit  de  personnages  ou  d'épi- 
sodes secondaires,  les  légendes  héroïques  emploient  sou- 
vent des  traits  qui  attestent  une  pleine  liberté  d'invention. 

1.  Lucius,  op.  cit..  p.  85. 


1 


i 


INTRODUCTION  13 

En  un  mot  le  héros  incarne  le  type  humain  particulier 
à  la  société  qui  a  créé  sa  légende.  C'est  bien  en  effet  un 
témoin  qui  justifie  les  idées  essentielles  c\  la  vie  collective. 

Le  héros  est  un  homme.  —  Il  ressort  de  ce  qu'on  vient 
de  dire  que  le  héros  ne  peut  être  qu'un  homme. 

En  efTel,  c'est  d'un  homme  seulement  que  les  hommes 
peuvent  se  réclamer  comme  d'un  témoin  de  leur  propre 
mérite. 

On  peut  dire  que  le  héros  est  l'exaltation  de  l'homme  en 
opposition  avec  le  monde  des  dieux  et  des  esprits  '.  Car  le 
héros  a  la  puissance  effective  d'un  Dieu.  Il  faut  bien  qu'il 
Taie  dans  l'intérêt  de  la  valeur  suprême,  qu'il  réalise  acti- 
vement en  tant  qu'homme  et  que  champion. 

Mais  pourquoi  lui  est-elle  conférée? 

Conquête  de  la  puissance  héroïque.  —  Généralement 
cet  homme  est  un  mort. 

En  Grèce  tout  particulièrement,  la  représentation  du 
héros  est  celle  d'un  homme  mort.  Pindare  dit  qu'on  ne 
peut  devenir  héros  qu'après  sa  mort^  La  notion  de  la  mort 
est  à  ce  point  essentielle  à  la  conception  grecque  des  héros 
qu'on  rencontre  en  Grèce  des  cultes  héroïques  dont  le  seul 
l)rétcxle  est  l'existence  d'un  tombeau,  souvent  môme  ano- 
nyme'. 

Le  culte  des  héros  se  confond  en  Grèce  avec  celui  des 
morts  et  des  dieux  chthoniens. 

i.  Celle  opposition  est  trôs  nette  par  exemple  dans  le  mythe  de  Pro- 
mélhée,  Ici  que  le  rapporte  Eschyle. 

i.  Pindare,  V»  Pylhique,  v.  94  s. 

3.  Les  fondateurs  d'HéracIée,  par  exemple,  trouvent  à  l'endroit  qu'ils 
I  valent  choisi  pour  construire  la  ville  un  tombeau.  L'oracle  leur  ordonne 
lie  rendre  un  culte  au  héros  qui  y  est  enterre.  Rohde,  op.  cit.,  I,  p.  ITi. 
—  Il  y  avait  en  Grèce  un  grand  nombre  de  héros  anonymes,  dont  on 
ne  connaissait  rien,  sauf  leurs  tombeaux.  Exemples  dans  Rohdc,  ibid  , 
p.  174,  note. 


14  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Le  lombemi  du  hùros  est  le  lieu  du  culte  ';  le  temps  du 
culte  est  la  miil  ou  bien  le  crépuscule*.  Les  animaux  des- 
tinés à  être  immolés  sont  de  teinte  sombre.  On  ne  les  brûle 
pas,  mais  on  les  égorge  et  on  laisse  pénétrer  le  sang  dans 
le  tombeau  par  un  trou  \  Les  fôtes  des  héros  ont  le  môme 
rituel  que  les  fôtes  funéraires  *. 

Comme  les  dieux  chthoniens  les  héros  sont  représentés 
sous  l'aspect  de  serpents'*.  Les  pratiques  du  culte  consacré 
aux  uns  comme  aux  autres  sont  désignés  par  le  mot 
ivxyiJ^ew,  tandis  que  les  termes  8'jet.v,  Ospairela  sont  réservés 
pour  le  culte  des  Olympiens.  Les  héros  sont  des  dieux 
néfastes,  comme  les  démons  souterrains.  Ils  résident  sous 
terre,  dans  leurs  tombeaux. 

On  retrouve  la  notion  de  la  mort  comme  élément  prin- 
cipal dans  le  culte  des  saints  chrétiens.  Il  est  célébré  sur 
leur  tombeau.  La  commémoration  solennelle  des  saints  a 
lieu  le  jour  anniversaire  de  leur  mort.  Les  fêtes  des  martyrs 
étaient  aux  premiers  siècles  de  l'Eglise  une  reproduction 
des  fêtes  païennes  en  Thonneur  des  héros  et  des  morts  \ 

S'il  n'est  pas  mort  physiquement,  le  héros  est  tout  au 
moins  un  homme  qui  est  entré  vivant  dans  le  domaine  des 
esprits.  Il  est  ainsi  assimilé  à  un  mort.  Il  en  a  les  qualités 
et  les  droits. 

De  ce  fait  il  apparaît  que  la  mort,  dans  le  cas  du  héros, 


i.  Cf.  Rohde,  op.  cit.,  I,  p.  159  ss. 

2.  Rohde,  I,  |).  148  s.  ;  J.-E.  Harrison,  p.  338.  —  Il  faut  que  les  pra- 
tiques du  culte  héroïque  soient  terminées  avant  l'aurore.  Comme 
exemples  cf.  Pindaro,  III'  Islamique,  v.  83  ss.  ;  Apollonius  de  Rhodes, 
I,  387;  Pausanias,  li,  11,7;  YIII,  14,11,  Plutarque,  Solon,  IX;  Diogène 
Laërce,  VIII,  33,  etc. 

3.  Rohde,  I,  p.  149.  Cf.  p.  6b. 

4.  J.-E.  Harrison,  p.  350  ss.  ;  Rohde,  I,  p.  149  s. 

5.  J.-E.  Harrison,  p.  326  ss.  ;  341  ss.  Cf.  p.  15  ss. 

6.  J.-E.  Harrison,  p.  8  ss.  ;  p.  3bû  ss. 

7.  Cf.  à  ce  sujet  Lucius,  op.  cit.,  livre  I  :  i">  partie. 


! 


INTRODUCTION  15 

est  elle  aussi  un  passage,  une  préparation,  un  degré  de 
perfeclionncment. 

Ainsi  certains  héros  ont  été  enlevés  par  les  dieux  comme 
Héraclès.  D'autres  ont  eiïectué  des  voyages  en  Autre- 
Monde  comme  Orphée,  Bran,  fils  de  Febal,  ou  bien  ils  ont 
vu  des  pays  dont  les  traits  sont  ceux  d'un  pays  divin, 
comme  le  jardin  des  Hespérides,  la  Colchide  que  les  Argo- 
nautes et  Héraclès  ont  visités. 

La  barrière  infranchissable  qui  sépare  le  monde  des 
esprits  du  monde  des  hommes  peut  être  encore  levée  par 
voie  d'initiation,  et,  en  effet,  les  premiers  initiés  sont  véné- 
rés comme  iiéros.  Quelquefois  l'acte  héroïque  consiste  à 
enfreindre  ouvertement  les  interdictions  rituelles,  quitte  à 
encourir  les  sanctions  de  ce  crime.  Mais  le  groupe  profite 
de  l'impiété  du  héros,  grâce  aux  mystères  qu'il  a  dévoilés. 
Tel  est  par  exemple  le  cas  de  Prométhée. 

Un  t^pe  de  héros  qui  se  rapproche  des  initiés  est  l'ascète 
et  le  moine  chrétien.  Ils  sont  glorifiés  avant  leur  mort  et 
considérés  comme  saints.  C'est  que  par  leur  genre  de  vie 
ils  se  sont  séparés  du  monde  profane  *.  Ils  réalisent  le 
Royaume  de  Dieu  sur  terre. 

On  a  vu  de  même  des  saints  dans  les  chrétiens  qui  ont 
été  désignés  pour  le  martyre,  mais  auxquels  la  mort  a  été 
épargnée.  Ils  sont  des  hommes  que  Dieu  a  marqués  d'avance 
comme  élus". 

En  général  la  dignité  héroïque  appartient  aux  hommes 
qui,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  sont  revêtus  d'un  carac- 
tère sacré.  Ainsi  les  rois  de  Sparte  deviennent  de  plein 
droit  des  héros  après  leur  mort  %  et  les  mandarins  chinois 

i.   Lucius,  p.  396  ss.  :  les  docteurs  de  l'Église  tracent  un  parallèle 
entre  l'ascétisme  et  le  martyre.  Cf.  p.  402  s.  et  p.  41. 

2.  Lucius,  p.  61  s. 

3.  Rohde,  I,  p.  163  et  note. 


16  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

sont  des  personnages  sacrés  de  leur  vivant  et  héroïsés 
après  leur  mort  parce  qu'ils  sont  représentants  do  l'Em- 
pereur*. Tous  les  évoques  de  l'Eglise  primitive  cl  tous 
les  papes  jusqu'au  iv"  siècle  sont  saints.  Ils  ont  été,  pour 
ainsi  dire,  canonisés  par  le  fait  de  leur  élection. 

C'est  que  tous  ces  personnages  participent  en  même 
temps  à  la  nature  divine  et  à  la  nature  humaine.  11  en  est 
de  môme  des  fils  de  dieux  et  de  tous  ceux  qui  se  sont  unis 
à  des  dieux  ou  des  déesses  et  qui  sont  aussi  considérés 
comme  héros. 

S'il  en  est  ainsi,  c'est  que  le  héros  doit  sortir  du  monde 
des  hommes  afin  d'atteindre  la  réalisation  complète  de  la 
valeur  qu'il  incarne  par  définition. 

Cette  valeur  est  représentée  comme  une  puissance  effec- 
tive. Cette  puissance  est  quelque  chose  de  comparable  à 
celle  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  maim.  C'est  en  géné- 
ral une  puissance  mystérieuse,  impersonnelle  et  surhu- 
maine. La  force  du  héros  n'est  pas  créée  par  lui.  Ce  sont 
des  énergies  mystérieuses,  parfois  hostiles,  qui  existent  en 
un  milieu  inaccessible  aux  hommes  ordinaires.  Le  héros 
abat  les  barrières  qui  les  défendent,  il  les  dégage,  s'en 
rend  maître  et  prouve  sa  force  en  s'en  emparant. 

Aussi  la  représentation  du  héros  est-elle  souvent  celle 
d'un  lutteur  et  le  combat  est  l'acte  héroïque  par  excellence. 

Le  héros  LUTTEUR  ET  CONQUÉRANT.  —  Daus  Ics  sociétés 
barbares  cette  lutte  est  purement  physique,  compliquée  tout 
au  plus  de  ruse  guerrière.  Ainsi  les  héros  de  l'Iliade  vain- 
quent les  dieux,  détenteurs  de  puissance  effective,  ils  leur 
tendent  des  pièges.  L'Héraclès  des  mythes  primitifs  n'est 
qu'un  homme  d'un  grand  courage  et  d'une  vigueur  prodi- 

1.  De  Groot,  The  religions  system  of  CAina,  I,  Leyde,  1892,  p.  220. 


INTRODUCTION  17 

gieuse,  qui  mène  à  bien  des  tâches  difficiles,  terrasse  des 
monstres  et  massacre  des  ennemis. 

Mais  peu  à  peu  la  lutte  se  spirilualise.  On  la  transporte 
dans  le  domaine  moral.  Le  mt^me  mythe  d'Héraclès  inter- 
prété par  les  Stoïciens  et  les  Cyniques  est  devenu  l'histoire 
symbolique  de  la  lutte  que  soutient  l'homme  libre  contre  la 
destinée  et  une  apothéose  de  la  vertu  difficile  qui  triomphe 
du  vice  et  du  plaisir. 

Le  martyr  chrétien,  l'ascète  sont  eux  aussi  des  triom- 
phateurs. Us  ont  vaincu  la  faiblesse  de  la  chair,  les  péchés, 
et  ont  humilié  les  païens  et  le  démon.  Les  victoires  ulté- 
rieures de  leurs  coreligionnaires  en  sont  rendues  plus  aisées 
et  la  communauté  entière  participe  aux  grâces  de  son  saint. 

Les  libérateurs  de  peuples,  les  grands  capitaines,  sont 
pareillement  des  héros  pour  avoir  réveillé  l'énergie  latente 
d'une  nation  ou  d'une  armée.  Môme  lorsqu'ils  n'ont  pas 
triomphé  on  les  vénère  quand-môme. 

En  général,  l'acte  héroïque  consiste  à  démontrer  au 
groupe  sa  propre  puissance  malgré  les  difficultés  dont 
se  hérisse  une  pareille  entreprise.  Plus  elles  sont  effrayantes, 
plus  grande  aussi  est  la  dignité  du  héros.  Il  est  non  seule- 
ment le  dépositaire  de  la  puissance  mystérieuse  de  la 
société,  il  en  est  le  conquérant. 

Héros  protecteur  de  son  groupe.  —  Le  héros  est  aussi 
représenté  comme  pair  on  ci  avocat  de  son  groupe. 

Il  met  à  son  service  la  puissance  effective  qu'il  détient. 
Il  en  écarte  les  fiéaux.  Les  saints  chrétiens  et  les  héros 
grecs  font  gagner  des  batailles  aux  habitants  des  villes  sur 
lesquelles  ils  étendent  leur  protection'. 

1.  La  bataille  de  Salamine  a  été  gagnée  par  les  Grecs  non  grâce  à 
leur  valeur,  mais  grâce  aux  dieu.x  ol  au.\  héros,  suivant  Thcmistocle  lui- 
même.  Exemples  nombreux  dans  Roïnie.passim,  et  dans  Ohlert,  op.  cil. 

Cz\!U40WSKl.  2 


18  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTE    l)i:s    HKHOS 

Ils  veillent  à  ce  que  les  lois  soient  respectées,  îi  ce  que 
les  serments  ne  soient  pas  violés  '. 

C'est  à  eux  qu'on  s'adresse  lorsqu'on  a  besoin  de  se 
rendre  bienveillante  la  volonté  divine.  Ils  intercèdent  auprès 
de  Dieu,  ils  font  fléchir  sa  juste  colère,  ils  obtiennent  des 
délais  aux  punitions.  Les  saints  embrassent  la  cause  de  leurs 
fidèles,  môme  lorsqu'il  s'agit  de  pêcheurs  endurcis.  Ils  les 
font  bénéficier  de  leur  propre  sainteté  et  obtiennent  que  la 
justice  divine  leur  soit  clémente. 

En  résumé  le  héros,  tel  que  le  définit  le  langage,  est  un 
homme  ou  un  mort  qui  incarne  une  valeur  et  qui  reçoit  un 
culte  obligatoire  comme  détenteur  du  mana  qu'il  met  au 
service  de  son  groupe. 

Analyse  de  la  notion  du  héros  funéraire.  —  Nous  avons 
dit  que  le  héros  était  généralement  un  mort. 

C'est  un  mort  qui  se  distingue  nettement  de  la  foule  des 
autres  morts.  Il  est  plus  puissant,  plus  honoré,  et,  avant 
tout,  il  reçoit  un  culte  et  non  pas  en  tant  que  mort,  mais  en 
tant  qu'il  fut  tel  ou  tel  individu. 

Les  héros  sont  des  morts  divinisés.  —  Le  fait  est  que 
les  TÎpweç  grecs,  pour  ne  parler  que  de  ceux-ci,  forment 
une  catégorie  à  part  entre  les  morts. 

Leurs  monuments  funéraires  sont  des  édifices  de  forme 
particulière  dont  le  nom  seul,  viptoov,  suffît  à  prouver  qu'ils 
leur  étaient  réservés.  Lorsque  le  tombeau  du  héros  n'est  pas 
surmonté  d'un  rlpwov  proprement  dit,  on  y  érige  au  moins 
un  monument  commémoratif,  priua,  sur  lequel  sont  repré- 
sentées l'apothéose  du  mort  héroïsé,  des  scènes  de  sa  vie, 
ou  bien  encore  des  emblèmes.  On  voyait  par  exemple  un 

1.  Tel  le  héros  Talthybios  qui  punit  les  Spartiates  d'avoir  tué  les 
ambassadeurs  persans,  el  d'avoir  ainsi  offensé  le  héros,  qui  était  leur 
garant. 


IMUODICTION  49 

bélier  sur  le  monument  de  Th veste  près  de  Mycènes'.  Très 
nombreuses  sont  les  stèles  qui  représentent  le  mort  recevant 
des  libations,  ou  bien  prenant  part  à  un  festin  héroïque, 
souvent  en  compagnie  de  dieux  ou  sous  les  traits  d'un  dieu. 

Enfin  les  tombeaux  héroïques  sont  signalés  Ci  l'attention 
des  passants  par  des  inscriptions  qui  décernent  au  mort  le 
titre  de  /ipoj^'. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  par  son  aspect  qu'un  tom- 
beau héroïque  diiïère  de  ceux  qui  encombrent  les  cime- 
tières. Il  s'en  distingue  aussi  par  sa  situation. 

En  effet,  ce  n'est  pas  dans  les  nécropoles  communes  en 
dehors  des  murs  que  reposent  les  héros  les  plus  vénérés, 
mais  au  cœur  même  des  villes,  là  où  se  concentre  l'activité 
commerciale,  politique  et  religieuse,  sur  la  place  pubhque. 
Ainsi  le  héros  Battos  est  enterré  sur  le  marché  de  Cyrène% 
Adraste  sur  celui  de  Sicyone',  des  héros  anonymes  sur 
ceux  d'Elis  et  d'Héraclée.  Les  tombeaux  d'autres  héros 
sont  situés  dans  les  prytanées,  comme  ceux  de  Ménippe 
et  dEchépolis,  fils  d'Alcathoos,  à  Mégare%  dans  les  forte- 
resses, dans  des  temples,  comme  celui  d'Hyakinthos,  qui 
est  sous  le  piédestal  de  la  statue  môme  d'Apollon  dans  le 
sanctuaire  d'Amycles\  Le  tombeau  de  Pélops  est  situé  au 
centre  de  Tenceinte  sacrée  et  du  mouvement  de  la  fête, 
dans  l'Allis  d'Olympie*. 

1 .  Pausanias,  II,  18,2.  Ce  bélier  commémore  un  épisode  de  la  légende 
(lo  Thyesti.'. 

2.  Exemples  réunis  dans  Roscher,  Lexikon,  l.  c.  Cf.  aussi  Rohde.  II, 
p.  359,  notes  1  à  4. 

3.  Pindare,  V»  Vylhique,  v.  93  ss. 

4.  Hérodote,  V,  67. 

5.  Pausanias,  VI,  24,7;  Apollonius  de  Rhodes,  Argonaut.,  II,  v.  835 
"S.  cité  par  Rhode,  I,  p.  172  n.  5.  Cf.  Pausanias,  I,  43,7. 

6.  Pausanias,  I,  43,  2-3. 

7.  Ibid.,  111,  19,  3. 

8.  Pindare,  /•  Olympique,  v.  93  ss. 


20  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

D'autres  sépultures  héroïques  se  voient  aux  portes  des 
villes,  parfois  môme,  comme  le  tombeau  d'Etole,  fils 
d'Oxylos,  à  Elis,  sous  la  porte  môme'.  Ou  bien  encore 
le  héros  est  enterré  à  la  limite  du  territoire,  comme  le  fut 
le  héros  Koroibos,  ainsi  que  son  père  Mygdon  ^ 

Au  contraire,  les  morts  qui  ne  sont  pas  des  héros  sont 
enterrés  au  dehors  de  la  ville,  dans  leurs  tombeaux  de 
famille.  U  y  a  ainsi  entre  eux  et  une  grande  partie  des 
héros  une  différence  de  traitement,  qui  apparaît  capitale, 
lorsqu'on  considère  que  ces  héros  sont  précisément  ceux 
dont  le  culte  est  le  plus  ancien  et  le  mieux  enraciné,  qu'ils 
sont  des  héros  types,  auxquels  on  a  seulement  assimilé 
tous  ceux,  qui  sont  le  produit  d'héroïsalions  postérieures  '• 

Le  héros  grec  est  donc  un  mort  privilégié  entre  tous  les 
morts.  Son  tombeau  occupant  un  emplacement  inusité  pour 
une  sépulture,  mais  qui  est  normal  pour  l'édification  d'un 
sanctuaire  divin,  le  culte  qui  s'y  pratique  prend  néces- 
sairement l'aspect  d'un  culte  rendu  à  un  mort  exception- 
nel, à  un  mort  qui  serait  devenu  un  dieu. 

En  effet,  certains  héros  sont  directement  associés  aux 
dieux  dans  la  célébration  du  culte.  Tel  est  à  Amycles 
Hyakinthos,  qui  a  une  part  dans  les  offrandes  apportées  à 
Apollon.  La  ligne  de  démarcation  entre  les  héros  et  les 
dieux  est  môme  si  peu  nette  que  nous  voyons  de  nombreux 
dieux  locaux  transformés  en  héros  par  la  croyance  popu- 
laire, et  inversement  un  héros,  môme  obscur,  est  fréquem- 
ment appelé  Oîo^,  dieu.  Quelques-uns  des  personnages  de 
la  mythologie  et  de  l'épopée   sont  vénérés  tantôt  comme 


1.  Pausanias,  V,  4,  2. 

2.  Ibid.,  VHI,  26,3  :  tombeau  de  Koroibos.  Ibid.,  X,  27.1  :  tombeau 
deMygdon,  père  de  Koroibos, 

3.  Nous  renvoyons  en  ce  qui  concerne  celte  question  à  Rohde,  op. 
cit.,  I,  chap.  :  Die  lleroen. 


INTRODUCTION  21 

dieux,  tantôt  comme  héros,  par  exemple  Asclépios,  Héra- 
clès ou  Achille,  qui  était  dieu  en  Epire  et  i\  Erylhres  et 
(|ui  recevait  en  Ehde  un  culte  héroïque'. 

LES  HÉROS  SONT  DES  MORTS  QUI  GARDENT  LEUR  INDIVIDUA- 
LITÉ. —  Ainsi  le  héros  est  un  mort  qui  est  un  dieu.  Par  là 
même  et  par  le  fait  du  caractère  exceptionnel  de  sa  sépul- 
ture, c'est  un  mort  qui  conserve  son  individualité  intacte. 

Tandis  que  le  culte  des  autres  morts  en  tant  qu'individus 
dure  seulement  aussi  longtemps  que  la  mémoire  de  leurs 
proches,  celui  du  héros  s'adresse  toujours  à  un  personnage 
distinct. 

Son  rlpojov  est  un  sanctuaire  qui  lui  est  dédié  personnel- 
lement, comme  les  temples  le  sont  aux  dieux.  On  inscrit 
sur  le  fronton  le  nom  du  héros  ou  son  épilhète'.  Il  en  est 
de  même  des  autels  qui  se  dressent  sur  les  tombes 
héroïques.  Le  héros  profite  seul  des  offrandes  qu'on  y 
apporte  et  des  sacrifices  qu'on  y  célèbre.  Quand  Ulysse 
évoque  Tirésias,  il  verse  d'abord  une  hbation  «  pour  tous 
les  morts  »  après  quoi  il  offre  un  sacrifice  particulier  à 
l'ombre  du  devin  \ 

Et  les  générations  successives  ont  beau  rejoindre  leurs 
prédécesseurs  dans  l'oubli,  le  culte  du  héros  persiste 
immuable.  Ainsi  les  habitants  de  Mégare  célèbrent  annuel- 
lement des  sacrifices  en  l'honneur  des  héros  Térée  et  Inus*, 
ceux  d'Amalhonle  en  l'honneur  d'Onésilos  ^  Achille  est 
pleuré  au  moment   du   coucher  du  soleil  par  les  femmes 

1.  (-f.  Rohde,  I,  p.  183  s.  et  notes;  Usener,  GoUernamen  p.  239. 

2.  Ainsi  rii/ipa  découverte  dans  l'T^pwov  à  l'ouest  de  l'Altis  d'Olym- 
pie  portait  les  inscriptions  :  r,Qiuop,  f,pa)o,-,  f,pajov  plusieurs  fois  répé- 
tées. Curtius,  Die  Allâre  von  Olympia,  p.  21  ss. 

3.  Odyssée,  X,  v.  516  à  540;  XI,  v.  23  ss. 

4.  Pausanias,  I,  41,8;  42,8. 

5.  Hérodote,  V,  114. 


22  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

d'Elide'.  La  fôte  funéraire  du  héros  est  répétée  sans  fin 
avec  la  môme  pompe  à  ses  anniversaires,  par  exemple  à 
Sparte,  où  l'on  célèbre  régulièrement  des  jeux  en  l'hon- 
neur de  Léonidas.  Tels  sont  encore  les  jeux  en  l'honneur 
de  Miltiade,  de  Brasidas,  des  Phocéens  massacrés  à  Agylla". 
En  général  tous  les  jeux  périodiques  de  la  Grèce  passaient 
pour  avoir  été  institués  en  Thonneur  de  héros  et  n'avoir 
été  que  plus  tard  placés  sons  l'invocation  des  dieux^.  Par 
contre  les  fêtes  funéraires  des  hommes  ordinaires  ne  sont 
jamais  répétées  indéfiniment.  On  finit  par  ne  plus  les  pleu- 
rer qu'aux  dates  communes  du  culte  des  morts. 

Ainsi  le  héros  est  toujours  traité  comme  un  esprit  indi- 
viduel. Il  mène  une  existence  indépendante,  même  dans 
le  triste  monde  de  THadès.  Loin  de  se  mêler  aux  âmes 
il  les  surpasse  de  toute  sa  grandeur  héroïque.  Il  les 
régit  et  les  commande.  Il  échappe  à  la  faiblesse  des 
ombres. 

Sa  puissance  s'est  même  accrue.  11  n'est  pas  bon  de 
négliger  le  culte  d'un  héros  :  car  il  a  les  moyens  de  forcer 
les  hommes  à  le  célébrer.  Ainsi  l'esprit  d'Actéon  dévastait 
le  pays  d'Orchomène  jusqu'à  ce  qu'on  se  fût  décidé  à 
l'honorer  comme  héros  et  à  célébrer  en  son  honneur  une 
fête  annuelle'.  Les  offenses  faites  aux  héros  sont  cruelle- 
ment vengées.  Le  poète  Stésichore,  qui  s'était  permis  de 


i.  Pausanias,  VI,  23,2. 

2.  Kohde  I,  p.  loi  s.  Les  lamentations  sur  la  mort  d'Achille  dont  on 
vient  de  parler  préludent  aussi  à  des  jeux. 

3.  Rohde,  I,  p.  132  note  1.  Les  jeux  Néméens  passaient  pour  commé- 
morer Archémoros,  les  Isthmiques  étaient  célébrés  pour  Mélicerte, 
puis  pour  Sinis  ou  Sicron  ;  les  Pythiques  étaient  un  àj-wv  ir.'.zi(^io<; 
pour  Python,  les  Olympiques  pour  Oenomaos  ou  pour  Pélops.  — 
Rohde  remarque  que  tout  n'est  pas  de  la  spéculation  dans  ces  attribu- 
tions. Le  fait  est  avéré  que  d'anciens  jeux  en  1  honneur  du  héros  Tle- 
polemos  qu'on  célébrait  à  Rhodes,  jeux  dont  parle  Pindare,  furent 
plus  tard  dédiés  à  Helios. 

4.  Pausanias  IX,  38,4. 


INTRODUCTION  23 

médire  d'Hélène  fut  privé  de  la  vue  '.  Un  paysan,  qui  avait 
coupé  le  bois  sacré  du  héros  local  d'Anagyre,  un  village 
attique,  perdit  sa  femme  :  remarié,  le  héros  suscita  chez  la 
nouvelle  épouse  du  sacrilège  un  amour  coupable  pour 
son  beau-fils  ;  comme  le  jeune  homme  résistait,  sa  belle- 
mère  l'accusa  devant  son  père  qui  lui  creva  les  yeux  et 
l'exila  dans  une  île  déserte;  quant  au  sacrilège  lui-môme, 
devenu  pour  le  monde  entier  un  objet  d'aversion,  il  finit 
par  se  pendre,  tandis  que  sa  femme  se  jetait  dans  un  puits  ^ 

Le  héros  est  un  mort  dont  i/ame  reste  attachée  a  ses 
RELK'UES.  —  Il  est  représenté  comme  continuant  à  vivre  sa 
vie  humaine  tout  en  participant  à  la  nature  des  esprits. 

En  effet,  la  mort  n'interrompt  point  l'activité  morale  et 
physique  du  héros.  Ses  affections  et  ses  haines  persistent. 
Adraste  et  Mélanippe,  qui,  leur  vie  durant,  étaient  ennemis 
mortels,  se  haïssent  après  leur  mort.  Clisthène,  tyran  de 
Sicyone,  qui  faisait  la  guerre  aux  Argiens,  s'étant  vu  refu- 
ser par  l'oracle  de  Delphes  l'autorisation  de  chasser  hors 
de  la  ville  Adraste  l'Argien,  qui  y  possédait  un  sanctuaire, 
fit  donc  venir  de  Thèbes  l'image  de  Mélanippe,  l'installa 
dans  le  prytanée  et  lui  fit  rendre  les  honneurs  jusque  là 
dus  à  Adraste.  Mélanippe  joua  bien  son  rôle  et  fit  battre  les 
Argiens. 

Mais  sa  vie  humaine,  le  héros  la  continue  là  où  sont  ses 
reliques  et  son  tombeau.  Le  tombeau  est  la  demeure  du 
héros.  Les  offrandes  qu'on  lui  apporte  lui  parviennent direc- 
tementpar  un  tuyau  pratiqué  dans  l'autel  héroïque,  sjyàoa*, 

1 .  Isocrale,  Éloge  d'Hélène,  64.  Decharme,  Mythologie  de  la  Grèce 
antique,  p.  500. 

2.  Légende  de  Jérôme  de  Rhodes,  fragm.,  dans  Snidas,  résumée 
dans  Rhode,  I,  p.  191. 

3.  Hérodote,  V,  67. 

4.  On   a   trouvé  un  autel  pareil  au-dessus  des  tombes  royales  de 


24  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

OU  bien,  comme  à  Amycles,  par  une  porte  qui  s'ouvre  sur 
le  côté  de  l'autel  et  qui  mène  à  l'intérieur  du  tombeau*.  Il 
faut  se  f^arder  d'élever  la  voix  en  passant  auprès  d'une 
sépulture  héroïque  de  pour  de  déranger  le  héros  ^  Quand 
on  évoque  les  héros  on  aj)pelle  leurs  noms  la  face  tournée 
vers  leurs  tombeaux  ^ . 

C'est  qu'on  se  représente  l'Ame  du  héros  comme  liée  à  sa 
dépouille  mortelle.  En  effet,  c'est  dans  leurs  rchques  que 
réside  la  puissance  effective  des  héros.  La  possession  de  ces 
reliques  assure  la  victoire  dans  la  guerre,  le  salut  devant 
les  fléaux,  la  protection  en  tout  temps*.  Aussi  mettait-on 
tout  en  œuvre  pour  les  avoir.  On  les  gardait  comme  d'in- 
signes trésors.  L'histoire  grecque  est  rempHe  de  récits  qui 
nous  rapportent  des  inventions  ou  des  translations  de 
^eUques^  Nous  ne  citerons  comme  exemple  qu'une  des 
plus  typiques.   Au  moment  où  Cimon   assiégait  Scyros, 


Mycènes.  L'autel  était  rond,  creux  à  l'intérieur  et  le  tuyau  qu'il  formait 
était  ouvert  des  deux  bouts.  Le  sang  était  donc  absorbé  par  le  sol  du 
tombeau. 

1.  Pausanias,  loc.  cit. 

2.  J.-E.  Harrison,  p.  340. 

3.  Ainsi  les  habitants  de  Phlionte  appellent  avant  la  fête  de  Demeter 
le  héros  Aras  et  ses  fils  xaAoûu'.v  Itic  xàç  a-Trovoàç,  èç  xaûxa  ^)£7îovTe; 
Ta  fJLv^jjLaxa.  Pausanias,  II,  12,  5.  —  Cf.  Rohde,  I,  p.  160  n.  3. 

4.  Par  exemple  l'oracle  ordonne  de  transporter  à  Orchomène  les  osse- 
ments d'Hésiode  pour  délivrer  la  ville  de  la  peste.  Pausanias  IX,  38,3. 

5.  Exemples  dans  Rohde,  I,  p.  161,  note  1  :  translation  des  ossements 
d'Oreste  de  Tégée  à  Sparte  (Hérodote  I,  67,  68.  Cf.  Pausanias,  III,  3,  6; 
11,  8  :  VIII,  54,  3)  ;  translation  des  ossements  d'Hector  dllion  à  Thébes 
(Paus.,  IX,  18,  3);  de  ceux  d'Arcas  de  Mainalos  à  Mantinée  (Paus  ,  VIII, 
9,  2)  ;  de  ceux  d'Hippodamic  de  Midée  en  Argolide  à  Olympie  (Paus., 
VI,  20,  4)  ;  de  ceux  de  Tisamène  à  Sparte  (Paus.,  VII.  1,  3)  ;  de  ceux 
d'Aristomène  de  llle  de  Rhodes  à  Messène  (Paus.,  IV,  32,  3).  Toutes  ces 
translations  avaient  été  ordonnées  par  l'oracle.  —  Invention  de  reli- 
ques :  on  découvrit  un  jour  dans  le  lit  de  l'Oronte  un  grand  cercueil 
de  onze  coudées  de  longueur,  qui  renfermait  un  cadavre.  L'oracle 
déclare  que  ce  sont  les  ossements  d'Oronte  (Pausanias,  VIII,  29,3).  Le 
navire  qui  porte  l'omoplate  de  Pélops  fait  naufrage.  Un  pêcheur 
retire  de  la  mer  une  énorme  omoplate  qu'on  reconnaît  être  la  relique 
perdue  et  qu'on  transporte  à  Olympie  (Pausanias,  V,  13,  3). 


INTRODUCTION  25 

la  Pythie  consultée  sur  l'issue  de  l'entreprise,  répondit 
qu'elle  ne  finirait  par  une  victoire  que  si  l'on  ramenait 
î\  Athènes  les  ossements  de  Thésée  ;  Cimon  découvrit  dans 
l'ilc  la  sépulture  d'un  homme  armé,  de  très  grande  taille, 
dans  lequel  on  reconnut  Tiiésée  et  dont  la  dépouille  fut 
rapportée  en  grande  pompe  à  Athènes.  Ainsi  fut  assurée  la 
prise  de  Scyros'. 

Le  héros  funéraire  est  donc  représenté  comme  un  mort 
dont  l'Ame  n'est  pas  tout  à  fait  séparée  de  son  corps,  en 
un  mot  comme  un  être  spécial,  mort,  mais  encore  vivant. 

La  mort  héroïque  est  celle  qui  a  une  portée  sociale.  — 
Mais  les  héros  ne  se  signalent  pas  seulement  par  les  vertus 
de  leur  vie  et  la  puissance  de  leurs  reliques.  Leur  mort 
même  diffère  de  celle  des  hommes  ordinaires.  Elle  a  une 
portée  sociale. 

Tous  ceux  qui  sont  morts  en  combattant  comme  cham- 
pions d'une  cause  générale,  et  tous  ceux  dont  la  mort  est 
un  acte  de  dévouement  sont  désignés  pour  devenir  des 
héros'. 

Toute  mort  qui  a  une  valeur  rituelle  est  aussi  une  mort 
héroïque.  Ainsi  certains  héros  sont  considérés  comme  tels 
parce  qu'ils  ont  joué  de  leur  vivant  un  rôle  proéminent 
dans  la  célébration  d'une  fête.  Tels,  par  exemple,  les  vain- 
queurs des  jeux  olympiques  ^  On  glorifie  parfois  ceux  qui 
sont  morts  en  un  lieu  saint,  ou  bien  encore  ceux  dont  on 


1.  Cf.  plus  haut,  p.  9,  note  1. 

2.  Ainsi  beaucoup  de  guerriers  tués  dans  les  guerres  contre  les  Perses 
furent  htTOlsés,  par  exemple  les  morts  de  Marathon  (Rohde.  II,  p.  349, 
n.  5).  Cf.  plus  haut  :  jeux  en  l'honneur  de  Léonidas  à  Sparte.  —  Les 
morts  pour  la  patrie  avaient  à  Athènes  des  fjLvrjfiara  près  de  la  route 
qui  menait  à  l'Académie.  Ils  étaient  tous  sinon  des  T^pcoe;,  du  moins  des 
hommes  qui  touchaient  de  près  à  cette  dignité.  (Description  de  leurs 
monuments  dans  Pausanias,  I,  29). 

3.  Exemples  réunis  chez  Roscher,  art.  cité,  col.  2526  ss. 


26  SAINT    PATHICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

y  a  découvert  les  reliques.  C'est  le  cas  de  nombreux 
saints  chrétiens,  qui  doivent  leur  inscription  au  martyro- 
loge au  seul  fait  que  leurs  ossements  ont  été  découverts 
dans  les  catacombes'.  La  mort  de  certains  autres  est 
une  sorte  de  sacrifice  comme  celle  de  Didon,  d'Hamilcar, 
d'Orphée  ou  encore  des  martyrs  chrétiens.  Il  y  a  des  héros 
dont  la  mort  est  une  expiation  ou  bien  marque  le  terme 
d'une  expiation.  C'est  la  mort  des  Pélopides  ou  d'Œdipc. 

Enfm  tout  genre  de  mort  susceptible  d'une  interprétation 
mythique,  une  mort  qui  bouleverse  l'ordre  établi  peut  faire 
un  héros  d'un  homme  quelconque.  Telle  est  toute  mort  vio- 
lente et  mystérieuse,  le  suicide,  la  mort  causée  par  la  foudre, 
par  une  catastrophe  rare  et  incompréhensible.  Les  hommes 
qui  meurent  subitement,  surtout  lorsqu'ils  sont  jeunes,  la 
première  ou  la  dernière  victime  d'une  épidémie  deviennent 
souvent  des  héros.  On  y  voit  des  personnes  marquées  par 
la  divinité.  Sont  héros  tous  ceux  qui  ont  été  tués  par  les 
dieux,  comme  Ajax  filsd'Oïléus. 

Ainsi  la  mort  héroïque  ou  celle  des  héros  est  normale- 
ment une  mort  tragique.  En  tout  cas  on  ne  peut  la  rame- 
ner à  ridée  de  décès  physique. 

Au  contraire  nous  voyons  qu'elle  nous  rapproche  de  la 
notion  du  héros  glorifié  de  son  vivant.  Il  s'agit  de  l'entrée 
rituelle  d'un  homme  dans  le  monde  sacré. 

Or,  c'est  là-même  la  représentation  du  héros  que  nous 
avons  étudiée  tout  à  l'heure.  Le  héros,  tel  que  le  définit  le 
langage,  et  le  héros  funéraire,  sont  au  fond  identiques. 

Définition  du  héros.  —  Nous  pouvons  désormais  essayer 
de  formuler  le  résultat  de  notre  anal3'se  en  une  définition 
du  héros. 

1.  Exemples  dans  P.  Saintyves,  Les  saints  successeurs  des  dieux, 
Paris,  1909,  I"  partie. 


INTRODUCTION  27 

Le  héros  est  un  homme  qui  a  rituellement  conquis j  par 
les  mérites  de  sa  vie  ou  de  sa  mort,  la  puissance  effective 
inhérente  à  un  groupe  ou  à  une  chose  dont  il  est  le  repré- 
sentant et  dont  il  personnifie  la  valeur  sociale  fonda- 
mentale. 

Celte  définition  n'est  que  provisoire.  Pour  en  donner  une 
formule  définitive,  il  eût  fallu  entreprendre  ici  une  élude 
approfondie  de  tous  les  cultes,  mythes  et  légendes  héroïques 
possibles.  Telle  quelle  cependant  elle  nous  paraît  suffi- 
sante pour  distinguer  les  héros  des  autres  personnages 
sacrés,  surtout  dans  les  civilisations  européennes  dont  nous 
aurons  à  nous  occuper.  Il  nous  importe  particulièrement 
de  les  distinguer  des  dieux  et  des  saints. 

Les  héros  et  les  dieux.  —  Les  héros,  lorsqu'ils  sont 
l'objet  d'un  culte,  sont  une  catégorie  particulière  de  dieu.x. 
Ils  participent  à  leur  nature  et  à  leur  puissance.  Ils  forment 
une  classe  intermédiaire  entre  les  grands  dieux  et  les  esprits 
anonymes,  parents  de  ceux-ci  par  leurs  fonctions  et  de 
ceux-là  parce  que  leur  personnalité  est  bien  distincte. 

Mais  le  héros  est  et  demeure  toujours  un  homme.  Il 
réunit  en  lui  les  deux  natures  divine  et  humaine.  Son  culte 
révèle  une  tentative  des  homme  pour  rapprocher  d'eux  le 
monde  des  dieux  et  s'en  rendre  les  maîtres.  C'est  un  dieu 
humanisé. 

Les  héros  et  les  saints.  —  Quant  aux  saints  ils  forment 
une  catégorie  spéciale  de  héros. 

Ils  en  réunissent,  en  efTet,  les  traits  essentiels.  Us  sont 
des  hommes  glorifiés,  qui  par  leurs  actes  ou  par  leur  mort 
ont  mérité  une  situation  privilégiée  entre  les  élus.  Les  fidèles 
vivent  en  communion  avec  eux.  Ils  voient  dans  les  saints 
leurs  avocats  auprès  de  Dieu. 


28  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Mais  ce  sont  des  héros  d'une  espèce  particulière.  La 
nolion  de  sainteté  est  subordonnée  à  un  idéal  moral  et  reli- 
gieux fixé  par  la  théologie. 

Le  saint  doit  réaliser  un  type  de  vie  morale  et  accomplir 
des  actes  déterminés  à  priori  par  les  textes  sacrés  et  par  la 
tradition  de  TÉglise.  A  la  fixation  de  l'idéal  de  sainteté 
président  d'autre  part  les  croyances  eschalologiques.  Le 
saint  est  Tinstrumcnl  humain  qui  fait  éclater  la  gloire  de 
Dieu  et  qui  travaille  au  salut  de  ses  prochains  et  au  sien 
propre. 

La  notion  de  sainteté  est  ainsi  propre  aux  sociétés  qui 
sont  constituées  en  églises  ou  en  sectes,  puisque  ce  sont 
les  conditions  essentielles  dans  lesquelles  une  théologie 
peut  s'élaborer. 

Ce  qui  suivra,  va  démontrer,  espérons-le,  que  saint 
Patrick  n'est  pas  seulement  un  saint,  mais  plus  exacte- 
ment un  héros. 


CHAPITRE  PREMIER 

LOEUVHE    DE   SAINT   PATBICK   EN   IRLANDE 


L'existence  môme  de  Saint  Patrick  a  été  mise  en  doute. 
Ceux  qui  l'ont  admise  ont  apprécié  si  diversement  son  rôle 
qu'il  faut  pour  se  faire  une  opinion  s'adresser  directement 
aux  sources  '. 

De  i,' existence  de  saint  Patrick.  —  De  l'existence  de 
saint  Patrick^  on  a  deux  sortes  de  preuves  :  directes  et 
indirectes. 


1.  Pour  écrire  ce  chapitre  nous  avons  mis  à  contribution  les  études 
de  J.-H.  Todd,  Memoir  on  saint  Patrick,  Ihe  apostle  of  Ireland,  Dublin, 
1864  ;  Benjamin  Robert,  Élude  critique  sur  la  vie  et  l'œuvre  de  saint 
Patrick,  liibeuf,  1883  (Thèse  présentée  à  la  Fac.  de  Théol.  l'rot.  de 
Paris)  ;  J.-B.  Bury.  The  life  of  saint  Patrick  and  his  place  in  hiatory, 
London.  1903.  Les  appendices  critiques  du  dernier  de  ces  livres,  le 
meilleur  que  nous  connaissions  sur  la  question,  nous  ont  été  particu- 
lièrement utiles. 

2.  Contestée  pour  la  première  fois,  à  notre  connaissance,  par 
E.  LedwWhi Antiquities  of  Leland,  Dublin.  1793»,  puis  par  C-G.  Schœll 
{De  ecclesiasticœ  Brilonum  Scolorumque  liistoriœ  fontibus.  Berlin,  1851) 
et  Loofs  lAnliquœ  Britonum  Scotorumque  ecclesix  quales  fuerunt  mores, 
LipsiîC,  188i).  Cf.  réfutation  dans  Benjamin  Robert,  op.  cî7.  Cf.  Zimmer,  art. 
Keltische  Kirche,  dans  liealencyklop'idie  fiir  Protestanliiche  Théologie, 
où  l'e.xistence  de  saint  Patrick  est  admise,  mais  comme  celle  d'un  obscur 
évoque  du  Leinstcr  dont  la  mémoire  fut  au  vu»  siècle  substituée  à  celle 
du  véritable  apôtre  de  l'Irlande.  Cf.  la  réfutation  de  cette  tlièse  dans 
Bury,  op.  cit.,  p.  384  ss.  Comme  tous  ceux  qui  contestent  l'existence  de 
saint  Patrick  en  tant  que  personnage  distinct,  l'identifient  avec  Palla- 
dius,  nous  revii^ndrons  sur  leurs  arguments  en  discutant  cette  question. 
Leur  principale  raison  est  que  Bède  aurait  assurément  parlé  de  saint 
Patrick,  si  ce  personnage  avait  réellement  converti  l'Irlande.  Mais  le 
silence  de  Bède  s'explique  par  le  but  môme  de  son  lUsloria  Ecclesias- 


30  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTE    DES    HEROS 

C'est  d'abord  l'anliquilé  de  son  culte  en  Irlande.  Elle 
est  attestée  par  un  hymne  liturgique  latin  en  l'honneur  de 
Patrick,  V Hymne  de  Secundinus\  Celte  composition  est 
sûrement  antérieure  au  milieu  du  vi*  siècle,  et  tout  fait 
croire  qu'elle  dalc  du  v°.  La  forme  en  est  empruntée  à  un 
hymne  de  saint  Hilaire.  Inusitée  en  Gaule  après  le  v®  siècle, 
on  n'en  trouve  point  d'autre  exemple  en  Irlande^.  C'est 

tica.  Il  s'y  agit  de  décrire  l'histoire  du  christianisme  chez  les  Anglo- 
Saxons  et  non  dans  les  Iles  Britanniques  en  général.  L'bglisc  d'Irlande 
n'intéresse  Bède  que  dans  la  mesure  où  elle  exerça  une  influence  directe 
sur  le  christianisme  breton.  Il  parle  donc  de  l'abbaye  de  lona  et  de  ses 
missions,  mais  n'a  aucune  raison  de  parler  de  Patrick,  lona  et  les  autres 
fondations  de  suint  Columcilie  étaient  d'ailleurs  en  concurrence  avec  les 
fondations  qui  se  réclamaient  de  saint  Patrick  (Cf.  Tirechân,  dans  Tri- 
parlite  Life,  II.  p.  314,  1.  8  ss.).  Cf.  la  discussion  et  la  réfutation  de  l'ob- 
jection tirée  du  silence  de  Bède  dans  Bury  dans  English  IlistoricalReview, 
juillet,  1903  et  l.  c.  p.  386.  M.  Bury,  ibid.,  note  2,  remarque  encore  qu'au 
temps  de  Bédé  les  actes  de  saint  Patrick  étaient  pour  la  plupart  rédigés 
en  irlandais,  par  conséquent  inacessibles  à  l'auteur  de  Vllisloria  Eccle- 
siaslica,  et  que  la  plus  ancienne  rédaction  latine  ne  datait  que  de  trente 
ans  environ.  Mais  la  Confession,  VEpilre  et  l'Hymne  de  Secundinus 
existaient.  —  De  notre  côté,  ajoutons  la  répugnance  de  Bède  à  parler 
des  Celtes  et  de  leur  Eglise.  Il  les  hait,  les  considère  comme  schisma- 
tiques,  et  s'ap|)lique  à  en  dire  le  moins  de  bien  possible. 

i.  Mss  :  Antiphonarium  Benchorense  {,Ant.  Bench.)  du  viu«  siècle,  Bibl. 
Ambrosienne.  Milan,  et  deux  Libri  Hymnorum,  l'un  du  couvent  des 
Fransciscain  de  Dublin  (Fr.  L.  H.),  l'autre  du  Trinity  Collège,  Dublin 
{Lib.  Ilymn.),  du  xiii»  siècle.  —  Publié  une  première  fois  par  Colgan  dans 
Triadis  Thaumaluryse...  Acla,  p.  210  s.  (App.  111  ad  Vil.  Pair.)  puis  par 
Thomas  Ware  (Wareus)  dans  Opuscula  Sancti  Patricii,  1656,  p.  144  ss., 
d  après  Vr.  L.  H.  Version  de  Ant.  Bench.  dans  Muratori.  Anecdota  Am- 
brosiana,  IV,  p.  127  ss.,  réimpression  dans  Migne,  Patrologia  Latina, 
LXXII,  p.  582  s.  —  Éditions  critiques  :  J.-H.  Bernard  et  Robert  Atkinson, 
The  Irish Liber  Uymnoi'um,  London,  1898  (Henry  Bradshaw  Society  publ. 
for  1897,  vol.  XUI  et  XIV),  1,  p.  7-p.  13  ;  Whitley  Stokes  dans  Triparlite 
Life,  II  p.  386-p.  389  (d'après  fV.  L.  H.  comparé  à  Ant.  Bench.).  On  trou- 
vera dans  les  préfaces  à  ces  deux  éditions  des  renseignements  sur  les 
Mss.  Il  y  a  encore  une  édition  par  J. -II.  todd,  dans  The  Book  ofHymns, 
Dublin.  1855,  mais  on  ne  peut  s'y  fier. 

2.  Whitley  Stokes,  Triparlite  Life.  I,  Inlrod.  p.  CIX  :  Le  même  mètre 
est  employé  dans  un  hymne  d'un  certain  Camelacus,  contemporain  de 
saint  Patrick.  Cf.  Secimdiîius  :  «  Aùdite  ômnes  amantes  Deum  sâncta 
mérita  »...;  saint  Hilaire  (dans  Bernard  et  Atkinson  op.  ci^,  I,  p.  36-42): 
«  Ymnum  dicat  lùrba  fratrum,  ymnum  cântus  pérsonet  ».  Ce  mètre 
est  très  ancien.  Cf.  la  chanson  des  soldats  de  César  :  «  Cœsar  Gàllias 
si'ibegit,  Nlcomedes  Ceesarem  ».  —  Les  strophes  de  YHymne  de  Secun- 
dinus sont  de  quatre  vers.  Chacune  commence  par  une  autre  lettre  de 
l'alphabet. 


l'oeuvre    de    saint    PATRICK    EN    IRLANDE  31 

donc  à  l'époque  où  rinfluence  de  l'Eglise  gallicane  se  fai- 
sait sentir  en  Irlande  '  et  probablement  [)ar  un  contem- 
porain des  missionnaires  venus  du  continent,  que  l'Hymne 
de  Secundiniis  a  ûté  composé.  Sa  teneur  lui  fait  assigner 
d'autre  paît  une  date  très  proche  de  la  mort  de  Patrick. 
On  n'y  trouve,  en  effet,  mention  d'aucun  miracle,  rien  qui 
indique  une  légende  en  voie  de  formation  —  et  cepen- 
dant, malgré  les  termes  généraux  des  louanges,  on  voit 
que  l'auteur  connaissait  la  vie  et  les  vertus  du  saint'. 

Le  nom  à  désinence  latine  de  notre  saint  fournit  une  autre 
présomption  en  faveur  de  son  existence  réelle.  Tous  les 
autres  saints  vénérés  en  Irlande,  à  re.xcoption  de  quelques 
compagnons  et  disciples  immédiats  de  saint  Patrick,  ont 
des  noms  gùidéliqucs '.  Le  nom  même  de  saint  Patrick  a 

1.  A  partir  du  v»  siècle  jusqu'au  milieu  du  vu»  l'Église  d'Irlande  se 
développe  indépondammenl.  ISes  relations  avec  le  reste  du  monde 
catholique  sont  purement  théoriques.  Cf.  plus  loin,  chap.  vi. 

2.  Cf.  avant-dernière  strophe,  premier  vers  :  saint  Patrick  est  un 
modèle  de  piété  ;  il  chante  les  hymnes  et  l'Apocalypse.  —  Whitley 
Stokes  remarque  que  l'auteur  de  l'Hymne  de  Secundinus  emploie  le 
présent  pour  parler  du  saint,  et  il  en  conclut  â  la  très  haute  antiquité 
de  la  composition.  Quanta  l'attribution  à  Secundinus,  elle  est  évidem- 
ment erronée,  s'il  est  exact  que  ce  personnage  mourut  en  447  (Annals 
of  LUiter,  éd.  Hennessy,  I,  sub  anno) ,  donc  quatorze  ans  avant 
saint  Patrick.  Pour  M.  Bury,  l'emploi  du  pn-sent  et  l'absence  d'allu- 
sions biographiques  indiquent  que  l'hymne  est  antérieur  à  la  mort  du 
saint.  Mais  il  contient  une  allusion  à  la  mort  de  Patrick  :  «  Testis 
Domini  fidelis  in  lege  catholica  ».  Le  «  témoin  du  Seigneur  »  est  le 
saint  qui  est  déjà  mort,  et  qui  reçoit  un  culte.  Ce  vocable  désignait 
primitivement  les  martyrs,  plus  tard  ceux  qui  étaient  déjà  entrés  dans 
la  Gloire.  L'hypothèse  de  M.  Bury  que  le  vers  cité  pourrait  faire  allu- 
sion à  un  voyage  de  saint  Patrick  à  Rome  pour  être  éprouvé  dans  son 
orthodoxie  par  le  pape,  est  insoutenable.  (Un  voyage  de  ce  genre  est 
mentionné  dans  Ann.  of  Ulsler,  sub  anno  441).  Cf.  aussi  les  strophes 
1,3,  5,  9  et  11  où  le  saint  est  glorifié  comme  ne  peut  l'être  qu'un 
homme  entré  dans  la  Paix  du  Seigneur. 

3.  Cf.  Félire  Oengusso  céli  Dé,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Henry 
Rradshau:  Society  publ.  for  l'J05,  vol.  XXIX  :  The  Marlyrology  of 
Donerjal  ou  O'Clery's  Calendar,  éd.  J.-H.  Todd  et  W.  Reeves,  trad. 
J.  O'Donovan,  {Irish  Archœol.  and  Cellic  Soc),  Dublin  ;  Félire  hui 
Gormâin,  éd.  Whitley  Stokes.  {Henry  Bradshaw  Soc).  Cf.  aussi  la 
liste  des  anciens  évéques  qui  sont  tous  des  patrons  locaux,  dans  James 
Ware  (Warcus)  De  prtesulibiis  Hiberniae  Commenlarius,   Dublin,  1665. 


32  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

été  complètement  inusité  en  Irlande  avant  une  époque 
relativement  récente'.  Aussi  bien  les  anciens  Gôidels  ne 
pouvaient-ils  le  prononcer.  Ils  en  firent  Cothraige  avant 
d'apprendre  à  dire  Pafrdic  ".  Un  pareil  nom  ne  serait  pas 
devenu  celui  d'un  saint  populaire  s'il  n'avait  eu  pour  lui 
une  tradition  fortement  ancrée  ^ 

—  Des  disciples  ou  compagnons  de  Patrick  qui  ont  des  noms  latins, 
seul  Benignus  (Benen)  jouit  d'un  culte  répandu.  Encore  ne  le  doit-il 
qu'à  sa  connexion  parliculiôrement  étroite  avec  saint  Patrick.  (Cf. 
chap.  m)-  Les  autres  :  Auxilius  (Aussailc),  patron  à  Killosy  (Clé 
Kildare);  Iserninus,  confondu  à  tort  ou  à  raison  avec  saint  Filh  et 
vénéré  sous  ce  nom  à  Aghade  (Gté  Carlow)  et  dans  la  région  de 
,  Clonmore  (limite  dis  Ctés  Carlow  et  Wicklow)  ;  enfin  Secundinus 
'  (Sechnall)  patron  à.  Dunshaughiin  (près  Tara,  Gté  Meath)  et,  peut-être, 
vénéré  aussi  à  Armagh.  ne  jouissent  que  d'un  culte  purement  local  et 
n'ont,  pour  ainsi  dire,  point  de  légende.  Ils  n'apparaissent  que  dans 
celle  de  St.  P..  comme  personnages  épisodiques.  Cf.  Ware,  op.  cit.,  sub 
nom.  lac.  ;  Bury,  op.  cit.,  pp.  H7  et  note,  163  s.,  259  note,  319.  Rôle 
légendaire  :  Muirchu,  \'ie  de  saint  Patrick,  dans  Tripartite  Life,  II,  p.  273 
(Cf.  Armais  of.  Vlsler,  s.  a.  439)  :  Tirechân,  Vie  de  St.  P..  ibid.,  p.  331, 
J.  H.  Todd,  Saint  Patrick,  174  ss.  —  On  pourrait  alléguer  contre  nous 
l'exemple  des  deux  saints  Colomban.  Mais  dans  leur  cas  il  s'agit  de 
noms  monastiques  empruntés  au  symbolisme  chrétien  :  l'un  est 
appelé  Columcille,  ce  qui  signiGe  Colombe  d'Église,  l'autre  Columba, 
11  est  manifeste  que  ni  Palricius,  ni  aucun  des  noms  des  compagnons 
du  saint  n'ont  une  origine  pareille. 

1.  Ce  n'est  qu'à  partir  du  .\»  siècle  qu'on  rencontre  en  Irlande  des  pré- 
noms étrangers.  Jusqu'à  la  conquête  normande  (1172)  ils  sont  très  rares, 
même  parmis  les  gens  d'iiiglise.  Actuellement  Patrick  y  est  le  prénom 
préféré.  On  le  rencontre  dans  presque  toutes  les  familles.  Paddy  est  le 
sobriquet  par  lequel  les  Anglais  désignent  les  Irlandais  depuis  le  xvi«s. 

2.  Le  son  p  manquait  complètement  à  l'irlandais  primitif  (cf.  Ven- 
dryès.  Grammaire  irlandaise,  Paris,  1907).  Il  ne  fut  introduit  que 
par  les  ecclésiastiques  parlant  latin.  Cf.  id.,  De  Hibernicis  vocabulis 
quae  a  latina  lingua  oriqinem  duxerunt,  Paris  1902.  —  Dans  les  pre- 
miers temps  les  Irlandais  remplaçaient  le  son  p  par  k  (écrit  c)  dans 
les  mots  empruntés,  par  exemple  purpura  devint  corcur,  pascha  —  case, 
presbijier  —  cruimther.  —  Sur  Cothraige  cf.  en  particulier  Zimmer  op. 
cit.  La  forme  Col/iraige  se  rencontre  pour  la  première  fois  dans  V Hymne 
de  Fiacc,  strophe  3  (viu»  siècle),  éd.  Whitley  Stokes  et  John  Sirachan 
dans  Thésaurus  Palœohibemicus  II,  Cambridge,  1903.  p.  307.  — 
Tirechân  (vii«  siècle),  /.  c,  p.  3o2,  latinise  ce  nom  en  Cotliirtiacus,  et 
ibid.  p.  310  on  a  :  «  ad  petram  Coithrigi  et  p.  331  :  «  pelra  Coithirgi  ». 
—  M.  Bury  a  signalé  les  traces  de  la  prononciation  la  plus  ancienne 
dans  la  forme  latinisée  Quadriga  dans  Colgan,  Vita  11^  .  et  Quolirche, 
ibid.,  Vita  IV^  .  (Art.  Tradition  of  Muirchu's  Text  dans  Hermathena, 
1902,  p.  200). 

3.  Ce  que  nous  venons  de  dire  n'implique  nullement  qu'en  Irlande  on 


l'oeuvre    de    saint    PATRICK    EN    IRLANDE  33 

Les  écrits  de  Patrick  :  de  leur  authenticité.  — Mais  il 
existe  deux  écrils  de  Patrick,  témoignages  directs  de  son 
existence.  Ils  sont  connus  sous  le  nom  de  Confession  de 
saint  Patrick  et  d'Épftre  aux  chrétiens  sujets  du  tyran 
Coroticus\ 

L'attribution  de  ces  écrits  à  notre  saint  est  commune  à 
tous  les  manuscrits.  Un  de  ceux-ci,  qui  contient  la  plus 
ancienne  copie  de  la  Confession  date  de  807  ou  808'.  Mais 

n'ait  point  rendu  de  culte  aux  saints  de  l'Eglise  universelle.  Au 
VII*  siècle  on  croyait  posséder  des  reliques  des  saints  Pierre,  Paul, 
Laurent  et  Ktienno  à  .\rmagh  et  Dunseverick  (Tirechân.  l.  c,  pp.  301 
et  3i9).  La  Saint-Michel  et  la  Saint-Martin  sont  les  dates  de  fêtes  popu- 
laires (Extraits  du  Ms  RawUnson  B.  512  de  la  Bibl.  Bodiéienne  dans  Tri- 
parlite  Life,  Il  p.  556  s  et  p.  560  s.:  trad  Whitley  Stokos  en  regard).  En 
845  la  fête  des  saints  Pierre  et  Paul,  le  29  juin,  est  célébrée  à  l'abbaye 
de  Roscrea  (Cté  Tipperary)  au  milieu  d'un  grand  concours  de  peuple. 
L'oenach  (fêle  et  réunion  publique)  commençait,  lorsque  surgiront  les 
Danois.  Mais  ils  furent  repoussés  par  la  grâce  de  Pierre  et  de  Paul 
{Cotadh  Gaedhel  re  Gallaibh,  éd.  J.-H.  Todd,  Rolls  Séries,  London, 
p.  14,  trad.  p.  15). 

1.  Éditions  consultées:  Whitley  Stokes  dans  Triparlile  Life,  II,  Con- 
fessio,  p.  357  ss.:  Epislola  (version  du  Ms  Cotton  Nero  E  1)  p.  375  ss.  ; 
Rev.  N.-J.-D.  White,  Libri  sancti  Palricii  dans  Proceedinr/s  of  Ihe  Roy. 
Ir.  Acad  ,  XXV,  Sect.  C.  n"  7,  Dublin  1904.  Nos  références  se  rapportent 
aux  pages  de  l'édition  Stokes,  la  plus  accessible,  mais  nous  avons  con- 
fronté chaque  fois  le  texte  avec  celui  de  l'édition  critique  du  Rév. 
White.  Cf.  les  introductions  des  deux  éditeurs  pour  tout  ce  qui  con- 
cerne les  Mss  et  les  éditions  antérieures. 

2.  Livre  d'Armagh  lA),  Ms  de  contenu  divers,  compilé  par  le  scribe 
Ferdomnach  pour  Torbach,  abbé  d'Armagh  (m.  808;;  actuellement  au 
Trinily  Collège  de  Dublin.  Sur  le  Ms.  et  sa  date  cf.  Rev.  Charles  Graves 
dans  Proceedings  of  ihe  Roy.  Ir.  Acad.,  III,  p.  316  p.  334  et  p.  356  ss.; 
Edmund  Hogan,S.  J.  dans/l;ia/ec/a  fiollandiana.  I.  Bruxelles,  1882.  p.  532 
ss.  :  Whitley  Stokes  dans  Triparlile  Life,  I,  Jntr.  p.  xc-cxix.  —  Mais 
M.Gwynn.  cité  dans  Bury,  op.  cil.,  p. 224,  croit  que  les  documents  relatifs 
à  saint  Patrick  n'ont  été  copiés  dans  A  qu'après  la  mort  de  l'abbé  Tor- 
bach, donc  après  808.  En  tout  cas  ils  sont  du  premier  quart  du  ix*  siècle. — 
Une  édition  diplomatique  de  A  a  été  récemment  |)ubliée  par  M.  Gwynn. 
mais  elle  nous  est  demeurée  inaccessible.  —  Il  manque  quelques  pas- 
sages de  la  Conf.  dans  A.  qu'on  a  complété  d'après  un  Ms  de  la  Bibl. 
Roy.  de  Bruxelles.  Ces  passages  appartenaient  sans  doute  possible  au 
texte  primitif  et  ont  été  omis  par  le  copiste  soit  par  mégarde,  soit  parce 
qu'ils  étaient  désobligeants  pour  l'auteur.  L'n  d'eux  notamment  a  trait 
à  un  grave  péché  commis  par  saint  Patrick  dans  son  enfance.  — 
Zimmer,  loc.  cit.,  a  émis  l'hypothèse  que  le  texte  primitif  de  la  Conf. 
contenait  plus  de  détails  autobiographiques.  Cf.  la  réfutation  de  M.  Bury 
dans  English  llistorial  Review  XVIII,  juillet  1903,  p.  544  ss. 

CZARNOWSKI.  3 


34  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

amtôriniromcnl,  les  linf;i()gfaphes  irlandais  du  vu''  siècle  ont 
déjà  connu  les  deux  documents  en  question  et  leur  attribu- 
tion t\  saint  Patrick'. 

L'analyse  rend  évidente  leur  authenticité^. 

Ce  qu'aurait  visé  un  faiseur  d'apocryphos  serait  l'édifi- 
cation par  l'exemple,  soit  la  gloiification  du  saint,  soit 
enfin  l'exposé  d'une  doctrine  sous  l'autorité  d'un  grand 
nom.  Or  on  ne  trouve  rien  de  pareil  ni  dans  la  Confession 
ni  dans  VEpitre. 

L'auteur  y  donne  à  chaque  instant  des  preuves  d'humi- 
lité très  sincère.  Des  expressions  comme  ego...  peccator 
rtisticissimiis . . .  fideliinn^  ne  sont  pas  d'un  faussaire.  11 
y  a  dans  ces  écrits  une  tendance  manifeste  à  s'amoin- 
drir, à  se  refuser  tout  mérite.  Patrick  s'avoue  sot,  igno- 
rant. Il  n'a  jamais  étudié  à  fond  la  théologie  ni  le  droit, 
et  il  a  oublié  ce  qu'il  en  avait  appris.  Il  manie  difficile- 
ment le  latin  depuis  le  temps  qu'il  est  forcé  de  parler 
continuellement  en  langue  vulgaire*.  Dieu  a  bien  voulu 
se  servir  de  lui  plutôt  que  d'autres,  plus  dignes  par  la 
vertu  et  la  science.  Mais  il  n'a  été  que  le  vil  instrument  de 
la  Divinité  ^ 

1.  Cf.  plus  loin,  p.  71  s. 

2.  Elle  est  reconnue  actuellement  par  tous  les  historiens  du  christia- 
nisme irlandais.  Zimmer,  qui  antérieurement  en  avait  douté,  l'admit 
depuis  (op.  cit.). 

3.  Conf.,  p.  357,  clpastim.  Cf.  Conf.,  p.  374;  «  Patricius  peccator  indoc- 
tus  scilicet  Hiberione  conscripsit  »,  et  Épistola  p .  375  :  «  Patricius  peccator 
indoctus  scilicet  Hiberione  constitulus  episcopum   me  esse  fateor  ». 

4.  Conf.  p.  359  :  «  Timui...  ne  incederem  in  linguam  hominum...  qui 
optime  ilaque  iure  et  sacras  litteras  utroque  pari  modo  combiberunt, 
et  sermones  illorum  ex  infantia  nunquam  mutarunt,  sed  magis  ad  per- 
fectum  scmper  addiderunt.  Nam  sermo  et  loquela  mea  translaia  est 
in  linguam  alienara,  sicut  facile  potest  probari  ex  saliua  scripturae 
mese,  qualiter  sum  ego  in  sermonibus  instructus  atque  eruditus.  » 
Cf.  ibid  :  «  quatinus  modo  ipse  adpeto  in  senectute  mea  quod  in  iuuen- 
tute  non  comparaui  ;  quod  obstilerunt  peccata  mea  ut  confirmarem 
quod  antea  perlegeram  ».  Ibid.  p.  367  :  «  Breuiter  dicam...qucT  uerbis 
exprimere  non  ualeo,  nec  iniuriam  legentibus  faciam.  ». 

5.  Conf.  p.  360  s.  :  «  Eram  uelut  lapis  qui  iacet  in  luto  profundo,  ut 


l'oeuvre    de    saint    PATRICK    EN    IRLANDE  35 

La  Confession  parle,  il  est  vrai,  des  conversions  opérées 
par  Patrick,  de  ses  tribulations,  de  son  ascétisme.  Mais 
c'est  quelle  a  pour  but  de  défendre  son  auteur  contre 
une  accusation  d'indignité  qui  avait  été  portée  contre 
lui.  On  venait  de  proclamer  qu'il  avait  jadis  commis  un 
péché  qui  entraînait  sa  déchéance  de  la  dionité  épiscopale. 
Or  Patrick  ne  nie  pas  sa  faute,  quoiqu'il  se  plaigne  de 
ce  que  ce  soit  un  ancien  ami  qui  soit  son  accusateur.  Il 
allègue  seulement  pour  sa  défense  le  fait  que  Dieu  a  bien 
voulu  de  lui  pour  accomplir  de  grandes  choses,  et  la  pre- 
scription, plus  de  treille  ans  écoulés  depuis  son  péché.  Il 
n'était  même  pas  diacre  lorsqu'il  le  commit'.  Il  nous  narre 
encore  ses  remords  et  les  punitions  que  Dieu  lui  infligea 


uenit  qui  potcns  est  et  in  sua  miserioordia  sustulit  me  ;  et  quidem  sci- 
licet  sursum  adleuauit  et  collocauil  me  in  sua  parte...  Unde  autem 
admiramini  magni  et  pusilli,  qui  timetis  Deum,  et  uos  Domini  ignari 
rcthori^i...  audite  et  scrutamini,  quis  me  stultum  excitauit  de  medio 
eorum  qui  uidentur  esse  sapientes,  et  legis  periti  et  potentes  in  ser- 
mone  et  in  omni  re.  »  —  Ibid.,  p.  361  :  «  Et  non  eram  dignus,  neque 
lalis  ut  hoc  Dommus  seruulo  suc  concederet.  »  Cl.  ibid.,  p.  366  : 
saint  Patrick  ne  se  sentait  pas  digne  de  i'épiscopat.  —  Cf.  Conf., 
paasim. 

1.  Conf.,  p.  363  :  u  Et  quando  temptatus  sum  ab  aliquanlis  seniori- 
bus  meis  qui  uenerunt  et  peccata  mca  contra  laboriosum  episcopatum 
meura...  [lacune)  ...utique  in  illo  die  fortiter  impulsus  sum  ut  caderem 
(Cf.  Psaume  CXVIII,  38)  hic  et  in  îeternum;  sed  Dominus  pepercit  pro- 
selito  et  percgrino  jjropter  nomen  suum...  Occasionempost  annos  tri- 
ginta  inuenerunt  (correction  de  M.  White  ;  les  Mss  ont  «  occasio- 
num  —  inuenerunt  me  »)  et  aduersus  uerbum,  quod  confessus  fueram 
antequam  essem  diaconus...  Nescio,  Deus  scit,  si  habebam  tune  annos 
quindecim  et  Deum  unum  non  credcbam  nisi  e.x  infantia  mea,  sed  in 
morte  et  in  incrcdulilate  mansi,  donec  ualde  castigatus  sum...  »  lors 
que  le  péché  fut  commis.  Patrick  le  confessa  à  son  meilleur  ami,  qui 
(Conf.,  p.  360)  le  soutint  plus  tard  lorsqu'il  s'agit  de  l'ordonner  évoque, 
cl  qui  le  trahit  enfin.  Il  parait  ressortir  de  la  Confession,  qu'on  avait 
lancé  an  écrit  diffamatoire  contre  Patrick  :  ibid.,  p.  365,  le  saint  a  un 
songe  :  un  écrit  déshonorant  est  «  contre  sa  face  «  («  scripfum  erat... 
sine  honore  s).  Une  voix  le  console  :  «  maie  uidimus  faciem  designati 
Dudato  noraine  ».  M.  Bury,  op.  cit.,  p.  318  et  note,  suggère  que  «  sine 
honore  »  et  «  nudato  nomine  »  signifie  que  les  ennemis  de  Saint  Patrick 
omettaient  intentionnellement  son  titre  d'évéque.  Mais  on  peut  inter- 
préter aussi  ces  expressions  comme  des  métaphores  qui  désignent  le 
déshonneur  en  général. 


36  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

avant  d'en  faire  son  instrument'.  Toute  la  Confession  est 
ainsi  le  récit  des  crises  de  conscience  d'un  homme  voué  au 
souvenir  d'une  faute  et  qui,  guidé  par  les  signes  de  la 
grAce  divine,  consacre  sa  vie  à  la  racheter. 

Quant  aux  mentions  des  «  milliers  d'hommes  »  baptisés 
qu'on  trouve  dans  YÉpîtrc,  elles  s'exphquent  aisément. 
L'Épitre  est  destinée  à  ranimer  les  sentiments  de  solidarité 
chrétienne  parmi  les  guerriers  du  chef  Corolicus,  qui 
avaient  massacré  et  réduit  en  esclavage  les  néophytes  de 
Patrick.  C'est  pourquoi  le  saint  leur  rappelle  les  conver- 
sions que  Dieu  avait  opérées  par  son  intermédiaire,  une 
œuvre  qu'ils  risquaient  de  compromettre. 

L'auteur  de  la  Confession  et  de  YÉpitre  est  entièrement 
exempt  de  toute  forfanterie  hagiographique. 

En  effet,  il  n'y  a  aucune  trace  de  miracles  proprement 
dits  dans  les  deux  écrits.  Les  faits  que  Patrick  considère 
comme  miraculeux  sont  à  leur  place  dans  les  écrits  d'un 
mystique.  On  en  rencontre  de  plus  étonnants  dans  d'autres 
œuvres  autobiographiques  reconnues  authentiques.  Après 
un  long  jeûne  et  des  mortifications  multiples,  Patrick  entend 
des  voix^  Une  autre  fois  un  homme  lui  apparaît  en  songe, 
porteur  d'un  cartel  où  il  lit  un  appel  des  Irlandais  qui 
veulent  être  délivrés  des  ténèbres  du  paganisme^.  Enfin 

i.  Conf.,  p.  363  :  «  ualde  castigatus  sum  »,  etc.,  et  passim. 

2.  Conf.,  p.  361  ;  cf.  la  voix  entendue  en  songe,  p.  3o,  note.  Patrick 
a  un  cauchemar  et  se  sent  opprimé  par  Satan  :  Conf.,  p.  363. 

3.  Conf.,  p.  364  :  Cet  homme  se  nommait  Victoricus.  Il  venait  d'Irlande, 
porteur  d'innombrables  lettres  dont  il  montra  une  à  Patrick  «...  et  legi 
principium  epistolae  »  dit  le  saint,  «  continentem,  Vox  Ilyberionacum. 
Etduni  recitabam  principium  epistolœ  putabam  enini  in  mente  (ou  «  ipso 
momento  »?)  audire  uocem  ipsorum  qui  erant  iuxta  siluam  Focluti, 
quae  est  prope  mare  occidentale.  Et  sic  exclamauerunt  quasi  ex  uno  orc, 
Rogamus  te,  sancte  puer,  ut  uenias  et  adhuc  ambulas  inter  nos  ».  — 
A  la  suite  de  ce  songe  Patrick  en  raconte  encore  deux  autres  pendant 
lesquels  il  s'entend  réconforté  par  des  voix  et  confirmé  dans  sa  réso- 
lution d'aller  en  Irlande. 


L  OEUVRE    DE    SAINT    PATRICK    EN    IRLANDE  37 

Patrick  raconte  qu'ayant  débarqué  sur  un  rivage  désert,  les 
vivres  vinrent  à  manquer.  Le  capitaine  demanda  à  son  pas- 
sager pourquoi  son  Dieu,  qu'il  disait  tout-puissant,  ne  leur 
venait  pas  en  aide.  Patrick  répondit  qu'il  fallait  d'abord 
se  convertir  de  bonne  foi,  avant  d'attendre  quelque  chose 
de  la  gn\ce  divine.  C'est  ce  que  fit  le  capitaine.  Le  même 
soir  Dieu  envoya  aux  naufragés  un  troupeau  de  porcs*. 

Un  dernier  signe  de  l'authenticité  de  la  Confession  et 
de  YÉpUre  est  la  manière  dont  y  sont  mentionnés  les  faits 
biographiques.  Rien  de  ce  qu'a  fait  Patrick  en  Irlande  n'y 
est  raconté.  On  n'y  trouve  que  des  allusions  et  à  peine 
çà  est  là  un  court  développement.  Il  s'agit  évidemment  de 
faits  contemporains,  bien  connus  des  lecteurs.  Par  contre 
les  passages  relatifs  à  la  jeunesse  de  Patrick  avant  sa 
venue  en  Irlande  comme  missionnaire,  sont  relativement 
riches  en  détails  biographiques. 

Nous  pouvons  donc  conclure  que  ces  écrits  sont  de  saint 
Patrick,  et  partant,  qu'il  a  réellement  été  un  personnage 
historique. 

Patrick  et  Palladius.  —  Mais,  a-t-on  suggéré,  il  doit 
être  identique  à  un  autre  missionnaire,  Palladius,  envoyé 
en  Irlande,  dit  Prosper  d'Aquitaine  dans  sa  Chronique, 
par    le    pape    Célestin    I"    en    431,",    un    an   avant  la 


1.  Conf.,  p.  362  s.  :  «  Et  alio  die  cœpit  gubernator  mihi  dicere  :  Quid 
(est)  chrisliane?  Tu  dicis  Deus  tuus  magnus  et  omnipotens  est.  Quare 
ergo  pro  nobis  orare  non  potes?  quia  nos  a  fama  periclitamur.  Difficile 
(est)  unquam  ut  aliquem  hominem  uideamus.  —  Gonvertemini  e.x  fide  ad 
Dominum  Deum  meum,  cui  nihil  est  impossibile,  ut  cibum  mittat  uobis 
in  uiam  'ueslram  usque  dum  saliamini,  quia  ubique  habundat  illi. 
—  El  adiuuante  Deo.  ila  factum  est.  Ecce  grex  porcorum  in  uia  ante 
oculos  nostros  apparuit.  et  multos  ex  iilisinterfecerunt  et  bene  refecti...  » 
lis  trouvèrent  encore  du  miel. 

2.  Epitome  Chronicon,  éd.  Mommsen  dans  Afon.  Germ.  Hist.,  Série  in-4», 
Auclores  a/itiquissimi,  IX  {Chronica  minora  I),  p.  473  :  «  Ad  Scolos  in 
Christum  credentes  ordinatus  a  papa  Celestino  Palladius  priraus  épis- 


38  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

date  gént'ralement  admise  pour   la    venue   de  saint    l'a- 
trick'. 

L'itinéraire  de  Palladius  en  Irlande  coïncide,  en  cfTet,  en 
partie  avec  celui  de  Patrick.  De  plus,  un  texte  du 
vin''  siècle  dit  que  Palladius  était  nommé  aussi  Patricius'^ 
On  a  encore  fait  valoir  que  Pat  ricins  n'est  pas  un  nom, 

copus  mittitur  w.  —  Le  ronseignement  est  d'une  autorité  indisculablr. 
La  première  édition  de  ÏEpil,  Cliron.  est  de  444  et  Prosperesl  très  bien 
informé.  Mais  c'est  la  seule  mention  qu'on  ait  de  cette  mission.  Tous 
les  autres  textes  qui  en  parlent  dérivent,  en  effet,  de  celui  de  Prosper. 
Cf.  Bède,  Historia  ecclesiastica  genlis  Anglorum,  lib.,  1,  c.  13  :  «  Anno 
Dominicre  incarnalionis  CCCCXXIII  Theodosius...  cuius  anno  Imperii 
VIII  Palladius  ad  Scotos  in  Christum  credentes  a  pontifice  Romansp 
ecclesiae  Celestino  primus  mittitur  episcopus  ».  — Les  auteurs  irlandais, 
qui  n'admettent  pas  qu'il  y  ait  eu  des  chrétiens  en  Irlande  avant  la  venue 
de  saint  Patrick,  modifient  le  sens  du  texte  de  Prosper.  Cf.  Muirchn, 
dans  Triparlite  Life,  II,  p.  272  :  Palladius  archidiaconus  papœ  Ctelestini 
urbis  Roma?  episcopi...  ordinatus  et  missus  fucrat  ad  hanc  insolam... 
conuertendam  ».  La  preuve  que  le  texte  de  Muirchu  dérive  de  \'Epi- 
tome  Chronicon  est  dans  la  désignation  de  Palladius  comme  archi- 
diacre. Ci.Epilome  Chron.,  loc.  cil,  p.  472. —  Le  passage  relatif  à  Palla- 
dius dans  Nennius,  Historia  BriLonum  §  aO,  éd.  Mommscn,  Mon.  Germ. 
Rislor.,  Auct.  Antiquissimi,  XllI,  2,  p.  194,  a  une  source  intermédiaire 
entre  Prosper  et  Muirchu,  peut-être  la  source  de  celui-ci  :  «  missus 
est  Palladius  episcopus  primitus  a  Celestina  cpiscopo  et  papa  Romai 
ad  Scotos  in  Christum  conuertendos  »  —  Cf.  enfin  Sigeber  de  Gem- 
bloux,  Chronica,  éd.  Pertz  dans  hon.  Germ.  liist.,  Série  in-folio,  VIII, 
(Scriptores,W),  p.  302,  s.  a.  432  :  «  Celestinus  papa  ad  Scotos  in  Chris- 
tum credentes  Palladium  primum  mittit  episcopum  ». 

1.  Schoell,  op.  cit.,  Zimmer  op.  cit.  —  Le  dernier  auteur  croit  que 
Palladius-Patricius  fut  un  obscur  saint  local,  tiré  de  l'oubli  par  les  Irlan- 
dais en  quête  d'un  patron.  Il  aurait  été  nécessaire  aux  champions  de 
l'influence  romaine,  les  méridionaux,  paur  amener  à  l'unité  ecclésias- 
tique les  Irlandais  du  Nord.  —  M.  Bury,  op.  cit.,  p.  389,  observe  avec 
raison  qu'il  aurait  été  plus  simple  de  nommer  le  pseudo-apôtre  Palla- 
dius, d'autant  plus  que  les  plus  anciens  hagiographes  savaient  que  sa 
mission  lui  avait  clé  confiée  par  Rome  et  qu'il  pouvait  servir  les  des- 
seins que  leur  prête  Zimmer.  L'identification  de  Palladius  avec  saint 
Patrick  est  un  moyen  d'esquiver  la  difficulté,  mais  elle  n'a  aucun  fond. 
Cf.  plus  loin. 

2.  Notice  du  continuateur  de  Tirechân  dans  A,  TripartHe,  Life  :  II, 
p.  332.  Cf.  Bury  op.  cit..  p.  389  note  ;  on  a  confondu  Palladius  avec  un 
des  doublets  de  saint  Patrick,  Patrick  l'Ancien  ou  Sen  Patrick.  —Voir 
la  légende  de  Palladius  dans  Muirchu,  Triparlite  Life.  II,  p.  272  :  il 
débarque  au  même  endroit  que  saint  Patrick,  à  'Wicklow,  y  est  mal 
reçu  et  ne  fonde  que  trois  églises.  Il  s'en  va  dans  la  terre  des  Pietés  et 
y  meurt.  M.  Bury,  op.  cit.,  croit  qu'il  s'agit  des  Pietés  d'Irlande,  non 
de  ceux  d'Ecosse. 


L  OEUVRE    DE    SAINT    PATRICK    EN    IRLANDE  39 

mais  un  titre.  Il  aurait  appartenu  à  Palladius  et  aurait  été 
pris  pour  le  nom  même  du  saint. 

Palladius  et  Patrick  sont  pourtant  deux  personnages 
diiïérents. 

Dans  le  cas  présent  le  mot  Patricius  n'est  pas  un  titre. 
L'auteur  de  la  Confession  et  de  l'Zi/jiïVre  se  nomme  lui-môme 
ainsi.  Et  les  renseignements  qu'il  nous  fournit  sur  sa  famille 
excluent  l'hypothèse  que  la  dignité  de  palrice  lui  eût 
appartenue.  Le  père  de  Patrick  était  décurion,  et  les  décu- 
rions étaient  de  petites  gens  vers  la  fin  de  l'Empire 
Romain  \ 

On  sait  d'autre  part  que  Palladius  a  été  ordonné  évêque 
par  Célestin  I'  '  en  personne  et  que  c'est  de  lui  qu'il  tenait 
sa  mission".  Or  Patrick  n'est  jamais  allé  à  Rome  avant  sa 
venue  en  Irlande^. 

Aucune  trace  d'un  pareil  voyage  ne  peut  être  relevée 
dans  les  deux  opuscules  de  Patrick,  ni  dans  aucun  des 
écrits  qui  lui  sont  attribués,  authentiques  ou  douteux,  les 
Dicta  Patricii  et  son  Hymne.  Il  était  pourtant  de  son  inté- 
rêt d'invoquer  l'investiture  romaine  comme  argument 
contre  ses  détracteurs,  et  il  l'aurait  fait  s'il  l'avait  possé- 
dée. 

1.  Episl.,  p.  377  :  «  Ingenuus  fui  secundum  carnem  :  decurione  patre 
nasoor.  »  Sur  les  décurious  au  iv«  et  v»  siècle  cf.  Dili,  Roman  sociely 
in  tfie  lasl  cenlury  of  the  Western  Empire,  1.  III,  ch.  ii. 

2.  La  présence  de  Palladius  à  Rome  est  signalée  une  première  fois 
en  429:  Prosper  d'Aquitaine,  loc.cil.,  p.  472.  —  Dans  son  écrit  Con- 
tra Collalorem,  rédigé  vers  437  (c.  ti  dans  Migne.  P.  L.,  LI,  p.  271), 
Prosper  loue  Célestin  I"  d'avoir  fait  de  l'Irlande  une  nouvelle  pro- 
vince ecclésiastique  :  «  et  ordinato  Scotis  episcopo  dum  Romanam 
insulam  sludet  servare  calholicam  fecit  etiani  barbaram  Christianam  ». 

3.  Ce  fait  fournit  une  explication  possible  du  silence  de  Prosper 
à  l'égard  de  saint  Patrick.  —  Il  est  probable  que  Prosper  a  été  à 
Rome  en  431  ot  qu'il  a  inséré  dans  sa  chronique  la  mention  de  Palla- 
dius parce  qu'il  fut  présent  aux  préparatifs  de  cette  mission.  Cf.  Zim- 
mer,  op.  cil.  —  Les  circonstances  des  deux  missions,  étudiées  p.  4o  s.. 
expliquent  d'autre  part  suflisamment  pourquoi  Prosper  et  Bède  s'inté- 
rcsseut  k  Palladius  et  non  à  saint   Patrick. 


40  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Le  Icxle  de  la  Co?}fession et  deVÉpîtreîounùld'aïWcurs 
des  preuves  décisives  de  ce  fait  que  la  mission  de  noire 
saint  ne  partit  pas  de  Rome. 

La  première  est  que  Patrick  ne  se  servait  point  de  la 
Vulgate.  Ses  citations,  qu'on  a  comparées  au  texte  de  la  tra- 
duction hiéronymienne,  le  démontrent  suffisamment  ^  Or 
la  Vulgate  était  par  excellence  dès  le  début  du  v"  siècle 
la  version  romaine  des  Écritures. 

La  Confession  contient  en  outre  une  déclaration  de  foi 
fragmentaire,  visiblement  extraite  d'un  formulaire  ^  Elle 
nous  éclaire  définitivement  sur  le  point  de  départ  de 
Patrick.  Les  symboles  de  la  foi  n'étaient  point,  en  effet, 
unifiés  au  v*  siècle.  Chaque  missionnaire  propageait  la  tra- 
dition de  l'Eglise  dont  il  dépendait  ^ 

Or,  aucune  parenté  n'existe  entre  les  formulaires  parti- 
culiers à  l'Eglise  de  Rome^  et  celui  de  saint  Patrick.  Sa 


1.  Pour  la  confrontation  voir  l'édition  White,  loc.  cil.,  des  écrits  de 
Patrick.  Les  extraits  de  l'Ancien  Testament  sont  certainement  coUa- 
tionnés  dans  une  version  latine  de  la  Bible,  plus  ancienne  que  la  Vul- 
gate. Il  en  est  de  même  pour  la  plupart  des  citations  (moins  nom- 
breuses) du  Nouveau  Testament.  Quelques-unes  à  peine  paraissent 
avoir  été  prises  dans  la  Vulgate.  M.  Bury  suggère  que  saint  Patrick 
citait  de  mémoire,  d'après  une  version  qu'il  avait  étudiée  encore  en 
Gaule  et  qu'il  vérifia  plusieurs  extraits  dans  une  copie  de  la  Vulgale. 
Que  saint  Patrick  ail  possédé  un  exemplaire  de  celle-ci,  c'est  pos- 
sible, puisqu'elle  était  connue  déjà  de  Fastidius  qui  écrivait  en  Grande- 
Bretagne  vers  430  (Cf.  Galland,  notice  sur  Fastidius,  dans  Migne,  P.  d., 
L,  col.  581).  Mais  saint  Patrick  ne  considérait  certainement  pas  la 
Vulgate  comme  texte  classique.  Selon  nous,  il  est  improbable  qu'en 
des  écrits  comme  les  siens  il  eût  cité  la  Bible  de  mémoire,  comme  le 
veut  M.  Bury.  11  a  certainement  contrôlé  ses  extraits  dans  une  Bible 
dont  il  se  servait  habituellement.  Il  a  donc  apporté  en  Irlande  un  autre 
texte  que  la  Vulgate  (Cf.  N.-J.-D.  White,  loc.  cit.,  p.  231). 

2.  En  deux  fragments,  Conf.,  p.  358  et  p.  374.  Publiée  séparément  dans 
August  ï{a\\n,Bibliothek  der  Symbole  u.  Glaubensregeln  der  alten  Kirche, 
3«  édit.,  refondue  par  le  D--  Ludwig  Uahn,  annotée  par  le  Professeur 
Harnack,  Breslau,  18!)7,  p.  331.  Le  texte  y  est  une  réimpression  de 
l'édition  de  Migne,  très  défectueux. 

3.  F.  KaUenhnsch,  Dos  apostoliche  Symbol,  I.  Cf.  aussi  les  formulaires 
divers  dans  Hahn,  op.  cit. 

4.  Symboles  romains  et  italiens  dans  Hahn,  op.  cit.,  §â  17  à  43. 


l'oeuvre    de    saint    PATRICK    EN    IRLANDE  41 

déclaration  de  foi  appartient  à  une  «  famille  »  de  textes 
inspirés  des  formulaires  orientaux,  et  qui  sont,  pour  la 
plupart,  d'origine  gallicane. 

Ainsi  l'on  constate  une  grande  analogie  entre  le  Credo 
de  Patrick  et  la  traduction  que  Phœbadius  d'Agen  fit  du 
symbole  de  Xicée  '. 

L'archétype  de  la  majeure  partie  de  notre  texte  est  une 
version  latine  d'un  symbole  grec  antérieur  au  iv"  siècle. 
On  retrouve,  en  effet,  les  articles  relatifs  au  Fils,  à  son 
engendrement,  h  sa  mort  et  à  son  ascension  disposés 
dans  le  môme  ordre  et  rédigés  en  des  termes  presque  iden- 
tiques dans  une  déclaration  de  foi  fragmentaire  de  Vic- 
torinus  de  Peltavium,  martyrisé  sous  Dioclétien  en  303". 
L'origine  grecque  du  formulaire  de  saint  Patrick  est  démon- 
trée par  la  rédaction  de  l'article  qui  concerne  l'homogé- 
néité du  Père  et  du  Fils,  et  par  sa  position  avant  l'article  de 
foi  en  la  Création  ^ 

1 .  Mansi,  Concilia,  II,  p.  166  :  Uldizjorfi'j,  et;  ôeÔv,  TravxÉpa  irav- 
Toxpâropa,  -âvTOJv  ôcclziu'j  te  y.iI  àopatrwv  xotTjâv,  yal  e;;  sva  x'jpiov 

'It,70Ùv  ^P'.JTÔv  TÔv  U'.Ôv  TOÛ  OtOÙ.  fîVVTTlBÉvTa  £■/.  Xo'j  TiaTpôî  jJLOVOYÎVTJ, 
TOUTÏITT'.V    Èx     TTÎ;     O'jtTtaÇ     TOÙ    Ta-OÔç,     Oçôv     SX     ÔeOÙ,    CptLd     £"/.     CpOJTOÎ, 

Geôv  àÀT,Oivôv  Èx  Oeo'j  àÀTjO'.vo'j,  Yîvv/-,0£vca,  oi  ro'.T/JâvTx,  ô'[jioojjiov 
Tt])  lîa'pt,  ol  oj  ri  riv-ra  ey^''-''"-'»  "-^  "'  ^"'  "V  ojpavô)  xa-.  z~'.  tt,? 
TT.C.  »  —  Trad.  du  pape  Damase,  llahn,  §  199,  p.  271  s.  :  a  Credimus 
in  unum  Deum  Patrem  omnipotontcm,  creatorcm  visibilium  et  invisibi- 
lium.  Et  in  unum  Dominum  nostrum  Jesum  Christum  Filiuni  Dei, 
nalum  ex  Pâtre  unigenilum,  hoc  est,  ex  substantia  Patris,  Deum  ex 
Deo,  lumen  ex  lumine,Dcum  vcrum  ex  Deo  vero,  nalum  non  creatum, 
unius  subslantiae  cum  Pâtre,  quod  gradée  dicunt  Omousion,  per  quem 
omnia  factasunt,  sive  in  caelo  sive  qua?  in  terra.  » 

2.  Hahn,  op.  ci/.,  §  13,  p.  17  (Les  mots  en  italique  se  retrouvent  chez 
Patrick)  :  et  huius  (P.  eius)  Filium  (P.  Jesum)  Christum  [l\  qui  cum 
Paire  scilicet  fuisse  teslamur)  anle  originem  sœculi  (P.  spiritualiter) 
apud  Patrem  (P.  inenarrabiliter)  genitum  (P.  a7ite  omne  principium  et 
per  ipsum  facta  sunt  uisibilia  et  inuisibilia)  hominem  factum  in  anima 
vera  et  carne  ulraquo  miseria  et  morte  dévida  et  in  cœlos  a  Pâtre 
(P.  ad  Palrem)  receplum.  —  Cf.  Kattenbusch,  op.  cit.,  I,  p.  188  et 
p.  212  ss.  —  Petavium  est  Pettau  en  Styric. 

3.  Cf.  les  symboles  :  de  Cyrille  de  Jérusalem,  Hahn,  op.  cit.,  §  124, 
p.  133  ;  d'Kpiphanius,  ibid.,  §  125,  p.  135  et  §  126,  p.  136  ;  le  symbole 
pseudo-athanasien  un  Codex  Vaticanus  n»  1431,  iôtci.,  §127,  p.l37  s.  Cf. 


42  SAINT    PArniCK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

Il  est  cerlaiii,  d'autre  part,  que  le  modèle  de  notre 
texte  était  répandu  en  Gaule.  La  disposition  et  les  termes  de 
l'article  relatif  à  la  Création  par  le  Fils  sont  ceux  du  sym- 
bole do  Phœbadius  d'Ag'cn  et  de  la  traduction  que  saint 
Hilaire  de  Poitiers  fit  du  symbole  adopté  en  343  au  synode 
de  Philippopolis'.  Enfin  il  y  a  une  analogie  remarquable 
entre  la  déclaration  de  foi  de  Patrick  et  les  symboles  péla- 
giens  ou  néo-pélagiens  '"'. 

Ce  furent  donc  renseignement  et  les  méthodes  de  l'Eglise 
gallicane  que  saint  Patrick  importa  en  Irlande  et,  par  con- 
séquent, il  ne  peut  être  question  de  le  confondre  avec  Palla- 
dius\ 

La  préparation  de  saint  Patrick.  —  Mais  quelle  tut 
exactement  l'Église  qui  fournit  à  saint  Patrick  les  éléments 
de  sa  doctrine,  et  ses  méthodes  de  conversion  ? 

Il  est  d'abord  acquis  qu'elle  était  située  en  Gaule  même, 
et  non  dans  une  province  placée  sous  l'influence  du  chris- 
tianisme gaulois,  par  exemple  en  Bretagne.  Patrick  consi- 
dère les  membres  du  clergé  gaulois  comme  ses  frères  et  ses 


symboles  syriaques,  ibid.,§  129,  p.  140;  §  131,  p.  143;  §  132,  p.  145.— 
Cf.  le  symbole  en  usage  en  Cappadoce,  tel  qu'il  a  été  rapporté  par 
Auxence  de  Milan,  ibid.,  p.  149. 

1.  Patrick  :  «  Jesum  Christum...  et  per  ipsum  facta  sut  uisibilia  et 
inuisibilia  ».  —  Phœbadius,  chez  Hahn,  op.  cit.,  §  189,  p.  239  :  «  Cre- 
dimus  Jesura  Christum...  per  quem  omnia  facta  sunt...  visibilia  et  invi- 
sibilia.  I)  —  Cf.  Symbole  de  Philippopolis.  trad.  par  saint  Hilaire,  ibid., 
§  158,  p.  190  (le  texte  original  de  ce  symbole  est  perdu). 

2.  Déclaration  de  foi  de  Pelage,  ibid.,  §  209,  p.  288  ss.  —  Cette  décla- 
ration est  d'ailleurs  strictement  orthodoxe.  —  Déclaration  de  foi  de 
Julien  d'Eclanum,  ibid..  §  2M,  p.  293. 

3.  Dans  la  déclaration  de  foi  de  saint  Patrick,  Marie  n'est  point  men- 
tionnée. —  Or  presque  tous  les  symboles  connus  en  parlent,  notam- 
ment tous  ceux  d'origine  romaine  et  gallicane.  —  La  déclaration  do  foi 
de  Victorinus  ne  contient  pas  d'article  relatif  à  Marie.  Mais  on  ne  peut 
en  conclure  à  une  parenté  encore  plus  étroite  de  ce  texte  avec  celui  de 
saint  Patrick,  ni  à  une  omission  intentionnelle.  Les  deux  déclarations 
sont,  en  eflet,  fragmentaires. 


l'oeuvre    de    SAlNr    PATRICK    KN    IRLANDE  43 

maitres  ;  il  voudrait  les  revoir  ;  il  voit  en  eux  ses  modèles*. 

Quant  à  l'endroit  précis  la  tradition  courante  indique  à 
la  fois  Lérins  et  Auxerre".  Après  les  travaux  de  M.  Bury, 
on  peut  considérer  comme  démontré  que  saint  Patrick 
subit  on  effet  l'influence  de  ces  deux  centres  de  culture 
chrétienne. 

Un  séjour  de  notre  saint  h  Lérins  est  indiqué  par  la  pre- 
mière phrase  des  Dic(a  Patricii,  relative  à  un  voyage 
qu'il  fit  «  à  travers  la  Gaule  et  l'Italie  jusqu'aux  îles  qui 
sont  en  la  Mer  Tyrrhéniennc  » '.  Ainsi  que  l'a  remarqué 
M.  Bury,  il  n'y  a  aucune  raison  de  mettre  en  doute  l'authen- 
ticité de  ce  Dictum'".  De  plus,  aucun  milieu  n'était  aussi 

1.  Conf.,  p.  370  :  «  iibentissime  paratus  irem...  in  Gallias  uisitare  fra- 
tres...  »  Dans  VÉpîIre,  p.  378,  saint  Patricli  dit  comment  les  chrétiens 
de  Gaule  amassent  de  l'argent  pour  racheter  leurs  correligionnaires 
captifs  chez  les  païens,  et  il  montre  quel  contraste  il  y  a  entre  ces 
mœurs  pieuses  et  ceux  de  Coroticus.  qui  massacre  des  néophytes  ou 
les  vend  chez  des  peuples  apostats  ou  païens. 

2.  Tlrechân,  loc.  cit.,  p.  302  :  a  erat  hautem  in  una  ex  insolis  quaî 
dlcitur  Aralanensis  u.  Le  P.  Hogan  dans  son  édition  de  Tirechân,  dans 
Analecla  Bollandiana ,  I,  Bruxelles  188-,  note  au  passage  en  question, 
propose  de  lire  Lerinemis.  Cette  lecture  est  généralement  admise.  — 
Muirchu.  édit.  Hogan,  ibid.,  p.  t>o'l  :  a...  sanctissiraum  episcopum 
Alsiodori  (Antissiodori)  ciuitate,  principem  Gerraanum  summum  donum 
inuenit  (se.  Patricius),  Aput  quem  non  paruo  tempore  demoratus,  iuxla 
id  quod  i'aulus  ad  pedes  Gamaliel  fuerat,  in  omni  subiectione  et  patien- 
tia  atque  obœdientia.  scientiam,  sapientiam  castitatemque  et  omnem 
utilitatem...  totoanimi  desiderio  didicit,  dilexit,  custodiuit.  »  —  Cf.  Muir- 
chu édit.  Stokes,  loc.  cil.,  p.  272  ;  c'est  saint  Germain  qui  a  préparé 
saint  Patrick  à  sa  mission. 

3.  Triparlile  Life.  Il,  p.  301  :  «  Timorem  Dei  habui  ducem  ilineris 
mei  per  Gallias  atque  italiam.  etiam  in  insolis  quœ  sunt  in  mari  ïyr- 
reno.  » 

4.  Bury,  op.  cil.,  p.  228  ss.  :  Les  Dicla  sont  des  expressions  favorites 
de  saint  Patrick,  notées  par  quelque  scribe.  Laulhenticité  du  second  Dic- 
tum  est  certaine:  il  est  la  répétition  d'une  phrase  de  VÉpitre.  Cf.  Dicla  : 
n  De  sœculo  recessistis  ad  paradisum.  Ueo  gratlas  »  et  Épilre,  p.  37'J  : 
a  Deo  gratias  :  crcduli  baitllzati  de  saeculo  recessistis  ad  paradisum  ». 
Le  fait  que  ce  Diclum  occupe  la  seconde  place  est  une  garantie  de 
l'authenUcité  du  premier.  M.  Bury  reconnaît  d'autre  part  avec  raison 
le  style  de  saint  l'atrick  dans  la  i)remiére  partie  de  celui-ci  (limo7'em... 
mei.  Cf.  aussi  Gallias  et  Conf.,  p.  370).  Quant  à  la  seconde  partie,  on  la 
retrouve  dans  Tlrechân:  «  ambulauit  et  nauigauit  (Patricius)...  per 
Gallias  alque  Italiam  tolam  atque  (Dict.  etiam)  in  insolis  quae  sunt  in 


44  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

propice  ù  l'éclosion  d'un  document  pareil  à  la  déclaration 
de  foi  de  Patrick  que  les  communautés  des  Marseillais', 
dans  lesquelles  prévalait  l'influence  de  l'Eglise  d'Orient. 

D'autre  part  la  tradition  veut  que  saint  Patrick  ait  été 
préparé  à  sa  mission  par  saint  Germain  d'Auxerrc.  11  avait, 
paraît-il,  l'intention  de  poursuivre  sa  préparation  à  Rome 
lorsque  arriva  la  nouvelle  de  l'échec  et  de  la  mort  de  Palla- 
dius.  Patrick  fut  ordonné  évoque  en  toute  hâte  et  envoyé  à 
sa  place  ".  Cette  tradition  fournit  une  interprétation  plausible 
du  propre  témoignage  de  saint  Patrick.  Il  ressort,  en  effet, 

jnari  Terreno,  ut  ipsc  dixit  in  commemoratione  laborum  w.  M.  Bury  a 
démontré  que  Tlrcchân  entend  par  Commemoralio  laborum  un  recueil 
dactes  de  saint  Patrick  dont  le  premier  Diclum  faisait  partie.  (M.  Bury 
sappuie  ici  sur  l'étude  paléographique  du  MS  ^  de  M.  Gwynn) .  Il  est 
donc  certain  que  la  seconde  partie  du  premier  Dictum  n'a  pas  été 
ajoutée  à  la  première  après  coup,  d'après  Tlrechàn.  —  Il  existe  encore 
un  troisième  Dictum,  mais  il  est  certainement  apocryphe. 

1.  Ainsi  nommait-on  les  communautés  monastiques  du  littoral  gaulois 
de  la  Méditerranée  qui  étaient  devenues  le  foyer  d'un  pélagianisme 
atténué.  Les  plus  importantes  étaient  les  fondations  de  Cassien  à  Mar- 
seille et  surtout  celle  de  saint  Honorât  à  Lérins.  Les  chefs  de  l'opposi- 
tion contre  la  doctrine  intransigeante  de  saint  Augustin  sur  la  grâce 
divine  étaient,  au  début  du  v«  siècle,  Cassien  lui-môme,  Vincent  de 
Lérins.  Faustus,  moine  de  saint  Honorât  et  plus  tard  évêque  de  Riez. 

—  D'autre  part  les  influences  orientales  étaient  particulièrement  fortes 
dans  ces  monastères.  Cassien  avait  visité  les  couvents  de  lOrienl  avant 
de  fonder  celui  de  saint  Victor  à  Marseille.  Saint  Honorât  fonda  le  sien 
au  retour  d'un  pèlerinage  en  Orient.  Ce  fut  d'ailleurs  l'exemple  des 
ascètes  de  la  Thébaïde  qui  fit  éclore  le  monachisme  gaulois.  —  Enfin 
Lérins  en  même  temps  qu'une  retraite  pour  les  hommes  fatigués  du 
monde,  était  un  foyer  intellectuel  de  premier  ordre.  On  sait  que  de  là 
sortit  une  série  d'hommes  remarquables  dans  l'histoire  de  l'Église.  — 
Cf.  sur  Lérins  et  Marseille  :  Besse,  Premiers  monastères  delà  Gaule  méri- 
dionale dans  Revue  des  questions  historiques,  l'Mi:  Tillemont,  Mémoires 
pour  servir  à  ifnsloire  ecclésiastique  des  six  premiers  siècles  de  l'Église, 
Paris.  1700  ss.  :  XII  (art.  sur  saint  Honorât),  XV  (art.  sur  Hilaire,  Euche- 
rius,  Vincent,  Maxime  de  Riez),  XVI  (art.  sur  Faustus);  saint  Hilaire 
d'Arles,  Serrno  de  vila  sancti  Honorati  dans  Migne,  P.  L.,  L,  p.  1249  ss. 

—  Sur  le  mouvement  intellectuel  et  les  influences  orientales  à  Lérins 
et  à  Marseille,  cf.  Harnack,  Dogmengeschiclite  ;  Ebert,  Histoire  géné- 
rale de  la  littérature  du  moyen-âge,  Irad.  Aymeric  et  Condamin,  Paris, 
1884,  I  ;  œuvres  de  Cassien,  dans  Migne  P.  L.,  XIL  ;  Vincent,  Commo- 
nitorium,  ibid.,  L;  Faustus,  De  gralia  Dei  et  libero  arbilrio,  ibid., 
LVIIl,  p.  183  ss.  —Caractère  de  la  vie  menée  à  Lérins  :  Eucherius,  De 
laude  eremi,  ibid.,  L. 

2.  Muirchu,  loc.  cit.,  p.  272. 


L  OEUVRE    DE    SAINT    PATRICK    EN    IRLANDE  45 

de  la  Confession  que  notre  saint,  après  un  séjour  en  Gaule, 
se  rendit  en  Grande-Bretagne  et  qu'il  y  eut  conscience  de 
sa  vocation.  Il  quitta  ce  pays  pour  se  préparer  à  exercer 
son  ministère.  Ceux  dont  dépendait  son  expédition  se  ren- 
seignèrent sur  son  compte  en  Grande-Bretagne,  car  son 
élévation  à  Tépiscopat  rencontrait  de  l'opposition.  Il  fut 
enfin  nojnmé  évoque  et  partit  pour  l'Irlande  sans  revenir  en 
son  pays  ' . 

La  tradition  concorde  également  avec  ce  qu'on  sait  du 
rôle  joué  par  l'Eglise  d' Auxerre  dans  la  régénération  catho- 
lique en  Grande-Bretagne  etdeTintérêt  qu'on  y  témoignait 
pour  les  aiïaircs  d'iilandc. 

La  Bretagne  était  en  proie  au  pélagianisme.  L'instigateur 
du  voyage  de  saint  Germain  en  Grande-Bretagne  (429) 
avait  été  Palladius"  et  il  y  a  même  une  relation  certaine 
entre  ce  voyage  et  la  mission  de  celui-ci.  Le  pélagianisme 

1.  Conf.,  364  :  «  et  iterum  post  paucos  annos  in  Britannis  eram  cum 
parentibus  meis  ».  Là  il  a  les  visions  mentionnées  plus  haut,  et  se 
décide  à  aller  en  Irlande  après  une  longue  hésitation  :  «  Hiberione  non 
sponte  pergebam  donec  prope  deficiebam  »  (%bid.,  p.  363).  —  Son  ami 
lui  prédit  qu'il  deviendra  évèque,  et  il  soutint  sa  candidature  en  Grande 
Bretagne,  pendant  labsence  du  saint  :  «  et  comperi  ab  aliquantis  fra- 
Iribus.. . ,  quod  ego  non  interfui  nec  in  Britannis  eram,  nec  a  me  orietur 
(M.  Bury  propose  «  oriebatur  »),  ut  et  ille  in  mea  absentia  pro  me 
pulsaret  ».  —  Le  seul  pays  voisin  de  la  Grande-Bretagne  où  saint 
Patrick  pouvait  se  préparer  à  sa  mission  était  la  Gaule. 

2.  Prosper,  loc.  cil.,  p.  472  :  «  Agricola  Pelagianus.  Severianiepiscopi 
Pelagiani  filius,  ecclesias  Britannis?  dogmatis  sui  insinuatione  corrum- 
pit  ;  sed  ad  insinuationem  Paliadii  diaconi  papa  Cœiestinus  Germanum 
Antissiodorensom  episcopum  vice  sua  mitlit  et  deturbalis  hereticis  Bri- 
tannos  ad  catholicam  fidem  dirigit.  »  On  ne  sait  pas  si  Palladius  était 
diacre  de  Rome  ou  d'Auxerre.  La  dernière  supposition  est  probable. 
Cf.  Vie  de  saint  Germain  par  Constantius  de  Lyon,  (AA.  SS.  Julii.  II, 
p.  20u-p.  220)  G.  12.  La  mission  de  saint  Germain  y  est  décrite  comme 
ayant  été  décidée  par  un  synode  dévèques  gaulois,  rassemblés  à  cause 
des  plaintes  venues  de  Grande-Bretagne.  Saint  Loup  de  Troyes  fut 
l'auxiliaire  de  saint  Germain.  Dans  le  cas  où  le  renseignement  de  Cons- 
tantius est  exact  (et  la  date  de  la  Vie.  écrite  en  480  ou  peu  après  le 
garantit),  il  faut  voir  dans  Palladius  le  porte-parole  de  saint  Germain 
auprès  du  pape.  Cf.  Bury,  op.  cit..  p.  297,  auquel  nous  empruntons 
cette  hypothèse.  —  Sur  la  Vie  de  saint  Germain  par  Constantius,  cf. 
W.  Levison  dans  Neues  Archiv,  XXIX,  p.  112. 


46  SAINT    PATRICK    ET    LK    CULTE    DES    HEROS 

breton  menaçait,  en  cfTet,  d'atteindre  les  chrétiens  établis 
en  Irlande,  et  il  fallait  à  tout  prix  qu'ils  eussent  un 
évèque^  C'est  à  leur  intention  que  Palladius  fut  ordonné. 
Prosper  ne  dit  rien  des  païens  qu'il  devait  convertir^. 
Bref,  sa  mission  fut  la  conséquence  de  celle  de  saint  Ger- 
main et  elle  entraîna  celle  de  saint  Patrick  \ 

Considérons  enfin  qu'en  sa  qualité  de  Breton  membre  du 
clergé  orthodoxe''.  Patrick  ne  pouvait  rester  étranger  aux 
luttes  qui  remuaient  son  pays  et  dont  saint  Germain  était 
un  des  champions,  et  nous  pourrons  conclure  à  la  véracité 
de  la  tradition. 

Les  moyens  personnels  et  le  caractère  de  saint 
Patrick.  —  Saint  Patrick  passa  donc  par  deux  des  meil- 

1.  Bury,  op.  cit.,  p.  50  ss.  —  Remarquons  que  Tenvoi  en  Irlande 
d'un  évoque  ordonné  par  le  pape  en  personne  ne  s'explique  que  par 
limportance  e.xceplionnelle  de  celle  nomination.  Sinon  un  archevêque 
gaulois  quelconque  eut  pu  nommer  et  ordonner  le  nouveau  prélat.  Or 
la  grande  œuvre  du  pontificat  de  Céleslin  I"  fut  l'écrasement  du  péla- 
gianisme,  achevé  sous  Léon  le  Grand.  —  Notons  encore  que  Prosper, 
qui  note  avec  tant  de  soin  la  nomination  de  Palladius,  fut  un  des  chels 
des  orthodoxes  en  Gaule  et  mena  la  lutte  contre  les  pélagiens.  Cf. 
abbé  Valentin,  Saint  Prosper  d'Aquitaine,  Toulouse,  1900.  —  S'il  est 
exact  que  Pelage  ait  été  originaire  d'Irlande  (Zimmer,  Pelagius  in 
Irland,  p.  18  ss.)  ou  même  seulement  issu  d'une  famille  gùidelique  éta- 
blie en  Grande-Bretagne  (Bu^*,  The  origin  of  Pelagius.  dans  Hermathena, 
XXX,  p.  26  ss.)  le  danger  était  imminent  pour  les  chrétiens  d'Irlande.  — 
Sur  l'existence  de  communautés  irlandaises  en  ce  pays  avant  l'arrivée 
de  Palladius,  cf.  plus  loin. 

2.  Cf.  texte  cité  de  Prosper. 

3.  Le  fait  que  Palladius,  et  non  saint  Patrick,  a  été  ordonné  par  le 
pape  en  personne,  loin  d'infirmer  cette  vue.  la  corrobore.  Seul  le  pre- 
mier évoque  nommé  avait  besoin  de  cette  haute  consécration.  Le 
prestige  que  l'autorité  de  Rome  lui  avait  donné  passait  à  tous  ses  suc- 
cesseurs. Peu  importait  qui  ordonnerait  son  remplaçant.  Bury.  op. 
cit.,  p.  60  s.  —  Cf.  ci-dessus,  n.  1. 

4.  Le  serai-pélagianisme  de  Lérins  s'accorde  parfaitement  avec 
l'anti-pélagianisme  d'Auxerre.  Faustus  de  Riez,  semi-pélagien  lui-même, 
combat  énergiquement  l'hérésie.  Saint  Hilaire  d'Arles  et  saint  Loup  de 
Troyes,  deux  anti-pélagiens  prononcés,  sont  sortis  du  monastère  de 
Lérins.  —  D'ailleurs  on  n'a  pas  de  preuve  que  saint  Patrick  ait  été  un 
défenseur  du  libre  arbitre.  La  parenté  de  son  symbole  de  foi  avec  des 
symboles  semi-pélagiens  ne  prouve  nullement  une  identité  de  doctrine. 


L  OEUVRE    DE    SAINT    PATRICK    EN    IRLANDE  47 

leures  écoles  de  missionnaires  qu'il  y  ail  eu  au  v  siècle.  A 
Lérins  lo  renoncement  et  l'ascétisme  florissaient  et  à 
Auxerre  saint  Germain  donnait  l'exemple  d'une  des  plus 
belles  énergies  qui  eussent  été  jamais  au  service  de  l'Église. 
Et  si  notre  saint  ne  mit  point  à  profit  toutes  les  ressources 
d'Au.\erre  et  de  Lérins  pour  atteindre  beaucoup  d'adresse 
au  jeu  des  subtilités  théologiques,  ni  pour  acquérir  une  cul- 
ture littéraire  bien  solide',  du  moins  connaissait-il  à  fond 
les  Ecritures,  et  son  orthodoxie  était  parfaite". 

Patrick  suppléait  d'ailleurs  aux  lacunes  de  son  instruc- 
tion par  des  qualités  personnelles  de  premier  ordre. 

Il  avait,  en  premier  lieu,  l'expérience  du  peuple  qu'il  se 
proposait  de  convertir.  Sa  patrie  était  la  Grande-Bretagne 
toute  voisine.  Il  y  était  issu  d'une  famille  ecclésiastique  \ 
Par  son  origine  môme  il  était  donc  en  mesure  d'être  ren- 
seigné sur  les  Irlandais*.  Mais  ce  qui  conférait  à  Patrick 


1.  H  l'avoue  lui-nr^rne.  Cf.  i)liis  hant.  —  Son  latin  fait  foi  d'ailleurs  de 
ce  qu'il  ne  se  trompait  pas. 

2.  La  Confession  et  VÉpî/ve  sont  fleuries  de  citations,  et  le  style  des 
deu.x  écrits  est  plein  de  réminiscences  bibliques.  Cf.  White,  éd.  cit.  — 
Quant  à  l'orthodoxie  elle  apparaît  dans  la  déclaration  de  foi  de  saint 
Patrick  et  elle  est  garantie  par  sa  préparation  gallicane.  Saint 
Patrick  se  considère  d'ailleurs  comme  «  chrétien  romain  »,  Ep.  p.  378. 
—  M.  Bury,  op.  cil.,  a  très  bien  démontré  Tabsurdité  de  la  thèse  qui 
veut  faire  de  saint  Patrick  un  schismatique. 

3.  Conf.  p.  357  :  o  Kgo  Patricius...  patrem  habui  Calpornum  diaco- 
num  filium  quendam  Politi  filii  Odissi  presbyteri  qui  fuit  in  uico  Ban- 
nauem  Tabernlaî  ».  —  (M.  Bury,  op.  cit.,  p.  322  ss.,  corrige  en  Ban- 
nauenta  fierniae).  —  Ibid.  p.  36i  :  «  et  iterum  post  paucos  annos  in 
Brilannis  eram  cum  parentibus  meis  »  ;  ibid.  p.  370  :  «  uoluero... 
pergere  in  Britannias  et  libcntissime  paratus  irem  quasi  ad  patriam  et 
parentes  ».  Bannnuenta   Berniae  (?)   n'a  pas  été  identifiée. 

4.  Au.x  IV*  et  V»  siècles  les  relations  étaient  continuelles  entre  la  Grande- 
Bretagne  et  l'Irlande.  Cf.  Lolh.,  dans  Rev.  Celtique  XVIII,  p.  304:  Kuno 
Meyer,  dans  Trans.  of  Ihe  hon.  Soc.  o/"  CymmrorforioH,  d89b-96,  p.  64; 
Rhys,  dans  Archaeolofjia  Camhrensis,  1895,  p.  18  ss.;  Vendryès,  op.  cit., 
p.  47  ss.  "W.-C.  Borlase.  The  Dolmens  of  Ireland,  London,  1897, 
II.  p.  3;)i  s.  et  p.  3o3.  —  Des  incursions  et  des  pillages  d'Irlandais  en 
Grande-Bretagne  sont  mentionnés  flans  Bède.  Chvonica  maiora,  éd. 
Mommsen  dans  Mon.  Germ.  Ilist..  série  in-i",  Auclores  antiquissimi, 
XIII  (Chronica   minara,  III),  p.   301   et  p.  303.   Cf.   Joyce,  op.   cit.,  I. 


48  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

une  supériorité  évidente  sur  tout  autre  missionnaire,  c'était 
d'avoir  vécu  en  Irlande.  Des  pillards  irlandais  l'avaient 
enlevé,  en  effet,  à  l'âge  de  seize  ans  et  il  avait  passé  six 
années  captif  en  leur  pays*. 

D'autre  part,  Patrick  est  un  homme  d'une  haute  valeur 
morale  et  religieuse. 

Sa  piété  et  son  ascétisme  étaient  exemplaires.  Dès 
l'époque  de  sa  captivité  il  se  levait  la  nuit  pour  faire  péni- 
tence au  dehors  malgré  la  pluie  ou  la  gelée.  11  s'appliquait 
aux  jeûnes  et  arrivait  à  faire  cent  oraisons  par  jour.  Et 
jamais  aucune  paresse  ne  l'arrêta,  tant  était  grande  en  lui 
l'ardeur  à  servir  Dieu  ^. 

Sa  croyance  en  sa  vocation  était  mystique  et  profonde.  Des 
voix  ou  des  songes  la  lui  avaient  indiquée  toute  sa  vie. 
Au  retour  de  Lérins,  demeurant  auprès  de  ses  parents  en 
Grande-Bretagne,  il  vit  une  fois  en  songe  un  homme,  appelé 
Victoricus,  qui  venait  d'Irlande  porteur  de  lettres  nom- 
breuses. Sur  l'une  d'elles  Patrick  lut  :  «  Voix  des  Irlan- 
dais »,  et  plus  bas  «  les  fils  de  la  forôt  de  Fochlut  t'appel- 
lent... »  Aussi  se  croyait-il  appelé  par  le  Seigneur,  et  ni  les 
prières  de  ses  parents,  ni  les  cadeaux  qu'ils  lui  offrirent  ne 
purent  arrêter  sa  vocation -.  Les  dangers  mêmes  le  réjouis- 

p.  73  ss.,  p.  76  ss.  —  Il  existait  des  colonies  irlandaises  en  Grande- 
Bretagne  ;  cf.  Zimmer,  Nennius  vindicalus,  p.  85. 

i.  Conf.  p.  .357  :  p.  361.  —  La  tradition  est  que  l'endroit  où  saint 
Patrick  fut  captif  soit  situé  dans  les  environs  du  mont  Slemish  en 
Antrim.  Mais  M.  Bury  remarque  que  les  probabilités  sont  pour  la 
forêt  de  Fochlut.  C'est  de  là  en  effet  que  Patrick  sentend  appeler 
plus  tard  (Cf.  p.  36,  n.  3).  Bury.  op.  cit.,  p.  334  ss. 

2.  Conf.  p  361  :  «...  posfquam  Iliberione  deueneram,  cotidie  pecora 
pascebam  et  frequens  in  die  orabam,  magis  ac  magis  itaque  accede- 
bat  amor  Dei  et  limor  ipsius.  et  fides  augebatur  et  spiritus  agebatur, 
ut  in  die  usque  ad  cenlum  orationes  et  in  nocte  prope  simiiiter  ;  ut 
etiam  in  siluis  et  (inj  monte  manebam  (et)  ante  lucem  excitabar  ad 
orationem  per  niuem.  per  gelu.  per  pluiam,  et  nihil  mali  sentiebam 
neque  ulla  pigritia  erat  in  me,  sicut  modo  uideo,  quia  tune  spiritus  in 
me  feruebat  ». 

3.  Conf.,  p.  368.  Cf.  p.  36,  notes  2  et  3. 


l'oeuvre    de    saint    PATRICK    EN    IRLANDE  49 

saient.  11  y  voyait  l'occasion  de  bien  mériter  de  Dieu,  et  il 
espérait  qu'un  jour  la  grâce  du  martyr  lui  serait  réser- 
vée'. 

Patrick  n'était  p^uidé  enfin  par  aucune  ambition  person- 
nelle, son  dévouement  ù  la  cause  du  salut  des  6mcs  n'avait 
pour  motif  que  son  désir  de  plaire  h  Dieu  et  un  amour  pro- 
fond et  sincère  pour  le  peuple  d'Irlande  "• 

L'œuvRE  DE  SAINT  Patrick.  —  Quaut  à  l'énergie  et  au 
génie  politique  de  Patrick,  la  grandeur  de  son  œuvre  en 
témoigne. 

Il  ne  fut  point,  sans  doute,  le  premier  qui  eût  annoncé 
l'Évangile  aux  Irlandais.  Lorsqu'en  432^  il  débarqua  chez 
eux,  il  y  avait  déjà  des  chrétiens  dans  l'île.  INIais  ce  chris- 
tianisme ne  subsistait  en  Irlande  qu'à  l'état  difTus,  sans 
organisation  ecclésiastique  complète,  sans  évoques  même*. 

1.  Con/:,  p.  368.  Cf.  ibid.  p.  371  et  p.  372,  p.  373,  p.  374. 

2.  Conf.,  p.  374  (fin)  :  p.  372  ;  p.  373;  et  passim. 

3.  Annals  of  Ulsler,  éd.  Hennessy  et  Mac  Carthy,  s.  a. 

4.  Cf.  texte  de  Prosper,  p.  37  n.  2.  —  L'élection  de  l'évêque  par  la  com- 
munauté est  la  règle  générale  au  v«  siècle.  Mais  lorsqu'il  s'agit  d'une 
communauté  de  création  récente,  ou  trop  faible  pour  trouver  en  elle- 
même  les  éléments  nécessaires  à  la  formation  d'un  haut  clergé,  le 
pape  ou  un  archevêque  quelconque  nomme  un  évoque  de  son  choix. 
C'est  ce  qui  arrive  aussi  dans  le  cas  où  l'élection  aurait  été  viciée  ou 
rendue  impossible  dans  les  communautés  qui  élisent  d'ordinaire 
elles-mêmes  leurs  évoques.  Cf.  Boucharlat,  Élections  épiscopales  sous 
les  Mérovingiens,  Paris,  1904,  p.  20  ss.  —  M.  Bury,  op.  cit.,  p.  350 
remarque  que  la  phrase  de  la  Conf.,  p.  368  :  «  ad  plebem  nuper 
uenientem  ad  credulitatem  »  fait  supposer  une  certaine  extension  du 
christianisme  avant  la  venue  de  saint  Patrick.  Sinon  l'auteur  aurait 
employé  primum,  plutôt  que  nuper.  —  Patrick  dit  avoir  été  emmené 
par  ses  ravisseurs  en  môme  temps  que  «  tôt  milia  hominum  ->,  que 
Dieu  avait  punis  ainsi  de  ce  qu'ils  s'étaient  éloignés  de  lui.  Il  y  avait 
donc  des  chrétiens  en  Irlande  au  moins  dans  la  classe  des  captifs. 
—  Ainsi  que  le  remarque  Zimmcr,  op.  cit.,  un  certain  nombre  de 
mots  d'Église  ont  en  irlandais  une  forme  qui  ne  dérive  pas  directe- 
ment du  latin,  mais  de  mots  britonniques  empruntés  au  latin.  Ainsi 
Va  long,  caractéristique  du  britonnique  remplace  Va  long  latin  dans 
les  mots  irlandais  Irindoil  (trinilalem),  altoir  (altare),  caindloir 
(candelarius).  nollaic  (nalalicia),  popa  {papa)  etc.  Or  les  compagnons 

CZARNOWSKI.  4 


50  SAINT    PATRICK    ET    LK    CULTE    DES    HÉROS 

Los  pouvoii's  jHiblics  ne  le  reconnaissaient  pas.  Patrick  en 
fit  une  Eglise  puissante,  dotée  de  tous  ses  organes, 
ofTiciellcmcnt  reconnue,  et  il  lui  soumit  d'immenses 
nagions. 

L'organisation  ecclésiastique  créée  par  saint  Patrick  eut 
pour  base  le  monastère  ^  L'exemple  de  Lérins  et  des  suc- 
cès qu'avaient  remportés  les  ordres  monastiques  dans  leur 
lutte  contre  le  paganisme  rural  en  Gaule,  était  évidemment 
présent  à  l'esprit  de  l'apôtre.  Mais  son  mérite  est  d'avoir 
appliqué  à  l'Irlande  la  seule  organisation  qui  convînt  à  ce 
pays.  Il  n'y  avait,  en  effet,  en  Irlande,  ni  agglomérations 
urbaines  ou  môme  villageoises,  ni  résidences  fixes  de 
cours  royales,  qui  pussent  servir  de  centres  aux  commu- 
nautés chrétiennes.  Très  largement  conçus,  embrassant  non 
seulement  les  moines  proprement  dits,  mais  encore  toute 
une  population  qui  voulait  participer  à  une  vie  chrétienne 
plus  intense,  les  monastères  furent  en  Irlande  ce  qu'ont 
été  les  cités   des  provinces    romaines.    Ils   devinrent  les 

de  Palladiiis  étaient  certainement  de  langue  latine.  On  constate  donc 
ici,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  les  traces  d'une  christianisalion  de 
l'Irlande  par  les  Bretons,  antérieure  à  la  mission  de  Palladius.  — 
Enfin  M.  Bury  a  fait  valoir  que  le  cycle  pascal  en  usage  en  Irlande 
jusqu'au  vu»  siècle  parait  y  avoir  été  adopté  avant  les  missions  de 
l'alladius  et  de  saint  Patrick.  En  efîet,  ce  cycle  est  de  quatre-vingt- 
quatre  ans  et  ses  limites  sont  la  quatorzième  et  la  vingtième  lune.  Or 
au  temps  de  saint  Patrick  la  Suppulatio  Romana  avait  pour  limites  la 
seizième  et  la  vingtième  lune,  et  tout  l'Occident  s'y  conformait.  Le 
mode  de  calculer  la  date  de  Pâques  en  usage  en  Irlande  est  une  sur- 
vivance de  l'Eglise  du  iv  siècle  et  on  n'a  point  de  trace  qu'on  s'en 
servit  encore  en  Gaule  au  début  du  v»  siècle.  Comme  saint  Patrick  avait 
reçu  sa  préparation  en  Gaule  il  est  improbable  qu'il  soit  allé  chercher 
dans  quelque  coin  perdu  de  la  Grande-Bretagne  un  compul  pascal 
vieilli.  Bury,  op.  cit.,  p.  371  ss.,  croit  donc  pouvoir  conclure  que 
saint  Patrick  trouva  en  Irlande  des  communautés  chrétiennes  se  ser- 
vant de  l'ancien  comput,  et  qu'il  ne  voulut  ou  ne  put  pas  le  remplacer 
par  un  autre. 

1.  Tous  les  néophytes  de  saint  Patrick  qui  désirent  servir  Dieu  se 
font  moines  ou  nonnes  :  Conf.,  p.  369,  Ep.,  p.  378.  Ils  sont  tellement 
nombreu.x  que  saint  Patrick  ne  peut  les  énumérer.  —  L'organisation 
monastique  de  l'Église  n'exclut  point,  naturellement,  l'existence  de 
clercs  isolés. 


l'œuvre    de    saint    PATRICK    EN    IRLANDE  51 

sièges  des  évéchés  et   assurèrent  une  stabilité  parfaite  au 
fonctionnement  de  la  vie  ecclésiastique  ', 

D'autre  part  saint  Patrick  fit  du  christianisme  la  religion 
prépondérante  parmi  les  chefs.  Ce  n'est  pas  qu'ils  eussent 
partout  et  toujours  réservé  un  bon  accueil  à  l'upùtre.  11  lui 
arriva  d'ôtre  fait  prisonnier  avec  ses  compagnons,  enchaîné 
et  menacé  de  mort".  Le  roi  suprême,  Loegaire  mac  Niall, 
ne  se  laissa  pas  convertir  \  Mais  en  fin  de  compte  le  saint 
sut  gagner  leur  faveur.  11  fil  son  possible  pour  ne  les 
blesser  en  rien,  et  ne  point  provoquer  de  persécution  '.  Il 
faisait  des  largesses  aux  brethemain  {ju^es  arbitraux),  aux- 
quels il  ne  distribua  pas  moins,  dit-il,  d'une  somme  égale 
à  la  composition  pour  meurtre  de  quinze  hommes  libres  ^  Il 
donnait  des  cadeaux  aux  chefs,  pour  qu'ils  permissent  à 
leurs  fils  de  le  suivre,  et  il  rétribuait  encore  ceux-ci  ^  Et 
jamais  on  ne  vit  Patrick  accepter  aucun  présent,  ni  ceux 


1.  Cf.  plus  loin,  ch.  m,  pour  les  détails  et  les  références.  —  Dès  les 
plus  anciens  documents  connus  on  n'a  point  de  traces  d'autre  organi- 
sation que  celle  des  monastères.  Armagh  elle-même,  la  métropole,  est 
une  abbaye. 

i.  Conf.,  p.  372  :  «^  comprehenderunt  me  cum  comitibus  meis.  Et  illa 
die  auidissime  cupiebant  interficere  me.  Sed  tempus  nondum  uenerat. 
Et  omnia  quecumque  nobiscum  inu<'nerunt  rapuerunt  illud.  etmeferro 
uinccrunt.  Et  quarto  deoimo  die  absoluit  me  Dominus  de  polestate 
corum,  et  quidquid  nostrum  fuit  redditum  est  nobis  propter  Deum 
et  neceàsarios  amicos,  quos  ante  preuidimus  ». 

3.  Tlrechân,  loc.  cit.,  p.  308.  D'autres  Vies  disent  qu'il  se  convertit 
par  peur.  Tirechàn  représente  assurément  la  tradition  vraie.  Si  Loe- 
gaire s'était  converti,  un  tel  triomphe  de  saint  Patrick  aurait  rendu 
impossible  la  formation  de  toute  tradition  contraire. 

4.  Conf.,  p.  371. 

5.  Conf.,  p.  372  :  a  Vos  autem  experti  estis  quantum  erogaui  illis  qu 
iudicabant  per  omnes  regiones  quos  ego  frequentius  uisitabam  :  cen- 
seo  enim  non  minimum  quam  pretium  quindocim  hominum  distribui 
illis.  »  Le  '(  pri.x  d'un  homme  »  était  de  vingt  et  une  bétes  à  cornes. 
Cf.  Arbois  de  Jubainville  dans  Rev.  Celtique,  VIII,  p.  lo9. 

6.  Conf.,  p.  372  :  «  Ego  inpendi  pro  uobis  ut  me  caperent.  et  inter 
uos  et  ubique  pergobam  causa  uestra...  Intérim  premia  dabam  regibus, 
prœler  (Ms.  propter)  quod  dabam  mercedem  fdiis  ipsorum  qui  mecum 
ambulant  ».  —  Sur  les  «  reges  »  cf.  ch.  vi. 


52  SAINT    SATRICK    ET    LE    f.ULTE    DES    HÉROS 

qu'on  lui  oiïrail  pour  Tordinalion  des  clercs,  ni  ceux  que 
jetaient  sur  l'autel  les  néophytes  enthousiasmés'.  Enfin 
l'enseignement  du  saint  provoqua  un  entraînement  irrésis- 
tible parmi  la  jeunesse  des  deux  sexes.  Les  fils  et  les  filles 
des  chefs  entraient  dans  les  ordres  en  foule,  de  sorte  que 
Patrick  avoue  n'en  plus  connaître  le  nombre". 

Quant  à  la  partie  de  l'Irlande  que  l'apôtre  conquit  au 
christianisme,  il  est  impossible  de  la  déterminer,  même 
approximativement.  Tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que  sa 
mission  atteignit  les  extrémités  occidentales  de  l'île,  là  où 
s'étendait  la  forêt  de  Fochlut,  et  que  le  quartier  général 
de  Patrick  était  dans  la  région  comprise  entre  la  Blackwa- 
ter  (qui  se  jette  dans  le  Lough  Neagh)  et  le  Strangford 
Lough.  La  dislance  entre  ces  deux  régions  est  énorme. 
Aussi  faut-il  supposer  que  le  saint  les  réunit  par  une  série 
d'établissements  ecclésia.stiques,  et  comme  il  existe  des  tra- 
ditions relatives  à  son  activité  en  Meath,  il  est  probable 
qu'il  passa  par  ce  royaume  pour  se  rendre  dans  l'ouest  ^ 


1.  Ib.  n  Forte  autem  quando  baplizaui  tôt  milia  hominum  speraue- 
rim  ab  aliquo  illorum  uel  dimedio  scriptule?  Dicite  mihi  et  reddam  uo- 
bis  (Sam.  XII,  3).  Aut  quando  ordinaiiit  ubique  Dominus  clericos  per 
modicitateni  meam  et  ministerium  gratis  distribui  illis  ?  Si  poposci  ab 
aliquo  illorum  uel  pretium  uel  calciamenti  mei,  dicite  aduersus  me  et 
reddam  uobis  magis  ».  La  scriptula,  screpall,  était  une  monnaie  d'argent 
pesant  vingt-quatre  grains,  Joyce,  Social  Ihstory,  II,  p.  381  s. 

2.  Conf.,  p.  37i>,  p.  36'J  ;  Ep.,  p.  378  :  les  «  filii  et  filiœ  rcgulorum  » 
deviennent  moines  et  vierges  du  Seigneur. 

3.  Conf.  p.  372  :  «  ubique  pergebam  causa  uestra,  ubi  nemo  ullra 
erat,  et  ubi  numquam  aliquis  peruenerat  qui  baptizaret,  aul  clericos 
ordinaret.  aut  populum  consummaret  ».  —  Le  fait  que  saint  Patrick  a 
séjourné  dans  la  région  de  la  forêt  de  Fochlut  est  démontré  par  sa 
vision.  Cf.  p.  36  n.  2. 11  y  e.xistait  au  vu»  siècle  de  nombreuses  églises  qui 
se  réclamaient  de  saint  Patrick.  —  Sur  la  région  nord-est,  cf.  plus  loin 
p.  53  et  note.  —  Sur  l'activité  de  saint  Patrick  en  Meath,  cf.  Tirechân, 
toc.  cit.,  livre  I",  etMuirchu,  loc.  cit.,  p.  277  s.  La  partie  la  plus  impor- 
tante de  la  légende  y  est  localisée.  Mais  le  caractère  mythique  en  est 
tellement  prononcé  (cf.  ch.  m)  qu'il  est  impossible,  à  notre  sens,  d'en 
tirer  aucune  conclusion  historique.  On  sait  d'autre  part  que  les  rois  de 
Meath  furent  des  chrétiens  d'orthodo.xie  fort  douteuse  jusqu'à  la 
seconde  moitié  du  vi»  siècle.  Les  druides  conservèrent  une  situation 


L  ŒUVRE    DE    SAINT    PATHICK    EN    IRLANDE  53 

Fondation  de  la  métropole  d'Armagh.  —  Le  couronne- 
menl  de  l'œuvre  de  Patrick  fut  la  fondation  de  l'abbaye 
d'Armagh,  qui  devint  le  centre  religieux  de  l'Irlande.  Les 
évoques  qui  s'y  succédèrent  étaient  les  «  héritiers  »  {co- 
77iarf)ii)  de  saint  Patrick,  et  à  ce  titre,  ils  prétendaient 
exercer  leur  juridiction  sur  toutes  les  églises  de  l'île  '. 

On  ne  peut  prouver  cependant  que  le  saint  ait  formelle- 
ment institué  cette  suprématie.  La  partie  méridionale  de 
l'Irlande  refusa  en  effet  longtemps  de  la  reconnaître"  et  ses 
premiers  évéques  connus,  s'ils  agissent  de  concert  avec 
saint  Patrick,  ne  paraissent  pas  dépendre  de  lui  \ 


officielle  à  leur  cour  jusqu'à  cette  époque  (Cf.  la  Mort  de  Muircertach 
mac  Erca.éd.  Whitley  Stokes  dans  flei;.  Celt.,  XXIII,  §  37).—  L'Église 
est  très  circonspecte  en  ce  qui  concerne  la  mémoire  de  ces  rois.  Auss 
ne  saurions-nous  admettre  les  conclusions  de  M.  Bury,  op.  cit.,  p.  111  ss., 
sur  l'activité  déployée  par  saint  Patrick  à  la  cour  des  rois  suprêmes. 
Tout  ce  qu'on  peut  tirer  des  textes,  c'est  que  des  communautés  chré- 
tiennes ont  probablement  existé  en  Mealh  au  temps  de  saint  Patrick 
(cf.  la  légende  de  saint  Lomnan,  citée  p.  267),  et  qu'au  viii»  siècle  on  y 
faisait  remonter  à  lapôtre  la  fondation  de  quelques  églises.  11  est  donc 
probable  que  saint  Patrick  passa  par  là,  mais  que  ses  succès  y  furent 
peu  importants.  Nons  sommes  enclins  à  attribuer  plutôt  la  conversion 
définitive  du  royaume  de  Meath  aux  successeurs  de  saint  Patrick  et  à 
ses  disciples. 

1.  Annals  of  Ulster,  éd.  cit.,  s.  a.  444;  Muirchu,  ioc.  cit.,  p.  292.  — 
Cf.  Tripartile  Life,  II,  Append.,  listes  des  évéques  d'Armagh.  —  Cf.  les 
ouvrages  sur  saint  Patrick  mentionnés  p.  "29,  n.  1,  et  Reeves,  The  An- 
cient  Churches  of  Armar/h.  Dublin.  — Cf.  Hymne  de  Secundinus  :  «  ciui- 
las  Régis  munita  supra  montem  possita  »,  parabole  qui  désigne  saint 
Patrick.  Mais  ne  s'agit-il  pas  ici  en  même  temps  d'Armagh,  la  ville  sainte 
sur  la  cime  d'une  colline^ 

2.  L'unité  ecclésiastique  de  l'Irlande  sous  la  suprématie  d'Armagh 
ne  fut  définitivement  constituée  qu'au  .synode  de  Birr  («  Synode  d'Adam- 
nan  •>)  en  (j'j7.  Le  nord  de  l'Irlande  avec  Armagh  se  conforma  alors  à 
la  discipline  romaine.  Les  églises  du  sud  avaient  déjà  adopté  la  ton- 
sure romaine  et  le  cycle  pascal  Dionysicn  en  634.  —  il  n'existait  pres- 
que pas  de  traditions  sur  saint  Patrick  dans  le  sud.  Muirchu,  qui  écri- 
vait à  Slébte  (Sletty)  en  Leinster  n'avait  à  sa  disposition  que  des  actes 
d'origine  septentrionale  (Bury,  op.  cit.,  p.  261  s.)  —  Cf.  Haddan  et 
Stubbs,  Counciis  and...  ecclesiastical  documents,  I,  app.  D.;  II  et  III, 
passim  ;  Wasserschlebenj,  Die  irische  Kanonensammlung ,  Introd., 
2*  éd.,  Leipzig.  1885. 

3.  Lettre  circulaire  contenant  trente  canons  d'origine  diverse,  dite 
Synodus  I  Patricii,  chez  Haddan  et  Stubbs,  op.  cit.,  II,  p.  323  ss. 


54  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Mais  il  est  certain  qu'en  faisant  d'Armagh  son  propre 
siège  épiscopal,  Patrick  forma  le  noyau  de  Torganisalion 
métropolitaine  future.  Lui-môme  était  le  chef  incontesté  de 
l'Eglise  du  nord  de  l'Irlande.  Tout  l'édifice  ne  tenait  que 
grâce  à  ses  efforts  personnels  '.  Ses  successeurs  directs  ne 
l'oublièrent  pas  ;  ils  fabriquèrent  au  besoin  des  légendes 
pour  maintenir  la  tradition.  Aussi,  les  circonstances  poli- 
tiques aidant,  leurs  droits  furent-ils  officiellement  reconnus 
par  Rome.  Le  pallium  leur  fut  conféré  au  vu'  siècle,  et 
plus  tard  ils  obtinrent  la  dignité  de  primats  d'Irlande  -. 

Mort  de  saint  Patrick.  La  vitalité  de  son  oeuvre.  — 
Patrick  mourut  vers  460 '.  Le  lieu  probable  de  sa  mort 
et  de  sa  sépulture  est  Saul  en  Lecale  *. 

Avant  sa  mort  il  eut  la  douleur  de  voir  son  œuvre  com- 
promise par  ses  propres  compatriotes  et  coreligionnaires, 
qui  sous  le  commandement  d'un  chef  nommé  Goroticus 
accompagné  de  Pietés  et  de  Scots  païens,  firent  une  incur- 
sion en  Irlande,  massacrèrent  des  néophytes  à  leur  sortie  de 
la  cérémonie  du  baptême  et  en  emmenèrent  d'autres  pri- 
sonniers. Patrick  réclama  en  vain  la  liberté  de  ceux-ci  au 


«  Gratias  agamus  Deo  Patri  et  Filio  et  Spiritui  sancto.  Presbiteris  et  dia- 
conibus  et  omni  clero  Patricius,  Auxilius,  Isserninus  episcopi  salutern  ». 
Le  document  est  authentique  (Bury.  op.  cit.,  p.  239  ss.),  sauf  interpola- 
tions possibles.  —  Rien  dans  cette  lettre  ne  fait  soupçonner  que  saint 
Patrick  ait  été  supérieur  aux  autres  évèques. 

1.  Conf.,  p.  370  s.  «  Eram  uelut  lapis...  in  luto...,  ut  uenit,  qui  potens 
est,  et  in  sua  misericordia  sustulit  me  :  et  quidem  scilicet  sursum  adle- 
uauit  etcollocauit  me  in  sua  parte,  ammiramini...  quis  me...excitauit  de 
medio  eorum  qui  uidentur  esse  sapientes.  —  Cf.  Conf.,  passim.,  par 
ticulièrement  p.  370  :  Patrick  craint  de  quitter  l'Irlande  pour  ne  point 
perdre  le  fruit  de  son  travail. 

2.  Cf.  Wasserschleben,  op.  cit.,  Introd. 

3.  461,  suivant  Ann.  Ulst.,  éd.  cit.,  s.  a.  ;  Nennius,  Rist.  Brit.,  XVI. 
—  Les  Annales  Cambriae  (Rolls  Séries)  donnent  457.  —  M.  Bury  admet 
comme  certaine  la  première  date  :  Tirechân's  Memoir  on  saint  Patrick 
dans  Engl.  Histor.  Review,  Avril  1912,  p.  239  ss. 

4.  Bury,  Life  of  saint  Patrick,  p.  209  s.  et  p.  380  s. 


L  CEUVRE    DE    SAINT    PATRICK    EN    IRLANDE  55 

nom  de  la  fraternité  chrétienne.  Corolicus  les  vendit  ou  les 
distribua  i\  des  païens  ^ 

Mais  le  christianisme  avait  poussé  en  Irlande  des  racines 
assez  jjrolondes  pour  résister  à  de  pareilles  épreuves.  Et 
malgré  les  appréhensions  de  Patrick  lui-même  sur  la  vita- 
lité de  la  nouvelle  Eglise  ',  elle  ne  cessa  plus  de  se  déve- 
lopper. 

Aussi  peut-on  dire  que  saint  Patrick  mérite  pleinement 
le  titre  d'apôtre  des  Irlandais.  S'il  profita  des  efforts  de  ses 
prédécesseurs  anonymes,  et  si,  après  sa  mort,  les  prêtres 
païens  gardèrent  encore  longtemps  un  caractère  officieP, 
il  fjut  voir  en  lui  néanmoins  le  fondateur  authentique  de 
l'Église  d'Irlande. 

i.  Epistola,  loc.  cit..  C'est  la  seule  source  qu'on  possède  sur  cette 
incursion.  Corolicus  était  roi  à  Alcluith  (Rock,  of  Clyde).  Zimmer, 
op.  cit. 

i.  Conf.,  p.  370. 

3.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Les  druides  et  les  dieux  celtiques, 
Paris  1907,  ch.  sur  les  Druides  en  Irlande;  du  môme.  Introduction  à 
l'élude  de  la  littérature  celtique,  Paris,  1880,  p.  34  et  196  ss.  Cf.  Annals 
of  the  Four  Maslcs,  éd.  0'  Donovan,  année  iioo  ;  Whitley  Stokes,  Lives  of 
Saints  from  Ihe  Book  of  Lismore,  p.  xxviii. 


CHAPITRE   II 

LA  LÉGENDE  DE  SALNT  PATRICK 
ÉTUDE  SOMMAIRE  DES  TEXTES 


La  légende  broda  complaisamment  sur  la  trame  ténue 
des  données  historiques. 

Itinéraire  légendaire  de  saint  Patrick.  —  Elle  fixa 
l'itinéraire  de  saint  Patrick  avec  une  extrême  précision*. 
Après  avoir  touché  la  terre  d'Irlande  une  première  fois  à 
Inbher  Dee  en  Leinster,  puis  séjourné  dans  les  îles  Skerries, 
saint  Patrick  accomplit  un  immense  itinéraire  qui  commence 
en  Lecale,  atteint  au  nord  le  lieu  de  son  ancienne  captivité, 
le  Mont  Miss,  puis  continue  par  mer  jusqu'à  l'embouchure 
de  la  Bornée  De  là  il  reprend  sa  route  à  travers  la  Plaine  de 
Breg'',  avec  arrêt  à  Tara,  franchit  les  deux  Tethbro*  et  Mag 

1.  Cf.  Bury,  op.  cit.,  App.  B.  et  du  môme,  Itinerary  of  Patrick  in  Con- 
naughf,  l'roceedimjs  of  the  Roy.  Ir.  Acad.,  XXIV,  Sect.  C,  Dublin, 
1903;  Shearman,  Loca  Palriciana.  Dublin,  1879,  est  un  livre  utile,  mais 
qu'il  faut  manier  avec  circonspection. 

2.  Muirchu  dans  Triparlile  Life,  II,  p.  273  ss.  Tirechân,  tôic/..  p.  303, 
fait  venir  Patrick  directement  des  lies  Skerries  à  Tembouchure  de  la 
Boyne  et  il  ne  parle  pas  d'Inbher  Dee.  Mais  c'est  la  tradition  de  Muir- 
chu  qui  devint  classique  dans  toutes  les  Vies  subséquentes. 

3.  Muirchu,  loc.  cit.,  p.  286.  arrête  à  Tara  l'itinéraire  de  saint  Patrick. 
Les  légendes  qui  suivent  dans  cette  Vie  ne  sont  pas  localisées,  sauf 
celle  de  la  fondation  d'Armagh  et  celle  de  la  mort  du  saint.  La  suite  de 
l'itinéraire  est  résumée  ici  d'après  Tirechân.  Outre  Tara,  cet  auteur 
mentionne  encore  Tailtiu.  Uisnech  Midi  et  une  série  de  localités 
moins  importantes,  que  saint  Patrick  visita  dans  la  Plaine  de  Breg. 

4.  Région  qui  comprenait  le  comté  actuel  de  Longford  et  l'ouest  du 
comté  de  Westmeath. 


o8  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

Slochl',  pour  allcindrc  le  Sliannon  au  Lough  Bofin  ■.  II  fait 
le  tour  (lu  Connaught,  en  passant  par  le  pays  des  Hûi 
n-Ailella,  par  Mag  Ai,  par  Tir  Amalgaidh,  Mag  Domnon, 
Achad  Fobuir  et  le  Mont  Aigle  pour  revenir  dans  le  sud  de 
Mag  Ai\  De  là  l'itinéraire  se  continue  à  travers  le  Munster 
septentrional  et  le  Leinster  et  aboutit  fi  Slébtc.  Enfin  on 
retrouve  le  saint  à  Tara,  puis  en  Lecale  et  chez  les  Hùi 
Niallain,  oîi  il  fonde  Armagh.  En  somme,  tous  les  lieux  de 
quelque  importance  politique  ou  religieuse,  sauf  ceux  de 
l'extrême  sud-ouest,  sont  compris  dans  cet  itinéraire. 

Thèmes  de  la  légende.  —  La  légende  est  morcelée  en 
une  infinité  d'épisodes.  Mais  un  coup  d'œil  suffit  pour  se 
convaincre  qu'il  ne  s'agit  en  réalité  que  de  la  répétition 
et  des  combinaisons  d'un  assez  petit  nombre  de  thèmes 
fondamentaux,  qui  peuvent  être  facilement  classés. 

Ainsi  tous  les  récits  des  victoires  du  christianisme  sur  le 
paganisme,  récits  qui  remplissent  la  plus  importante  partie 
des  Vies,  se  ramènent  aux  thèmes  suivants  : 

Tantôt  c'est  un  druide  qui  oppose  les  pratiques  de  la 
magie  à  la  puissance  surnaturelle  du  saint  et  dont  les 
maléfices  se  retournent  contre  lui-même.  Les  démons  s'em- 
parent de  lui.  C'est  là  un  thème  qui  est  développé  dans 

d.  Mag  Slecht  n'est  pas  mentionnée  dans  Tirechûn.  Mais  il  y  a  des 
raisons  pour  croire  que  cette  localisation  était  connue  de  son  temps. 
Cf.  à  ce  sujet  Bury,  Itinerary,  p.  154  ss. 

2.  Tircchân,  loc.  cit.,  p.  312  :  saint  Patrick  passe  le  Shannon  «  per 
uadum  duorum  auium  ».  Pour  lidentiGcation  du  lieu  avec  les  lacs 
Bofin  et  Killglass  cf.  Bury,  Itinerary,  et  Life  of  saint  Patrick,  p.  133  s. 
M.  Bury  a  démontré  que  Tidentification  proposée  par  Whitley  Stokes, 
Tnpartite  Life,  II,  p.  312,  note,  ne  peut  être  maintenue.  Stokes 
interprétait  «  uadum  duorum  auium»  comme  traduction  de  Snam-dà-én 
«  the  swimming  of  two  birds  »,  et  le  considérait  comme  nom  du  Shan- 
non entre  Clonmacnois  et  Clonburren. 

3.  Ailleurs,  p.  329,  Tircchân  dit  que  saint  Patrick  franchit  le  Shannon 
«  tribus  uicibus  ».  M.  Bury,  Itinerary,  p.  164  ss.  croit  que  Tirechûn 
construisit  un  seul  itinéraire  en  confondant  les  traditions  de  trois 
voyages  distincts  en  Connaught. 


LA    LÉGENDE    DR    SAINT    PATRICK  59 

d'innombrables  légendes  hagiographiques,  dont  une  des 
plus  ty|)i(iues,  celle  qui  raconte  la  lutte  de  Simon  le  Magi- 
cien contre  saint  Pierre,  a  précisément  servi  de  modèle  aux 
auteurs  des  Vies  de  saint  Patrick.  En  efîet,  le  druide  meurt 
exactement  de  la  m<^me  manière  que  Simon.  11  est  préci- 
pité du  haut  des  airs  par  les  démons  et  se  fracasse  le  crâne 
contre  une  pierre  '. 

La  lutte  de  saint  Patrick  contre  les  druides  prend  encore 
la  forme  d'un  tournoi  entre  deux  prêtres  appartenant  à 
deux  religions  ennemies,  ou  bien  môme  entre  deux  magi- 
ciens. Aux  rites  païens  l'apôtre  oppose  des  rites  chrétiens 
de  même  aspect.  Par  exemple  il  allume  un  feu  de  Pâques 
en  face  du  feu  sacré  d'une  fête,  et  il  annule  les  effets  des 
pratiques  magiques  par  des  miracles  contraires.  Ce  tournoi 
aboutit  à  une  ordalie  par  le  fou,  qui  doit  décider  entre  le 
champion  de  la  Foi  et  le  suppôt  des  démons.  Naturelle- 
ment le  premier  en  sort  vainqueur  ■. 

Patrick  lutte  aussi  directement  contre  les  démons.  Il  les 
attaque  dans  leurs  repaires,  les  idoles  qu'ils  habitent.  Tant 
qu'il  est  en  vie,  aucun  démon  ne  peut  demeurer  dans  l'île  ^ 

Enfin,  des  chefs  s'opposent  à  la  mission  de  Patrick,  soit 
qu'ils  refusent  simplement  de  se  laisser  baptiser,  soit  qu'ils 
trament  des  attentats  contre  le  saint  ou  ses  compagnons.  La 
punition  qui  atteint  ces  païens  endurcis  est  toujours  la 
môme  :  par  l'effet  de  la  malédiction  de  Patrick  le  pouvoir 
passe  de  leur  maison  dans  celle  d'un  de  leurs  frères  qui  se 
trouve  toujours  là,  à  point  nommé,  pour  se  convertir*. 

i.  Muirchii,  p.  281  s.  —  Cf.  Vie  de  saint  Pierre  l'Apôtre  dans  la 
Légende  Dorée. 

2.  Mnirchii.  p.  281  ss.  ;  TIrechân,  p.  306  s.  et  p.  325  s.  Cf.  chap.  m. 

3.  Vie  Tripar li te  àans  Tripartite  Life,  I.  p.  90  et  112  s.:  Homélie 
du  Lebar  Brecc,  ibid.,  II.  p.  474  s..  Cf.  Giraldiis  Cambrensis,  Topoqra- 
phia  Hibemica,  éd.  Uimock  {RoU's  Séries),  p.  180  :  saint  Patrick  a 
chassé  de  l'Ile  tous  les  reptiles  venimoux. 

4.  Muirchu,  p.  285  s.  n  Quia  resisisti  doctrinae  meae  et  fuisti  scan- 


60  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Dans  un  seul  cas  le  chef  récalcitrant,  qui  est  dans  l'espôce 
l'ancien  maître  de  Patrick,  se  suicide  :  il  ne  peut  supporter 
ridée  que  son  ancien  esclave  devienne  son  chef  spirituel'. 

Quant  aux  attentats  dont  certains  de  ces  chefs  se  ren- 
dent coupables,  ils  échouent  de  deux  manières. 

La  plupart  sont  déjoués  par  un  miracle.  Tantôt  c'est  im 
tremblement  de  terre  qui  disperse  les  ennemis  de  saint 
Patrick,  tantôt  le  sol  s'entr'ouvre  pour  les  engloutir.  Ou  bien 
un  charme  dérobe  le  saint  à  la  vue  des  assassins  apostés 
sur  son  chemin,  et  ceux-ci  voient  passer  au  lieu  des  chré- 
tiens un  troupeau  de  cerfs.  Une  autre  fois  on  verse  une 
goutte  de  poison  dans  la  gourde  de  Patrick.  Mais  l'apôtre 
fait  geler  le  contenu  de  la  gourde  à  Texception  de  la  goutte 
meurtrière  qu'il  verse  à  terre'. 

Cependant  les  criminels  réussissent  parfois  à  faire  une 
victime .  Seulement  ce  n'est  pas  Patrick  qu'ils  tuent, 
c'est  son  cocher,  qui,  informé  de  leurs  intentions,  s'était 
fait  passer  pour  son  maître.  Suivant  une  autre  version  de 
la  légende,  les  païens  tuent  intentionnellement  le  cocher 
du  saint  pour  voir  ce  que  Patrick  entend  par  le  pardon  des 
injures. 

En  dehors  de  ces  combats  contre  les  démons,  les 
druides  et  les  chefs  païens,  les  Vies  de  saint  Patrick 
comportent  quelques  récits  qu'on  peut  ranger  dans  la 
catégorie  des  contes  pieux,  de  caractère  didactique. 

On  vient  d'en  citer  un,  celui  où  l'on  raconte  le  dévoue- 
ment du  cocher  de  saint  Patrick.  Une  autre  légende  glorifie 
la  patience  d'un  roi,  Aengus  de  Cashel,  et  sa  soumission  à 

dalum  mihi,  dit  l'apôtre  au  roi  Loegaire...  nullus...  erit  ex  semine  tuo 
rex  in  aelernum  ».  En  effet  le  trône  passe  à  la  descendance  d'un  des 
frères  du  roi.  Ct.  Vie  Tripartite,  l.  c  ,  deuxième  et  troisième  partie, 
passim. 

1.  Muirchu,  p.  275  s. 

2.  Muirchu,  p.  281  ss.,  Tirechân,  p.  306  s. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  61 

lapulre.  Pendant  qu  il  prononçait  un  sermon  en  pré- 
sence de  convertis  nouveaux,  saint  Patrick  appuya  par 
mégarde  le  bout  de  son  bâton  sur  le  pied  d'Aengus  et  le 
perça  de  part  en  part.  Mais  le  roi  attendit  sans  mot  dire  la 
fin  du  sermon,  croyant  que  sa  souiïrance  était  nécessaire  à 
son  baptême.  Le  saint  l'en  récompensa.  11  lui  octroya  sa 
bénédiction  et  lui  prédit  que  ses  descendants  jouiraient  tou- 
jours du  pouvoir. 

L'ascétisme  de  l'apôtre  lui  donne  comme  un  avant-goût 
des  joies  célestes.  Un  jour  qu'il  se  mortifie  dans  l'eau 
glacée  d'une  rivière,  il  aperçoit  les  «  miracles  habituels  du 
ciel  »  qui  s'entr'ouvre.  Une  autre  fois,  il  jeûne  pendant 
quarante  jours  sur  le  sommet  d'une  montagne,  jusqu'à  ce 
que  le  Seigneur  lui  ait  envoyé  un  ange  pour  le  réconforter 
et  lui  promettre  l'accomplissement  de  tous  ses  désirs*. 

Ce  sont  encore  des  thèmes  de  contes  pieux,  comme  on 
en  rencontre  dans  la  littérature  hagiographique  de  tous  les 
pays,  qui  ont  fourni  l'épisode  où  les  cinq  doigts  de  saint 
Patrick  éclairent  comme  autant  de  torches  ",  ou  la  légende 
dans  laquelle  un  néophyte  déclare  avoir  vu  des  étincelles 
sortir  de  la  bouche  du  saint*.  L'endroit  où  se  tient  saint 
Patrick  est  toujours  sec,  même  lorsqu'il  pleut  dans  l'île 
entière  *.  La  première  nuit  qui  suit  la  mort  de  saint  Patrick, 
ce  sont  des  anges  qui  veillent  sur  son  corps.  Ils  font 
entendre  une  musique  si  douce,  que  tous  les  clercs  s'assou- 
pissent ^  Le  soleil  s'arrête  dans  sa  course  au  moment  où 

1.  Tirechân,  p.  322.  Cf.  Colgan,  Vita  Ul",  et  Vie  Triparlite  dans  Tri- 
parlite  Life,  I. 

2.  Muirchu.  p.  29.t.  La  môme  légende  se  répète  dans  les  Vies  du  bien- 
heuri'U.x  Marianiis  Scolus  et  de  saint  Sebald,  citées  dans  Delehaye,  Les 
légendes  liaf/iograpliiques,  2°  ùd.,  Bruxelles,  1906,  p.  57. 

3.  Tlrechàn.  p.  330  (légende  de  Gosacht  fils  de  Milchu),  et  p.  308  (con- 
version d'Ere). 

4.  Muirchu,  p.  2'J4. 

5.  Muirchu,  p.  297. 


62  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

l'apùlre  entre  dans  la  Ciloire  de  Dieu,  et  pendant  toute 
Tannée  qui  suit  les  nuits  sont  moins  ténébreuses  ^ 

Une  croix  avait  été  placée  par  erreur  sur  le  tombeau 
d'un  païen.  Patrick,  qui  avait  l'habitude  de  prier  à  chaque 
croix  qu'il  rencontrait,  passe  à  côté  de  celle-ci  sans  s'ar- 
l'ôter.  Il  ne  l'avait  pas  remarquée  :  il  ne  voyait  que  les 
croix  des  sépultures  chrétiennes". 

11  ressuscite  un  païen  pour  le  baptiser  et  celui-ci  meurt 
une  seconde  fois^ 

Une  princesse  apprend  que  si  elle  se  convertit,  elle  peut 
devenir  Tépouse  du  Fils  de  Dieu.  L''apôtre  la  baptise  et  elle 
meurt  immédiatement.  Cette  légende  existe  en  deux  ver- 
sions, dont  l'une  tient  une  place  importante  dans  les  Vies 
de  saint  Patrick'. 

Beaucoup  de  ces  épisodes  sont  à  la  limite  entre  les  contes 
pieux  et  les  contes  populaires  proprement  dits. 

On  raconte  par  exemple  que  le  saint  ayant  demandé 
au  chef  local  d'Armagh  Daire,  qu'il  lui  fît  don  d'une  col- 
line pour  y  construire  une  église,  n'obtint  qu'une  portion 
de  la  vallée.  Peu  après  un  cheval  qui  appartenait  au  chef 
étant  entré  dans  le  pré  de  l'apôtre,  l'animal  tomba  mort. 
Daire  allait  assassiner  Patrick,  mais  sur  le  champ  il  tomba 
malade  et  ne  guérit  que  grâce  au  saint.  Un  peu  d'eau 
bénite  qu'il  donna  aux  serviteurs  du  chef  suffit  à  ranimer 
le  cheval  mort  et  à  rendre  la  santé  à  Daire.  Pour  le 
récompenser  Daire  lui  envoya  un  beau  chaudron  de  cuivre. 
Mais  Patrick  accueillit  ce  précieux  cadeau  avec  une  indif- 

1.  Muirchu,  p.  296  s.  ;  Continuateur  de  Tirochan,  Triparlite  Life,  II, 
p.  332. 

2.  Muirchu,  p,  294. 

3.  Tirechân,  p.  324  s. 

4.  Tirechân,  p.  314  s.  ;  Muirchu  B,  éd.  Hogan,  p.  577.  Légendes  sur  le 
môme  thème,  citées  dans  J.-H.  Todd,  Saint  Patrick,  p.  459  et  note. 


\ 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT   PATRICK  63 

lérence  si  marquée,  qu'il  fallut  lui  donner  ce  qu'il  deman- 
dait Daire  lui  concéda  la  colline  d'Armagh,  sur  laquelle 
le  saint  construisit  son  église'. 

Voici  encore  un  autre  thème  de  conte  populaire,  celui 
de  la  mort  simulée  qui  provoque  la  mort  réelle.  Des  païens, 
voulant  se  moquer  de  saint  Patrick,  induisirent  l'un  d'entre 
eux  à  faire  le  mort  et  prièrent  le  saint  de  venir  le  ressusciter. 
Quand  Patrick  arriva  et  leva  le  manteau  dont  on  avait  re- 
couvert le  simulateur,  celui-ci  n'était  plus  qu'un  cadavre^. 

Elnfin  la  légende  qui  raconte  les  funérailles  de  saint 
Patrick  et  la  concurrence  des  églises  rivales  pour  la  pos- 
session de  son  corps  est  entièrement  composée  d'éléments 
qu'on  retrouve  dans  des  contes  populaires.  Une  querelle 
s'élève';  on  allait  en  venir  aux  mains;  la  mer  inonde 
la  plaine  et  sépare  les  adversaires*.  Le  soin  d'indiquer 
le  lieu  où  doit  reposer  le  corps,  est  laissé  aux  bœufs  qu'on 
attelle  à  la  bière  et  qu'on  laisse  aller  sans  guide  jusqu'à 
ce  qu'ils  s'arrêtent^ 

Un  nouveau  miracle  se  produit  pendant  les  funérailles 
de  Patrick.  Chacun  des  deux  partis  qui  se  contestaient  la 
possession  du  corps  voit  apparaître  devant  lui  un  char  tiré 
par  deux  bœufs.  Mais,  tandis  que  les  gens  d'Uladh  suivent 
les  vrais  bœufs,  l'armée  d'Airthir  est  guidée  par  un  attelage 


1.  Muirchu.  p.  290  s. 

2.  Muirchu,  p.  286  s. 

3.  Muirchu,  p.  298  s.  ;  Continuateur  deTirechàn,  loc.  cit. 

4.  Muirchu,  p.  299. 

'■).  Muirchu,  p.  298  s.  —  Le  continuateur  de  Tirechân  fait  allusion  à 
cette  légende  {loc.  cit.).  —  C'est  là  un  thème  qui  se  répète  dans  plu- 
sieurs légendes  hagiographiques  et  dans  des  contes  antiques,  par 
exemple  celui  de  l'syché.  Cadmus  est  lui  aussi  conduit  à  Thèbes  par 
un  bœuf.  Cf.  les  légendes  des  saints  Cyrille  de  Gortyne,  Auxentius  de 
Chypre,  Menas  l'Kgyptien  (où  les  bœufs  sont  remplacés  par  des  cha- 
meaux). Cf.  la  légende  du  «  Christ  des  Dames  Blanches  »  de  Tirlemont, 
cités  dans  Delehaye,  op.  cil.,  p.  35  et  note,  p.  37  et  note.  Cf.  ibid.,  p.  34, 
le  thème  du  vaisseau  errant,  porteur  de  reliques. 


64  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

fantôme,  qui  finit  par  s'évanouir*.  On  sait  que  ces  sortes  de 
mirages  sont  un  lieu  commun  des  contes  de  tous  pays. 

Tous  ces  épisodes  et  d'autres  encore  se  répètent  avec  la 
môme  monotonie  sur  laquelle  nous  allons  revenir.  Mais 
nous  allons  passer  en  revue  et  analyser  dans  les  chapitres 
suivants  ceux  de  ces  épisodes  où  se  révèlent  le  caractère 
et  la  personnalité  du  saint  héros. 

Personnalité  de  saint  Patrick. —  Dans  cet  entrecroise- 
ment de  thèmes  lé<^cndaires  la  mémoire  de  ce  qu'avait  été 
réellement  le  caractère  moral  de  saint  Patrick  a  entière- 
ment disparu. 

Il  devient  hautain  et  vindicatif.  Sa  colère  ne  se  tourne 
pas  seulement  contre  les  chefs  récalcitrants,  dont  il  fait 
déchoir  la  postérité,  ou  bien  contre  ceux  qui  lui  ont  fait  un 
tort,  comme  Daire  ;  dans  sa  fureur  de  malédiction  Patrick 
n'épargne  même  pas  les  objets  inanimés. 

On  a  battu  ses  serviteurs  dans  la  rivière  Sele;  elle  est 
maudite  et  ne  sera  plus  jamais  poissonneuse.  On  tue  quel- 
ques-uns des  compagnons  de  Patrick  à  Uisnech  Midi.  Il 
maudit  les  pierres  d' Uisnech  qui  ne  pourront  même  plus 
servir  à  chauffer  un  bain.  Une  terre  sur  laquelle  des 
ouvriers  travaillaient  le  dimanche  est  dévastée  par  la  mer 
et  transformée  en  désert  salé  par  l'effet  de  la  malédiction 
de  saint  Patrick'.  Des  rivières  sont  maudites  uniquement 
parce  que  Patrick  n'a  pas  réussi  à  y  pêcher  du  poisson''. 

1.  Muirchu,  loc.  cit.  Cf.  Légende  parallèle  dans  la  Vie  de  saint  Paul 
Aurélien  dans  Vies  des  saints  de  la  Bretagne  Armorique  par  Albert  Le- 
grand,  éd.  A. -M.  Thomas,  Quimper,  1901,  p.  104. 

2.  Muirchu.  p.  289. 

3.  Malédiction  de  la  Sele  (Blackwater,  Mealh)  et  de  l'Oing  «  quia 
dimersi  sunt  duo  pueri  de  pueris  Patricii  in  Saeli  »,  Tirechàn,  p.  328 
(cf.  p.  307);  de  la  Dub  (DufT  ou  Bunduff,  Sligo),  «  quia  postulauit  (pis- 
catores)  et  nihil  piscium  dabant  sancto  »,  ibid.\  la  Drowcs  est  bénie 
par  saint  Patrick  et  depuis  elle  est  poissonneuse,  ibid.  —  Malédiction 
d'Uisnech:  Tirechàn,  p.  310.  Cf.  Colgan  Vita  F/»  auctore  Jocelino,  cap. 
C  et  Vie  Tripartite,  2»  partie,  loc.  cit.,  p.  80. 


LA    LÉGENOE    DE    SAINT    PATRICK  65 

Ce  qui  dans  la  lûgcndo  peut  rappeler  le  vrai  saint  Patrick 
c'est  sa  piété  et  son  ascétisme.  Encore  sont-ils  grossis  à 
les  rendre  méconnaissables.  On  verra  plus  loin  que  la  péni- 
tence de  saint  Patrick  a  le  caractère  d'un  jeûne  magique, 
que  c'est  un  rite  efficace  employé  contre  le  ciel  pour  lui 
arracher  des  concessions.  Et  les  austérités  que  les  hagio- 
graphes  font  supporter  à  notre  saint  dépassent  ce  que  le 
plus  grand  des  ascètes  eût  pu  endurer  \  Ici  encore 
Patrick  devint  un  personnage  de  convention,  sans  rapport 
avec  la  réalité.  C'est  ce  type  conventionnel  qui  nous  inté- 
resse au  premier  chef. 

Les  Vies  de  saint  Patrick.  —  Cette  légende  est  com- 
plètement développée  et  les  traits  caractéristiques  de  son 
héros  sont  définitivement  fixés  dès  la  rédaction  des  plus 
anciennes  Vies  de  saint  Patrick  qui  soient  connues. 

Deux  siècles  environ  les  séparent  du  temps  où  vécut 
le  saint.  C'est  plus  que  suffisant  pour  mûrir  un  mythe. 
Aussi  les  Vies  subséquentes  ne  feront-elles  que  multij)her 
les  épisodes  et  les  amplifier  sans  en  modifier  le  fond.  Leur 
valeur  au  point  de  vue  de  l'étude  de  la  légende  consiste 
en  ce  qu'elles  sont  plus  explicites  que  les  premières 
rédactions  connues.  Les  thèmes  légendaires  y  sont  plus 
développés,  et,  comme  ils  se  répètent  à  l'infini,  on  a  la 
possibilité  de  faire  de  l'un  à  l'autre  d'utiles  comparaisons. 
Certaines  obscurités  des  plus  anciens  textes  deviennent 
ainsi  susceptibles  d'une  interprétation  exacte'. 

1.  Muirchu,  p.  293  :  saint  Patrick  chante  chaque  jour  tous  les  psaumes» 
les  hymnes  et  l'Apocalypse.  11  fait  cent  signes  de  croix  à  chaque  heure 
du  jouret  de  la  nuit.  Muirchu  B,  éd.  llogan,  p.  576  s.  :  saint  Patrick  entre 
dans  la  rivière  pour  y  prier  la  nuit.  Leau  est  tellement  froide  que  per- 
sonne ne  pourrait  y  tenir.  «  Nam  se  aquam  calidam  sensisso  testabatur.  » 
—  Sur  le  Mont  Aigle,  saint  Patrick  reste  quarante  jours  et  quarante 
nuits  sans  rien  boire  ni  manger. 

2.  Nous  ne  pouvons  entreprendre  ici  une- étude  complète  de  tous  les 

CZAHNOWSKI.  5 


66  SAINT    PATRICK.    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Seul,  le  type  moral  du  saint  parait  à  première  vue  subir 
une  évolution  au  cours  des  siècles.  Il  se  plie  à  l'idéal  de 
chaque  époque.  Le  rude  lutteur  que  nous  venons  de  carac- 
tériser devient  peu  h  peu  un  personnage  plein  d'iiumililé  et 
de  pardon.  Mais  cette  modification  n'est  qu'apparente.  Les 
hagiographes  n'introduisent  ni  ne  suppriment  rien  dans  la 
légende.  Ils  se  bornent  à  énoncer  une  appréciation  générale 
dans  leur  préambule*. 

Les  deux  plus  anciennes  Vies  connues.  —  Dans  la 
seconde  moitié  du  vu*  siècle  deux  Vies  ouvrent  la 
liste  des  œuvres  hagiographiques  consacrées  à  saint 
Patrick . 

La  première  fut  écrite  par  l'évoque  Tirechân,  disciple 
d'Ultan,  évêque  à  Ardbraccan  en  Meath  ".  Comme  il  ressort 
du  texte  qu'Ultan  était  mort  lorsque  l'ouvrage  fut  composé, 
celui-ci  est  postérieur  à  637  \  Tirechân  parle  d'autre  part 
d'une  grande  épidémie  toute  récente,  ce  qui  ne  peut  avoir 

thèmes  exploités  parles  hagiographes  subséquents.  Une  étude  pareille, 
occuperait  un  livre,  et  n'apporterait  pas  grand'chose  d'utile  pour  nous 
Les  textes  relatifs  à  saint  Patrick  ont  été  étudiés  par  Todd,  op.  cit., 
Zimmer,  op.  cit.  ;  Reeves,  Ecclesiasiical  antiquities  of  Down,  Connor  and 
Dromore,  Dublin  ;  Whitley  Stokes,  Tripartile  Life,  I.  Introduction  (surtout 
au  point  de  vue  de  la  filiation  des  Mss.  et  philologique).  Les  recherches 
les  plus  complètes  ont  été  faites  par  M.  Bury  dans  une  série  d'articles 
cités  au  cours  de  ce  chapitre.  Mais  M.  Bury  a  envisagé  les  documents 
hagiographiques  avant  tout  au  point  de  vue  de  leur  valeur  historique. 
11  a  donc  forcément  négligé  tout  un  côté  de  la  question.  M.  Bury  attri- 
bue d'ailleurs  aux  Vies  de  saint  Patrick,  une  importance  comme  sources 
qui  nous  parait  injustifiée.  Ainsi  la  localisation  d'une  légende,  même 
très  ancienne,  ne  prouve  pas  que  saint  Patrick  ait  passé  par  l'endroit 
donné.  Du  rôle  joué  par  certains  personnages  dans  la  légende  on  ne 
peut  de  môme  conclure  à  ce  que  saint  Patrick  ait  été  en  relation 
directe  avec  eux.  Ce  que  nous  venons  de  dire  s'applique  en  particulier 
à  la  légende  de  Tara,  étudiée  dans  le  chapitre  suivant. 

1.  Cf.  Vie  Triparlite,  VHomélie  du  Lebar  Drecc  et  la  Vie  du  Livre  de 
Lismore. 

2.  Tirechân,  p.  302  et  p.  311  (Ultanus)  «  cuius  alumnus  uel  discipulus 
fui  »  ;  «  qui  nutriuit  me.  » 

3.  Annah.  of  Vlsler,  s.  a. 

\ 


L\    I.Kf.ENDF,    DE    SAINT    PATRICK  67 

trait  qu'à  la  peste  des  années  664-tîG8  V  La  Vie  de  Patrick 
par  ïirechân  a  donc  été  rédigée  après  cette  date"  . 

La  seconde  des  deux  Vies  a  été  rédigée  par  Muirchu 
Maccu  Machlhéni^,  un  ecclésiastique  du  Leinster.  Muirchu 
écrivait  par  ordre  de  Tévêque  Aedh  de  Slébte  en 
Leinster,  et  il  lui  dédia   son  œuvre*.   Celle-ci   ne   peut 

1.  Tirechân,  p.  311  :  «  post  mortalitates  noiiissimas  ».  Ann.  of  Ulst. 
s.  a. 

2.  Ms..  Livre  d'Armagli.  Éditions  utilisées  :  du  P.  Edmund  Ilogan  dans 
Documenta  desanclo  Palricioex  Libro  Armachano,Analecla  Dollancliana, 
li.  p.  35 ss.  et  p.  213  ss.;  de  Whitley  Stokesdans  TripartileLife.  II,  p.  30iss. 
Nos  références  se  rapportent  aux  pages  de  cette  dernière  édition.  — 
Sur  la  Vie  cf.  Hogan,  introduction  à  son  éd.  ;  Whitley  Stokes,  Tripartile 
Life,  I,  Inlr..  p.  xci  ;  Bury,  Tirechân  s  Meinoir  on  saint  Patrick,  Engl. 
flistor.  flei'..avriH9Ui,  et.  le  même,  Life  of  saint  Patrick,]).  248  ss.  Il  y  a 
une  étude  de  M.  Gwynn  sur  Tirechân  dans  son  édition  du  Livre  d'Armagh, 
Introd.,  ch.  m,  que  nous  n'avons  pu  consulter.  Mais  les  principaux 
résultats  en  sont  mentionnés  par  M.  Bury,  op.  cit.,  loc,  cit.,  et  p.  229 
et  p.  230.  —  Cf.  aussi  les  ciudes  surle  iiyj'e  d'Armagh,  mentionnées  plus 
loin. 

3.  Deux  Mss.  :  Livre  d'Armagh  {A),  où  manquent  quelques  chapitres,  et 
un  Ms.  de  la  Bibliolhèrpio  Royale  de  Bruxelles  {B},  complet.  Dans  ^  il  y 
a  une  liste  des  chapitres  (pii  permet  d'identifier  ceux  de  B.  —  Éditions  : 
Hogan,  loc.  cit.,  p.  o^l  ss.,  texte  complété  d'après  les  deux  Mss.  ;  Whitley 
Stokes,  Triparlite  Life,  11,  p.  269  ss.,  texte  de  A  collationné  avec  B  ; 
ibid..  p.  496  ss.  les  chapitres  manquants  sont  réimprimés  d'après  l'édi- 
tion Hogan.  —  Nos  renvois  sont  faits  à  l'édition  Stokes,  sauf  pour  les 
chapitres  qui  manquent  dans  A.  Nous  renvoyons  en  ce  qui  concerne 
ceux-ci  à  l'édition  Hogan  et  nous  les  indiquons  :  Muirchu  B.  —  Études 
sur  le  texte  et  l'auteur:  préfaces  des  éditeurs  :  Gwynn,  op.  cit.,  cité  dans 
Bury,  Life  of -mini  Patrick,  pr  239  s.  ;  Bury,  The  tradition  of  Mtnrchu's 
text.  dans  Hermathena  XXVIII  ;  le  même,  Life  of  saint  Patrick, 
p.  255  ss. 

4.  Miirchu  maceni  Machthéine  est  nommé  dans  une  liste  d'évêques, 
d'abbés  et  de  rois  présents  au  synode  de  Birr  en  697  :Kuno  Meyer,  Cdin 
Adamndin  dans  Anecdola  Oxoniensia,  (Mediaeval  aud  Modem  Séries), 
Oxford,  1903,  p.  18.  —  La  région  où  il  exerçait  son  ministère  est 
déterminée  par  sa  connexion  avec  Aedh  (cf.  note  suivante),  par  l'exis- 
tence d'une  localité  nommée  Kilmurchon  (Église  de  Muirchu)  dans  le 
comté  Wicklow.  Colgan,  Acla  >'.S,  p.  463  et  n.  31,  enfin  par  le  fait  que  son 
père  Machthéne,  dont  il  traduit  le  nom  par  «  Cogitosus  »,  rédigea  une 
Vie  de  sainte  Brigit  de  Kildare,  patronne  particulière  du  Leinster.  Sur 
Cogitosus  cf.  Charles  Graves  dans  Proceedings  of  the  Roy.  Ir.  Acad., 
VIII.  p.  269  ss.;  lispo.silo,  ifj.,  XXX.  C„  p.  .321. 

Muirchu,  p.  269.  —  Slébte,  act.  SIelty  sur  la  Barrow,  Queen's 
County,  était  un  centre  religieux  de  premier  ordre  dans  le  sud-ouest 
de  l'Irlande.  —  Les  rapports  do  Muirchu  avec  Aedh  permettent  d'éta- 
blir avec  certitude  les  raisons  qui  présidèrent  à  la  rédaction  de  la 


68  SAINT    PATRICK    ET    LK    CULTE    DES    HÉROS 

donc  être   postérieure  à  699,  date  de  la  mort  d'Acdh'. 

Ces  deux  Vies  se  font  suite.  Celle  de  Muirchu  suit  un 
ordre  chronologique  à  partir  de  la  naissance  du  saint  jus- 
qu'au moment  où  il  parvient  à  la  cour  du  roi  suprême 
d'Irlande,  centre  du  paganisme.  Patrick  y  remporte  un 
triomphe  définitif,  couronnement  logique  de  ses  labeurs. 
Tirechân  commence  son  œuvre  par  le  récit  de  cet  événe- 
ment, et  narre  l'une  après  Tautre  les  tournées  de  mission 
entreprises  par  la  suite. 

Les  deux  Vies  se  complètent  d'autre  part  au  point  de  vue 
de  l'extension  géographique  du  culte  de  saint  Patrick. 
Muirchu  habite  le  Leinster.  Mais  il  ne  situe  dans  cette  pro- 
vince qu'un  épisode  de  la  légende.  La  plus  grande  partie 
de  son  œuvre  est  remplie  de  traditions  de  TUlster  oriental 
et  central  et  du  voisinage  de  Tara.  Tirechân  rapporte  des 
légendes  du  royaume  de  Meath,  et  surtout  du  Connaught'. 
Il  en  connaît  quelques-unes  du  Thomond  et  des  parages 
de  Kildare. 

Enfin  Patrick  est  chez  Muirchu  un  saint  dont  les  faits  et 


Vie.  Aedh  a  été  en  effet  un  des  grands  artisans  de  l'unité  ecclésias- 
tique irlandaise.  Il  alla  à  Armagh  pour  se  soumettre  à  son  autorité  et 
«  offrit  son  église  à  Patrick  pour  toujours  »  (Notice  de  A,  dans  Tri- 
parlite  Life,  II,  p.  346).  Il  a  été  au  synode  de  Birr,  en  même  temps  que 
Muirchu.  C'est  dans  le  nord  de  l'Irlande  que  notre  auteur  alla  d'autre 
part  se  documenter.  La  Vie  de  Muirchu  a  donc  pour  cause  la  récon- 
ciliation des  églises  irlandaises.  Elle  a  pour  but  de  faire  connaître  en 
Leinster  le  patron  métropolitain  :  Bury,  Life  of  saint  Patrick,  p.  :26l  s. 

1.  Chronicon  Scotorum.  éd.  W.-M.  Hennessy  IRoll's  Séries),  London, 
1866,  p.  H2,  s.  a.  696  (correction  d'O'Flaherty  :  699).  Mais  les  An7i. 
of  Ulster  donnent  l'an  700  comme  date  de  la  mort  d'Aedh.  —  M.  Bury. 
art.  dans  The  Guardian,  cité  dans  Life  of  saint  Patrick,  p.  256,  envi- 
sage la  possibilité  que  seul  le  premier  livre  de  Muirchu  ait  été  rédigé 
avant  la  mort  d'Aedh.  La  solution  de  la  question  dépend  de  la  valeur 
qu'on  attribue  à  la  notice  finale  du  livre  premier  :  «  haec.  Muir- 
chu... dictante  Aiduo...  conscripsit  ». 

2.  Sa  tribu  appartenait  aux  Hûi  Amalgada  de  Connaught.  Tirechân, 
p.  300,  raconte  qu'Enda,  fils  d'Amalgaidh.  fit  cadeau  à  saint  Patrick  de 
son  fils  Conall  et  de  sa  part  d'héritage.  «  Per  hoc  dicuntaliiquia  serui 
sumus  Patricii  usque  in  prœsenlem  diem.  » 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  69 

gestes  uni  lieu  à  lu  cour  du  roi  suprême  et  là  où  étaient 
localisées  les  institutions  centrales,  tandis  que  Tirechân 
nous  montre  la  place  qu'il  occupe  dans  la  vie  locale.  Les 
deux  faits  auxquels  aboutit  la  mission  de  Patrick  chez 
Muirchu  sont  l'implantation  du  clu'islianisme  à  la  cour  du 
roi  suprême  et  la  fondation  du  siège  métropolitain  d'Ar- 
magh.  Tirechân  mène  son  héros  d'un  territoire  à  un  autre 
et  le  montre  organisant  partout  la  vie  religieuse  locale. 

Si  nos  deux  auteurs  se  complètent  ainsi,  c'est  qu'ils  ne 
procèdent  pas  l'un  de  l'autre,  ni  d'un  archétype  commun. 

Pour  le  constater  il  suffît  de  comparer  les  passages  de 
Muirchu  et  de  Tirechân  qui  traitent  d'un  même  fait  légen- 
daire. 

Suivant  Muirchu,  Patrick  parvint  à  convertir  le  roi 
suprême.  Tirechân,  au  contraire,  affîrme  que  le  roi  s'obs- 
tina ù  rester  païen.  11  ne  peut  s'agir  ni  chez  l'un  ni  chez 
l'autre  d'une  erreur  dans  l'interprétation  d'une  même 
source,  puisque  tous  deux  ils  motivent  la  décision  du  roi^ 

Les  acteurs  et  le  lieu  de  la  légende  qui  raconte  la  mort 
subite  d'une  princesse  convertie,  sont  différents  dans  les 
deux  Vies.  Suivant  Tirechân,  il  y  a  deux  jeunes  filles, 
F'édelm  la  Rousse  et  Ethnc  la  Blanche,  filles  du  roi 
suprême  Loegaire.  La  scène  se  passe  à  Gruachan,  en  Con- 
naught.  Chez  Muirchu  la  princesse  se  nomme  Monesan. 
Son  père  est  un  roi  saxon.  Le  lieu  n'est  pas  indiqué,  mais 
il  est  certain  qu'il  n'est  pas  situé  en  Connaught". 

1.  Muirchu,  p.  285  :  «  melins  est  me  credere  quam  mori  »,  dit  le 
roi.  Tirechân  p.  308  :  *  non  potuit  credere  {scilicet.  rex)  »...  «  Nam 
Neel  pater  meus  non  siniuit  mihi  credere,  sed  ut  sepeliar  »  d'après  les 
rites  païens. 

2.  TlrechAn,  p.  314  s.  ;  Muirchu  li,  p.  577,  chapitre  :  «  De  morte  Monei- 
sen  Sa.xonis3ae  ».  Muirchu  dit  que  Monesan  fut  enterrée  à  l'endroit 
même  de  sa  mort.  Une  chapelle  fut  construite  sur  sa  tombe.  Au  temps 
de  l'auteur  on  avait  récemment  transporté  les  reliques  de  la  sainte 
dans  une  église  voisine. 


70  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉHOS 

Vies  AjsTÉRiEunES  a  Muirchu  et  Tirechan.  —  Celte 
diversité  s'explique  par  la  nature  des  sources  où  puisèrent 
Muirchu  et  Tirecliân. 

Ils  se  réfèrent  tous  deux  à  des  écrits  hagio<^rnphiques 
antérieurs.  Tirechan  mentionne  un  hvrc  qu'avait  possédé 
l'évoque  Ultan  et  où  il  trouva  une  partie  de  ses  renseigne- 
ments ^ 

Or,  ces  écrits  constituaient  une  littérature  déjà  riche  et 
par  conséquent  pleine  de  contradictions.  Muirchu  s'en  plaint 
amèrement*,  et  l'étude  critique  du  texte  de  nos  deux  auteurs 
démontre  qu'il  avait  raison. 

Il  résulte  des  travaux  de  M.  Bury  que  les  sources  de 
Muirchu  et  Tirechdn  n'avaient  point  la  forme  d'une  nar- 
ration continue'.  Tout  au  plus  peut-on  supposer  cette  con- 
tinuité à  la  source  où  Muirchu  puisa  la  matière  de  ses 
premiers  chapitres.  C'étaient  des  recueils  d'actes*,  plus  ou 
moins  chronologiquement  ordonnés,  et  d'origines  les  plus 
diverses.  On  y  trouvait  des  poésies  ^  Généralement  c'étaient 
des  légendes  locales.  La  langue  de  ces  collections  était 
l'irlandais. 

Les  notes  du  Livre  d'Armagh  dites  Additainenta  Fer- 

1.  P.  302  :  «  ex  libro...  Ultani  episcopi  ». 

2.  P.  269  :  «  mulli  conati  sunl  ordinare  narralionem  istam...  sed 
propler  difficilimum  narrationis  opus  diucrsasque  opiniones  et  pluri- 
morum  plurimas  suspicione,  nunquam  ad  unura  certumqiie  historiae 
tramiteni  peruenierunt  »...  «  pauca  haîc  de  multis  sancti  Patricii  gestis 
parua  perilia,  incertis  aucloribus  »,  etc..  «  carptim  grauatinique  cxpli- 
care  aggrediar  ». 

3.  Opéra  cit.  et  Sources  of  Ihe  earhj  Patrician  docurnenls  dans  Engl. 
Hist.  Rev.,  Juillet  1904. 

4.  Cf.  Muirchu  p.  295  :  «  miracula  tanla  qua;  alibi  scripta  sunt  ». 
M.  Bury  est  parvenu  à  reconstituer  une  partie  du  contenu  du  Liber 
Ultani.  Il  y  entrait  diverses  légend  es  disparates,  et,  comme  sources, 
les  Dicta  Patricii. 

0.  Chez  Muirchu  deux  passages,  la  prophétie  des  druides  sur 
Patrick  et  l'histoire  de  Maccuil,  ont  eu  une  source  poétique  (p.  274  et 
p.  2S6).  Chez  Tirechân  dans  la  légende  des  princesses  converties  et 
mortes  immédiatement  le  texte  traduit  une  poésie  irlandaise. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  71 

doinnachi  sont  un  exemple  de  ce  g^enre de  recueil'.  Tout 
le  second  livre  de  Tirechân  lui-même  n'est  qu'un  recueil 
de  cette  sorte,  dont  les  éléments  sont  mis  en  ordre  tant 
bien  que  mal  pour  former  un  itinéraire. 

De  toute  cette  littérature  on  ne  possède  que  la  traduction 
latine  d'un  fragment  relatif  à  la  captivité  de  saint  Patrick. 
M.  liury  l'a  signalé^  dans  deux  Vies  du  recueil  de  Col- 
gan,  moine  franciscain  du  xvii"  siècle,  qui  a  publié  deux 
volumes  de  Vies  de  saints  irlandais. 

Les  SOURCES  des  hagiographes.  —  1.  Sources  directes. 
—  La  part  des  sources  directes  est  presque  nulle  dans  la 
composition  de  tous  ces  actes  et  Vies.  Sans  doute  Tire- 
chân a  connu  les  Dicta  Patricii^,  et  la  Confession*. 
Muirchu  ou,  ce  qui  est  plus  probable,  un  de  ses  auteurs; 
utilisa  les  deux  écrits  du  saint".  Il  connaissait  l'Hymne 

1.  Le  copiste  a  commencé  par  les  traduire,  mais  s'en  est  lassé,  non 
à  cause  des  difficultés  du  latin,  assure-t-il,  mais  parce  que  la  profu- 
sion des  noms  propres  rendrait  le  texte  obscur  malgré  tout.  Cf. 
plus  loin. 

2.  Vitœ  II  et  /K».  Bury  dans  Hermathena,  i902,  p.  185  ss.  et  Life  of 
saint  Patrick,  p.  268  s. 

i.  Tirechân,  p.  302  :  cf.  p.  43  et  n.  44.  —  La  citation  est  suivie  des  mots 
n  ut  ipso  dixit  in  commemoratione  laborum  ».  On  a  supposé  que  saint 
Patrick  avait  laissé  un  écrit  autobiographique.  M.  Bury,  Tirechàn's 
Memoir,  loc.  cit.,  et  Life  of  saint  Patrick,  p.  230,  a  démontré  le  manque 
de  fond  de  cette  hypothèse.  Il  croit  que  Tirechân  en  écrivant  :  «  utipse 
dixit  ».  ne  pensait  qu'au  Dictum  Patricii,  qu'il  a  trouvé  —  la  certi- 
tude est  absolue  sur  ce  point  —  dans  le  Liber  L'itani.  Les  mots  «  in 
commemoratione  laborum  «  désignent  ce  recueil  d'actes.  Nous  nous 
rangeons  entièrement  à  celte  opinion.  Cf.  Gwynn,  cité  dans  Bury,  op. 
cit.,  p.  229  s. 

4.  P.  310  :  «  et  expendit  Patricius  etiam  pretium  xu  animarum 
hominum...  ut  in  scriplione  sua  adfirmat  ».  cf.  p.  308  :  «  et  haptUzauil 
lot  milia  hominum  in  die  illa  »  et  Confession  :  a  tôt  milia  liominutn... 
in  Domine  ego  baptizaui  ».  —  Conf.  p.  361,  1.  31  s.  :  «  audiui...  ecce 
nauis  tua  parala  est  »,  et  Tirechân  :  a  dixit  (angelus),  ecce  nauis 
tua  parala  est,  surge  et  ambula  »,  p.  330,  1.  19. 

5.  Muirchu,  livre  premier  et  dans  le  livre  II  le  chapitre  :  «  de  con- 
flicta  Patricii  aduersum  Coirthech  regem  Aloo  »  (titre  dans  A,  liste  des 
chapitres),  Muirchu  B,  p.  577.  Cf.  Bury,  op.  cil. 


72  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

de  Secundinus'.  On  trouve  enfin  dans  son  livre  la  trace 
d'un  document  perdu  depuis  et  qui  concernait  le  séjour  de 
saint  Patrick  h  Auxerre^ 

Mais  ces  documents  sont  bien  pauvres  en  détails  biogra- 
phiques, et  encore  faut-il  les  interpiélcr.  Aussi  nos  hagio- 
graphes  n'en  tirèrent  que  quelques  données  chronologiques 
et  des  faits  isolés  dont  ils  jalonnèrent  leur  récit,  en  les 
déformant  d'ailleurs  '. 

D'autre  part  l'époque  de  la  vie  du  saint  qui  intéressait  le 
plus  les  hagiographes  était  celle  de  l'apostolat.  Or,  les 
sources  que  nous  venons  d'énumérer  se  rapportent  presque 
entièrement  à  l'enfance  et  à  la  préparation  ecclésiastique 
de  saint  Patrick. 

Sources  des  hagiographes.  —  II.  La  tradition  orale.  — 
Ce  fut  dans  la  tradition  orale  que  les  hagiographes  trou- 
vèrent la  trame  et  le  fond  de  leurs  récits. 

Ainsi  que  l'a  remarqué  déjà  M.  Benjamin  Robert  *,  Tire- 
chân  présente  un  exemple  typique  de  leur  méthode  d'in- 
formation. 


1.  p.  296  :  «  quicumque  hymnum  qui  de  te  (se.  de  Patricio)  composi- 
tus  est...  cantauerit.  »  Cf.  Muirchu,  p.  293  :  (chapitre  «  de  deligentia 
oratiODis  »,  J.  1)  et  Hymne  de  Secundinus  :  «  Ymnum  et  Apocalipsem  »... 
(strophe  Y). 

2.  Cf.  chapitre  précédent,  p.  44  s.  Sur  la  tradition  de  Muirchu  qui 
concerne  Palladius,  p,  38,  note. 

3.  Muirchu  assigne  aux  études  ecclésiastiques  de  saint  Patrick  la 
durée  de  trente  ou  quarante  ans  (p.  272),  Tirechân  celle  de  trente  ans 
à  son  séjour  à  Lérins  (p.  302).  Ces  chiffres  proviennent  d'une  interpré- 
tation erronée  de  la  Confession,  où  il  est  dit  qu'une  trentaine  d'années 
se  passèrent  entre  le  moment  où  saint  Patrick  confessa  sa  fauteel  celui 
où  on  la  lui  reprocha.  Les  mots  «  antequam  eram  diaconus  »  et 
«  contra  laboriosum  episcopatum  meum  »  ont  induit  les  hagiographes 
en  erreur. 

4.  Op.  cit.,  p.  48  :  la  Vie  de  Tirechân  «  se  compose  de  notes  prises 
par  l'auteur  dans  différentes  biographies  aussi  bien  que  dans  les  tra- 
ditions orales  »...  ;  elle  «  nous  montre  le  procédé  des  auteurs  de 
l'époque  ». 


LA    LKGRNDE    DE    SAINT    PATRICK  73 

Une  grande  parlie  de  ses  renseignements  lui  vient  «  ex 
ore  »  de  l'évoque  Ullan  '.  Il  complète  ainsi  ce  qui  man- 
quait dans  le  livre  du  môme  personnage.  Dans  son  second 
livre  Tirechân  recueille  des  traditions  de  tribus  et  de  fa- 
milles, qui  certainement  n'ont  jamais  été  rédigées  par  écrit, 
des  contes  locaux  attachés  à  des  rivières,  des  pierres,  des 
tumulus.  Il  note  ce  qu'on  lui  raconte  à  propos  des  reliques 
dans  les  églises  où  il  passée  On  trouve  dans  sa  Vie  des 
légendes  imaginées  pour  expliquer  des  proverbes  \  Il  se 
renseigne  auprès  des  vieilles  gens  *.  Il  a  beaucoup 
voyagé  et  il  rapporte  scrupuleusement  tout  ce  qu'il  a 
appris. 

Muirchu  ne  procède  pas  au  même  degré  que  Tirechân 
de  la  tradition  orale.  Il  invoque  pourtant  aussi  une  fois  le 
témoignage  des  vieillards.  Mais  les  textes  qu'il  avait  à  sa 
disposition  avaient  été  composés  suivant  la  méthode  de 
Tirechân.  Ses  «  auteurs  »  écrivaient  ce  qu'ils  avaient 
appris  par  les  récits  de  leurs  anciens  '. 

On  pourrait  s'attendre  à  ce  que  l'œuvre  ainsi  produite 
fût  disparate.  La  personnalité  légendaire  de  saint  Patrick, 
construite  d'éléments  pris  de  toutes  mains,  risque  d'être 
contradictoire. 


1.  P.  302,  1.  2.  eti.  24;  p.  311,  1.  23  s. 

2.  P.  307,  1.  5  ss.  ;  p.  310,  1.  29  ss.  ;  p.  313,  I.  26  ss.  ;  p.  319,  1.  4  s.  ; 
p.  329.  1.  21  s.  ;  p.  330,  1.  15  s.  ;  p.  331,  1.  2.  Cf.  p.  309,  1.  32  et  p.  328, 
1.  10  ss. 

3.  P.  317  :  «  de  hoc  est  uerbum  quod  clarius  est  omnibus  uerbis 
scoticis,  similis  est  caluus  contra  ca/)Zt/  »  (capiilalum).  —  Cf.  Bury,  Life 
of  saint  Patrick,  p.  241. 

4.  P.  311  :  n  omnia  quae  inueni...  a  senioribus  muitis  ».  —  p.  307  : 
Ste  Calnea  d'Alh  Brôn  «  emulgebat  lac  ab  damnulis  feris,  ut  senes 
mihi  indicauerunt  ». 

5.  P.  296,  dernière  ligne. 

6.  P.  269  :  «  secundum  quod  patres  eorum  et  qui  ministri  initie 
fuerunt  sermonis  tradidcrunt  illis  ». 


74  SAINT    PATRICK.    LT    LR    CULTE    DES    HÉROS 

11  n'en  est  rien.  La  synthèse  est  faite  et  elle  est  remar- 
quablement homogène. 

(]'cst  que  les  hagiop^raphes  ont  toujours  présent  à  l'es- 
prit leur  but,  qui  n'est  point  d'écrire  l'histoire  du  saint, 
mais  d'en  faire  l'apologie.  C'est  ce  qui  dicte  le  choix  qu'ils 
font  dans  les  légendes  qu'ils  recueillent.  Et  celles  qu'ils 
font  entrer  dans  les  Vies  sont  toujours  adaptées  de  ma- 
nière à  réaliser  un  idéal  de  saint  et  de  héros'. 

Assimilation  d'éléments  épiques  et  mythiques.  —  La 
majeure  partie  des  traits  qui  constituent  la  personnalité 
légendaire  de  saint  Patrick  a  été  empruntée  aux  traditions 
mythologiques  et  épiques  de  l'Irlande. 

Cette  assimilation  sera  étudiée  plus  loin.  Nous  nous 
bornerons  donc  à  constater  ici  qu'elle  servait  la  cause  d'édi- 
fication, que  les  hagiographes  s'étaient  imposée.  Dans  un 
pays  comme  l'Irlande,  encore  à  demi  païen  d'esprit,  sinon 
de  nom,  très  attaché  à  ses  traditions,  on  ne  pouvait  frapper 
autrement  les  imaginations.  Pour  imposer  l'enseignement 
qui  se  dégage  de  la  légende  de  saint  Patrick  à  un  peuple 
encore  tout  à  la  mémoire  de  ses  héros  antiques,  il  n'était 
point  de  meilleur  moyen  que  de  faire  de  Patrick  un  héros, 
plus  grand  et  plus  puissant  que  les  autres. 

Assimilation  de  saint  Patrick  aux  personnages  bibli- 
ques. —  Mais  les  hagiographes  n'eurent  garde  de  ne  pas 

1.  Ainsi  Muirchu  nous  montre  dans  son  premier  livre  comment  les 
manifestations  do  la  grâce  divine  suivent  une  marche  ascendante 
dans  la  vie  de  saint  Patrick.  Le  livre  II  est  un  recueil  de  miracles 
dont  chacun  a  une  valeur  édifiante  particalière.  —  Le  but  de  Tirechân 
est  de  démontrer  l'étendue  de  l'œuvre  personnelle  de  saint  Patrick 
et  par  là  de  soutenir  les  prétentions  d'Armagh.  C'est  pourquoi  il  a  choisi 
un  ordre  topographique  dans  sa  Vie.  —  Sur  les  idées  qui  présidaient  à 
la  rédaction  des  Vies  de  saints  voir  :  Cari  Albrecht  Bornoulli,  Die  Heili- 
gen  der  Merowinger,  Tubingen,  1900,  livre  l":  Hippolyte  Delehaye, 
Les  légendes  hagiographiques,  2»  éd.,  Bruxelles,  1906,  surtout  ch.  m. 


LA    LKUENUE    DE    SAINT    PATRICK  75 

adapter  ces  traits  mythiques  et  épiques  au  type  traditionnel 
de  sainteté  chrétienne,  tel  que  les  Ecritures  le  leur  avaient 
légué. 

A  chaque  pas  les  auteurs  des  Vies  cherchent  dans  les 
textes  sacres  un  parallèle  ou  une  justincalion  pour  tel  ou 
tel  acte  du  saint,  et  toute  la  rhétorique  louangeuse  dont 
ils  l'encensent  est  entièrement  empruntée  à  la  Bible'. 

On  prend  d'autre  part  délibérément  des  thèmes  aux 
deux  Testaments,  souvent  môme  sans  les  déguiser.  Et 
toute  une  série  de  légendes  est  née,  soit  de  la  réthorique 
mal  comprise  des  Vies  et  des  hymnes,  soit  de  comparai- 
sons avec  des  épisodes  bibliques  que  les  hagiographes 
subséquents  transforment  en  faits  biographiques". 

Messianisme.  —  On  assimile  d'abord  saint  Patrick  au 
Messie. 

Les  prophéties,  les  paraboles  et  les  «  figures  »  de 
TAncien  Testament  furent  interprétées  comme  se  rappor- 
tant à  l'apôtre  des  Irlandais  \  Un  parallèle  fut  tracé  entre 
le  peuple  élu  de  Dieu  et  les  Gôidels,  élus  de  saint  Pa- 
trick. Il  leur  apporta  la  Révélation  du  Royaume  de  Dieu, 
comme  le  Messie  l'avait  apportée  aux  Juifs*. 


1.  Muirchu,  passim.  Cf.  surtout  l'Hymne  de  Secunditius,  loc.  cit.,  où 
il  n'y  a  rien  que  de  la  rhétorique  empruntée  aux  ccritures. 

2.  Muirchu,  p.  296,  en  fournit  l'exemple  le  plus  explicite  :  «  Et  con- 
tra noctem  terminus  pones.  Quia  in  illa  die  mortis  eius  (se.  Patricii) 
nox  non  erat,  et  per  duodecim  dies  in  illa  prouincia,  in  qua  mortis  eius 
e.xequiae  peractaj  sunt,  nox  non  inruit  et  pallor  non  tantus  erat  noctis, 
et  astriferas  non  induxerat  Hesperus  umbrjis  ».  Il  est  évident  que  les 
mots  «  et  —  pones  »  désignèrent  primitivement  l'œuvre  de  saint 
Patrick  prise  au  sens  flguré.  Cf.  Hymne  de  Secundinus,  strophe  L  :  saint 
Patrick  est  une  lumière  qui  éclaire  tout  le  siècle. 

ô.  Muirchu,  p.  274,  et  passim;  Hymne  de  Fiacc  dans  Thésaurus 
Palaeohtbernicus,  II,  p.  307  ss.  versets  10 et  11,  19  à  22  ;  Colgan  VitalU^, 
§  30,  p.  23  ;  ibid.,  Vila  iV»,  §  53,  p.  42  ;  Vie  Tripartile,  !'•  partie,  p.  2 
(trad.  p.  3)  ;  Homélie  du  Lehar  Brecc,  p.  428  s.  (trad.  p.  429  s.). 

4.  Captivité  des  Hébreux  et  empire  du  démon  sur  les  Irlandais  ; 


76  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Et  de  môme  que  le  messianisme  clirétien  remit  la  Révé- 
lation définitive  à  la  fin  des  temps,  au  moment  où  le  Messie 
reviendra  juger  les  bons  et  les  mauvais,  les  Irlandais 
attendent  de  saint  Patrick  qu'il  revienne  pour  les  introduire 
dans  la  vie  éternelle.  Au  Jugement  Dernier,  il  remplacera 
pour  eux  Jésus-Christ'. 

Héros  bibliques.  —  Les  traits  caractéristiques  des  grands 
personnages  de  la  Bible  cl  leurs  miracles  furent  aussi  mis 
à  contribution  pour  magnifier  saint  Patrick. 

Comme  Moïse,  Patrick  parle  à  un  ange  dans  un 
buisson  ardent  ^  Il  jeûne  quarante  jours  sur  la  cime 
d'une  montagne,  comme  Moïse,  Elie  et  Jésus-Christ^. 
Un  continuateur  de  Tirechân  ajoute  que  Moïse  et 
Patrick  ont  vécu  tous  deux  cent  vingt  ans  et  qu'on 
ignore  le   lieu   de  leurs   sépultures   respectives*.     Enfin 

Vie  Tripartite,  1"  partie,  p.  4  ss.  (trad.  en  regard).  —  Le  roi  suprême 
Loegaire  est  un  autre  Nabuchodonosor  et  sa  résidence,  Tara,  une 
seconde  Babylone  :  Muirchu,  p.  278.  —  Le  trouble  du  roi  à  la  nouvelle 
que  saint  Patrick  est  venu  en  Irlande,  est  le  même  que  ressentit 
Hérode  lorsque  naquit  Jésus  :  ibid.,  p.  279.  —  Glose  à  l'Hymne  de 
Fiacc  dans  Thésaurus  Palœohib.,  II,  p.  310  :  «  Victor,  i.  angel  com- 
munis  scotticœ  gentis  sein.  Quia  Michael  angélus  Ebrseicae  gentis  ita 
Victor  Scottorum  ».  Cf.  ibid..  p.  .318,  1.  22  s.  —  Cf.  légende  du  Juge- 
ment Dernier,  plus  loin,  et  ch.  m. 

1.  Muirchu,  p.  296.  —  Cf.  ch.  iv. 

2.  Muirchu,  p.  2',i5  :  sur  le  chemin  de  saint  Patrick  «  rubus  arserat  et 
non  combure(ba)tur,  sicut  antea  Moysi  prouenerat  in  rubo  ».  C'était 
l'ange  Victor  qui  était  dans  le  buisson.  Cf.  Continuateur  de  Tirechân, 
loc.  cit.,  p.  331. 

3.  Tirechân,  p.  322  :  «  Mosaicam  tenens  disciplinam  et  Heliacam  et 
Chrislianam.  » 

4.  Le  chiffre  cent  vingt  est  déjà  connu  de  Muirchu,  p.  296  :  «  totius 
eius  uitœ  annis  cxx  »,  mais  il  ne  fait  pas  de  rapprochement  avec 
Moïse.  Le  chiffre  en  question  ne  parait  pas  avoir  été  imaginé  ad  hoc, 
mais  provenir  de  l'addition  de  diverses  données  chronologiques  :  Bury, 
op.  cit.,  p.  382  ss.  —  Le  continuateur  de  Tirechân,  Tripartite  Life,  II, 
p.  332,  énumère  quatre  points  de  ressemblance  entre  saint  Patrick  et 
Moïse  :  1°  «  anguelum  de  rubo  audiuit;  »  2o  il  jeûna  quarante  jours  et 
quarante  nuits  ;  3o  il  vécut  cent  vingt  ans  ;  4»  «  ubi  sunt  ossa  eius  nemo 
nouit  ».  Quelques  Vies  subséquentes  répètent  ces  quatres  points  dans 


LA    LKGENDE    DE    SAINT    PATRICK  77 

on  donna  plus  tard  î\  saint  Patrick  un  bàlon  miraculeux  '. 

Josué  arriMa  le  soleil.  Ce  miracle  se  répéta  à  la  mort  de 
saint  Patrick.  Mais  pour  celui-ci  le  soleil  resta  douze  jours 
entiers  sans  se  coucher". 

Joseph  est  trahi  par  ses  frères  et  vendu  pour  trente  écus. 
Patrick  est  vendu  pour  trente  sols  par  un  homme  auquel 
il  avait  accordé  sa  confiance.  Joseph  et  Patrick  furent 
tous  deux  les  intendants  de  leurs  maîtres. 

Enfin,  comme  Jésus-Christ,  saint  Patrick  entre  en  une 
salle  dont  les  portes  sont  fermées*. 

le  nit^me  ordre  :  Ncnnius,  Disloria  Brilonum,  loc.  cit.,  p.  198;  Colgan, 
y  lia  III",  ad  finem. 

i.  La  légende  du  bAton  n'apparaît  pour  la  première  fois  qu'au 
IX*  siècle,  dans  Colgan,  Vita  111.  Mais  chez  Tlrechân,  p.  324,  saint  Patrick 
ressuscite  déjà  un  géant  en  perçant  sa  pierre  tombale  de  son  bâton  et 
en  en  touchant  le  mort.  —  Pour  la  légende  du  bâton,  cf.  ch.  iv. 

2.  Muirchu.  p.  296  ;  cf.  Hymne  de  Fiacc.  loc.  cit.,  v.  28  à  30. 

3.  Colgan,  Vita  IV",  §  XIII,  p.  48.  —  La  Vie  Tripartite,  version  de  Col- 
gan. §  XXIV.  p.  120,  remplace  les  trente  sols  par  un  chaudron  de 
cuivre  :  «  vas  electionis  pro  elixalionis  vasculo  commutans  cum  qui- 
busdam  mercatoribus  pro  a^neo  cacabo  divendidit  (Patricium  Cianna- 
nus)  M.  Le  chaudron  adhéra  à  la  main  de  Ciannan.  Cet  avertissement 
du  ciel  le  fit  se  repentir  et  il  racheta  Patrick. 

4.  Muirchu,  p,  282.  I.  27  ss.  ;  Vie  Tripartite,  1"  partie,  dans  Tripartite 
Life.  \,  p.  52,  I.  20  s.  (trad.  p.  53).  Cf.  Colgan,  Triadis  Thaumaturgae 
Acta.  Sancti  Columbae  Vita  /«  ,  §  IV,  p.  321  ;  eiusdem  Vita  11".  %  IV, 
p.  326:  eiusdem  Vita  IV".  auctore  Adamnano,  préambule,  p.  338  col.  1 
et  livre  II  c.  1.  p.  350  :  saint  Columcille  répète  le  miracle  de  Cana.  — 
L'assimilation  au.\  personnages  bibliques  a  été  la  plus  complète  dans 
le  cas  de  sainte  Brigit.  On  l'a  assimilé  à  Marie.  Cf.  Hymne  de  Broccàn 
en  l'honneur  de  Urigil.du  Lib.  Hymn.  dans  Thésaurus  Palxohibernicus, 
11,  p.  327  ss.,  vers  4  :  «  Brigit  mathair  morurech  »  —  »  Brigit  mère  de 
mon  Seigneur  »  ;  vers  G3  :  «  Bamenn  innahimthechtaib,  baôenmalhair 
maie  rlg  mair  »  —  «  elle  était  pure  en  ses  démarches,  elle  était  la  mère 
unique  du  Fils  du  Grand  Hoi  ».  La  glose  à  ce  vers,  H)id.,  dit  :  <<  ba 
hocn  de  matribus  xpi  brigit  »  —  «  était  une  de  malribus  Christi  Brigit  ». 

—  Cf.  Hymne  irlandais  c/'t///an,  chez  Whitley  Stokes,  et  Strachan,  Thé- 
saurus Palœohibernicus,  II,  p.  32.i,  vers  6  :  Brigit  est  «  in  chrùib  co 
blàthib  inmathair  (su  «  —  «  la  branche  fleurie  (lilt.  avec  fleurs),  la  mère 
de  Jésus.  »  —  Cf.  Hymne  latin  d'Ultan,  chez  Atkinson  et  Bernard.  The 
irish  Liber  Hymnorum,  I  p.  14  s.  v.  7  s.  :  «...  per  istam  uirginem  Maria; 
sancta;  similem  »  :  glose  à  similem  :  «.  i.  ar  is  i  Brigit  Maire  na  nGoidel  » 

—  «  i.  e.  car  Brigit  est  (la)  Marie  des  Grtidels  »  ;  vers.  15  s.  <•  Christi  ma- 
trem  se  spopondit  diclis  et  fecit  factis  Brigila  aut  amata  ueri  Dei  regi- 
na  ».  —  Cf.  ofiice  de  sainte  Brigit,  publ.  à  Paris  en  1622,  réimpr.  chez 


78  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HKROS 

Amplifications  des  vies  subséquentes.  —  Il  est  une 
partie  de  la  légende  que  Muircliu  et  Tirechân  laissèrent 
peu  développée.  C'est  celle  qui  concerne  les  antécédents 
de  Patrick.  Les  hagiographcs  suivants  y  suppléèrent. 

I.  Gnièalogie  de  saint  Patrick.  —  On  fabriqua  à 
Patrick  une  généalogie  sacrée  et  profane.  C'était  une  chose 
importante  en  Irlande,  pays  aristocratique. 

Au  IX®  siècle,  on  découvre  que  les  ancêtres  du  saint 
étaient  juifs.  Ils  étaient  venus  s'établir  en  Grande-Bre- 
tagne après  la  ruine  de  Jérusalem  ^  Non  contents  de  faire 
descendre  Patrick  du  peuple  élu,  les  généalogistes  établi- 
rent encore  que  saint  Martin  de  Tours  avait  été  son  oncle 
maternel  ". 

La  généalogie  profane  fait  de  Patrick  un  descendant  en 
droite  ligne  du  premier  roi  des  Bretons,  Brito^. 

Naturellement  on  finit  par  concilier  ces  deux  généalo- 
gies. On  en  fut  quitte  pour  faire  de  Brito  un  Israélite. 

II.  —  Légendes  d'enfance.  —  Après  la  généalogie 
viennent  les  légendes  d'enfance '. 

Colgan,  TriacUs  Thainnaturgae  Acta,  append.  VI  ad  Vitas  beat.  Brig. 
p.  600  col.  2.  Lectio  sexta  :  «  Tune  vir  quidam  sanctus  in  Synodo  dor- 
miens  vidit  visionem  et  surgens  ait  :  Haec  altéra  Maria  que  habitat  inter 
nos.  »  Respons  :  «  Virgo  deportatur,  honor  ci  amplius  cumulatur  :  syno- 
dus  instabat,  nona  Brigida  Stella  micabat.  Sacra  cohors  plaudit,  quia 
signum  celitus  audit.  »  Vers  :  «  Praesbyter  banc  aliam  denuntiat  esse 
Mariam  »...  —  Cf.  Vie  de  sainte  Brigit  du  Lebar  Brecc,  Whitley 
Stokes  Three...  homilies,  p.  84,  trad.  p.  85. 

1.  Colgan,  Vita  /F«,  §j,  p.  35. 

2.  Colgan,  VitalV",  auctore  Probo,  §1,  p.  65  ;  Vie  Triparlite,  4"  partie 
loc.  cit.,  p.  8  (trad.  p.  9)  :  Marianus  Scotus  dans  Pertz.  Mon.  Germ.  Hist., 
VII,  p.  481. 

3.  Homélie  du  Lebar  Brecc  dans  TripartileLife,  II,  p.  432  (trad.  p.  433). 
Cf.  généalogie  de  saint  Patrick  dans  Lebar  Brecc,  fac-similé,  p.  13,  col.  1. 
Une  variante  d'après  un  autre  Ms.  chez  Atkinson  et  Bernard,  loc.  cit., 
II,  p.  177.  Patrick  y  est  le  treizième  descendant  de  Brillus  «  a  quo  sunt 
Briltani  nominati  ». 

4.  Klles  apparaissent  dans  les  Vies  du  ix»  siècle  et  y  ont  atteint  d'un 
coup  leur  plein  développement.  Cf.  Colgan  Vitae  lU.  IV,  F*  auct.  Probo, 
///*  ;  Vie  Tripartile,  loc.  cil.  ;  l'homélie  du  Lebar  Brecc  ;  la  Vie  du  JAvre 
Lismore. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  79 

Ici  les  hapographes  n'inventèrent  rien  de  neuf.  Ils  adap- 
tèrent seulement  des  thèmes  empruntés  soit  f»  la  légende 
de  la  mission  de  saint  Patrick,  soit  à  la  littérature  hagio- 
graphique courante. 

On  voit  donc  Patrick  enfant  dompter  des  bètes  féroces; 
il  ressuscite  son  père  adoptif  et  sa  sœur.  Ce  sont  là  des 
lieux  communs. 

Le  roi  des  Bretons  s'éprend  de  la  mère  de  saint  Patrick 
déjà  enceinte.  Jalouse,  la  reine  tente  d'empoisonner  la 
sainte  femme.  Par  la  vertu  de  Patrick  le  poison  est  changé 
en  caillou.  Patrick  naît  ce  caillou  en  main. 

Une  autre  fois  des  gouttes  d'eau  qui  tombent  des  doigts 
de  Patrick  se  transforment  en  feu.  Ce  n'est  qu'une  adapta- 
lion  du  thème  des  doigts  lumineux  *. 

III.  Légende  des  voyages,  — Les  hagiographes  dévelop- 
pèrent enfin  une  importante  légende  autour  des  voyages 
que  saint  Patrick  accomplit  avant  sa  venue  en  Ir- 
lande. 

Le  point  de  départ  de  celte  légende  est  dans  les  faits 
historiques,  tels  que  les  écrits  de  l'apôtre  et  la  tradition  les 
ont  rapportés.  Mais  au  vu"  siècle  la  légende  n'était  encore 
qu'en  germe.  Tout  ce  que  Muirchu  et  Tirechân  ajoutent 
aux  sources  historiques,  est  le  nombre  d'années  que 
l'apôtre  a  consacré  à  ses  études  en  pays  étranger. 
Tout  au  plus  peut-on  supposer  que  le  livre  de  l'évêque 
Ultan,  auquel  renvoie  Tirechân,  donnait  quelques  détails 

1 .  Autres  légendes.  Le  clerc  aveugle  qui  baptise  Patrick  recouvre 
la  vue.  La  fontaine  du  baptême  devient  miraculeuse.  —  Patrick  fait 
flamber  de  la  glace  (développement  ultérieur  du  thème  des  gouttes 
d'eau  changées  en  feu).  —  Patrick  change  de  la  neige  en  lait  et  en 
beurre  pour  payer  l'impôt.  Une  fois  que  le  roi  les  a  vus.  le  lait  et  le 
beurre  redeviennent  neige  (thème  de  substitution,  très  fréquent  dans 
les  contes  populaires).  —  A  l'issue  de  la  captivité  de  Patrick,  laquelle 
dura  sept  ans,  son  maître  voulu  le  marier  et  le  libérer.  On  choisit  une 
captive  dans  une  autre  région  de  l'Irlande.  Patrick  reconnut  sa  sœur 
dans  sa  fiancée. 


80  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

supplémentaires     sur     les     pérégrinations      du     saint'. 

Pourtant  Tirccliân  recueille  une  tradition  qui,  plus  tard, 
entrera  dans  la  légende  des  voyages  de  Patrick.  C'est 
la  légende  de  saint  Sachcll,  Baptisé  par  Patrick  pendant 
la  tournée  que  celui-ci  fit  en  Gonnaught,  Sachell  alla  à 
Rome  avec  l'apôtre". 

Dans  la  légende  développée,  chaque  phase  du  voyage 
correspond  à  un  degré  des  initiations  de  Patrick  '.  En  voici 
le  schème. 

Patrick  va  étudier  auprès  de  saint  Germain  à  Auxerre. 
De  là  il  se  rend  à  Tours,  où  saint  Martin  lui  confère  la 
prêtrise,  ou  bien,  s'il  a  déjà  reçu  celle-ci  des  mains  de 
saint  Germain,  l'ordination  épiscopale. 

Deuxièm.e  phase  du  voyage  :  Patrick  vient  à  Rome.  Le 
pape  Célestin  rend  hommage  à  sa  sainteté.  Il  lui  confie  la 
mission  de  convertir  les  Irlandais.  Suivant  d'autres  Vies  le 
pape  ordonne  Patrick  évoque.  Pendant  la  cérémonie  on 
entend  les  enfants  de  la  forêt  de  Fochlut  appeler  Patrick. 

Troisième  phase  :  Patrick  se  rend  en  un  lieu  désert,  où 
Dieu  lui-môme  converse  avec  lui  et  le  confirme  en  sa  mis- 
sion. Ce  lieu  est  invariablement  situé  dans  les  parages  de 
la  Mer  T^Trhénienne.  C'est  de  préférence  une  île,  quelque- 
fois une  série  d'îles.  Toutefois,  dans  deux  Vies,  c'est  une 
montagne  du  rivage,  le  Mont  Hermon. 

Dans  ces  îles,  Patrick  reçoit  de  Dieu  un  bâton  miracu- 
leux, signe  visible  de  l'aide  divine. 

Celle  troisième  et  dernière  phase  des  voyages  de  Patrick 
est  la  plus  amplement  racontée.  C'est  là  aussi  que  la  fan- 

1.  Tirechân,  p.  302  ;  «  omnia  »  qui  sont  relatifs  à  la  vie  du  saint 
jusqu'à  son  arrivée  en  Irlande  «  inuenietis...  in  plana  eius  historia 
scripta  ». 

2.  p.  301.  —  Cf.  ci-dessus,  p.  31  n.  et  39  s. 

3.  Vies,  Colgan,  IV",  111",  T"  par  l'robus.  La  légende  atteint  son 
maximum  de  développement  dans  la  Vie  Tripartite. 


I.A    LÉr.ENDE    DE    SAINT    PATRICK  81 

laisie  des  hagio^raphes  a  placé  le  plus  de  traits  miraculeux, 
empruntés  soit  au  séjour  de  Moïse  sur  le  Mont  Sinaï,  soit 
et  surtout  aux  traditions  païennes  de  l'Irlande.  Nous  aurons 
à  étudier  plus  amplement  ce  dernier  point. 

Les  textes.  Les  Vies  types.  —  Ainsi  accrue  se  constitue 
à  partir  du  ix"  siècle  la  version  type  de  la  légende  de  saint 
Patrick'. 

Les  plus  anciennes  variantes  connues  en  sont  :  la 
Vifa  III'  du  recueil  de  Colgan,  écrite  en  Irlande,  au  ix®  siè- 
cle, d'après  un  archétype  interpolé  en  Grande-Bretagne, 
ainsi  que  l'a  démontré  ^L  Bury^;  la  Vie  rédigée  par  Pro- 
bus  au  x"  siècle  "*  ;  enfin  la  plus  riche  de  toutes,  modèle  des 
rédactions  postérieures,  dite  Vie  Tripartite  *. 

1.  Recueils  imprimés  :  Josephus  Colganus  (Colgan),  Triadis  Thauma- 
lurgse,  seu...  SS.  Palricii,  Columbx  et  Brigilœ...  Acta,  Lovanii,  1647  : 
Sept  Fie*,  dont  cinq  latines  originales  (11'-  VI"),  une  traduite  de  l'irlan- 
dais et  publiée  sans  le  te.xte  original  (VII'  vel  Triparlila),  et  une  éditée 
dans  le  te.xte  avec  traduction  il").  Seules  les  Vies  I",  VI'  et  Triparlila 
ont  d'autres  éditions.  —  Colgan  a  muni  son  édition  d'appendices  et  de 
notes  très  précieu.x.  —  Whitley  Stokes,  Triparlile  Life  of  sainl  Patrick 
xiilh  olhers documents  relaling  lo  thaï  saint,  London,  1886,  (Rolls  Séries), 
deu.x  volumes  à  pagination  continue)  :  Cinq  Vies,  divers  documents  et 
les  écrits  de  saint  Patrick.  Entre  autres  tous  ce  qui  a  trait  à  saint  Patrick 
dans  les  M&s.  A;  Fr.  L.  H.,  Lebar  Brecc,  y  a  été  publié.  —  Les  autres 
recueils  seront  nommés  à  mesure. 

2.  Bury,  A  Life  of  saint  Patrick  dans  Transactions  of  llie  Roy.  Ir.  Ac- 
XXXII,  secl.  C,  Part  III  ;  Dublin,  l'JOo.  —  La  seule  version  publiée  est 
celle  de  Colgan,  Vita  lll'.  Le  texte  en  est  très  défectueux,  interpolé  et 
amplifié  au  début  et  à  la  fin.  Les  Mss.  de  celte  Vie  représentent  deux 
recensions  différentes. 

3.  Colgan,  Vila  V'.  L'auteur,  Probus,  dédie  son  œuvre  à  un  certain 
Paulinus.  On  ne  sait  rien  de  précis  sur  ces  deux  personnages.  Colgan 
émet  l'hypothèse  (p.  21'.t)  que  Probus  est  identique  avec  Coenachair, 
abbé  de  Siane  en  Meath,  mort  en  948  et  que  Paulinus  est  Mael  Pois 
évoque  et  abbé  dlndedhnen  près  Slane,  mort  en  920.  Cf.  critique  chez 
Bury,  Life  of  sainl  Patrick,  p.  273  s.  La  Vita  V'  ne  parait  pas  être  anté- 
rieure à  la  moitié  du  x«  siècle.  —  Analyse  chez  Bury,  Life  of  saint 
Patrick,  p.  274  ss. 

4.  Deux  éditions.  La  première,  traduction  latine  uniquement,  dans 
Colgan,  op.  cit.,  Vila  I'//°  alias  Triparlila.  Colgan  a  eu  à  sa  disposition 
des  Mss.  perdus  depuis.  Seconde  édition,  et  première  du  texte  irlan- 
dais original,  par  Whitley  Stokes,  Triparlile  Life,  I,   d'après  le  Ms. 

CzAH.NOWSKr.  6 


82  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Les  versions  connues  de  la  Vie  Triparlite  sont  rédigées 
en  un  irlandais  qui,  suivant  AVliilley  Stokes,  n'est  pas 
antérieur  au  xi''  siècle.  Mais  des  allusions  historiques 
relevées  par  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  cette  Vie 
démontrent  qu'en  son  ensemble  elle  est  une  refonte  d'un 
texte  datant  de  la  seconde  moitié  du  ix'  siècle  \ 

Les  SOURCES  des  Vies  types.  —  Ces  Vies  senties  plus 
anciens  textes  qui  relatent  explicitement  la  légende  de 
voyages". 

Quant  au  reste  leur  teneur  générale  et  la  plupart  de  leurs 
épisodes  sont  puisés  dans  des  documents  plus  anciens, 
perdus  en  grande  partie.  C'est  ce  que  fait  voir  l'examen 
de  deux  groupes  de  textes  fragmentaires. 

Le  premier  est  entièrement  consigné  dans  un  seul  manus- 
crit, le  Livre  d'Armagh,  compilé  en  807  ou  808  par  le 
scribe  Ferdomnach^.  Ces  textes  sont  réunis  surtout  en  vue 


Rawlinson,  B.  12  d'Oxford,  confronté  avec  le  Ms.  Egerlon  93,  du  British 
Muséum.  —  Les  deux  versions,  celle  de  Colgan  et  celle  de  Stokes, 
diffèrent  considérablement.  Cf.  Whitley  Stokes,  In troduc lion  k  son  édi- 
tion. Les  Mss.  Baivlinsonei  Egerlon  omettent  en  outre  un  long  passage 
dans  la  première  partie  de  la  Vie,  que  Whitley  Stokes  a  complété 
en  réimprimant  le  texte  de  Colgan.  —  Nos  renvois  sont  toujours  faits 
à  l'édition  Stokes,  sauf  pour  le  passage  en  question,  pour  lequel  nous 
renvoyons  directement  à  Colgan  en  le  mentionnant  expressément.  — 
Analyses  :  Whitley  Stokes,  Inlrod.  à  son  éd.,  et  Mac  Carthy,  The  Tri- 
parlile  Life  of  saint  Patrick,  dans  Trans.  Roy.  Ir.  Ac.,  XXIX,  part. 
VI,  Dublin.  1889. 

1.  Whitley  Stokes,  Tripartile  Life.  I,  Inlrod.,  p.  LXIV  ss.  et  p.  LXIII. 
—  Le  plus  ancien  rédacteur  de  la  Vie  Tripartile  était  un  contemporain 
de  Cenngecàn  roi  de  Cashel,  mort  en  897,  et  il  écrivait  peu  après  le  temps 
de  Connacân,  fils  de  Colmân,  mort  en  855.  Une  rédaction  de  cette  Vie 
existait  aux  temps  de  Joseph,  évéque  d'Armagh,  mort  en  936.  Cf.  Bury, 
Life  of  saint  Patrick,  p.  270. 

2.  On  trouvera  dans  Bury,  op.  cit.,  p.  274  ss.  une  comparaison  des 
trois  Vies  en  ce  qui  concerne  la  légende  des  voyages. 

3.  Sur  le  Livre  d'Armagh  et  les  documents  relatifs  à  saint  Patrick 
qu'on  y  trouve  cf.  Charles  Graves  dans  Proceedings  of  IheRoy.  Ir.  Ac, 
III,  p.  316  ss.  et  p.  356  ss.  ;  Reeves,  ibid.,  18'Jl  et  1893;  Whitley  Stokes, 
loc.  cit.,  Introd.  ;  Hogan,  loc.  cit.,  préface;  Gwynn,  loc.  cit.  (non  con- 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  83 

de  soutenir  les  droits  du  siège  métropolitain.  Aussi  se  rap- 
portent-ils pour  la  plupart  fi  la  mission  de  saint  Patrick. 

C'est  d'abord  un  a|)pcndice  à  la  Vie  de  Tirechân  et  qui 
fait  corps  avec  elle.  Kerdonmacli  a  dû  le  trouver  dans  le 
même  manuscrit  que  la  Vie  '.  Cet  appendice  contient  une 
mention  du  voyage  do  Patrick  à  Rome,  et,  entre  autres 
choses,  la  comparaison  entre  lui  et  Moïse. 

Vient  ensuite  une  série  de  légendes  locales  sans  lien  entre 
elles.  Elles  ont  été  réunies  par  un  scribe  d'après  diverses 
sources.  On  les  nomme  Additamenta  Ferdomnachi^. 

Le  Liber  Angueli,  du  même  manuscrit,  rédigé  vers 
l'année  "oO  au  plus  tôt,  est  une  énumération  des  privilèges 
du  siège  métropolitain  d'Armagh  révélés  à  Patrick  par  un 
ange^. 

Le  document  le  plus  important  du  Livre  d'Armagh  est 
un  mémorandum  delà  vie  de  Patrick,  simple  liste  de  noms 
de  personnes  et  de  lieux  qui  ont  été  en  relation  avec  le 
saint.  Celte  liste  permet  de  contrôler  l'antiquité  des  légendes 
de  la  Vita  Tertia  et  de  la  Vie  Tripartite  \ 

suite).  —  Éditions  des  documents  relatifs  à  saint  Patrick  :  Hogan,  loe. 
cit.,  I,  p.  552  ss.  ;  II,  p.  3j  ss.  et  213  ss.  (incomplète);  Whitley  Stokes 
dans  Tripartite  Life,  II,  p.  269  ss.  (édit.  complète)  ;  les  fragments  qui 
contiennent  des  noms  ou  des  phrases  entières  en  irlandais  chez  Whitley 
Stokes  et  John  Strachan,  Thésaurus  Palaeohibernicus,  II,  Cambridge, 
1903,  p.  259  ss.  —  Edition  du  Ms.  entier  par  M.  Gwynn. 

1.  Tripartite  Life,  II,  p.  331  s.  —  Cf.  Bury,  op.  cit.,  p.  251. 

2.  Ihid.  p.  334  ss.  Texte  latin  et  irlandais.  —  Les  documents  copiés 
par  Ferdomnach  furent  réunis  par  les  soins  des  successeurs  de  saint 
Patrick  à  Armagh.  —  Une  partie  concerne  le  Leinster.  Whitley 
Stokes  suppose  qu'ils  ont  été  communiqués  à  Armagh  par  Muirchu  ; 
M.  Bury,  op.  cit.,  p.  253  croit  que  ce  fut  l'évoque  Aedh  de  Slebte  qui 
les  transmit  aux  abbés  d'Armagh.  C'est  d'autant  plus  probable  qu'une 
visite  dAedh  à  Armagh  est  mentionnée  immédiatcmentaprèsleslégendcs 
du  Leinster. 

3.  Ibid.,  p.  352  ss.  —  La  tradition  qu'un  ange  avait  donné  à  Armagh 
des  privilèges  territoriaux  est  déjà  connue  de  Tirechân,  p.  312  :  «  Deus 
dédit  illi  (Patricii)  tutam  insolam  cum  hominibus  pcr  anguelum  Domini  ». 

4.  Publiée  par  Whitley  Stokes  à  la  suite  de  la  Vie  de  Tirechân,  loc. 
cit. 


84  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Le  contenu  du  Livi'e  d'Armagh  est  entré  presque  entiè- 
rement dans  la  Vie  Tripai'tite  et  dans  la  partie  de  cette 
Vie  qui  concerne  la  mission  de  saint  Patrick  on  ne  trouve 
que  peu  de  chose  qui  ne  soit  pas  mentionné  par  Ferdom- 
nach. 

Les  TEXTES.  Les  continuateurs  de  Muirchu.  —  Le 
deuxième  groupe  de  textes  se  rattache  à  la  tradition  que 
représente  Muirchu.  Il  comprend  trois  Vies. 

La  plus  ancienne  est  une  courte  Vie  métrique  irlandaise 
dite  Hymne  de  Fiacc\  Elle  dérive  soit  d'une  source  appa- 
rentée à  Muirchu,  soit  directement  de  Muirchu  et  de 
quelques  autres  documents  hagiographiques.  MM.  Whit- 
ley  Stokes  et  Strachan  concluent  à  la  dater  de  l'année  800 
environ. 

Malgré  son  peu  de  longueur  Y  Hymne  de  Fiacc  est  de 
première  importance  pour  l'étude  de  la  légende  de  saint 
Patrick.  Nulle  part,  en  effet,  on  ne  la  trouve  résumée  ainsi 
en  quelques  points,  qu'évidemment  l'auteur  considérait 
comme  essentiels.  C'est,  d'autre  part,  le  texte  où  le 
caractère  messianique  de  saint  Patrick  est  le  plus 
manifeste. 

Les  deux  autres  Vies  de  ce  groupe  sont  les  Vitœ  />" 
et  /P  du  recueil  de  Colgan.  Elles  dérivent  toutes  deux 
d'une  source  qui  procédait  à  son  tour  de  Muirchu  et  d'un 
autre  document  plus  ancien  que  Muirchu  et  qui  était  relatif 
à  la  captivité  de  saint  Patrick^.  A  ces  sources  les  deux  Vies 
en  question  en  ajoutent   une   troisième,    commune    5    la 


1.  Publié  la  première  fois  par  Colgan,  op.  cit.,  Vila  1".  Éditions  mo- 
dernes dans  Triparlile  Life,  II,  p.  404  ss.,  dans  Goidelica,  p.  126  ss., 
dans  Thésaurus  Palœohiberîiicus,  II,  p.  308  ss.  et  dans  Alkinson  et 
Bernard,  The  Book  of  Ilymns.  Cf.  Bury,  Saint  Patrick,  appendice. 

2.  Cf.  Bury,  op.  cit.,  Appendice, 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  85 

Vita  ni"  et  qui  contenait  les  légendes  d'enfance  complète- 
ment développées  ' . 

Ces  deux  Vies  ne  sont  pas  postérieures  au  ix''  siècle. 

L'historia  Britonum.  —  Nous  ajouterons  à  cette  énumé- 
ration  le  résumé  de  la  légende  de  saint  Patrick  inséré  vers 
Tan  800  dans  ÏHistoria  Britonum  de  Nennius.  Il  procède 
de  Muirchu,  de  Tirechan  et  du  continuateur  de  celui-ci. 
On  y  constate  quel  était  le  cadre  de  la  légende  à  la  fin 
du  viii'  siècle  à  Armagh,  car  il  n'y  a  aucun  doute  que 
l'auteur  du  résumé  puisa  dans  des  sources  qui  lui  furent 
procurées  par  les  clercs  d' Armagh.  C'est  le  plus  ancien 
essai  de  systématisation  de  ces  traditions  hagiographiques 
que  nous  possédions*. 

\'lES    POSTÉRIEURES    A    LA    ViE    TrIPARTITE.    CcS    VicS 

n'ont  d'importance  que  pour  démontrer  la  persistance  du 
type  une  fois  formé.  En  effet,  elles  dérivent  presque  toutes 
de  la  Vie  Triparlite. 

Les  plus  dignes  de  mention  sont  :  Y  Homélie  du  Lebar 
Brecc,  manuscrit  du  xiv"  siècle;  la  Vie  paraît  avoir  été 
rédigée  au  xiii*  siècle'.  La  Vie  du  Livre  de  Lismore,  un 
manuscrit  du  xv"  siècle,  donne  à  la  légende  de  saint 
Patrick  un  certain  tour  sentimental,  dans  le  goût  du  temps  '. 

Une  seule  de  ces  Vies  plus  récentes  que  la  Tripartite, 
se  classe  à  part.  C'est  la   Vie  écrite  par  Jocelin,  moine 

1.  Ibid. 

i.  Éd.  Mommsen  dans  Monumenta  Germanise  Historica,  série  in-4s 
Chronica  Minora,  III.  Berlin,  18'J5.  p.  194  à  p.  198  et  passages  concernant 
saint  Patrick,  p.  l.)8  s.:  aussi  dans  Triparlite  Life,  11.  p.  498  ss. 
(extrait  d'après  le  Ms.  Harleian  3859  de  Dublin).  Analyse  dans  Bury, 
loc.  cil. 

3.  Éd.  Whitley  Stokes  dans  Triparlite  Life,  II,  p.  428,  p.  488. 

4.  Éd.  Whitley  Stokes  dans  Lives  of  saints  from  Ihe  Book  of  Lismore, 
Oxford,  1890  [Anecdota  Oxoniensia,  Mediaeval  and  Modem  Séries,  V). 


86  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

(l'oripne  p^alloise  résidant  en  Angleterre  fi  Furness.  II  floris- 
sait  vers  la  fin  du  \if  siècle.  Sa  Vie  écrite  entre  il 80  et 
il 80,  est  composée  directement  d'après  des  sources  plus 
anciennes  que  la  recension  connue  de  la  Tripartite.  Toutes 
ces  sources  nous  sont  connues.  Seulement  Jocelin  les 
connaissait  dans  d'autres  versions  que  celles  qui  nous  ont 
été  conservées  \ 

Textes  isolés  et  fragmentaires.  —  11  existe  enfin  une 
série  de  documents  hagiographiques  autres  que  les  Vies, 
qui  ont  de  la  valeur  pour  Fétude  de  la  légende  et  du  culte 
de  saint  Patrick. 

Ce  sont  d'abord  les  martyrologes.  Le  plus  ancien  de  ceux 
qui  mentionnent  Patrick,  est  \e  Martyrologe  de  Luxeuil,  du 
vil"  siècle  ^  Les  plus  importants  sont  le  Martyrologe  cCOen- 
giis\  qui  date  de  l'année 800  environ*,  le  Martyrologe  de 
Donegal  ^  et  le  Martyrologe  rédigé  par  Mael-Muire  hùa 
Gormain  '. 

1.  C'est  la  Vita  Fi"  de  Colgan. 

2.  Le  passage  qui  intéresse  saint  Patrick  a  été  publié  dans  Tripartite 
Life. 

3.  Deux  éditions,  toutes  deux  de  Whitley  Slokes.  La  première,  parue 
dans  les  publications  de  l'Académie  Royale  d'Irlande  sous  le  titre 
Félire  Aengusso.  The  calendar  of  Aengus  the  Culdee,  Dublin,  1880, 
contient,  en  plus  du  texte  d'Oengus,  les  gloses  et  les  commentaires  du 
Lebar  Brecc ,  mentionnés  ci-dessous.  La  seconde,  texte  seulement, 
formant  le  vol.  XXIX  de  la  collection  de  la  Henry  Bradshaw  Society, 
Londres,  1905  et  portant  le  titre  Félire  Oengusso  céli  Dé,  est  de  beaucoup 
supérieure  à  la  première.  Nos  références  ont  trait  à  cette  dernière 
pour  ce  qui  concerne  le  texte  à  la  première  pour  les  commentaires  du 
Lebar  Brecc. 

4.  Whitley  Stokes,  Préface  à  l'édition  de  190a,  p.  vu;  Thurneysen, 
dans  Zeitschrifl  fur  cellische  Philologie,  I,  p.  345,  touche  à  cette  ques- 
tion de  date  en  s'appuyant  sur  deux  travaux  de  Slrachan. 

b.  Martyrology  of  Donegal,  éd,  J-H.  Todd  et  William  Reeves.  Dublin, 
Î864. 

6.  Félire  hûi  Gormain,  éd.  Whitley  Stokes  (Henry  Bradshaw  Society,  IX). 
Londres,  1895. 


LA    LKGENDR    DE    SAINT    PATRICK  87 

Les  autres  textes  sont  de  toutes  catégories,  depuis  des 
hymnes  jusqu'à  des  p^loses. 

Le  plus  ancien  est  un  court  hvmnc  irlandais  dit  Prière 
de  Nin'uie,  du  viii  siècle'.  Les  seuls  litres  de  gloire  de 
notre  saint  y  sont  ses  combats  contre  «  les  druides  au  cœur 
dur  »  et  sa  piété. 

Le  x*"  siècle  nous  donne  le  G/ossaire  de  Cormac  '  avec 
quelques  fragments  de  légendes  et  renseignements  sur  le 
culte.  Un  passage  parle  de  saint  Patrick  comme  d'un  des 
auteurs  du  Senchus  Màr,  recueil  de  lois  irlandaises.  La 
môme  tradition  se  retrouve  dans  la  préface  du  Senchus  Mûr  ^ 
et  dans  un  texte  du  Lehar  nah  Uidhre,  manuscrit  du 
XI*  siècle*. 

Du  xiii°  siècle,  peut-être  plus  tôt,  on  a  les  préfaces  des 
hymnaires  irlandais  aux  hymnes  de  Secundinus,  de  Fîacc 
et  ù  l'hymne  dit  Lorica  Patricii.  La  matière  en  est  connue 
dans  son  ensemble  par  des  textes  plus  anciens  ^ 

Dans  le  Lebar  Brecc  se  trouve  une  série  de  gloses  et 
uned'annotationsau  Calendrier  d'  Oengîis\  Ces  textes,  quoi- 
qu'on n'en  puisse  déterminer  la  date,  sont  d'une  très  grande 
valeur.  Ils  permettent  d'utiles  comparaisons  entre  les  thè- 
mes de  la  légende  de  saint  Patrick  et  celles  d'autres  saints. 

1.  Ninine's  Prayer  dans  Thésaurus  Palœohibernicus,  II,  p.  322. 

2.  Sanas  Cormaic.  Éditions  :  1°  Whitley  Stokes  dans  T/iree  irish  glos- 
aaries.  Londres,  1862  (sans  trad.):  le  même  a  publié  en  1868  une  tra- 
duction et  des  notes  de  J.  ODonovan  sous  le  titre  Connues  Transla- 
tion. 2"  Kuno  Meyer,  dans  Anecdola  from  Irish  Manuscripts,  Halle 
a.  S..  1912.  IV. 

3.  Dans  Ancient  Laus  oflreland,  I,  p.  4  ss. 

4.  Comlholh  Loegairi  co  cretim,  éd.  Charles  Plummer  dans  Rev. 
Celtique,  VI,  p.  101  ss.  ;  extrait  dans  Tripartile  Life,  II,  p.  562. 

T).  Publiées  d'après  Fr.  Lib.  Ihjrnn.,  dans  Tripartile  Life,  II,  p.  3S1  ss.  et 
p.  402,  dans  Alkinson  et  Bernard,  The  irish  Liber  Uymnorum,  Lon- 
dres, 18'J7.  (Publications  de  la  Henry  Bradshaw  Society,  XIII  et  XIV.); 
dans  Thésaurus  Palœohib.,  II,  p.  298  ss. 

6.  Publiées  dans  Fe'lire  Oengusso,  V»  édition. 


88  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Enfin,  le  Saltair  na  Rann,  un  recueil  de  poésies  reli- 
gieuses, dont  la  langue  est  antérieure  au  xii' siècle,  par  ses 
allusions  donne  une  idée  de  la  place  éminenle  occupée 
par  l'apôtre  dans  le  panthéon  irlandais'. 

1.  Éd.   W'hitley     Stokes,  dans  Anecdola  Oxoniensia  (Mediaeval  and 
Modem  Séries,  I),  Oxford,  1883. 


CHAPITRE  III 

LA  LÉGENDE  DE  SAINT  PATRICK 
ET   LA  MYTHOLOGIE   IRLANDAISE.  —  LES  FETES 


Caractère  général  de  la  légende  de  saint  Patrick. 
—  De  l'ensemble  des  Vies,  dont  on  vient  d'étudier  le  déve- 
loppement littéraire,  ressort  à  première  vue  deux  carac- 
tères essentiels  de  la  légende. 

L'un  est  le  caractère  national  de  la  légende  de  saint 
Patrick.  Le  second  est  son  caractère  mythique. 

Nous  ne  sommes  point  en  présence  d'une  légende  his- 
torique, mais  d'un  enchevêtrement  de  mythes  qui  s'en- 
trecroisent comme  les  fils  dun  tissu.  C'est  ce  que  nous 
montrerons  dans  les  pages  qui  suivent. 

Pareil  à  un  dieu,  le  saint  commande  aux  forces  de  la 
nature,  il  manie  à  son  gré  le  tonnerre,  suscite  des  inonda- 
tions et  des  tremblements  de  terre.  Il  ordonne  au  soleil  de 
luire  et  à  la  neige  de  fondre.  Les  luttes  de  Patrick  contre 
les  suppôts  du  paganisme,  les  druides,  ont  l'aspect  de 
batailles  entre  puissances  opposées  et  également  divines  ^ 

Or  les  manifestations  du  pouvoir  des  héros  sur  la  nature 
et  les  combats  divins  sont  —  on  le  verra  —  des  thèmes 
familiers  à  la  mythologie  irlandaise. 

Nous  commencerons  par  étudier  l'aspect  mythique  de 

1.  Cf.  Muirchu,  p.  281  ss. 


90  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

la  légende.  Une  analyse  minutieuse  de  ce  qu'elle  emprunta 
au  système  irlandais  de  représentations  religieuses  nous 
fera  comprendre  son  caractère  national.  A  mesure  que  nous 
avancerons  dans  celle  analyse,  et  que  nous  comparerons 
noire  saint  à  ses  prédécesseurs  mythiques,  nous  nous  ferons 
une  idée  plus  précise  de  ce  que  c'est  qu'un  héros  et  nous 
serons  mieu.x  à  mesure  de  démontrer  qu'il  en  est  un.  Nous 
accomplirons  du  même  pas  celte  double  marche  de  notre 
recherche. 

La     TRAME      CHRONOLOGIQUE     DE     LA     LÉGENDE     DE      SAINT 

Patrick  est  mythique.  —  Dans  la  légende  de  saint  Patrick, 
le  mythe  n'apparaît  pas  seulement  dans  une  broderie  d'épi- 
sodes, qui  serait  étrangère  à  la  trame  du  récit.  Cette  trame 
est,  pour  ainsi  dire,  saturée  de  mythes.  Bien  plus,  elle- 
même  est  mythique. 

Considérons  la  suite  des  événements  et  la  chronologie  de 
notre  légende. 

Toutes  les  périodes  de  la  vie  du  saint,  toutes  les  phases 
caractéristiques  de  son  activité  ont  des  durées  convention- 
nelles de  sept,  quinze  ou  trente  ans.  C'est  assez  dire 
qu'elles  sont  imaginaires.  Ainsi  Patrick  fut  baptisé  à  sept 
ans,  on  le  fil  prisonnier  à  quinze  ans,  il  demeura  en 
captivité  pendant  sept  ans,  ses  voyages  durèrent  encore 
sept  ans  et  enfin  il  passa  sept  ans  dans  le  Connaught.  Le 
saint  a  trente  ans  lorsqu'il  se  met  à  étudier  les  Ecritures, 
il  poursuit  cette  élude  pendant  trente  ans,  puis  il  évangé- 
lise  l'Irlande  pendant  soi.xante  ans.  Il  meurt  à  l'âge  de 
cent  vingt  ans  '  suivant  le  continuateur  de  Tirechân. 

Par  contre,  suivant  Tirechàn  ^,  le  premier  cycle  des  exploits 

1.  Tirechàn,  l.  c,  II,  p.  302.  Cf.  Muirchu,  p.  296  et  Muirchu  B,  p.  551  s. 
Cf.  documents  du  Livre  cl' Armar/k  dans  Tripai'lile  Life,  II.  p.  300  et  p.  331. 

2.  Tirechàn,  p.  302. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  91 

de  Patrick  en  Iilandc  se  déroule  dans  le  courant  d'une  seule 
année.  Les  Vies  plus  récentes  se  bornent  à  prolonger  celte 
durée  de  deux  nouvelles  périodes  fermées  :  les  quarante 
jours  du  Carême  et  les  cinquante  qui  s'écoulent  entre 
Pâques  et  la  PenteciMe. 

Mais  il  y  a  d'autres  traces  de  mythe  dans  celte  légende, 
et  des  plus  importantes. 

L'un  des  traits  du  mythe,  c'est  sa  correspondance  à  des 
rites.  C'est  môme  le  signe  des  mythes  les  plus  essentiels 
d'une  religion,  que  de  correspondre  à  une  fôlc  ou  à  un  sys- 
tème de  fêtes.  Or,  la  partie  la  plus  importante  de  notre 
légende,  celle  qui  relate  la  mission  de  saint  Patrick,  et  qui 
est  d'ailleurs  la  seule  où  l'on  trouve  des  dates  précises,  est 
toute  entière  celle  d'une  fête.  Tous  ses  épisodes  sont  groupés 
autour  de  Pâques  et  des  fêtes  qui  constituent  le  cycle 
pascal. 

Suivant  Tirechdn,  Patrick  débarque  en  Irlande  le  Samedi 
Saint,  et  c'est  le  soir  du  même  jour  qu'il  livre  un  combat 
décisif  au  paganisme  à  la  cour  du  roi  suprême.  Le  jour  de 
Pâques  éclaire  le  triomphe  définitif  de  la  Foi  dans  Tara,  la 
capitale  de  l'île.  Le  lendemain  Patrick  implante  le  christia- 
nisme en  un  autre  centre  important,  Tailtiu,  et,  durant 
l'octave  de  Pâques,  il  finit  d'évangéliser  la  Plaine  de  Breg 
tout  entière,  c'est-à-dire,  l'apanage  particulier  du  roi 
suprême  '. 

Les  autres  hagiographes  ne  diffèrent  de  Tîrechân  qu'en 
ce  qui  concerne  la  date  du  débarquement  en  Irlande  et  celle 
de  l'épisode  de  Tailtiu.  Mais  il  s'agit  toujours  de  dates  qui 
dépendent  de  Pâques.  Ainsi,  suivant  une  tradition  posté- 
rieure, saint  Patrick  serait  venu  en  Irlande  le  premier  jour 
du  Carême  ^ 

1.  Tlrechiin,  p.  306  ss. 

i.  Additamenla  Ferdomnachi  dans  Livre  d'Armafjli,  l.  c,  p.  334. 


92  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Quant  à  Muirclm',  il  parle  de  deux  débarquements 
successifs,  dont  le  premier  eut  lieu  sur  la  côte  d'Ulster. 
L'apôtre  convertit  une  partie  de  celte  province,  puis,  comme 
Pâques  approchait^  il  reprit  la  mer  et  arriva  le  Samedi  Saint 
dans  l'estuaire  de  laBoyne.  On  voit  que  Muirchu  représente 
le  temps  passé  par  Patrick  en  Ulster,  comme  une  période 
d'attente  avant  PAques,  et  d'ailleurs  il  ne  s'agit  ici  que 
d'une  légende  parallèle  à  la  légende  principale.  L'hagio- 
graphe  a  trouvé  le  moyen  de  les  insérer  toutes  deux  dans 
son  récit  en  les  sériant  tout  simplement. 

Un  autre  événement  important  de  la  vie  de  saint  Patrick 
est  daté  de  la  Pentecôte.  L'apôtre  gravit  le  Mont  Aigle  en 
Gonnaught  afin  d'y  demander  à  Dieu  de  lui  promettre  une 
récompense  pour  l'œuvre  qu'il  entreprend.  Cette  récom- 
pense est  accordée  à  Patrick  le  jour  de  Pâques  suivant, 
lorsqu'il  a  mené  sa  mission  à  bonne  fin  ". 

En  résumé,  le  cadre  chronologique,  dans  lequel  se  meu- 
vent les  personnages  de  notre  légende,  est  constitué  par  un 
cycle  de  fête  et  un  cycle  d'années.  Ce  ne  sont  évidemment 
pas  des  préoccupations  d'ordre  historique  qui  ont  donné 
lieu  à  son  établissement.  Le  principe  qui  y  a  présidé  est  un 
principe  conventionnel,  une  règle  de  composition  litté- 
raire. 

La  MYTHOLOGIE    IRL.\NDAISE    A    UNE    TRAME    CHRONOLOGIQUE 

ANALOGUE.  —  Or  la  mythologie  irlandaise  tout  entière  est 
régie  par  une  convention  identique. 

Ce  sont  les  grandes  fêtes  saisonnières  qui  en  forment, 
pour  ainsi  dire,  les  pivots.  Les  faits  et  gestes  des  dieux  ont 
toujours  lieu  —  on  le  verra  par  la  suite  —  à  la  fête  de 


1.  Muirchu,  p.  273  s.  et  p.  278  s. 

2.  Vie  Jriparh^e.éd.  WhitleyStokes.p.  116;  Colgan,  Vila  III" ,  ca^p .  85. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  93 

Samhain  qui  marque  le  début  de  la  mauvaise  saison,  ou 
bien  î\  Beitaine,  premier  jour  de  l'été,  ou  bien  encore  à 
lune  des  fêtes  qui  tombent  au  milieu  d'une  saison. 

Il  en  est  de  môme  dans  répopée.  Plusieurs  récits  du  plus 
ancien  cycle,  celui  d'Ulsler,  ont  trait  à  des  événements 
qui  se  passent  entièrement  à  Sam/iai)i\  ou  bien,  ce  qui 
est  le  cas  dans  la  grande  compilation  épique  dite  Tdin  Bô 
Ciialnge,  à  des  événements  qui  se  suivent  «  de  Samhain 
jusqu'A  Imbulc  »,  premier  jour  du  printemps'.  Dans  le  cycle 
épique  du  liéros  Finn.  ou  cycle  de  Lcinster,  on  trouve  un 
roi,  Conn  Ccleatliach,  dont  la  naissance  et  la  mort  survien- 
nent toutes  deux  à  Samhain,  un  mercredi'. 

On  verra  que  la  fête  de  Pâques,  sur  laquelle  s'ordonne 
la  légende  de  saint  Patrick,  équivaut  à  Samhain. 

D'autre  part,  de  môme  que  la  vie  de  saint  Patrick  suit 
une  chronologie  fondée  sur  des  nombres  conventionnels, 
la  vie  des  héros  se  décompose  en  périodes  d'une  durée 
cyclique.  Les  événements  s'y  suivent  à  des  intervalles  d'une 


1.  Par  exemple,  les  événements  que  raconte  le  morceau  épique 
Serglige  Conculaind  {Maladie  de  Cùchulainn).  publ.  par  M.  Windisch 
dans  Irisclie  Texte,  I,  p.  197  ss.  Traduction  française  par  M.  Dottin 
dans  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  L'Epopée  celtique  en  Irlande  (Cours 
de  littérature  celtique,  V).  p.  174  ss.  —  il  suffit  d'ailleurs  pour  se  con- 
vaincre du  rrtle  de  Samhain  dans  le  cycle  d'Ulster,  de  comparer  les 
quelques  légendes  publiées  dans  ce  dernier  recueil. 

2.  Cùchulainn,  le  héros  de  l'Ulster,  arrête  une  invasion  à  la  frontière 
de  sa  province  6  luan  taite  samna  co  tuile  n-imbuilc  «  depuis  le  lundi 
de  Samhain  jusqu'à  Imbulc  »,  Tàin  Bô  Cùalnge,  éd.  Ernst  Windisch, 
Leipzig,  l'JOo,  1.  2'JOO.  Cf.  ibid.,  1.  3180,  1.  4593.  Le  fait  que  les  événe- 
ments commencent  à  Samhain  ressort  de  ce  que  les  ennemis  de  l'Ulster 
choisissent  pour  envahir  cette  province  le  moment  où  tous  les  guerriers 
en  sont  terrassés  par  la  maladie  de  la  neuvaine,  {Tâi7i,  1.  '225  ss), 
maladie  qui  est  l'elfet  d'un  charme  et  qui  a  lieu  à  Samhain,  suivant 
un  récit,  la  Neuvaine  des  Ulates  (éd.  Ernst  Windisch  dans  Verhandlun- 
gen  der  Kgl.  Sdchs.  Gesellschaft  der  Wissenschaften,  Histor.-philo- 
log.Klasse,  Leipzig,  18S4.  (Trad.  française  âixns  Épopée  celtique,  \^.  320 
ss.) 

3.  Catli  Mutghe  Léana,  publ.  par  O'Curry,  Dublin,  (Celtic  Society), 
18jd.  p.  98  (trad.  p.  99). 


04  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

saison,  ou  bien  de  trois,  neuf  et  quinze  jours  '.  Le  roi  Gonn 
Cclcalhach.  par  exemple,  vit  cinquante-trois  ans,  ce  qui  est 
la  somme  de  deux  nombres  cycliques,  cinquante  et  trois*. 
Le  parallélisme  est  donc  absolu  entre  la  légende  de  saint 
Patrick  d'une  part,  et  les  compositions  mythologiques  et 
épiques  de  l'autre. 

I 

LE  CYCLE  MYTHOLOGIQUE  IRLANDAIS 

Les  invasions  mythiques  et  saint  Patrick.  —  I.  Saint 
Patrick  est  un  étranger.  —  Leur  parenté  est  môme  plus 
intime  encore.  La  légende  de  saint  Patrick  répète  des 
épisodes  essentiels  de  la  mythologie  irlandaise.  Bien 
mieux,  elle  est  un  chapitre  supplémentaire  de  celle-ci. 

Tout  d'abord,  remarquons  que  notre  saint  est  un 
étranger,  et  qu'il  est  venu  en  Irlande  par  mer. 

A  première  vue,  il  n'y  a  ici  rien  qui  ne  soit  strictement 
historique.  Les  missionnaires  qui  venaient  prêcher  l'Evan- 
gile aux  Gôidels  ne  pouvaient  évidemment  prendre  une 
autre  route.  Quant  à  l'origine  de  saint  Patrick,  elle  est 
mentionnée  plusieurs  fois  dans  la  Confession  et  YEpître. 


1.  Cf.  en  particulier  The  Pursuil  of  the  Gilla  Decair,  éd.  Standish 
OGrady  dans  Silva  Gadelica,  vol.  Il  (traductions)  p.  292  :  les  guerriers 
de  Finn,  le  grand  héros  du  Leinstcr,  passent  leur  temps  à  chasser  de 
Beltaine  à  Samhain,  et  de  Samhain  à  Beltaine  ils  jouissent  de  l'hospi- 
talité des  hommes  d'Irlande.  —  Sur  les  périodes  de  quatorze,  neuf, 
sept  et  trois  jours,  cf.  Hogan,  Calh  Ruis  na  Rig  for  Boinn,  p.  3  et  p.  19  ; 
Tàiîi,  éd.  citée,  p.  2't  s.  et  p.  271:  Acallamh  na  Senorach,  éd.  O'Grady 
dans  Silva  Gadelica,  passim;  Neuvaine  des  Ulates,  loc.  cit.,  etc. 

2.  Cath  Muifjhe  Léana,  loc.  cil.  —  Sur  les  nombres  cinquante  et  trois 
cf.  Loth,  L'anne'e  celtique,  dans  Revue  celtique,  XXV,  p.  113  ss.  — Cf. 
H.  d'Arbois  de  Jubainville,  épopée  celtique,  index  des  noms  communs, 
sous  trois,  cinquante  et  cent  cinquante  (trois  fois  cinquante).  Les  dieux 
et  les  héros  irlandais  vont  par  trois  Cf.  Kuno  Meyer,  The  irish  Triads, 
(Todd  Lectures  Séries,  Dublin),  les  figurants  des  légendes,  guerriers, 
femmes,  enfants,  les  bestiaux,  etc.,  vont  par  cinquante  et  trois  fois  cin- 
quante. 


LA    LK(.KNDR    DE    SAINT    PATRICK  95 

Mais  ce  détail  a  néanmoins  une  grande  importance 
mytholog-iquo,  à  toi  point  qu'il  est  probablement  le  germe 
de  l'évolution  mythique  de  notre  légende.  C'est  à  lui  que 
saint  Patrick  doit  pour  une  bonne  part  sa  priorité  sur  les 
autres  saints  Irlandais,  qui  eux  aussi  ont  étudié  en  Gaule 
cl  sont  revenus  en  Iilande,  et  dont  certains  y  ont  môme 
précédé  l'apùlre^si  l'on  en  croit  leurs  légendes.  Aucun  de 
ces  vieux  saints  n'est  célèbre  comme  grand  convertisseur. 
C'est  qu'ils  leur  manquait  un  prestige  que  la  croyance 
irlandaise  attachait,  pour  des  raisons  que  nous  allons  voir, 
i\  la  qualité  d'étrangers. 

II  La  venue  de  saint  Patrick  est  l'avènement  et  un  Règne. 
—  Remarquons  encore  que  l'évangélisation  de  l'Irlande 
par  Patrick  est  représentée  comme  l'avènement  d'un 
Règne  nouveau.  Ce  règne  remplacera  celui  des  démons 
et  de  leurs  suppôts,  les  druides. 

On  l'attend  avec  anxiété,  et  dès  longtemps  il  est  Fobjet 
de  prophéties.  Un  homme  tonsuré  viendra  par  mer  pour 
construire  des  villes,  édifier  des  églises,  et  planter  des 
croix  en  tel  nombre,  qu'elles  pourraient  remplir  un 
royaume.  Il  détrônera  les  rois  et  les  chefs,  il  ruinera  la 
puissance  des  druides  et  son  règne  durera  en  l'éternité'. 


1.  Par  exemple  un  desdeu.x  saints  Ciaran,  cf.  Betha  Ciar ain,  ùan^  Silva 
Gadelica. 

2.  Muirchu,  p.  274,  donne  une  traduction  latine  des  vers  que  les 
druides  avaient  composés  pour  prédire  la  venue  de  saint  Patrick.  La 
Vie  Triparlite,  éd.  Stokes,  j).  34,  en  donne  le  texte  irlandais  : 

Ticfa    tâilcend   lar   muir   meir-  Tête  rasée  viendra  par  la  mer 

cenn  (?)  furieuse  (?) 

a  brait  toUcend,  a  chrand  croin-  son  manteau  percé  au  haut,  son 

chend  :  bâton  recourbé  au  sommet; 

a  mias  inairthiur  a  tigi  sa  table  à  l'iisl  de  la  maison  ; 

fris{g)erat  a  mûinler  huili  toute  sa  famille  lui  répondra  : 

A7nen,  amen.  Amen,  amen. 

L'Hymne  de  Fiacc,  l.  c,  p.  314,  dit  que  dans  les  clans  d'Irlande  avait 
cours  une  projthétie  qu'un  Régne  nouveau  viendrait  et  durerait  jus- 
qu'au jugement  Dernier.  —  Cf.  Muirchu,  p.  28i  :  les  druides  disent  au 


96  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

III.  Itinêl'aire  de  saint  Patrick.  —  Enfin  il  y  a  lieu  de 
tenir  compte  de  rilincraire  suivi  par  saint  Patrick  avant  de 
débarquer  en  Irlande. 

Cet  itinéraire  comprend  une  visite  aux  îles  de  la  mer 
Tyrrhénienne. 

Ici  encore  le  point  de  départ  de  la  légende  est  un  fait 
consigné  dans  les  Dicta  Patricii.  Mais  il  y  a  loin  de  l'aus- 
tère Lérins  aux  îles  merveilleuses  des  Vies.  Elles  sont  une 
sorte  de  paradis  terrestre. 

La  vie  et  la  jeunesse  y  fleurissent  sans  souffrir  de  la 
fuite  du  temps.  Patrick  débarque  en  une  île,  dans  laquelle 
un  jeune  couple  attend  sa  venue  depuis  le  temps  que  le 
Dieu  incarné  passa  parmi  les  hommes.  Jésus  a  commis  les 
deux  jeunes  gens  à  la  garde  de  son  bâton  avec  mission  de 
le  remettre  à  Patrick,  en  môme  temps  que  de  signifier  au 
saint  l'ordre  de  devenir  l'apôtre  des  Irlandais. 

A  proximité  est  un  mont  où  le  Seigneur  en  personne 
confirme  cet  ordre  à  saint  Patrick*.  Celui-ci  se  met  donc 
en  route  et  débarque  en  Irlande  dans  Plnbher  Boinne^ 
Arrivé  là  il  entreprend  immédiatement  la  conquête  de  l'île 
à  la  Foi.  Il  arrive  le  même  soir  à  Tara  et  y  terrasse  le 
paganisme  en  une  bataille  décisive. 

Or,  le  noyau  de  la  mythologie  irlandaise,  en  tous  les  cas 
de  ce  que  Ton  appelle  le  cycle  mythologique  irlandais, 
qui  comprend  toute  l'histoire  des  dieux,  mais  auquel  se 
rattachaient  par  des  liens  étroits  les  autres  cycles,  les  cycles 


roi  Loegaire  d'éteindre  à  tout  prix  le  feu  de  Pâques  allumé  par  saint  Pa- 
trick, sinon  le  nouveau  venu  regnabit  m  œtermnn. 

1.  Vie  Tripartite,  éd.  Stokes,  p.  28;  Colgan,  Vita  Uh  ,  c.  23. 

2.  Muirchu,  p.  '27'J  ;  Tlrechân,  p.  306;  cf.  les  autres  Vies.  Suivant 
Muirchu.  saint  Patrick  essaya  d'abord  de  débarquer  près  de  Wicklow, 
mais  repoussé  par  les  habitants,  il  se  retira  dans  une  lie  voisine  de  la 
côte,  la  Patricks  Island  actuelle,  et  de  là  il  alla  en  Ulster,  puis  à  l'em- 
bouchure de  la  Boyne  [loc.  cit.,  p.  275  s.).  —  Cf.  plus  loin,  litinérairc 
et  le  double  débarquement  des  Tùatha  Dé  Danann. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  97 

épiques,  est  la  représentation  d'une  série  d'invasions, 
venues,  comme  la  mission  de  saint  Patrick,  d'outrc-mer, 
d'un  pays  qui  ressemble  aux  îles  de  la  mer  Tyrrhénienne, 
et  ayant  suivi  à  peu  près  le  môme  itinéraire.  La  suite  de 
ces  invasions  constitue  un  corps  d'annales  fabuleuses,  et 
leurs  différents  épisodes  rhythment  le  cycle  annuel  des 
saisons. 

Les  invasions  mythiques  de  l'Irlande.  —  Dans  toutes 
ses  versions  connues  l'histoire  des  invasions  est  iden- 
tique dans  ses  grandes  lignes,  et  partout  elle  est  repré- 
sentée comme  l'histoire  la  plus  ancienne  de  l'Irlande.  Entre 
les  textes  qui  lui  sont  consacrés,  le  plus  circonstancié  est 
une  vaste  compilation  du  xi"  siècle,  intitulée  Lebar  na 
Gabala,  ou  Livre  des  Conquêtes^ 

L'Irlande  a  subie  en  tout  cinq  invasions  successives. 

La  première  fut  celle  de Partholorr.  Il  venait  de  l'Espagne, 
qu'il  avait  été  obligé  de  quitter  après  avoir  tué  son  père. 


1.  Une  édition  de  ce  texte,  la  première,  est  annoncée  par  M.  Mac- 
alister.  Une  traduction  française  in  extenso,  peu  recommandable,  a  été 
publiée  par  M.  Lizeray.  Nous  nous  sommes  servi  du  résumé  publié 
dans  Le  Cycle  mythologique  irlandais  {Cours'de  littérature  celtique,  II), 
par  d'Arbois  de  Jubainvillc.  —  Les  autres  textes  sur  les  invasions 
mythiques  de  llrlande  sont  :  VHistoria  Britonum,  attribuée  à  Nennius  ; 
l'Histoire  d'Irlande  de  Geoffrey  Kealing.  qui  florissait  au  xvip  siècle; 
un  poème  d'Eochaid  hûa  Flainn,  mort  en  984.  qui  énumère  les  envahis- 
seurs, mais  ne  donne  que  très  peu  de  détails. 

i.  Suivant  le  Lebar  na  Gabala.  Parlhoion  n'aurait  été  que  le  second 
des  envahisseurs.  Avant  lui  vinrent  en  Irlande  Cessair  et  Fintan. 
Mais  l'histoire  de  cette  invasion  est  une  addition  tardive.  Les  textes 
plus  anciens,  comme  Nennius,  ne  la  mentionnent  pas.  De  plus,  suivant 
un  texte  du  ix«  siècle,  le  récit  de  Tûan  mac  Cairill,  «  personne  n'occupa 
l'Irlande  avant  le  déluge  ».  Or  les  compilateurs  du  Lebar  na  Gabala 
commencent  l'histoire  de  Partholon  par  les  mêmes  mots,  bien  qu  ils 
fassent  venir  Cessair  en  Irlande  quarante  jours  avant  le  déluge. 
Cf.  H  d'Arbois  de  Jubainville,C'yc/e  Mylhol  ,  p.  66  s.  ;  The  Story  of  Tûan 
mac  Cairill,  éd.  Kuno  Meyer.  dans  Alfred  Nuit  et  Kuno  Meyer,  The 
Voyage  of  Bran,  II.  Londres  189".  p.  286,  §  4  (version  du  Ms  La«rf  610, 
de  la  bibliothèque  Bodléienne  d'Oxford).  —  Nous  n'avons  donc  pas 
tenu  compte  de  la  légende  de  Cessair. 

CZARNOWSKI.  7 


98  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

Bel,  roi  de  ce  pays'.  Le  jour  de  son  arrivée  on  Irlande 
est  le  jour  môme  de  la  fôte  de  Bel,  la  fôle  de  Bellaine^ 

Le  pays  que  Parlliolon  venait  coloniser  avec  ses  compa- 
gnons était  déjà  occupé  par  une  autre  race,  les  Fomôraig. 
C'étaient  des  gens  à  lète  de  chèvre,  qui  n'avaient  qu'un 
œil,  un  bras  et  un  pied.  Partholon  eut  à  les  combattre. 

Sa  race  créa  des  lacs,  des  rivières  et  des  plaines.  Après 
quoi  elle  fut  entièrement  emportée  par  une  épidémie  qui 
commença  le  jour  môme  de  Bellaine  et  qui  ne  dura  que 
jusqu'à  la  fin  de  la  semaine.  Le  lieu  de  cette  catastrophe 
fut  Sen  Mag,  la  Plaine  Antique^  la  seule  qui  existât  avant 
l'arrivée  de  Partholon  en  Irlande,  et  où  toute  sa  tribu 
s'était  réunie  afin  de  procéder  sans  difficultés  aux  enter- 
rements ^  Mais,  suivant  une  autre  tradition,  ce  lieu  est  la 
Plaine  de  Breg*,  ce  qui  ne  contredit  d'ailleurs  aucune- 
ment la  première;  Sen  Mag  était  une  contrée  purement 
mythique,  celle  où  se  réunissent  et  meurent  les  dieux,  par 
conséquent  une  contrée  qui  peut  être  localisée  en  tout 
endroit  de  quelque  importance  religieuse.  Or,  celle  de  la 
Plaine  de  Breg  est  exceptionnelle,  c'est  le  centre  religieux 
de  l'Irlande  païenne  ^ 

L'histoire  du  second  envahisseur  de  l'Irlande,  Nemed^, 
(le  Sacré'),   répète  celle  de   Partholon.  C'est  encore  un 

1.  H.  (l'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythol.,  p,  37,  et  p.  38. 

2.  Le  Glossaire  de  Cormac,  qui  a  été  rédigé  au  x«  siècle,  dit  que 
beltine  veut  dire  feu  de  BU,  un  dieu  païen.  Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno 
Meyer,  p.  12,  sous  :  Belllaine.  —  Cf.  Kuno  Meyer,  Tochmarc  Emire, 
dans  Bev.  Celt.,  XI,  p.  443  :  Bel  est  le  dieu  de  Beltaine. 

3.  Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  107,  au  mot  Tamlachla. 

4.  Eochaid  hiia  Flainn,  dans  Livre  de  Leinster,  facsimilé  publié  par 
l'Académie  Royale  d'Irlande,  p.  6,  col.  1,  ligne  o. 

5.  C'est  là  que  se  trouvent  les  lieu.x  des  trois  grandes  fêtes  pan-gôi- 
déliqiies.  Tara,  Tailliu,  et  Uisnech  Midi,  et  les  fameux  fumulus  de 
Brugh  na  Boinne.  Dans  la  Tàin  Bo  Cùalnge,  les  génies  sont  désignés 
par  le  nom  d'hommes  de  Breg  (Tain,  lignes  3599,  3647). 

6.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythol.,  chap.  v. 

7.  Nemed,  «  sacellum  «  Zeuss.  éd.  Ebel  :  ou  de  nem,  «  ciel  »? 


LA    LÉr.ENDR    DR    SAINT    PATRICK  99 

chef  venu  d'Espagne  le  jour  de  Bellaine,  vainqueur  des 
Fomùraig-,  oréaleur  de  lacs  et  de  rivières.  Une  épidémie 
qui  luo  en  un  seul  jour  Nemed  el  deux  mille  membres  de 
sa  tribu  met  fin  à  son  règne. 

Les  survivants  tombèrent  sous  le  joug  des  Fomôraig.  Ils 
durent  leur  abandonner,  en  guise  de  tribut,  les  deux  tiers 
des  enfants  nés  dans  l'année,  des  récoltes  et  du  lait.  La 
date  du  payement  était  Samhain,  le  lieu  Mag  cetne,  ou  la 
Même  Plaine,  c'est-à-dire  la  plaine  qui  est  toujours  iden- 
tique à  elle-même,  le  pays  de  l'éternité. 

Les  fils  df^  Nemed  ne  tardèrent  pas  à  se  révolter  contre 
leurs  oppresseurs.  Ceux-ci  dominaient  l'Irlande  du  haut 
d'une  tour  de  verre  située  dans  une  île,  Tor  Inis,  ou  Tlle  de 
la  Tour.  Ils  y  furent  assiégés  par  les  insurgés,  la  tour  fut 
prise  et  le  chef  des  Fomôraig,  Conann,  tué.  Mais  le  frère  de 
Conann  vengea  cette  défaite  en  exterminant  la  race  entière 
de  Nemed. 

Ce  massacre  fut  suivi  d'une  troisième  invasion,  celle  des 
Fir-Iiolg ,  des  Fir-Domnann  et  des  Galiôin^ .  On  les 
englobe  tous  dans  la  dénomination  de  Fir-Bolg. 

Il  s'agissait  cette  fois  de  tribus  alliées  des  Fomôraig.  Elles 
reconnaissaient  pour  déesse  suprême  la  reine  de  ceux-ci, 
Domnu.  Comme  les  Fomôraig,  les  Fir-Bolg  étaient  l'incar- 
nation de  tous  les  vices.  Méchants  et  bavards,  ils  aimaient 
les  ténèbres  et  abhorraient  la  musique,  la  poésie  et  tous 
les  arts  en  général. 

Mais  ils  ne  jouirent  pas  longtemps  de  la  domination 
exclusive  de  l'Irlande.  Une  nouvelle  race,  les  Tûatha  Dé 
Danann,  envahit  l'Ile  une  quatrième  fois*. 

1.  D'Arbois  de  Jubainville,  op  cit.,  chap.  vi. 

2.  Ibid..  chap.  vu. 


100  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Les  Tûatha  Dé  Da?iaîin,  ou  Tribus  de  la  déesse  Danu, 
sont  en  contraste  complet  avec  les  Fir-Bolg.  Ce  sont  des 
génies  bienfaisants,  protecteurs  de  la  vie  humaine,  animale 
et  végétale.  Ils  aiment  la  musique,  la  poésie  et  les  arts.  Ils 
sont  versés  dans  toutes  les  sciences  et  en  particulier  dans 
celle  des  druides. 

Les  Tûatha  Dé  Danann  arrivent  en  Irlande  à  Beltaine. 
Mais  ils  attendent,  pour  se  montrer,  qu'ils  se  soient  avancés 
dans  l'intérieur  du  pays.  Selon  les  uns,  c'est  un  brouillard 
épais  qui  les  rend  invisibles.  Mais  d'autres  disent  qu'en 
débarquant  ils  avaient  mis  le  feu  à  leurs  vaisseaux,  et  que 
c'est  la  fumée  de  cet  incendie  qui  les  avait  dérobés  aux 
regards*. 

Cette  deuxième  version  du  mythe  a  pour  nous  une 
importance  particulière,  car,  ainsi  qu'on  le  verra,  elle  pré- 
sente une  grande  analogie  avec  un  passage  de  la  légende 
de  saint  Patrick. 

L'arrivée  des  Tûatha  Dé  Danann  fut  le  signal  d'âpres 
luttes  pour  la  domination  de  l'Irlande.  Elles  finirent  par 
l'écrasement  définitif  des  Fomôraig  à  Mag  Tured,  en  Gon- 
naught,  le  jour  de  Samhain.  Suivant  une  tradition  plus 
récente,  cette  défaite  avait  été  précédée  par  celle  des  Fir- 
Bolg,  survenue  au  même  endroit,  après  des  combats  qui 
durèrent  du  5  au  9  juin. 

Les  circonstances  de  la  victoire  remportée  par  les 
Tûatha  Dé  Danann  sur  les  Fomôraig  font  l'objet  d'un  récit 
détaché,  intitulé  Cath  Maighe  Tured,  la  Bataille  de  Mag 
Tured  ".  Nous  y  apprenons  que  les  deux  races  ennemies 
étaient  parentes  l'une  de  l'autre.  Les  tribus  de  la  déesse 

1.  Keating,  lïistory  of  Ireland,  éd.  Comyn  {Msfi  Texts  Soc,  IV), 
Londres  1902,  p.  212. 

2.  Whitley  Stokes  a  publié  ce  texte  dans  la  Revue  celtique,  XII, 
p.  52  ss.  avec  traduction  anglaise.  Une  trad.  française  se  trouve  dans 
V Épopée  celtique  de  H.  d'Arbois  de  Jubain ville. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  101 

Danu  sont  commandées  par  le  dieu  Lug,  dont  le  grand- 
père  maternel  est  Balor,  chef  des  Fomoraig.  Sa  mère  adop- 
live,  Tailtiu,  fille  de  Magmôr,  appartient  à  la  môme  race. 
Lug  tue  Balor  en  lui  lançant  une  pierre  de  sa  fronde'. 

La  cinquième  et  dernière  invasion  fut  celle  des  ancêtres 
directs  des  Gôidels  -. 

Ils  venaient  d'Espagne.  Leur  émigration  fut  provoquée 
par  les  circonstances  suivantes. 

En  Espagne  il  y  avait  une  tour  construite  par  le  roi 
Bregon.  Un  soir  d'hiver  Ilh,  fils  de  Bregon,  aperçut  la 
côte  d'Irlande  du  haut  de  cette  tour.  Accompagné  de  trois 
fois  trente  guerriers  il  s'en  alla  donc  reconnaître  le  pays 
des  Tùatha  Dé  Danann. 

Ceux-ci  étaient  justement  occupés  à  se  partager  le  ter- 
ritoire d'un  de  leurs  chefs,  qui  avait  été  tué.  On  invita  Ith 
à  être  l'arbitre  du  litige.  11  prononça  une  sentence  équitable, 
mais  comme  il  avait  eu  l'imprudence  d'y  donner  libre 
cours  h  son  enthousiasme  pour  l'Irlande,  les  Tùatha  Dé 
Danann  crurent  bon  de  le  tuer,  dans  la  crainte  que  l'idée 
de  s'emparer  du  pays  ne  vînt  à  leur  hôte. 

Mal  leur  en  prit,  car  les  compatriotes  d'Ith  organisèrent 
une  expédition  chargée  de  venger  sa  mort.  Quatre  fois  neuf 
vaisseaux  firent  voile  d'Espagne  en  Irlande  sous  la  conduite 
de  Mile,  fils  de  Bile,  fils  de  Bregon.  Cette  expédition 
débarqua  à  Bcltaine  dans  l'Inbher  Scène,  à  l'extrémité  sud- 
ouest  de  l'île.  De  là  l'armée  de  Mile  gagna  le  Mont  Miss 
en  Munster,  y  batailla  pendant  trois  jours  contre  les  Tùatha 
Dé  Danann  et  leur  infligea  une  défaite. 

Poursuivant   sa  marche  dans  l'intérieur   de   l'Irlande, 


1.  Calh  Maighe  Tured,  §§  133-135. 

i.  Résumée  d'après  le  Cycle  Mythologique,  ch.  x  et  xi. 


102  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

l'armée  viclorieusc  arriva  devant  Tara,  la  résidence  des 
trois  rois  qui  se  partageaient  le  pouvoir  suprême.  Des  pour- 
parlers furent  engagés,  suivis  d'une  sentence  arbitrale.  Les 
fils  de  Mile  durent  reprendre  la  mer  et  ne  tenter  un  nou- 
veau débarquement  qu'après  avoir  mis  une  distance  de 
neuf  vagues  entre  eux  et  la  côte. 

A  peine  s'étaient-ils  conformés  h  cette  sentence,  qu'une 
tempête  assaillit  leurs  vaisseaux,  les  repoussant  au  large. 
Elle  avait  été  déchaînée  par  la  magie  des  Tiiatha  Dé  Danann. 
Mais  le  magicien  et  poète  en  chef  des  fils  de  Mile,  Amairgen, 
l'apaisa  par  ses  incantations.  Pourtant  les  envahisseurs  ne 
purent  débarquer  sans  perdre  une  partie  de  leur  monde. 

Cette  fois  le  débarquement  eut  lieu  dans  l'Inbher  Boinne, 
d'où  les  fils  de  Mile  marchèrent  sur  Tailtiu,  dans  la  Plaine 
de  Breg.  Ils  y  remportèrent  sur  les  Tùatha  Dé  Danann 
une  victoire  qui  les  rendit  maîtres  de  l'Irlande.  Les  dieux 
vaincus  se  retirèrent  dans  de  somptueuses  demeures  sou- 
terraines, les  sidh,  où  ils  vivent  invisibles  aux  humains. 

Thème  général  des  mythes  d'invasions.  —  Ici  s'arrête 
l'histoire  dès  invasions  mythiques. 

On  reconnaîtra  sans  peine  que  tous  ses  chapitres  sont 
des  développements  différents  d'un  thème  général  unique. 
Celui-ci  est  la  lutte  de  deux  tribus  divines,  qui  sont  en 
réalité  deux  générations  d'une  seule  race  \ 

1.  M.  Squire,  Mythology  of  British  Islands,  p.  69  s.,  supposequc  les 
tribus  dont  parlent  les  histoires  dinvasions  ont  réellement  existé.  Elles 
ont  été  divinisées  par  les  Gôidels,  qui  ont  eu  à  combattre  contre  elles 
après  être  venu  en  Irlande.  C'étaient  les  «  savage  aborigines  »  de 
l'Irlande,  que  les  Gùidels,  plus  civilisés,  considéraient  comme  des  êtres 
à  demi  diaboliques,  à  demi  divins.  —  Nous  croyons  qu'il  se  peut  bien 
qu'un  souvenir  de  luttes  anciennes  avec  des  peuplades  non  gôidéliques 
ait  subsisté  dans  les  mythes.  Ceci  est  d'autant  plus  probable  que 
l'épopée  connaît  certaines  tribus  irlandaises  qui  sont  issues  des  Fir- 
Domnann  et  des  Gaiiôin.  Les  Galiôin  jouent  même  un  rôle  dans  la 
Tàin  Bô  Cûalng  e  comma  clan  allié  du  Connaught  (làin,  p.  51  ss.  —cf. 
ibid.,  1.  3004  et  3180  ;  le  héros  Ferdiad  appartient  au  clan  des  Fir-Dom- 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRU:K  103 

Elles  sont  toutes  originaiies  d'un  môme  pays,  situé  au 
delà  de  la  mer  de  Touesl.  En  cfîet,  la  Tour  de  Bregon,  que 
les  textes  localisent  en  Espagne,  est  évidemment  identique 
à  la  Tour  de  Conann,  qui  s'élève  dans  Tor-lnis.  On  verra 
plus  loin  qu'il  s'agit  du  pays  et  de  la  forteresse  des  morts, 
et  que  leurs  localisations  diverses  sont  le  fait  des  évhéme- 
risles  ii-landais  des  x'  et  xi'  siècles. 

Les  batailles  des  dieux  ont  lieu  entre  parents.  Lug  tue 
Balor,  Partholon  tue  son  père  Bel.  Les  Fomôraig,  maîtres 
de  la  tour  ancestrale  des  dieux,  sont  assiégés  par  les  fils  de 
\emed.  Ce  sont  toujours  des  révoltes  déjeunes  dieux  contre 
leuis  propres  anciens. 

Quant  à  la  victoire  des  jeunes  dieux  elle  est  représentée 
comme  une  libération.  On  se  rappelle  la  manière  dont  les 
Fomôraig  opprimaient  les  fils  de  Nemed.  Ils  avaient  fait 
peser  une  tyrannie  pareille  sur  les  Tiiatha  Dé  Danann  avant 
la  bataille  de  Mag  Tured.  La  puissance  bienfaisante  de 
Partholon,  Nemed  et  des  tribus  de  la  déesse  Danu  ne  put 
s'exercer  qu'après  avoir  vaincu  les  génies  malfaisants. 

Comparaison  de  la  légende  de  saint  Patrick  avec  les 
MYTHES  d'invasions.  —  I.  Identité  des  itinéraires  suivis 
par  le  saint  et  les  dieux,  et  identité  des  pays  d'où  ils 
viennent.  —  Or  la  légende  qui  raconte  la  venue  de  saint 
Patrick  en  Irlande  reproduit  ce  type  de  mythe  dans  sa 
presque  intégralité. 

On  y  retrouve  d'abord  le  vieux  pays  des  dieux  ;  ce  sont 
les  îles  de  la  Mer  Tyrrhénienne.  L'étymologie  et  la  géogra- 
phie populaires  étaient  déjà  bien  incapables  de  distinguer 
entre  cette  mer,  en  irlandais  i)fuir  Torann,  et  la  mer  qui 
baigne  Tor-lnis,  Muir  Torinaig.  Déplus,  les  hagiographes 

nann;.  —  Mais  ceci  n'empêche  point  que  l'histoire  des  invasions  ne  soit 
purement  mythique. 


104  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

ont  décrit  les  îles  visitées  par  saint  Patrick,  comme  un  lieu 
où  Dieu  se  manifeste  de  préférence,  un  lieu  dont  les  traits 
sont  à  la  fois  ceux  du  Mont  Sinaï  et  du  paradis  terrestre. 
Aussi  les  îles  de  la  Mer  Tyrrhénienne  ont-elles  été  finale- 
ment confondues  avec  le  pays  des  dieux.  Elles  en  sont  un 
équivalent  dans  les  légendes  épiques  \ 

Quanta  l'itinéraire  de  saint  Patrick  à  partir  de  son  débar- 
quement jusqu'à  sa  première  rencontre  avec  les  druides, 
c'est  l'itinéraire  même  des  fils  de  Mile  après  leur  seconde 
descente  dansTîle.  11  est  vrai  que  celui  de  Tapôtre  aboutit 
à  Tara  et  non  à  Tailtiu  ;  mais,  outre  que  Patrick  va  à 
Tailtiu  le  lendemain,  cette  difîérence  s'explique  par  l'im- 
portance politique  et  religieuse  de  Tara,  importance  sur 
laquelle  nous  aurons  à  revenir. 

II.  —  Comparaison  des  thèmes.  Les  combats  de  saint 
Patrick  contre  les  druides  et  les  démons.  —  D'autre  part 
le  thème  fondamental  de  la  légende  de  saint  Patrick  est 
formé  par  la  lutte  de  deux  puissances  spirituelles  qui  se 
manifestent  dans  des  formes  sensiblement  pareilles. 

Afin  d'éprouver  laquelle  des  deux  religions  en  présence 
est  supérieure,  le  roi  et  les  notables  irlandais  organisent  un 
concours  entre  leurs  représentants.  Les  druides  suscitent 
des  ténèbres,  ils  font  tomber  la  neige  au  printemps. 
A  quoi  saint  Patrick  répond  en  faisant  réapparaître  le 
soleil  et  en  ordonnant  à  la  neige  de  fondre*. 

Les  druides  essayent  de  confondre  l'apôtre  en  blasphé- 
mant et  en  lui  jetant  des  sorts.  Mais  les  démons  emportent 
les  blasphémateurs,  auxquels  ils  fracassent  le  crâne,  et  les 
sorciers  sont  engloutis  par  la  terre  qui  s'entrouvre  sous 
leurs  pas^. 

1.  Cf.    làin,  p.  589  etSerglige  Conculaind,  éd.  Windisch,  p.  218  ss. 

2.  Muirchu,  p.  281. 

3.  Muirchu,  p.  281  ;  Tlrechân,  p.  307,  p.  325  s. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  105 

En  général,  la  vie  entière  du  saint  n'est  qu'une  série  de 
batailles.  Il  confond  les  druides,  il  chasse  les  démons  qui 
habilaionl  les  idoles,  il  suscite  un  tremblement  de  terre 
qui  fait  de  nombreuses  victimes  lorsqu'on  essaye  d'attenter 
à  sa  vie.  Dans  toutes  ces  luttes  les  puissances  surnaturelles 
sont  seules  en  jeu.  Les  hommes  ordinaires  n'y  assistent 
qu'en  spectateurs,  sauf  dans  le  cas  du  tremblement  de 
terre,  qui  d'ailleurs  est  plutôt  la  sanction  d'un  crime  qu'une 
forme  du  combat.  Toutes  ces  batailles  peuvent  être  consi- 
dérées comme  parallèles  aux  batailles  des  dieux  païens. 

111.  Le  thème  de  la  libération  dans  la  légende  de  saint 
Patrick.  —  Elles  le  peuvent  être  d'autant  plus  que  leur 
issue  est  représentée  comme  une  libération. 

Les  Irlandais  sont  un  peuple  naturellement  enclin  à  la 
Foi  du  Seigneur.  Leurs  sages  anciens,  leurs  législateurs 
avaient  même  reçu  l'inspiration  directe  du  Saint-Esprit'. 
Mais  la  tyrannie  des  démons  pèse  sur  le  pays,  ils  infestent 
le  territoire  entier  et  se  servent  des  méchants  druides 
pour  opprimer  les  Ames.  Patrick  est  le  champion  divin  qui 
brise  ce  joug  odieux. 

Une  menace  de  son  bAton  sufïit  pour  faire  fuir  un  esprit 
malin  qui  animait  une  idole".  Tous  les  démons  sont  forcés 
de  quitter  l'Irlande  à  jamais,  tourmentés  par  le  son  de  la 
clochette  du  saint,  qu'on  entend  partout^  Il  en  est  de 
même  des  serpents  et  des  dragons 

Patrick  a  même  rendu  impossible  le  retour  de  l'ancienne 
tyrannie.  Il  a  obtenu  de  Dieu  que  l'île  ne  souffrît  point  de 
la  persécution  de  l'Antéchrist.  Sept  ans  avant  le  Jugement 

1.  Ancient  Laws  of  Ireland,  I,  p.  1  ss.:  «jugements  de  la  vraie  nature 
que  le  Saint-Esprit  avait  prononcés  par  la  bouche  des  brelhemain 
(jurisconsultes)  et  des  justes  poètes  d'entre  les  hommes  d'Irlande.  » 
(Introduction  au  recueil  de  droit  dit  Senchus  Môr). 

2.  Vie  Tripartite,  p.  90;  Colgan,  Vita  III',  cap.  46. 

3.  Vie  Tripartite,  p.  H8. 


106  SAINT    PATIUCK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Dernier  l'Irlande  sera  engloutie  par  les  Ilots,  pour  ne  repa- 
raître qu'au  moment  où  les  morts  iront  se  réunir  à  la  vallée 
de  Josaphat'. 

Enfui,  la  légende  associe  la  réussite  môme  de  la  mission 
de  saint  Patrick  à  sa  libération  personnelle,  qui  est  en  même 
temps  une  libération  du  joug  païen.  Arrivé  en  Irlande,  le 
saint  comprend  qu'il  lui  faut  avant  tout  porter  le  prix  de 
son  rachat  au  chef,  qui  l'avait  autrefois  tenu  en  captivité. 
Mais  ce  chef  préfère  se  donner  la  mort  qu'accepter  ce  prix 
—  car  il  sait  que  son  ancien  esclave  lui  apporte  les  trésors 
de  la  Foi,  et  que  c'est  lui  qui  deviendra  le  maître.  Or 
l'ancien  oppresseur  de  saint  Patrick  était  un  druide  fort 
expert  dans  l'art  des  maléfices  ■. 

La  libération  personnelle  de  l'apôtre  est  ainsi  un  prélude 
symbolique  à  la  libération  du  peuple  irlandais.  Elle  est, 
d'autre  part,  un  rappel  des  anciens  mythes,  dans  lesquels 
on  voyait  la  mort  de  l'oppresseur  faire  de  l'esclave  un 
maître,  la  mort  du  père  libérer  le  fils. 

II 

iMYTHES  ET  LÉGENDES  DES  FÊTES  IRLANDAISES 
LE  SACRIFICE  ET  LES  COMB.ATS  DES  DIEUX 

Nous  n'avons  pas  encore  rendu  compte  du  fait  que  les 
épisodes  de  ces  mythes  ont  lieu  à  des  jours  de  fête. 

Divisions  de  l'année  irlandaise.  —  Voyons  donc  quelles 
sont  ces  fêtes. 

L'année  irlandaise  est  divisée  en  deux  grandes  périodes 
de  six  mois,  la  mauvaise  et  la  belle  saison,  dont  chacune 

1.  Colgan,  Vita  III',  cap.  85;  Cf.  Continuateur  de  Tirechân  dans  Tri- 
partite  Life,  II,  p.  331. 

2.  Muircbu,  p.  275  s. 


LA    LÉr.ENDE    DE    SAINT    PATRICK  107 

compte  à  son  tour  deux  saisons  de  trois  mois.  Celles-ci 
sont  subdivisées  en  demi-saisons  de  (iiiarante-cinq  jours 
et  en  périodes  de  quai-anle  jours*. 

Le  premier  jour  de  chaque  saison  est  une  fête  solennelle. 
Ce  sont  :  Samhain^  ou  Samhtnn,  qui  tombe  le  l"  novembre 
et  ouvre  la  période  hivernale  de  six  mois*;  Beltaine,  pre- 
mier jour  de  la  période  correspondante  d'été  et  qui  coïncide 
avec  le  l'"*"  mai 3;  Lugnasad'  et  Oimelc,  ou  Imbulc'^^  fêtes 
qui  marquent  le  début  de  l'automne  et  du  printemps  et  qui 
sont  célébrées,  la  première  au  l"""  août  et  la  seconde  au 
l"*"  février. 

Les  demi-saisons  et  les  périodes  de  quarante  jours  com- 


\.  Suivant  M.  Lolh,  arl.  cité,  l'année  celtique  a  encore  compté  des 
mois  de  vingt-sept  jours.  Mais  on  n'en  trouve  pas  trace  dans  l'épopée 
irlandaise  ni  dans  les  documents  sur  les  fêtes  ou  les  dates  critiques  des 
Gôidels.  Pour  les  périodes  de  quarante  et  quarante-cinq  jours  cf.  ci- 
dessous. 

:i.  Cf.  Giossary  ta  the  Calendar  of  Oengus  the  Culdee,  éd.  Whitley 
Stokes  dans  Tkree  Irish  glossaries.  p.  137;  cf.  Fëlire  Oenqusso,  éd.  de  la 
Henry  Bvadshaw  Society,  au  i"  novembre  :  cf.  aussi  H.  d'Arbois  de 
Jubainville,  Les  Assemblées  publiques  de  l'Irlande  (Extrait  du  Compte- 
Rendu  de  l'Acad.  des  Inscriptions  et  Belles-Letlres),  Paris,  Picard,  1880, 
p.  20. 

3.  La  fétc  du  1"  mai,  le  May  Day  des  Anglais,  porte  encore  le  nom 
de  Bellene  en  Ecosse  et  en  Irlande,  cf.  The  Folk-Lore  Journal.  Sur  la 
date  ancienne,  cf.  Kuno  Meyer,  llibernica  Minora,  dans  Aiiecdota  Oxo- 
niensia  {Mediaeval  and  Modem  Séries,  part.  VIII).  O.xford,  1884,  p.  49. 
—  Un  autre  nom  de  Beltaine  était  Cetsoman  :  Sanas  Cormaic,  édit, 
Kuno  Meyer,  p.  24,  an  mot  Cétsamun. 

4.  C'est  la  fête  actuelle  de  Lamnas,  Lamnastide.  Sur  la  date  ancienne 
cf.  O'Curry,  On  llie  Manners  and  custonis  of  Ihe  ancieni  Ii-ish,  Dublin, 
1873,  II,  p.  bSi  s.  et  p.  547  :  Joyce,  A  Social  histoj'y  of  ancieni  Ireland, 
Londres,  11)03,  II,  p.  380.  Un  autre  nom  de  Lugnasad  était  Bron- 
trogain. 

0.  Satias  Cormaic ,  éd.  Kuno  Meyer,  sub  Oimelc.  — Dans  la  Tâin  Bô 
Càalnge  les  mots  co  laite  n-imbnilc  de  la  version  du  Livre  de  Leinster 
(éd.  citée  lignes  :!J900,  31S6,  4J'j:i)  sont  remplacés  par  go  taille  n-ear- 
raig/i,  «  jusqu'au  printemps  »  dans  la  version  du  Ms.  Sloive  (Windisch, 
Tdm,  glossaire,  au  molimbulci  et  cossin  celdin  in  n-imbulc  (ibid.  1.  24T3) 
est  dans  Stowe  :  cossin  cetàin  ier  b-fel  Brigde  (ibid.,  p.  345,  note  9), 
«  jusqu'à  mercredi  après  la  fôte  de  Brigit  »,  c'est-à-dire,  après  le 
1"  février;  Cf.  Fëlire  liai  Gormdin,  édit.  Whitley  Stokes,  p.  28  (1"  fé- 
vrier) . 


108  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

menccnt  également  par  des  fêtes.  On  les  désigne  par  les 
noms  de  leurs  saints  patrons'. 

De  toutes  ces  fêles  celles  de  Samhain,  de  Beltaine  et 
de  Lugnasad  ont  été  les  dates  de  grandes  solennités,  dès 
le  plus  ancien  temps  auquel  les  textes  nous  permettent  de 
remonter.  On  ne  sait  en  revanche  rien  sur  la  manière  dont 
les  païens  célébraient  Imbulc,  qui  devint  plus  tard  la  fête 
ecclésiastique  et  populaire  de  sainte  Brigit,  ni  sur  les  autres 
fêtes,  dont  certaines  sont  devenues  depuis  d'importantes 
solennités  chrétiennes. 

Nous  étudierons  les  trois  grandes  fêtes  irlandaises  con- 
jointement, afin  de  pouvoir  comparer  les  représentations 
qui  leur  sont  attachées. 

1.  Ce  sont  d'abord,  en  comptant  à  partir  de  Samhain  ;  le  12  décembre, 
quarante  et  unième  jour,  la  Saint-Finnian  ;  quarante  et  un  jours  après, 
le  22  janvier,  lanniversaire  de  la  mort  des  filles  de  saint  Comgall.  puis, 
après  deux  nouvelles  périodes  pareilles,  la  fête  de  saint  Ciaran  de 
Saighir,  le  5  mars,  et  celle  de  saint  Ruadan,  ou  Rodan,  le  15  avril. 
Quarante  jours  après  Beltaine  on  a  la  Saint-Columcille,  le  9  juin,  et,  de 
même,  après  Lugnasad,  la  fête  de  saint  Ciaran  de  Clonmacnois,  dit 
mac  in  t-sair  (fils  d'artisan).  Cf.  Félire  Oengusso,  éd.  de  lyOb,  pp.  251, 
37,  80,  106.  139,  193.  Les  fêtes  de  demi-saison  sont  :  la  Sainl-l'atrick, 
fixée  au  17  mars  dans  les  Martyrologes,  mais  dont  Tirechân,  p.  333, 
dit  expressément  quelle  doit  être  célébrée  in  medio  neris  et  pendant 
trois  jours,  c'est-à-dire  du  15  au  17;  la  Saint-Moling,  qui  tombe  au 
17  juin  [Félire.  p.  141)  et  la  fête  de  saint  Coeman  Brecc,  le  14  septembre 
(ibid.,  p.  194).  —  L'importance  de  ces  fêtes  ressort  d'abord  de  ce  qu'elles 
sont  placées  sous  l'invocation  des  plus  grands  saints  irlandais,  dont 
plusieurs,  les  saints  Finnian,  Columcille,  Ciaran,  Comgall.  Ruadan, 
sont  nommés  entre  les  «  douze  apôtres  de  l'Irlande  »  (Félire,  Notationes, 
p.  168  et  Prologue,  vers  181  ss.,  p.  25)  et  autour  desquels  la  floraison 
légendaire  est  la  plus  touffue.  De  plus  ce  sont  des  fêles  non  seulement 
ecclésiastiques,  mais  populaires,  dans  les  rites  desquelles  on  relève  des 
survivances  du  paganisme  (cf.  à  ce  sujet  Wood-Martin,  Traces  of 
elder  faiths  in  Ireland,  Index,  aux  noms  des  saints  en  question).  Saint 
Molingestle  patron  de  Luachra  Dedad,  un  lieu  d'assemblée  périodique 
païenne  des  plus  importantes  dans  le  sud  de  l'Ile.  (Cf.  plus  loin, 
chap.  IV.)  Enfin  certaines  de  ces  fêtes  sont  la  date  de  mythes  païens. 
C'est  à  la  Saint-Columcille  que  finit  la  bataille  entre  les  Tùatha  Dé 
Danann  et  les  Fir-Bolg  (elle  commença  le  premier  jour  de  la  sixième 
semaine  après  Beltaine  et  dura  quatre  jours).  Une  autre  bataille  a  eu 
lieu  à  la  Saint-Finnian,  bataille  qui  est  le  sujet  d'un  récit,  Cath  Almaine, 
dont  le  caractère  de  mythe  festival  sera  démontré  plus  loin,  p.  127  ss. 
Pour  la  Saint-Patrick,  voir  ci-dessous. 


la  légende  de  saint  patrick  109 

Caractère  géiséral  des  assemblées  de  fête  en  Irlande. 
—  Les  fôtes  sont  en  Irlande  roccasion  de  grandes  assem- 
blées populaires,  qui  concentrent,  pour  ainsi  dire,  toutes 
les  manifestations  de  la  vie  sociale'. 

EUles  sont  d'abord  de  grandes  solennités  religieuses^. 

C'est  aux  assemblées  de  fôte  qu'ont  lieu  les  foires  et  les 
échanges.  La  vie  économique  y  atteint  son  maximum  d'in- 
tensité*. 

On  y  conclut  aussi  des  mariages,  en  particulier  des 
mariages  temporaires,  pour  un  an'. 

Les  assemblées  sont  encore  le  moment  où  les  litiges  sont 
soumis  à  l'arbitrage  des  brethemain^  les  juristes  de  pro- 
fession. C'est  pendant  ces  réunions  qu'on  modifie  les  lois 
anciennes  et  qu'on  en  édicté  de  nouvelles.  On  y  procède 
de  même  au  règlement  de  toutes  les  questions  politiques'. 

Enfin  les  fêtes  donnent  lieu,  comme  de  raison,  à  de 
grandes  réjouissances  publiques,  parmi  lesquelles  les  audi- 
tions des  poètes  et  des  musiciens*,  les  banquets  et  les  jeux 
athlétiques  tiennent  le  plus  de  place, 

Une  trêve  marque  le  temps  de  la  fête.  Il  est  interdit  de 
s'y  rendre  en  armes  \ 

La  participation  à  l'assemblée  festivale  est  obligatoire. 

1.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Assemblées,  p.  5  ;  p.  8. 

2.  Cf.  ci-dessous,  p.  111  ss. 

3.  Ibid.,  p.  16;  cf.  Sanas  Cormaic,  éd.  citée,  p.  32,  au  mot  Coibehi. 
11  y  avait  à  Tailliu,  où  se  tenait  une  gtande  assemblée  à  Lugnasad, 
une  colline  appelée  tulack  na  coibche  «  Colline  du  Marché  »  ;  cf.  aussi 
Aenach  Carmain,  poème  publié  par  O'Gurry  dans  Manners  and  Cus- 
toms,  m.  Appendice  111. 

4.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Assemblées,  p.  8  et  p.  12. 

a.  O'Curry,  Mannei's  and  Cusloms,  II,  p.  8  ss.  ;  pour  exemple  cf. 
Aenach  Carmain,  loc.  cit.,  :  les  affaires  du  Leinsler  sont  réglées  tous 
les  trois  ans  à  la  fêle  de  Carman. 

6.  Aenach  Carmain,  loc.  cit.,  strophes  58  à  65. 

7.  Joyce.  Sucial  history,  II,  p.  448  ;  Ancient  Laws,  III,  p.  265  ;  cf. 
Tfte  Death  of  Kinrj  Uermot  dans  Silva  Gadelica,  II,  p.  77  ;  Boroma  [Tlie 
Tribule),  ibid.,  p.  402. 


110  SAINT    PATRICK    ET    I-E    CL'LTE    DF.S    HEROS 

On  ne  peut  s'y  soustraire  sans  sanction.  Tout  Ulale  qui 
manquait  de  se  rendre  h  la  f<^te  de  Samhain,  que  le  roi 
Conchobar  présidait  à  Emain  Mâcha  chaque  année,  deve- 
nait immédiatement  fou  et  mourait  dans  la  journée*.  Les 
lois  irlandaises  obli<:^ent  les  pères  nourriciers  des  jeunes 
nobles  à  leur  fournir  des  chevaux  pour  aller  aux  fêtes  et 
prendre  part  aux  courses*. 

Diverses  CATÉGORIES  d'assemblées  festivales.  les  assem- 
blées NATIONALES.  —  En  Irlande  chaque  clan  célèbre 
Samhain,  Bcltaine  et  Lugnasad  pour  son  propre  compte.  A 
côté  de  ces  fêtes  particulières  il  y  a  aux  mêmes  dates  des 
solennités  de  royaumes  provinciaux  et  de  grandes  assem- 
blées où  est  représentée  llrlande  entière. 

Celles-ci  ont  lieu  dans  la  Plaine  de  Breg,  l'assemblée  de 
Samhain  à  Tara,  celle  de  Beltaine  à  Uisnech  Midi  et  celle 
de  Lugnasad  à  Tailtiu^. 

La  première,  qu'on  désignait  aussi  par  le  nom  de  Fête  de 
Tara,  Féis  na  Temrach,  était  la  plus  importante.  C'est 
à  cette  assemblée  qu'avait  lieu  l'élection  du  roi  suprême  * 
et  le  droit  de  la  convoquer  constituait  un  des  privilèges  de 
ce  souveraine 

La  Fête  de  Tara  était  périodique  en  principe  *,  mais  les 

1.  Fragment  du  récit  intitulé  Naissance  et  règne  de  Conchobar,  publié 
par  M.  Windisch  dansi?"wc/ie  Texte,  III,  p.  210. 

2.  Ancient  Laws  of  Ireland,  II,  p.  154. 

3.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Assemblées,  p.  21  s.  ;  O'Curry,  op.  cit., 
II,  p.  S  ss.  ;  cf.  The  Dealh  of  King  Dermot,  loc.  cit.,  p.  77  ;  The  Birlh  of 
Aedh  Slàine,  ibid .,  p.  88  :  Keating.  éd.  Dinnoen  (suite  de  l'éd.  Comyn), 
publ.  de  ïlrish  Texts  Soc.  VIII,  p.  246  ss. 

4.  Cf.  élection  du  roi  Lugaidh  Riabn-derg  dans  Serglige  Concvlaind, 
loc.  cil.,  §  21  ss.  et  élection  du  roi  Conn  Cetcathach  dans  Cath  Muighe 
Léana. 

5.  John  ODonovan,  The  Book  of  Righls,  now  for  the  first  time  edited 
by...  Dublin,  Celtic  Society,  1847. 

6.  Elle  était  célébrée  tous  les  trois  ans  suivant  Keating,  éd.  Dinneen, 


LA    LK(JENDE    I>E    SAINT    PATRICK  Hl 

rois  de  l'époque  historique  paraissent  ne  l'avoir  ordonnée 
qu'en  cas  de  nécessité.  En  d'auties  lieux  les  assemblées  de 
Samhain  se  réunissaient  annuellement,  ou  bien  tous  les 
trois  ans.  La  fôte  durait  trois  jours,  Trene  Samna  '. 

Quant  t\  la  célébration  de  Lup^nasad  b.  Tailtiu  et  à  celle 
de  Beltaine  à  Uisnccli  Midi,  elles  paraissent  avoir  eu  lieu 
annuellement,  et,  en  tant  que  solennités  du  royaume  de 
Meath,  avoir  dépendu  des  rois  suprêmes''.  Mais  on  ne  sait 
rien  sur  le  temps  qui  séparait  deux  assemblées  pangôidé- 
liques  aux  mêmes  dates  et  aux  mêmes  endroits. 

D'ailleurs  la  périodicité  des  deux  fêtes  en  question  a 
varié  suivant  les  lieux.  Ainsi  la  grande  assemblée  provin- 
ciale du  Leinster  fl  Carman,  qui  se  réunissait  à  la  fête  de 
Lugnasad,  était  tenue  une  fois  tous  les  trois  ans.  Elle 
durait  sept  jours'. 

Rituel  général  des  fêtes.  Offrandes  de  prémices. 
—  On  a  dit  tout  à  l'heure  que  les  trois  grandes  fêtes  irlan- 
daises étaient  des  solennités  religieuses. 

Elles  comportent  d'abord  des  offrandes  de  prémices.  Un 
récit  épique,  la  Cour  faite  à  Emei\  dit  qu'à  Beltaine  on 


Irish  Testa  Soc,  VFII.  p.  432  et  p.  250.  Dans  le  morceau  épique 
Birlhof  AedhSUiine.  loc.  cit.,  II,  i).  88,  il  est  dit  que  la  fête  de  Tara 
était  célébrée  à  c/ia7Me  Samhain.  —  Tara  ayant  été  détruite  au  vi«  siècle, 
et  la  dernière  fêle  de  Tara  ayant  eu  lieu  en  560,  on  manque  de  docu- 
ments directs  sur  les  dates  des  célébrations  successives,  puisque  les 
chroniques  irlandaises  relatives  à  ces  temps  reculés  sont  très  succintes, 
et  souvent  même  tirent  leurs  informations  de  l'épopée.  Sur  la  célébra- 
tion cf.  poème  d'Eochaidh  Eolach  dans  Keating,  loc.  cit. 

4.  Serglige  Conculaind,  loc.  cit.,  p.  205,  §  4.  Naturellement  les  assem- 
blées et  les  foires  ont  pu  à  diverses  époques  et  dans  divers  lieu.x  durer 
plus  longtemps.  Ainsi  l'assemblée  de  Tara  durait  sept  jours  suivant  cer- 
tains documents,  un  mois  suivant  d'autres,  ou  bien  même  six  semaines. 
Cf.  Joyce,  op.  cit..  Il,  p.  436.        , 

2.  Birlh  of  Aedh  Slâine,  loc.  cit.,  p.  88  (Tailtiu);  Deatk  of  King 
Dermot,  loc.  cit.,  p.  77. 

3.  Aenach  Carmain,  loc.  cit.,  p.  512  et  529  ss. 


112  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

donnait  au  dieu  Bel  le  croît  de  toutes  les  sortes  de  bétail  '. 
A  Samhain,  suivant  un  autre  récit,  la  Bataille  de  Crinna, 
les  druides  offraient  aux  dieux  des  glands  et  une  partie 
des  récoltes*.  C'est  à  la  même  date  que  les  fils  de  Nemed 
payaient,  on  se  le  rappelle,  leur  tribut  de  lait  et  d'enfants 
aux  Fomôraig.  Les  Dinnsenchas,  recueil  de  légendes  locales 
compilé  au  xii"  siècle,  parlent  d'offrandes  de  nouveau-nés 
faites  par  les  Gôidelsà  une  idole,  Cromm  Grùaich,  à  Mag 
Slecht,  le  jour  de  Samhain  \  A  Tailliu  également  on  tuait 
des  bestiaux  en  l'honneur  des  dieux  et  on  brûlait  les  pre- 
miers-nés *. 

Le  SACRIFICE  DES  FÊTES.  —   FeSTINS  SACRIFICIELS.  —  LcS 

fêtes  comportaient  un  sacrifice. 

La  viande  que  l'on  consommait  aux  banquets  provenait 
d'animaux  sacrifiés. 

C'était  de  la  viande  de  porc  ' .  Le  Glossaire  d'O'Da- 

1.  Tochmarc  Emire,  éd.  Kuno  Meyer,  Rev.  Celtique,  XI.  p.  442  :  Do 
asselbhthea  dine  cecha  celra  for  se(i)lb  Be(i)l.  Del-dine  iarom.  i. 
Bellline. 

2.  The  Battle  ofCrinna,  éd.  Standish  Hayes  OGrady,  dans  Silva  Gade- 
lica,  vol.  trad..  p.  360;  Keating,  éd.  Dinneen,  vol.  cité,  p.  246. 

3.  Dinnsenclias  métriques  de  Mag  Slecht,  éd.  Kuno  Meyer  dans  The 
Voyage  of  Bran,  II,  Londres  1897,  app.  B,  strophe  4  : 

Do  cen  bùaid  A  lui  sans  gloire 

marbtais  a  claind  toirsig  trûaig,  Ils  tuaient  leur  progéniture  pi- 

toyable, misérable 
co  n-immud  guil  ocus  gàid,  Avec  beaucoup  de  lamentations 

et  péril 
a  fuil  do  dàil  imm  Chromm  Crû-  Pour  verser  leur  sang  autour  de 

aich  Cromm  Crùaich. 

4.  Dinnsenchas  métrique  de  Tailtiu,  dans  le  Livre  de  Ballymote, 
p.  404,  1.  4  et  5  du  fac-similé  publié  par  Robert  Atkinson  pour  l'Aca- 
démie Royale  d'Irlande,  Dublin.  1887. 

Na  leora  fola  fillte  Les  trois  sangs  défendus 

ro  pridchais  Palraic  indte  (Patrick  y  prêcha)  : 

dam,  ocus  guin  bo  m-blicht.  Bœufs  et  tuer  vaches  à  lait 

loiscid  leis  fas  imprimichl.  Aussi  contre  l'action  de  brûler  les 

premiers-nés  (?J. 
1.  Cf.  par  exemple  le  festin  de  Samhain  dans  The  Death  of  Muircer- 


LA    LEGENDE    DE    SALNT    PATRICK  113 

vorcn  nous  apprend  qu'à  Samhain  chacun  devait  î\  son 
suzerain  une  offrande  nommée  fuirec  :  c'était  un  porc  qui 
était  tué  et  mangé*.  Saint  Adamnan,  qui  florissait  au 
vil*  siècle,  certifie  qu'on  engraissait  les  porcs  en  automne 
pour  en  égorger  de  grandes  quantités  au  début  de  l'hiver, 
c'est-à-dire  à  Samhain  '.  Ce  sont  ces  porcs  qu'on  man- 
geait au  banquet  festival. 

Les  porcs  sont  des  animaux  impurs  en  Irlande.  Il  est 
interdit  aux  rois  et  aux  nobles  de  les  garder  daus  l'enclos 
sacré  qui  entoure  leur  demeure  *.  D'autre  part  les  porchers 
sont  des  personnages  importants  ^  Xous  avons  donc 
affaire  à  des  animaux  sacrés. 

Les  dieux  qui  vivent  dans  un  état  de  fête   perpétuelle 

tachmac  Erca,  §§  19,  22,  dans  Rev.  Celtique,  XXIII,  p.  408  s.  p.  410  s. 
En  général  la  viande  de  porc  est  servie  aux  banquets  d'honneurs.  Cf.  par 
exemple,  Saissance  et  régne  de  Conchobar,  dans  Irische  Texte,  H,  p.  210 
(le  héros  Fergus  dévore  chaque  jour  sept  porcs  et  sept  bœufs)  et  sur- 
tout Scél  MucciMic-Datho.  éd.  Windisch,  dans  Irische  Texte,  I,  p.  96  ss. 
(description  d'un  festin  de  viande  de  porc).  Cf.  description  des  ban- 
quets de  Tara  dans  O'Curry  Manners  and  Customs,  II,  p.  15. 

2.  O'Davoren's  Glossary,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Archiv  f.  Celtische 
Lexikographie,  II,  p.  366,  n»  978  :  Fuirec.  i.  nomen  bid  fearthar  ria  not- 
laicc.  ut  est  f(a)  er,  fuirec  ocunrl.  i,  in  banb  samna  (Fuirec.  c'est  le  nom 
de  la  nourriture  offerte  (au  seigneur)  avant  Noël,  ut  est  faer,  fuirec,  etc., 
c'est-à-dire  le  cochon  de  Samhain).  —  Cf.  ibid.,  p.  363.  n"  977  :  Faer.  t. 
ainm  bid  doberar  do  ligerna  isin  fogmur,  ut  est  faer,  fuirec,  furnaide, 
Nô  faer.  i.  in  mult  fogmuir.  i.  iar  inbuain  (Faer,  c'est  le  nom  de  la 
nourriture  offerte  au  seigneur  en  automne,  ut  est  faer,  fuirec,  fur- 
naide. Ou  bien  faer  est  le  mouton  d'automne,  c'est-à-dire,  après  le 
printemps  (?).  —  Cf.  aussi,  ibid.,  p.  367,  n»  983.  sous  Furnaidhe.  On 
nomme  ainsi  la  nourriture  consommée  en  hiver  entre  le  Nouvel  An  et  la 
Chandeleur,  ou  jusqu'à  Bellaine,  et  qui  consiste  en  salaisons  et  sau- 
cisses. 

3.  \'ita  Columbae,  édit.  Reeves  (publications  de  la  Irisk  Archseol.  and 
Cellic  Society),  p.  135. 

4.  Ancient  Laus  of  Ireland,  IV,  p.  382. 

3.  Cf.  Hanas  Cormaic  éd.  Kuno  Meyer,  p.  75  sub  Mugh-éme.  —  Les 
porchers  irlandais,  semblables  en  ceci  à  nos  bergers,  étaient  plus 
particulièrement  capables  d'avoir  des  accointances  avec  les  puis- 
sances occultes.  C'est  à  eux  que  se  révèlent  les  esprits.  Cf.  la  légende 
de  la  fondation  de  Cashel,  chez  Keating,  éd.  Comyn,  p.  124,  et  O'Curry. 
Mss.  Materials,  pp.  485  et  623.  Deux  porchers  voient  un  chœur  d'anges 

CZARNOWSKI.  8 


114  SAIM     PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    IIÉHOS 

passent  leur  temps  à  des  festins  de  viande  de  porc  '.  Ces 
porcs  renaissent  dès  qu'ils  sont  mangés.  Une  légende  qui 
raconte  la  mort  du  roi  Muircertach  mac  Erca  dit  comment 
ce  héros  et  ses  guerriers  mangèrent  de  ces  porcs  divins  au 
banquet  de  Samliain'-. 

Le  porc  de  Samhain  est  donc  une  victime  rituelle,  sa 
mort  un  sacrifice.  Les  festins  de  cette  fête  sont  des  ban- 
quets sacrificiels. 

Le  feu  de  fête. —  Ses  caractères  généraux. —  Mais  le 
rite  qui  est,  pour  ainsi  dire,  au  centre  même  des  cérémonies 
religieuses  à  Samhain  comme  à  Beltaine,  consiste  à  allumer 
un  feu.  On  y  procède  la  veille  de  la  fête  au  soir,  avant  le 
banquet. 

Ce  feu  est  un  feu  nouveau.  La  veille  de  Samhain  tous 
les  foyers  d'Irlande  doivent  être  éteints  sous  peine  de  mort\ 
On  les  rallume  au  bûciier  sacré.  On  les  rallume  aussi  au 
feu  de  Beltaine,  qui,  suivant  le  Glossaire  de  Comme,  était 
suscité  par  les  druides  au  moyen  d'incantations*. 

Le  feu  de  Beltaine  avait  en  outre  des  vertus  lustrales 

chanter  sur  le  sommet  du  roc  de  Cashel.  Ce  chœur  angélique  n'est  que 
l'ancienne  ronde  des  fées  christianisée.  En  effet  le  Rock  of  Cashel  éia'û 
un  lieu  hanlé  ainsi  que  l'indique  son  nom,  Sidh  Druimm,  la  «  Crète  du 
Palais  des  Génies  ».  —  On  connaît  dcu.\  porchers  dieux  dont  l'histoire 
est  traitt'O  dans  le  récit  de  la  Génération  des  deux  Porchers  (éd.  Win- 
disch  dans  Irische  Texte  III,,  avec  traduction.  Traduction  de  la  version 
du  Livre  de  Leinster  dans  Voyage  of  Bran,  II,  p.  58  ss.,  autres  versions 
p.  66  ss.  Une  traduction  fran(,-aise  d'après  un  Ms  Egerton  a  été  publiée 
par  H.  d'Arbois  de  Jubainville  en  appendice  au  livre  Les  Druides  et  les 
dieux  celtiques  à  formes  d'animaux). 

1.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  pp.  275  et  277,  cf. 
p.  318. 

2.  Cf.  plus  loin,  p.  118. 

3.  Keating,  éd.  Dinneen,  vol.  cité.  p.  246  :  les  druides  allument  à 
Samhain  un  feu  à  Tlachtga,  dans  la  Plaine  de  Breg  et,  pendant  que 
ce  feu  brûle,  tous  les  foyers  de  l'Irlande  doivent  être  éteints.  —  Cf.  d'Ar- 
bois de  Jubainville,  Assemblées,  p.  21. 

4.  Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  12,  au  mot  Belllaine  :  Belltaine. 
i.  beil-tine.   i.    tene  bil.   i.   dà  tene  sôinmech,  dognitis  na  dràilhe  co 


LA    LÉGENDE    DE    SAJNT    PATRICK  115 

et  régénéialriees.  Le  Glossaire  déjà  cité  nous  apprend 
qu'on  y  amenait  le  bétail  afin  de  le  préserver  des 
maladies  '.  Aujourd'hui  encore  le  jour  de  Beltainc  on  fait 
passer  dans  le  môme  but  les  bétes  à  cornes  entre  deux  feux 
voisins'. 

Mais  l'importance  rituelle  des  feux  de  Beltainc  et  de 
Samhain  consiste  surtout  en  ce  qu'ils  sont  des  feux  sacri- 
ficiels. A  défaut  de  témoignages  directs  nous  le  conclue- 
rons  de  l'analyse  des  mythes  qui  s'y  rattachent. 

De  la   correspondance   des  mythes  et  des    rites,   tant 


tincetlaib  moraib  —  (Bellaine.  c'est-à-dire,  bil-lene,  c'est-à-dire,  feu 
bienfaisant,  ce  sont  deux  feux  que  les  druides  produisaient  par  le  moyen 
de  grandes  incantations  (ou  avec  incantations).  »  —  Cf.  Dinnsenchas 
du  Ms.  de  Rennes,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Rev.  Celtique,  XV,  p.  297, 
n»  7  [Midé)  :  Mide  fut  le  premier  qui  alluma  un  feu  en  Erin  à  Uisnech 
pour  les  clans  de  Nemed.  et  tous  les  feux  d'Irlande  furent  allumés  à 
ce  feu. 'Ce  mythe  correspond  évidemment  à  un  rite.  On  répétait  chaque 
année  le  feu  d'Uisnech  :  on  devait  y  allumer  les  foyers  comme  on  le 
fll  pour  la  première  fois. 

1.  Sanas  Cor  maie,  suite  du  texte  cité  :  doberdis  na  cethra  atarro  ar 
tedmaiiduib  cec/ui  bliadna  —  «  ils  amenaient  à  ces  feux  les  bestiaux 
contre  les  maladies  de  chaque  année.  »  Cf.  Keating,  éd.  Dinneen, 
vol.  cité,  p.  24G. 

2.  Joyce,  op.  cit..  I,  p.  291  :  on  fait  passer  le  jour  de  Mai,  ou  bien  la 
veille  de  la  Saint-Jean,  les  bestiaux  entre  deux  bonfires.  Pour  guérir  les 
bêtes  malades  on  allume  un  feu  nouveau  en  frottant  deux  bouts  de 
bois  l'un  contre  l'autre  et  on  procède  comme  ci-dessus.  —  Les  feux 
de  fêtes  étaient  très  répandus  en  Irlande  et  on  les  allume  encore 
en  certaines  localités.  Par  exemple  dans  le  comté  Donegal  on  allume 
des  feux  le  Jour  de  Mai  (Beltaine),  la  veille  de  la  Saint-Jean  et  au 
!•'  août  (Luguasad).  — Jusqu'en  fîSS  on  plantait  au  Jour  de  Mai  dans  la 
paroisse  de  Maghera  (Down)  un  maypole  sur  la  place  du  marché,  on 
nommait  un  Hoi  et  une  Heine  de  Mai  et  le  jour  suivant  on  organisait  un 
festin.  Une  quête  couvrait  les  frais  de  la  cérémonie.  Aujourd'hui  on 
allume  à  Maghera  des  bonfires  la  veille  de  la  Saint-Jean,  et  le  jour  sui- 
vant les  franc-maçons  de  l'endroit  se  réunissent  en  un  banquet  {The 
Folk-Lore  Journal  de  Londres.  II.  1884,  p.  90  s. —  Cf.  Evelyn  Marlinesco 
Cesaresco.  ibid.,  I,  1883,  p.  158  :  «  in  some  parts  of  Ireland  they  sfill 
plant  a  may-lree  or  may-bush  before  the  door  of  the  farm  house, 
throwing  it  at  sundown  into  a  bonfire  ».  —  Dans  la  paroisse  de  Cahir- 
corney  on  plante  la  veille  de  la  Saint-Jean  des  pieux  sur  le  faite  des 
plus  hautes  collines.  Au  sommet  de  ces  pieux  sont  attachés  des  paquets 
de  paille  et  l'on  fait  des  feux  au[our  (Ibid.,  II,  1884,  p.  213).  —  Sur  les 
rites  de  l'Arbre  de  Mai  et  du  feu,  cf.  Mannhardt,  Wald-und  Feldkulle, 
2»  éd.  posthume,  Berlin,  1904,  I  p.  160  ss.  clpassim. 


416  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

(l'excmplos  ont  été  signalés,  qu'on  est  en  droit  de  la  con- 
sidérer comme  un  postulat  vérifié  par  l'expérience,  et  dont 
on  peut  se  servir  avec  prudence,  à  fin  de  démonstration. 

Personnages  divins  qui  meurent  aux  fêtes.  —  \.  La 
légende  de  Muircertach.  —  Un  exemple  typique  est 
fourni  par  le  récit  de  la  Mort  de  Muircertach  mac  Erca  ^ 

Muircertach,  fils  d'Erca,  premier  roi  d'Irlande  issu  de  la 
race  d'Eogan  ou  branche  septentrionale  des  Hûi  Xéill,  est  un 
personnage  historique,  qui  florissail  au  vi^  siècle".  Mais  dès 
le  X*  il  était  devenu  un  héros  épique'  et  cent  ans  plus  tard 

1.  l'ublié  sous  le  titre  The  Death  of  Muircertach  mac  Erca  par 
Whilley  Stokes  dans  Rev.  Celtique,  XXllI,  p.  396  —  p.  430,  avec  trad., 
d'après  le  Livre  Jaune  de  Lecan  (YBL),  qui  fut  copiée  au  xw  siècle,  et 
le  Ms.  H.  2.  7  du  Triiiity  Collège  de  Dublin,  qui  est  postérieur  de  cent 
ans  environ.  Une  partie  des  vers  intercalés  dans  la  prose  du  récit  ont 
été  omis  par  l'éditeur  «  as  merely  repealing  what  bas  been  already 
lold  in  clearer  language  ».  Av. -propos,  ibid.,  p.  395. 

2.  Muircertach  mac  Erca,  roi  d'Ailech  ou  des  Hùi  Néill  du  Nord, 
apparaît  pour  la  première  fois  dans  les  chroniques  comme  vainqueur 
du  roi  de  Munster  Ailill  Molt  dans  la  bataille  d'Ocha  en  482,  suivant  le 
Chronicon  Scotorum,  éd.  William  Hennessy,  collection  des  Masters  of 
ihe  liolls:  en  482  ou  483,  suivant  O'Flaherty  dans  Annals  of  the  Four 
Masters,  éd.  J.  O'Donovan  ;  en  482  ou  483  secundum  alios  suivant  les 
Annals  of  Ulster,  éd.  Will.  Hennessy  et  B.  Mac  Carthy.  En  484  [Chroni- 
con Scotorum,  sub  anno)  M.  gagne  la  bataille  de  Graine  ;  en  487  celle  de 
Cill  Osnaigh  dans  Mag  Fea  sur  Aengus  mac  Nathfraeich,  roi  de 
Munster  et  sa  femme  Eithne  Uatach,  fille  du  roi  de  Leinster  Criom- 
thann  mac  Enna  Cennselach.  Ce  Criomthann  avait  été  tué  en  484 
(Chronicon  Scotorum)  par  Eochaidh  Guinech  d'ibh  Bairrchc,  allié  de 
Muircertach.  11  s'agit  donc  d'une  longue  guerre  entre  les  Hùi  Néill,  qui 
prétendaient  à  la  souveraineté,  et  les  rois  du  sud.  (Sur  la  rivalité  du 
nord  et  du  sud  cf.  Cath  Muighe  Léana,  qui  en  raconte  la  cause.)  En  508 
Muircertach  devient  roi  d'Irlande.  En  ol8  il  vainct  Ardgal  mac 
Conaill  Crimthainne  maie  NéilT  dans  la  bataille  de  Detna  en  Uruimm 
Breg.  La  guerre  contre  le  Leinster  recommence  et  Muircertach  est 
vainqueur  des  troupes  de  cette  province  en  528  à  Cenn-Eich  et  Ath 
Sighe  et  en  530  à  Eblinn,  Mag  .Ailbe  et  Almain,  et  il  met  au  pillage 
Cliach  (Dublin).  La  même  année  il  bat  les  armées  du  Connaught  à 
Aidne.  Il  meurt  en  531  (Chronicon  Scotorum). 

3.  Un  poème  de  Cinaed  hùa  Arfacain,  mort  en  'J73,  mentionne 
Muircertach  dans  une  énuraération  des  grands  héros  anciens,  immé- 
diatement après  les  héros  des  cycles  épiques  d'Ulster  et  de  Leinster. 
Publ.  par  Whilley  Stokes  dans  Rev.  Celtique,  XXIII,  p.  310  ss.  (trad. 
p.  311),  strophe  26  .:  «  le  tombeau  du  noble  Muircertach  est  près  de 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  117 

on  connaissait  sur  sa  mort  tragique  des  poèmes,  dans  les- 
quels le  roi  se  noie  dans  un  tonneau  de  vin  et  est  brûlé  le 
jour  de  Samhain  par  la  faute  de  sa  concubine  '. 

Les  circonstances  essentielles  de  la  mort  de  Muircertach 
sont  les  mômes  dans  la  version  bien  connue  du  récit,  qui 
date  du  xiv"  siècle. 

Un  jour,  proche  de  Samhain,  le  roi  qui  revient  de  la 
chasse  ramène  en  son  chfttcau  de  Cletech  sur  la  Boyne 
une  femme  d'une  beauté  merveilleuse.  Elle  avait  consenti 
à  lui  donner  son  amour  sous  trois  conditions  :  le  roi  doit 
répudier  sa  femme  légitime  ;  aucun  clerc  ne  pénétrera 
jamais  dans  la  maison  qui  abrite  la  nouvelle  concubine 
royale  ;  jamais  Muircertach  ne  prononcera  le  nom  de  celle- 
ci. 

Elle  s'appelle  Osnad,  Easnadh,  Sîn,  Gaeth,  Garb^ 
Gem  adaig,  lasnad^  Taethan  —  ce  qui  signifie  :  Soupir, 
Son,  Tempête,  Vent-Apre,  Xuit-d'Hiver,  Cri,  Lamenta- 
tion, Gémissement.  Le  récit  la  désigne  le  plus  souvent 
par  le  nom  de  Sin,  Tempête-. 

Cletech  au  nord-est  ».  —  Un  poème,  attribué,  sans  dout«  faussement, 
à  Cennfaelarth  le  Savant,  qui  florissait  au  vu»  siècle,  et  qui  est  cité  par 
le  Chronicon  Scotoritm,  s.  a.  497,  chante  les  causes  de  la  bataille  de 
Seghais,  dans  laquelle  Muircertach  vainquit  le  roi  de  Connaught 
Duach  Tengumha. 

1.  Poème  cité  par  Tigernach,  mort  en  1088,  dans  ses  Annales^ 
éd.  Whitley  Stokos,  dans  Rev.  Celtique,  XVII,  p.  132,  sub  anno  531. 
Répété  Chronicon  Scolorum,  même  année  :  «  Muircertach  mac  Erca 
(fut)  plongé  dans  un  tonneau  de  vin,  et  brûlé  et  blessé  la  nuit  de 
Samhain  sur  la  hauteur  de  Cletech.  ainsi  que  le  dit  saint  Cairnech  : 
—  J'ai  peur  pour  la  femme,  autour  de  laquelle  s'agiteront  les  tempêtes 
nombreuses,  pour  l'homme  qui  sera  brûlé  et  que  le  vin  va  noyer  sur 
le  coteau  de  Cletech... 

Sin  est  la  femme  qui  t'a  tué,  ô  fils  d'Erca,  comme  je  le  croie.  Ses 
noms  sont  nombreux  (Cf.  plus  loin,  les  noms  de  Sin).  Elle  mettra 
quelqu'un  dans  l'ignorance. 

La  femme  dont  le  nom  est  Sin  n'est  pas  aimée  à  cause  du  roi,  que 
le  feu  brûlera,  que  le  vin  noiera  dans  la  maison  de  Cletech.  » 

2.  Cf.  Chronicon  Scotorum  l.  c,  (à  la  suite  du  poème)  :  «  Sin  dit  en 
énumérant  ses  noms  :  —  Soupir,  Tempête,  Vent-Apre,  Gémissement- 
d'Hiver,  Lamentation  ». 


ti8  SAINT    PAiniCK    ET    LK    f.L'LTR    DF.R    HÉROS 

Tout  le  monde  à  Clelech  croit  que  Sin  est  une  f(''e,  une 
bandéa,  car  le  roi  l'a  rencontrée  assise  sur  le  tumulus 
hnnlô  de  Brujçh  na  Boinnc,  et  parce  qu'elle  lui  a  déclaré 
«  connaître  les  lieux  secrets  »,  c'est-à-dire  les  s/dh.  Le 
récit  explique  qu'elle  était  seulement  une  magicienne  très 
puissante,  mais  le  fait  est  qu'il  s'agit  d'une  bandéa,  comme 
l'indique  l'interdiction  de  prononcer  son  nom,  interdiction 
qui  est  un  lieu  commun  des  contes  de  fées. 

Dès  le  banquet  qui  suit  son  arrivée,  Sin  pratique  une 
série  d'enchantements.  Elle  suscite  d'abord  deux  armées 
de  fantômes  qui  s'entre-tuent  sous  les  yeux  des  convives. 
Puis  elle  prépare  pour  ceux-ci  un  festin  magique  avec  des 
fougères  et  de  l'eau  du  fleuve  qu'elle  a  changé,  les  unes  en 
porcs  et  l'autre  en  vin.  Ces  porcs  renaîtront  dès  qu'ils  seront 
mangés  et  ce  vin  ne  tarira  jamais  dans  les  vases. 

Mais  le  lendemain  tous  les  convives  sont  pris  d'une  fai- 
blesse extrême.  Le  roi  sent  que  sa  mort  approche. 

Cependant  Sin  poursuit  ses  enchantements.  Deux  ar- 
mées nouvelles  apparaissent  devant  Cletech,  l'une  com- 
posée d'hommes  bleus,  l'autre  d'hommes  sans  tètes.  Elles 
provoquent  le  roi  qui  sort  et  fait  un  grand  carnage  de  ces 
fantômes.  Sin  le  nomme  leur  roi.  Puis  une  nouvelle  troupe 
barre  la  route  à  Muircertach,  qui  tombe  dessus  à  grands 
coups  d'épée  et  continue  le  massacre  jusqu'au  moment  où 
l'enchantement  est  dissipé  par  saint  Cairnech.  Le  roi 
s'aperçoit  alors  qu'il  était  en  train  de  sabrer  des  pierres. 

Mais  à  Cletech,  dont  l'entrée  a  été  interdite  au  saint 
moine,  le  charme  reprend.  On  arrive  ainsi  au  septième  jour 
des  enchantements  de  Sin.  C'est  la  veille  du  mercredi 
après  Samhain. 

Les  convives  du  roi  sont  ivres  et  ils  dorment  après  le 
festin  magique.  Soudain  un  grand  vent  que  Sin  a  suscité 
vient  gémir  autour  de  la  forteresse.  «  Voilà  —  dit  le  roi  — 


LA    I.KC.ENDE   DE    SAINT    PATRICK  119 

le  soupir  [osnad]  d'une  nuit  d'hiver  [gem-adaifj).  »  Et  quand 
UTie  tourmente  de  neige  succède  au  vent,  il  dit  que  la  tem- 
pête [sin)  est  Apre.  Muircertach  a  ainsi  prononcé  trois  fois 
le  nom  de  sa  maîtresse. 

Aussi  la  mort  le  guette.  Lui  et  ses  guerriers  sont  aussi 
faibles  qu'une  femme  en  couches.  Il  a  des  rôves  affreux, 
dans  lesquels  il  se  voit  tantôt  périr  dans  l'incendie  de  sa 
forteresse  assiégée,  tantôt  enlever  par  un  griffon  qui  le 
dépose  dans  son  nid,  lequel  brùlc  avec  le  roi  et  le  monstre. 
Or  ces  rêves  sont  les  signes  précurseurs  d'une  mort  pro- 
chaine, ainsi  que  l'explique  au  roi  son  druide. 

Enfin  le  roi  finit  par  s'endormir  profondément.  Alors  Sin 
se  lève,  elle  prend  tous  les  javelots  qu'elle  trouve  dans  la 
maison  royale,  et  elle  les  dispose  en  dehors  de  la  forteresse 
la  pointe  tournée  vers  celle-ci.  Puis  elle  met  le  feu  à  la 
maison  dans  laquelle  dort  le  roi. 

Aussitôt  une  armée  surgit  devant  Cletech.  Ses  cris 
réveillent  Muircertach  qui  n'a  plus  d'armes  pour  se 
défendre.  11  sort,  voit  les  assaillants  escalader  les  remparts, 
fuit  dans  sa  maison  et,  comme  celle-ci  brûle,  il  cherche  un 
refuge  suprême  en  se  plongeant  dans  un  tonneau  de  vin 
où  il  meurt  noyé.  Le  feu  lui  tombe  sur  la  tète  et  brûle 
de  son  corps  cinq  pieds  de  long. 

II.  Légende  de  Flann.  —  Voilà  pour  Samhîiin.  Bel- 
taine  est  l'anniversaire  d'une  tragédie  toute  pareille. 

Une  légende  rapporte  qu'à  cette  date  le  roi  Diarmaid 
mac  Corbhaill  assiégea  un  certain  Flann,  fils  de  Dima^  qui 
habitait  dans  la  plaine  d'Uisnech.  La  maison  de  Flann  fut 
incendiée.  Celui-ci  chercha  à  se  sauver  en  se  plongeant 
dans  une  baignoire,  mais  il  s'y  noya  et  son  corps  brûla 
avec  la  maLson  '. 

1.  Death  of  k'ing  Dermol,  l.  c  ,  p.  77  s.  —  Diarmaid  mac  Cerbhaill 


120  SAINT    PATHICK    KT    LE    CULTE    DES    HEROS 

III.  La  mort  de  Muircertach  et  de  Flann  sont  sacrifia 
cielles.  —  Ces  deux  légendes  sont-elles  simplement  des 
histoires  tragiques  quelconques  ? 

On  verra  que  non.  La  mort  de  leurs  deux  héros  est  une 
mort  rituelle. 

Les  incidents  qui  précèdent  celle  de  Muircertach  sont  les 
incidents  d'une  fête  qui  est  celle  de  Samhain.  L'histoire 
du  roi  brûlé  est  un  mythe  qui  correspond  à  cette  f<ite. 

On  nous  y  parle  d'abord  de  banquets  qui  sont  des 
banquets  de  fêle  et  qui  se  composent  d'aliments  identiques 
à  ceux  du  festin  des  dieux. 

On  y  voit  apparaître  des  esprits  en  foules.  En  effet,  les 
«  hommes  bleus  »,  les  «  hommes  sans  têtes  »  de  la  lé- 
gende sont  des  esprits  magiques.  Ils  sont  une  «  armée  de 
sorcellerie  »  \ 

Le  roi  et  ses  convives  sont  dans  un  état  particulier,  une 
faiblesse  extrême,  qui  est  un  état  caractéristique  des  jours 
de  fêtes  ^  Ainsi  un  récit,  la  Neuvaine  des  Ulates,  nous 
apprend  qu'à  Samhain  les  guerriers  d'Ulsler  sont  aussi  fai- 
bles que  des  femmes  en  couches^.  Le  jour  de  Samhain 

est,  comme  Muircertach,  un  roi  historique  du  vi»  siècle,  qui  devint  héros 
épique.  Cinaed  hùa  Artacain  le  mentionne  dans  son  poème  sur  la 
mort  des  héros,  strophe  32,  loc.  cit.,  p.  312.  —  Il  devint  même  le  per- 
sonnage central  de  tout  un  cycle  de  légendes  épiques. 

1.  Loc.  cit.,  p.  422,  §  40  :  gair  na  slûag  siabra  ocus  ndràidechta 
imon  tech,  «  le  cri  de  l'armée  de  sorcellerie  et  de  magie  autour  de  la 
maison  ». 

2.  Loc.  cil.  p.  418,  §  33  :  0  lliainiic  in  fledugad  immorro  ro  laigset  na 
sloig  iarsin  ocus  ni  raibi  nert  mna  seola  a  nduine  dib,  «  quand  le 
banquet  fut  fini,  la  troupe  se  coucha  et  dans  aucun  d'eux  il  n'y 
avait  la  force  d'une  femme  en  couches.  »  Cf.  ibid.,  §  34  (aussi  les  vers, 
p.  420)  et  §36,  p.  420  s. 

3.  Deux  versions  de  cette  légende  ont  été  publiées  par  M.  Windisch 
dans  Verhandl.  der  Kgl.  Sâchs.  Gesellschaft  der  Wissenschaften,  hist. 
philol.  Klasse,  Leipzig,  1884.  —  Traduction  française  d'après  les  deux 
versions,  combinées  de  manière  à  n'en  faire  qu'une  seule,  par  d'.\rbois 
de  Jubainville,  dans  Rev.  Celtique,  VII,  p.  227  ss.  et  Épopée  Celtique. 
—  Cf.  Dinnsenclias  de  Rennes,  éd.  Whitley  Stokes,  dans  Rev.  Celtique, 
XV,  p.  45  (Armagh). 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  121 

des  fées  enchantent  le  grand  héros  du  cycle  d'Ulster, 
Cûchulainn,  qui  reste  sans  forces,  presque  sans  vie, 
jusqu'à  la  fétc  de  Samhain  suivante'. 

Enfin  le  roi  s'unit  i\  une  déesse.  Or,  le  mariage 
divin  est  parmi  les  événements  des  fêles  de  tous  pays  un 
des  plus  communs.  Les  Mariages  de  Mai  en  sont  un 
exemple  connu  entre  tous". 

Ainsi  les  événements  qui  précèdent  et  qui  préparent  en 
quelque  sorte,  la  mort  de  Muircertach  sont  les  incidents 
d'un  mythe  festival,  et  la  mort  même  du  roi  est  le  mythe 
d'un  sacrifice  de  Samhain.  Le  druide  qui  explique  le 
songe  du  roi  lui  dit  :  «  Is  i  long  i  rabadais...  .i.  long  in 
flailhiusa...  ocus  is  in  long  do  bâdud,  tusa  do  taircsin, 
ocus  do  saegal  do  thoidecht  ».  —  C'est  le  vaisseau  dans 
lequel  tu  as  été...  c'est-à-dire  le  vaisseau  de  la  royauté... 
et  ceci  est  le  vaisseau  qui  fait  naufrage  et  toi  tu  dois  être 
l  offrande  (?),  et  ta  vie  prendra  fin. 

1.  C'est  le  sujet  même  du  récit  Serglige  Conculaind ,  éd.  citée. 
La  période  d'un  an,  de  Samhain  à  Samhain,  pendant  laquelle  Cûchu- 
lainn est  malade,  équivaut  aux  neuf  jours  de  la  maladie  des  Ulates, 
neuf  jours  qui  s'allongent  jusqu'aux  trois  mois  d'une  saison  dans  la 
Tàin  Bô  Cûalnge  (loc.  cil.,  à  propos  d'Imbulc).  Elle  équivaut  en  général  à 
toute  période  fermée  qui  commence  à  la  même  fête  et  aussi  à  la 
durée  de  la  fête  elle-même.  En  effet,  en  Irlande,  comme  ailleurs,  un 
cycle  fermé  de  temps  équivaut  k  l'éternité  et  par  conséquent  à  tout 
autre  cycle.  Cf.  par  exemple  l'histoire  de  la  Conquête  du  Sid/i  :  Le 
dieu  Dagda  permet  à  son  Cls  Aengus  de  s'installer  dans  son  palais 
souterrain  pour  un  jour  et  une  nuit.  Aengus  en  profite  pour  y  rester 
toujours,  puisque  le  jour  et  la  nuit  renferment  en  eux  l'éternité. 
(Résumé  de  la  légende  chez  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythol., 
p.  270  ss).  —  Même  thème  dans  l'histoire  du  Tribut  du  Leinster,  telle 
que  la  relatent  les  annales  :  O'Grady,  Fragmentary  Annals,  dans  Silva 
Gadelica,  II,  p.  422-4i3,  aux  années  67d-69o  :  Adamnan  avait  permis 
au  roi  Finnachta  de  remettre  son  tribut  d'un  jour  et  d'une  nuit.  On 
ne  le  paye  plus  jamais  depuis,  sous  prétexte  qu'il  a  été  remis  pour 
l'éternité.  —  Sur  l'étpiivalence  des  périodes  fermées,  cf.  U.  Hubert, 
Étude  sommaire  de  la  représentation  du  temps  dans  la  religion  et  la 
magie.  Rapport  de  l'École  Pratique  des  Hautes  Études,  Section  des 
Sciences  Religieuses,  1905. 

2.  J.-G.  Frazer,  Lectures  on  the  early  kistory  of  Kingship,  Londres, 
1905,  p.  154  ss.  et  Lecture  VI;  Mannhardt,  op.  cit.,  I,  p.  422  ss., 
p.  437  ss.  ;  p.  444  et  passim. 


122  SAINT    PATRICK    ET    I.K    CULTK    DES    IlÉnOS 

Il  en  est  de  niôme  de  la  mort  de  Flann,  dont  la  légende 
n'est  évidemment  qu'une  réplique  de  celle  de  Muircertach. 
Seulement  le  sacrifice  est  ici  un  sacrifice  de  Beltaine. 

IV.  Le  rite  qui  correspond  aux  mythes  de  Muircertach 
et  de  Flann  est  le  feu  de  fête.  Équivalence  des  diverses 
formes  du  sacrifice.  —  Or  le  seul  rite  de  Beltaine  et  dé 
Samhain  qui  corresponde  à  ces  deux  mythes  est  le  rite  du 
feu. 

On  n'a,  il  est  vrai,  aucune  preuve,  qu'on  y  brûlât  un 
homme.  Mais  Kcaling,  un  historien  du  xvii^  siècle  qui  a  eu 
à  sa  disposition  des  documents  perdus  depuis,  affirme 
qu'on  y  brûlait  des  offrandes  '. 

D'autre  part  une  histoire,  la  Cour  faite  à  Becuma',  nous 
permet  d'établir  avec  certitude  l'équivalence  des  diverses 
formes  du  sacrifice  et  un  sacrifice  dans  le  feu  sacré. 

Becuma  était  une  bandéa  qui  avait  été  condamnée  par 
les  dieux  à  mourir  sur  le  bûcher  pour  adultère^.  On  lui 
fit  toutefois  grâce  de  la  mort  et  la  sentence  fut  changée  en 
sentence  d'exil.  Elle  quitta  le  pays  des  dieux.  Arrivée  en 
Irlande  Becuma  devint  la  femme  du  roi. 

Mais  dès  qu'elle  fut  reine,  des  fléaux  de  toute  sorte  rava- 

1.  Éd.  Dinncen,  vol.  cit6,  p.  246. 

2.  Chez  Sullivan,  volume  diniroduction  à  OCurry,  Manners  and 
Cusloms,  p.  333. 

3.  La  condamnation  dune  femme  au  brtcher  pour  crime  d'adultère 
ou  d'inconduite  est  un  lieu  commun  des  contes  et  légendes  irlan- 
daises. Exemples  dans  The  Cause  of  the  baille  of  Cnucha,  éd.  W.  Hen- 
nessy,  dans  Rev.  Celtique,  II,  p.  91  :  The  Greek  Emperor's  Daughter,  éd. 
St.-H.  O'Grady,  dans  Silva  Gadelica,  l  (vol.  des  te.xtes),  p.  414  ;  légendes 
de  saints  dans  Kilkenny  Archseol.  Journal,  1868,  p.  333;  chez  Sullivan, 
op.  cit.,  p.  322  et  note  ibid.,  p.  334  ;  commentaire  du  Lebar  Brecc  au 
Félire  Oengusso,  dans  l'éd.  de  1880,  p.  63,  a,  7.  —  Dans  tous  ces  récits 
la  peine  est  commuée,  ou  bien  n'est  pas  exécutée  par  suite  d'un  inci- 
dent quelconque,  et  c'est  ce  qui  fournit  la  matière  de  l'histoire.  Mais 
si  Ton  en  croit  un  passage  du  Livre  de  Leinsler,  le  bAcher  aurait  été 
réellement  la  punition  qui  attendait  les  femmes  adultères  :  «  c'était 
autrefois  la  coutume  de  brûler  toute  femme  qui  avait  commis  la  faute 
de  luxure  à  rencontre  de  ses  obligations  ».  Cité  par  Hennessy,  loc.  cit., 
p.  91,  note.  —  Cf.  César,  De  bello  Gallico,  1.  VI. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  123 

gèrent  le  pays.  Il  n'y  avait  plus  de  récoltes  ni  de  lait.  Les 
druides  consultés  dirent  que  le  crime  de  la  reine  était  cause 
des  nialliours  et  que  pour  conjurer  ceux-ci  il  fallait  sacrifier 
un  fils  do  vicrp^e  et  asperger  de  son  sang-  la  porte  de  Tara 
et  la  plaine  voisine  '. 

On  trouva  l'enfant,  mais  comme  on  allait  le  tuer,  sa  mère 
obtint  qu'on  lui  subslituAt  une  vache.  Le  sacrifice  de 
l'animal  eut  tout  reffct  désiré. 

l'n  sacrifice  animal  peut  donc  remplacer  celui  d'un 
homme  fils  d'une  vierge,  c'est-à-dire,  on  le  verra  plus  loin, 
fils  d'un  dieu.  Et  à  son  tour  ce  sacritice  équivaut  à  la  mort 
d'un  dieu  dans  le  feu  -. 

D'autre  part,  l'objet  du  sacrifice  de  Becuma  est  iden- 
tique à  celui  qui  est  assigné  à  la  célébration  des  fêtes 
irlandaises.  En  effet,  il  ne  s'agit  pas  seulement  d'une 
expiation  dans  notre  légende.  Ce  qu'on  a  en  vue,  c'est 
d'assurer  les  récoltes  et  l'abondance  du  lait.  Or  c'est  pré- 
cisément l'effet  que,  suivant  les  Dinmenchas^  les  anciens 
Gôidels  attendaient  de  leurs  offrandes  à  Gromm  Cruaichle 
jour  de  Samhain\  et  de  même,  la  célébration  de  Lugnasad 

!.  Le  thème  de  l'enfant  fils  de  vierge  qui  doit  être  sacrifié  est  d'inspi- 
ration chrétienne.  Cf.  la  légende  qui  raconte  la  fondation  de  Dinas 
Emris  dans  le  Pays  de  Galles  par  le  roi  Gortigern.  Les  druides  font 
rechercher  le  fils  d'une  vierge  pour  le  tuer  et  asperger  de  son  sang  les 
fondements  de  la  forteresse.  On  trouva  l'enfant,  mais  quand  il  fut  mis 
en  présence  des  druides  il  les  confondit  en  discutant  avec  eux  et  con- 
vainquit le  roi  de  le  relâcher.  Cet  enfant  devrait  se  couvrir  plus  tard  de 
gloire  sous  le  nom  de  Merlin  l'Lnchanteur.  (Nennius,  llisloria  Brilo- 
num,  éd.  Mommsen,  p.  182  s.  —  On  reconnaîtra,  croyons-nous,  Jésus 
discutant  avec  les  docteurs  dans  ce  fils  de  vierge,  destiné  à  être  sacrifié 
et  qui  discute  avec  les  savants  du  paganisme. 

2.  Sur  ce  système  de  substitution  cf.  H.  Hubert  et  M.  Mauss,  La 
nature  et  la  fonclion  du  sacrifice,  dans  Année  sociologique,  II,  p.  43  ss., 
et  dans  l/é/anf/es  d'histoire  des  religions,  Paris  l'JOO. 

3.  Dinnsenchas  métriques  de  Mag  Slechl,  loc.  cit.,  strophe  â  : 
Blichl  is  ilh  Lait  et  blé 

ùaid  nochungitis  for  rith  Ils  lui  demandaient  bien  vite 

dar  cend  Irin  a  sotha  slriin...  Au  prix  du  tiers  de  leur  postérité 

entière... 


124-       SAINT  PATRICK  ET  LE  CULTE  DES  HÉROS 

ù  Carman  assurait  au  Leinster  la  prospérité  matérielle 
pendant  la  période  qui  séparait  deux  assemblées  succes- 
sives *. 

La  divinité  môme,  en  l'honneur  de  laquelle  on  célébrait 
cette  dernière  fôte,  ressemble  en  tous  points  à  Becuma. 
C'était  aussi  une  déesse  venue  un  jour  d'un  pays  d'outre- 
mer, et  dont  la  présence  en  Irlande  eut  pour  effet  de  tarir 
le  lait  des  vaches  et  de  faire  brouir  les  blés.  Les  conju- 
rations des  Tiïatha  Dé  Danann ,  qui  étaient  alors  les 
maîtres  de  l'Irlande,  firent  cesser  l'influence  maligne,  mais 
en  môme  temps  causèrent  la  mort  de  la  déesse.  La  fête  a 
été  instituée  pour  commémorer  cet  événement  ^. 

Ainsi  le  mythe  de  Becuma  est  bâti  sur  un  thème  com- 
mun de  mythe  festival  irlandais,  et  le  sacrifice  de  cette 
déesse  équivaut  à  un  sacrifice  de  fête. 


1.  Dinnsenchas  métriques  de  Carman  du  Livre  de  Ballymote  (Aenach 
Carmain),  chez  O'Curry.  Manners  ai\d  Cusloms,  III,  app.  III,  p.  328  : 
En  célébrant  la  fôte  de  Carman  les  hommes  du  Leinster  s'assuraient 
«  blé,  et  lait,  et  la  liberté  du  joug  de  toute  autre  province  irlandaise, 
et  vaillants  héros  royaux,  et  prospérité  dans  chaque  ménage,  et  abon- 
dance de  chaque  (sorte  de)  fruit,  et  bonne  pêche  ».  S'ils  négligeaient 
la  célébration  ils  étaient  sûrs  de  tomber  en  décrépitude  et  dans  une 
vieillesse  précoce,  et  d'avoir  des  rois  trop  jeunes.  —  Cf.  O'Dionovan, 
Book  ofRights,  p.  LUI  :  bvôn-trogain  (autre  nom  de  Lugnasad)  cet  dérivé 
dans  un  glossaire  irlandais  de  brôn=n  faire  sortir  de  »  et  /7*o^an=aterre  »; 
brôn=trogain  est  donc  la  fête  qui  fait  sortir  les  fruits  de  dessous  terre. 
Cette  étj'mologie  est  fausse  :  Brôn  signifie  chagrin,  affliclion.  Cf.  Revue 
Celtique  XI,  p.  443  :  is  an  do-broni  trogan  fua  torthib,  «  il  as  then  sorrows 
the  earlhunder  its  fruit  ».  Quoi  qu'il  en  soit,  l'idée  d'abondance  était 
liée  à  la  célébration  de  Lugnasad. 

2.  I>innse?ic/ja5  de  Rennes,  éd.  Whitley  Stokes,  dansflei'.  Celtique,  XV, 
p.  3H  s.  (trad.  p.  313  s).  Cf.  Dinnsenchas  du  Livre  de  Ballymote,  chez 
O'Curry,  loc.  cit.,  p.  326  (trad.  p.  527)  :  Une  femme,  Carman,  vient 
d'Athènes  en  Irlande  avec  ses  trois  fils,  Violent,  Noir  et  Méchant,  fils 
d'Anéantissement,  fils  de  Ténèbres.  Par  leurs  incantations  ils  ruinent 
les  Tùatha  Dé  Danann  en  faisant  brouir  les  blés.  Les  Tûatha  Dé 
Danann  leur  opposent  un  poète,  un  faiseur  d'incantation,  un  druide  et 
une  femme  devin,  qui  grâce  à  leur  science  magique  forcent  les  trois 
fils  de  Carman  à  quitter  l'Ile  en  jurant  «  par  les  dieux  qu'ils  ado- 
raient »  de  n'y  plus  revenir.  Carman  demeure  comme  otage  et  meurt 
bientôt  de  chagrin.  Le  lieu  de  sa  sépulture  porte  son  nom  depuis,  et  on 
institua  une  assemblée  de  lamentation  (oenach  nguba)  sur  sa  tombe. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  125 

L'idée  d'une  mort  divine  est  également  présente  dans 
la  célébration  de  Lugnasad. 

On  a  vu  quelle  raison  les  Dinnsenchas  donnent  aux 
solennités  célébrées  h  Carman.  Suivant  une  autre  légende, 
rapportée  par  le  môme  texte,  mais  qui  n'est  pas  un  doublet 
de  la  première,  un  certain  Scn  Garman  arriva  un  jour  à 
Carman  avec  une  jeune  fdle,  Mesc,  qu'il  avait  enlevée  en 
Ecosse.  Mesc  mourut  de  honte  et  Sen  Garman  fut  tué  par 
les  frères  de  la  jeune  fdle.  C'est  pour  les  pleurer  qu'on 
aurait  institué  la  fôte^ 

De  même  la  fùte  de  Lugnasad  à  Tailtiu  fut  célébrée 
pour  la  première  fois  par  le  dieu  Lug  pour  honorer  la  mort 
de  sa  mère  adoptive,  Tailtiu,  fille  de  Magmor^ 

Le  caractère  religieux,  et  plus  exactement,  rituel  de 
toutes  ces  morts  ressort  du  récit  de  la  Neuvaine  des  Ulates. 
On  y  voit  la  déesse  Mâcha,  qui  était  devenue  la  femme 
d'un  homme  d'Ulster,  mourir  après  avoir  gagné  de  vitesse 
les  chevaux  du  roi  aux  courses  de  la  fête  d'Emain  Mâcha. 
On  l'avait  forcée  à  courir,  quoique  enceinte  de  deux 
jumeaux  qu'elle  mit  au  monde  en  arrivant  au  but^ 


1.  Ibid.,  cf.  chapitre  suivant. 

2.  Dinnsenchas  de  Rennes,  loc.  cit.,  n»  99  :  «  Tailtiu,  fille  de  Magmôr 
était  la  femme  d'Eochu  le  Rude,  fils  de  Dua  le  Sombre...  elle  était  la 
mère  adoplive  de  Lug,  fils  de  Muet-Champion.  Ce  fut  elle  qui  pria  son 
mari  de  défricher  pour  elle  la  forêt  de  Cuan,  de  manière  à  ce  qu'on  put 
tenir  une  assemblée  autour  de  son  tombeau.  Et  puis  elle  mourut  aux 
calendes  d'août  et  ses  lamentations  et  ses  jeux  funéraires  furent  célébrés 
par  Lugaidh.  C'est  pourquoi  nous  disons  Lugnasad.  »  —  Cf.  aussi  Catfi 
Maighe  Tured,  éd.  citée,  §  55,  et  Lebnr  na  Gabala,  passage  relatif  à  la 
bataille  de  Mag  Tured,  trad.  H.  d'Arbois  de  Jubainville  dans  Épopée  Cel- 
tique, p.  400.  —  La  plus  ancienne  version  connue  de  la  légende  de 
Tailtiu,  et  qui  est  en  môme  temps  la  plus  développée,  est  conservée  par 
un  poème  de  Cuan  hûa  Lochain,  mort  en  1024  (Gwynn,  Poems  from  Ihe 
Dinnsenchas  dans  Todd  Lecture  Séries,  Vil).  Sur  Tailtiu,  fille  de  Mag- 
môr, cf.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  p.  136  ss. 

3.  Loc.  cit.;  cf.  Dinnsenchas  d'Armagh,  ville  voisine  d'Emain,  et  où 
l'on  célébrait  une  fùte  à  Samhain  :  Mâcha,  femme  de  Nemed,  mourut 
tuée  à  Armagh  et  l'assemblée  a  été  instituée  en  son  honneur.  Une  autre 


126  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Or,  les  courses  sont  la  cérémonie  la  plus  importante  de 
Lugnasad'.  Elles  ne  sont  pas  un  simple  jeu  sportif,  mais 
un  rite,  puisqu'on  les  célèbre  «  autour  »  d'un  tombeau, 
dans  le  but  de  commémorer  un  mort.  Et  parmi  les  courses 
de  Carman,  il  en  est  une  qui  est  réservée  aux  femmes,  ce 
qui  correspond  au  sexe  des  divinités  dont  on  célèbre  la 
mémoire  ^. 

La  mort  des  déesses  de  Lugnasad  est  ainsi  liée  à  la 
célébration  des  rites  de  la  fête.  Et  leur  mort  est,  nous  n'en 
doutons  pas,  un  sacrifice  —  un  sacrifice  du  dieu  qui  ne  dif- 
fère pas  essentiellement  des  autres  sacrifices  de  la  fête. 

La  mort  du  dieu  de  la  fête  est  le  thème  général  de 
TOUTES  les  fêtes  IRLANDAISES.  —  Aiusi  Ic  thème  de  la  mort 
des  dieux,  ou  de  personnages  qui  leur  ressemblent  et  les 
remplacent,  est  commun  aux  mythes  et  aux  légendes  des 
grandes  fêtes  irlandaises.  On  verra  qu'il  est  encore  le  fait 
des  autres  dates  critiques. 

Un  récit  éqique,  la  Bataille  d'Allen  nous  en  fournit  une 
preuve  *. 

tradition    reproduit    la   légende    d'Emain,  qu'elle    situe  seulement    à 
Armagh,  Dinnsenchas  de  Rennes  dans  Rev.  Celtique,  XV,  p.  45  s. 

1.  Sur  les  courses  de  Tailtiu,  cf.  poème  cité  de  Cuan  hûa  Lochain.  A 
Carman  il  y  avait  sept  courses,  une  chaque  jour  :  Aenach  Carmain, 
strophes  21  ss.  ;  Dinnsenchas  de  Rennes,  p.  312  (trad.  p.  314).  —  Une 
assemblée  de  Lugnasad  dont  les  courses  étaient  réputées  était  tenue 
sur  le  Curragh  de  Kildare.  On  la  nommait  Oenach  Colmain  ou  Oenach 
Life:  William  Hennessy,  The  Curragh  of  Kildare,  dans  Proceedings  of 
the  Roy.  Irish  Academy,  IX,  p.  343. 

2.  Cuan  hiia  Lochain,  chezG^'ynn, Poems  from  the  Dinnsenchas  (Oenach 
Taillen). 

3.  Aenach  Carmain,  strophe  44  :  «  La  fête  des  femmes  du  Leinster 
dans  l'après-midi.  .  Les  femmes  dont  la  gloire  n'est  pas  petite  au-de- 
hors,  leur  course  est  la  troisième  course.  »  Strophe  4o  :  Avant  la  course 
les  femmes  doivent  déposer  leurs  joyaux,  dont  la  garde  est  confiée  aux 
hommes  de  Leix.  —  A  Tara  il  y  avait  une  Maison  dei  femmes  sur  la 
pelouse  où  se  tenait  l'assemblée  :  Dinnsenchas  de  Rennes,  Rev.  Cel- 
tique, XV,  §  26. 

4.  Cath  Almame,  The  Battle  of  Allen,  publiée  par  Whitley  Stokes 


LA    LÉliENDE    DE    SAINT    PATRICK  127 

Le  fait  se  passe  le  quaranlirme  jour  après  Samhain, 
la  Saint-Finnian  '.  Le  texte  raconte  les  circonstances  d'une 
défaite  infligée  par  les  troupes  du  Leinsler  à  celles  du  roi 
suprême.  Le  principal  héros  est  un  poète,  Donn-bô,  qui  fut 
tué  dans  la  mêlée  et  qui  ressuscita,  après  qu'on  eut  rap- 
proché sa  tète  coupée  de  son  tronc. 

Cette  histoire  a  plusieurs  traits  d'un  mythe. 

Les  guerriers  du  roi  suprême  organisent  un  grand  ban- 
quet la  veille  de  la  fclc  et  ceux  du  Leinster  font  de  même 
après  la  bataille  ^ 

Il  y  a  tant  d'esprits  dehors,  pendant  la  nuit,  que  per- 
donne  ne  se  hasarde  à  sortir  de  la  salle  de  festin  par  peur 
des  mauvaises  rencontres  et  de  la  tempête  qui  hurle  au 
dehors^. 

En  arrivant  à  Allen  les  guerriers  du  roi  suprême  arra- 
chent le  toit  d'un  ermite  lépreux  *,  de  même  que  selon 
Posidonius,  les  prétresses  des  Namnètes  arrachaient  dans 
leur  fête  annuelle  le  toit  de  leur  temple  ^ 

De  plus  Donn-bô  est  en  réalité  un  ancien  dieu  humanisé. 

En  effet,  son  nom  signifie  Brun-Taureau.  Or  un  taureau, 
bo,  qui  est  l'incarnation  d'un  dieu,   est  chanté   dans  la 


dans  Revue  Celtique,  XXIV,  d'après  YBL  et  le  Livre  de  Fennoy,  Ms.  du 
XV»  siècle.  Une  autre  version,  d'après  un  Ms.  de  la  Bibliothèque  Royale 
de  Bruxelles,  a  été  publiée  par  O'Donovan. 

1.  Cath  Almaine,  §  8,  p.  50  ;  pour  la  date  de  la  Saint-Finnian  cf.  Félire 
Oengusso,  Index . 

2.  §§7,  8  et  18. 

3.  §8  et  §  18.  La  tempùte  soudfle  «  parce  que  c'est  la  saint  Finnian  en 
hiver».  Lors  du  festin  qui  suit  la  bataille,  le  roi  du  Leinster  est  obligé 
de  promettre  «.  un  char  de  la  valeur  de  quatre  cumal  (=  quatre  femmes 
esclaves)  et  mon  cheval  et  mon  harnais  de  combat  au  guerrier  qui 
ira  sur  le  champ  de  bataille  et  qui  nous  en  rapportera  un  gage  ».  — 
Cf.  promesse  pareille  du  roi  Ailiil  à  celui  de  ses  guerriers  qui  aura  le 
courage  de  sortir  la  nuit  de  Samhain  et  de  nouer  un  fétu  au  pied  d'un 
pendu  :  EchlraSerai,  édit.  KunoMeyer,  dansflei'.  Celtique.  X,  p.  214 ss. 

4.  §>i  4-6. 

b.  Posidonius  cité  chez  Strabon,  IV,  4. 


128  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Tain  lia  Cûahige  et  son  nom  est  précisément  Donn,  le 
Brun.  Sa  rivalité  avec  un  autre  taureau  divin,  Finnben' 
7iach,  le  Blanc-Cornu,  est  l'origine  des  batailles  que 
raconte  la  grande  épopée,  et  sa  mort,  à  la  suite  d'une  ba- 
taille contre  son  rival,  clôt  le  récit. 

Un  dieu  taureau  a  été  aussi  connu  en  Gaule.  Il  est 
représenté  sur  un  bas-relief  du  Musée  de  Cluny  '.  H.  d'Ar- 
bois  de  Jubainville  a  montré  qu'il  est  identique  au  taureau 
divin  de  l'épopée  irlandaise  ■. 

Nous  croyons  donc  que  la  mort  de  Donn-bô  est  une  mort 
divine  et  que  l'histoire  procède  d'un  sacrifice. 

Le  fait  est  que  des  sacrifices  de  taureaux  ont  été  réelle- 
ment célébrés  en  Irlande.  On  les  nommait  TarbfeSy  Fête 
du  Taureau  ^  Bien  que  les  textes  leur  assignent  un  but 
particulier,  qu'ils  les  décrivent  notamment  comme  une 
forme  plus  solennelle  du  sacrifice  divinatoire  dans  laquelle 
la  victime  ordinaire,  un  porc  ou  un  chien*,    était  rem- 

1.  Le  bas  relief  représente  un  taureau,  paré  dune  draperie  qui  tombe 
de  son  dos,  comme  une  écharpe.  Sur  son  dos  sont  trois  grues.  Au-dessus 
du  bas-relief  se  lit  :  Tarvos  Trigaranus. 

2.  Revue  Celtique,  XVIII,  p.  253-266.  Cf.  du  même.,  Les  Druides  et 
les  dieux  celtiques  à  formes  d'animaux,  Paris,  1906,  p.  153-155. 

3.  Sergliqe  Conculaind,  éd.  Windisch,  p.  213,  §  23  :  (nous  citons  d'après 
la  trad.  de  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Épopée  Celtique,  p.  187  s.)  »  : 
«  Dans  cette  assemblée  (à  Tara)  ils  célébrèrent  la  Fête  du  Taureau, 
pour  savoir  par  elle  à  qui  donner  la  royauté.  Voici  comment  se  célé- 
brait la  Fête  du  Taureau.  On  tuait  un  taureau  blanc  ;  un  homme  man- 
geait de  la  chair  et  prenait  du  bouillon  de  ce  taureau  en  quantité  suf- 
Osanle  pour  se  rassasier.  Bien  repu,  il  s'endormait.  Quatre  druides 
chantaient  sur  lui  une  parole  de  vérité  et  il  voyait  en  songe  la  manière 
d'être  de  celui  qui  devait  être  élevé  à  la  royauté.  » 

4.  Cf.  la  description  du  procédé  de  divination  dit  imbas  forosnai  dans 
Sanas  Cormaic,  édition  Kuno  Meyer,  p.  64,  N»  756,  au  mot  Imbnss  : 
«  le  devin  mâche  un  morceau  de  la  chair  soit  d'un  cochon  rouge, 
soit  d'un  chien,  soit  d'un  chat  ;  il  met  ce  morceau  sur  une  dalle 
derrière  la  porte,  chante  dessus  des  paroles  magiques  et  l'offre  aux 
idoles.  Ses  idoles  lui  sont  apportées  (c'est-à-dire  que  ses  dieux  viennent 
le  visiter)  mais  le  lendemain  il  ne  les  trouve  pas.  Il  chante  sur  ses 
deux  mains  des  incantations  et  ses  idoles  lui  sont  rapportées  à  moins 
qu'on  ne  trouble  son  sommeil.  H  met  ses  deux  mains  sur  ses  deux 
joues.  Il  s'endort.  Les  gens  attendent  et  observent  et  aucun  d'eux  ne 


LA    LKGEM)K    DE    SAINT    PATRICK  129 

placée  par  un  taureau  blanc,  il  ne  peut  y  avoir  aucun  doute, 
après  ce  qu'on  a  vu  de  Donn-bô,  que  la  victime  du  Tarifes 
ne  soit  identique  au  dieu-taureau  du  mythe  festival.  C'est 
d'ailleurs  h.  une  fôte,  à  Samhain,  que  le  Tarbfcs  est  célé- 
bré». 

La  mort  du  dieu  de  la  fête  est  suivie  d'une  renaissance. 
—  Xous  pouvons  dire  en  règle  générale  que  toute  fête  en 
Irlande  a  pour  thème  la  mort  d'un  dieu  et  nous  avons 
quelques  raisons  de  dire  :  le  sacrifice  d'un  dieu. 

Mais  renchaînement  des  représentations  issues  du  sacri- 
fice ne  s'arrête  pas  là.  On  vient  de  voir,  en  effet,  que 
Donn-bo  ressuscite-. 

doit  le  troubler  ni  le  réveiller  jusqu'à  ce  qu'il  ait  eut  une  révélation 
complète  des  choses  dont  il  s'agit.  C'est  le  imbas  forosnai  ».  Ce  rituel 
rappelle  d'une  façon  frappante  celui  du  Tarb-fes.  —  Sur  Vimbas  foros- 
nai, cf.  O'Curry,  Mariners  mid  Customs,  II,  p.  135  ;  II.  d'Arbois  de 
Jubainville.  Introduction  à  l'élude  de  la  Lillérature  Celtique  [Cours  de 
Littérature  Celtique,  1),  Paris,  1883,  p.  151  ss.,  pp.  247  ss.  et  252  ss. 

1.  Ceci  ressort  :  1°  de  ce  que  l'assemblée,  pendant  laquelle  on  célèbre 
le  Tarbfes,  a  lieu  à  Tara  et  que  c'est  une  assemblée  pan-gôidélique  ; 
2»  de  ce  que  l'histoire  Serglige  Conculaind,  où  il  en  est  question,  est 
entièrement  une  légende  de  Samhain. 

2.  Le  thème  du  décapité  qui  ressuscite,  lorsqu'on  remet  sa  tète  sur 
son  tronc  est.  on  le  sait,  un  des  plus  répandu  dans  les  contes  de 
tous  pays.  Rabelais  entre  autres  la  utilisé  dans  son  Pantagruel,  livre  II, 
chap.  XXX.  En  Irlande  un  géant  emporte  sa  tète  coupée  et  revient 
le  lendemain  avec  sa  tête  sur  ses  épaules.  (The  Edinburgh  Version 
of  the  Cennach  inc  Rtianado,  éd.  Kuno  Meyer  dans  lievue  Celtique, 
XIV,  p.  4a4  ss..  trad.  p.  4o'J  ss.  et  éd.  Windisch,  dans  Irische  Texte,  I, 
p.  301  ss.).  —  Dans  une  version  plus  ancienne  de  cette  légende,  qui 
forme  le  dernier  épisode  du  morceau  épique  Fled  Bricrend.  Festin 
de  Bricriu.  et  dont  seul  le  commencement  a  été  conservé,  il  s'agit  non 
d'un  géant,  mais  d'un  esprit  qui  habite  un  lac.  «  Ils  (les  guerriers) 
virent  venir  à  eux  un  rustaud  grand  et  laid.  Il  leur  sembla  que 
parmi  les  Ulates,  il  n'y  avait  pas  un  guerrier  qui  atteignit  moitié  de 
sa  taille.  Le  rustaud  avait  l'air  effrayant  et  hideux.  Ses  vêtements 
étaient  une  vieille  peau  et  un  manteau  gris  foncé.  Il  portait  des 
branches  d'arbres  énormes...  Deux  yeux  avides  et  jauni  s,  aussi  grands 
que  des  chaudrons,  semblaient  lui  sortir  de  la  tête.  »  (Fled  Bricrend, 
éd.  Windisch,  dans  Irische  Texte,  I,  §,§  91-94.  Cf.  Ibid.,  §  87,  où  le 
même  rustaud  est  une  ombre  qui  sort  de  la  mer  de  l'Ouest.  Nous  avons 
cité  dans  la  traduction  de  II.  d'Arbois  de  Jubainville,  Épopée  celtique, 
p.  143  s  ).  —  Ce  portrait  le  fait  si  bien  ressembler  à  Dagda,  l'un  des 

Cz.\R.NO\VSKI.  9 


130  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

Maclia  meurt  en  mettant  an  monde  deux  jumeaux.  La 
mort  de  Tailtiu  est  suivie  par  l'avènement  et  rapolhéose 
d'un  jeune  dieu  qui  est  uni  h  la  déesse  morte  par  les  liens 
d'une  parenté,  aussi  proche  tout  au  moins,  selon  les  idées 
irlandaises,  que  la  parenté  de  mère  à  enfant'.  En  effet, 
Tailltiu  est  la  mère  adoptive  de  Lug\  Or  Lugnasad  est  la  fôte 
de  Lug.  Le  nom  même  de  la  solennité  l'indique-  et  le  dieu 
passe  pour  avoir  été  le  premier  à  célébrer  les  jeux  de 
Taillten\ 

Une  naissance  qui  suit  une  mort  équivaut  universelle- 
ment à  une  réincarnation  ou  à  une  résurrection.  lien  est 

principaux  dieux  des  Tiïatha  Dé  Danann  el  leur  roi,  que  nous  n'hési- 
tons pas  à  voir  un  seul  et  même  personnage  dans  l'ombre  géante  et 
le  dieu.  Cf.  (Cath  Maighe  Tured,  édit.  Whitley  Stokes,  §  93.  La  taille  de 
Dadga  est  partout  décrite  comme  gigantesque  et  son  allure  est  celle  d'un 
rustaud  (cf.  ibid.,  §  26  et  §  90).  —  Mais  aucun  des  récits  où  l'on  voit 
le  géant,  respectivement  un  avatar  de  Dagda,  décapité  ne  contient 
d'indications  qui  permettent  de, le  considérer  comme  acteur  d'une  fête. 
—  Il  en  est  de  même  de  Concrithir.  un  héros  qui  avait  reçu  des  fées 
le  don  de  revivre  le  lendemain  du  jour  où  on  l'avait  tué  :  Cath  Finit- 
traga,  édit.  Kuno  Meyer,  dans  Anecdota  Oxoniensia,  vol.  cité,  p.  13  ss. 

1.  Cf.  chap.  VI. 

2.  Le  nom  de  Lug  forme  la  première  partie  du  mot  Lug-nasad. 
Cf.  composés  analogues  :  gaulois  Lugu-dtmum,  breton  insulaire 
Lugu-uaUum,  irlandais  Lug-mag,  cités  chez  d'Arbois  de  Jubainville, 
Cycle  mythologique,  p.  305.  —  La  seconde  partie  de  Lug-nasad  a  été 
de  tous  temps  interprétée  comme  signifiant  jeux.  Cf.  Sanas  Cormaic, 
Kuno  Meyer,  p.  66,  n»  7'J6au  mot  Lugnasad;  Joyce,  op.  cit.,  II,  p.  389. — 
Mais  M.  Rhys  propose  de  traduire  Lug-nasad  par  Mariage  de  Lug,  et 
cette  interprétation  est  adoptée  par  Alfred  Nuit  dans  Voyage  a/'  Bran,  II. 
p.  186  ;  la  représentation  de  la  fête  aurait  été  le  mariage  de  Lug  =; 
force  stimulante  de  production,  le  principal  dieu  des  Tuatha  Dé  Danann, 
que  Nutt  considère  comme  dos  génies  producteurs  de  la  vie  avec  la 
Terre.  Il  y  a  lieu  de  formuler  une  réserve  au  sujet  de  cette  hypothèse. 
A  notre  connaissance  aucune  légende  de  Lugnasad  ne  parle  de  mariage 
comme  d'un  fait  qui  se  serait  passé  pendant  la  fête  et  qui  ferait  par- 
tie d'un  enchaînement  de  faits  mythiques  connexes  des  rites  de  la 
fôte.  Mais  d'autre  part  les  mariages  annuels  étaient  une  spécialité  de 
la  fête  de  Taillten.  Cf.  II.  d'Arbois  de  Jubainville,  Assemblées,  p.  17  : 
Joyce,  0/).  cit.,  11,  p.  439.  Keating.  éd.  Dinneen,  vol.  cité,  p.  248. 

3.  Cf.  plus  haut  :  mythe  de  Tailtiu.  —  Lug  avait,  dit-on,  introduit 
en  Irlande  les  jeux  qu'on  célébrait  aux  fêtes,  les  courses  de  chevaux 
et  de  chars,  la  cravache  qui  activait  l'allure  des  chevaux,  le  jeu 
fidchell  (jui  était  une  sorte  de  jeu  de  dames  ou  d'échecs.  H.  d'Arbois 
de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  p.  138  s. 


LA    LblGENUi:    I)K    SAINT    PATRICK  131 

de  nK''mo  en  Irlande,  ainsi  qu'il  ressort  d'un  récit  qui 
appartient  au  cycle  du  roi  Diarmaid  mac  Cerbhaill  '. 

C'est  l'histoire  d'un  parjure  puni.  L'n  homme  que  sa 
femme  accuse  d'adultère,  prôto  serment  de  son  innocence. 
Saint  Ciaran,  qui  est  présent,  louche  de  sa  main  le  cou  de 
l'accusé.  Aussitôt  un  ulcère  se  forme  i\  l'endroit  même  et 
la  tète  du  parjure  roule  à  terre.  Mais  le  décapité  ne  meurt 
pas  immédiatement.  Car  il  n'a  pas  de  successeur.  On  lui 
amène  d'abord  une  femme  qui  devient  grosse  de  ses 
œuvres  et  lui  donne  un  fils.  L'enfant  naît,  le  père  meurt. 

Notons  que  c'est  à  Tailtiu,  pendant  que  se  tient  l'as- 
semblée de  Lug-nasad  et  devant  le  roi  qui  précisément 
préside  au.\  jcu.v,  que  le  parjure  a  été  commis.  Voilà  encore 
une  légende  qui  procède  de  la  fùte  elle-même.  La  renais- 
sance du  dieu  sous  ses  diverses  formes  est  un  élément 
constant  des  représentations  que  comportent  les  fêtes  en 
Irlande. 

Les  génies  des  fêtes  sont  identiques  aux  génies  des 
INVASIONS.  — Quelle  place  faut-il  donc  assigner  aux  acteurs 
des  mythes  en  question  dans  l'ensemble  de  la  mythologie 
irlandaise  '^ 

En  ce  qui  concerne  certains  d'entre  eux,  les  mythes  sont 
explicites  :  il  s'agit  d'envahisseurs  mythiques.  Tel  est,  par 
exemple,  le  cas  de  Lug  qui  est  un  des  grands  dieux  des 
Tiiatha  Dé  Danann  et  leur  chef  dans  la  bataille  de  Mog 
Tured.  De  même,  Tailtiu  est  la  femme  d'un  roi  Fir-Bolg 
et  son  père,Magm6r,  est,  comme  l'a  fait  remarquer  d'Ar- 
bois  de  Jubainville,  un  symbole  personnel  du  pays  des 
dieux-.  En  effet,  ynag  niôr  s\o;n'\fie  grande  plaine. 

1.  Silva  Gadelica,  vol.  des  trad.,  p.  453.  —  Le  saint  Ciaran  de  celle 
légende  est  suint  Ciaran  de  Clonmacnois,  qu'il  faut  distinguer  de  son 
homonyme  de  Saigliir. 

-.  Cycle  Mylholorjique,  p.  137.  —   Cf.  aussi  la  Neuvaine  des  Haies, 


132  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Quant  aux  autres  acteurs  des  mythes  de  fêles,  remar- 
quons d'abord  qu'ils  viennent  du  même  pays  que  les  enva- 
hisseurs. Ainsi  Carman  arrive  d'Athènes,  c'est-à-dire  de  la 
contrée  même  où  s'étaient  établis  les  Pir-Bolg  avant  d'émi- 
grer  en  Irlande  ^  Et  dans  la  légende  de  Bccuma  qui  n'est, 
on  l'a  vu,  qu'une  variante  de  celle  de  Carman,  le  pays 
d'origine  de  la  déesse  est  explicitement  désigné  comme  la 
contrée  d'outre-mer  où  résident  les  dieux.  De  plus,  c'est 
aux  Tùatha  Dé  Danann  que  Carman  a  affaire  après  sa 
venue  en  Irlande.  Son  mythe  se  rattache  donc  aux  histoires 
d'invasions. 

Dans  d'autres  légendes,  comme  celle  de  Muircertach, 
on  voit  apparaître  des  armées  entières  de  fantômes.  Mais 
que  sont  ces  esprits  belliqueux,  sinon  les  génies  mêmes 
que  nous  connaissons  par  le  Lebar  na  Gabala?  Ils  ont  l'as- 
pect monstrueux  des  Fomoraig.  Et,  ce  qui  est  tout  à  fait 
caractéristique,  ils  ont  comme  eux  des  têtes  de  chèvres'. 

loc.  cit.,  Mâcha  est  petite  fille  de  rOcéan,  Lir,  qui  est  de  son  côté  le 
père  d'un  des  principaux  dieux  des  Tùatha  Dé  Danann,  Manannan 
mac  Lir.  D'autre  part,  la  Mâcha  des  mythes  d'Emain  Mâcha  et  d'Armagh 
parait  êlre  identique  à  une  déesse  du  même  nom,  doublet  de  Bodb 
(la  Corneille)  et  de  Morrigu,  déesses  des  batailles  et  des  champs  de 
carnage.  La  Morrigu  apparaît  dans  Cath  Maigfie  Tured,  mais  on  ne 
peut  affirmer  avec  sûreté  qu'elle  y  appartienne  à  l'une  ou  à  l'autre 
des  deux  tribus  divines  en  présence.  Elle  chante  sur  les  champs  de 
bataille  et,  ce  faisant,  elle  remplit  seulement  le  rôle  qu'elle  a  dans 
tout  combat,  quel  qu'il  soit. 

1,  Cycle  Mythologique,  p.  134  s. 

2.  Tlie  Death  of  Muircertach  mac  Erca,  §  21,  loc.  cit.,  p.  410  :  Dori- 
gne  Sin  immorro  annsiii  firu  gorma  do7\a  clochait  ocus  fir  eli  co  cen- 
naib  gabur, —  «  Sin  fit  alors  des  hommes  bleus  avec  des  pierres  et 
d'autres  hommes  à  têtes  de  chèvres.  »  Ibid.,  %  23,  p.  412  :  «  fir  gorma 
isind-ara  cath  ocus  fir  cen  cind  isin  cath  ele  »  =  «  hommes  bleus 
dans  une  des  troupes  et  hommes  sans  tète  dans  l'autre  troupe.  »  —  Cf. 
Lebor  na  hUidhre,  p.  2  col.  1  et  2,  cité  chez  d'Arbois  de  Jubainville, 
Cycle  Mythologique,  p.  92  :  «  Cham  fut  le  premier  homme  que,  depuis 
le  déluge,  une  malédiction  a  frappé.  C'est  de  lui  que  sont  nés  les  nains- 
les  Fomoré,  les  gens  à  tête  de  chèvre  et  tous  les  êtres  difformes  qui 
existent  parmi  les  hommes.  »  Lebar  na  Gabala,  version  du  Livre  de 
Leinster,  p.  5  col.  1  lignes  22,  23  cité  ibid.,  p.  95,  note  3  :  Fir  conoen- 
lamaib  ocus  conoenchossaib,  —  «  hommes  à  une  seule  main  et  à  un 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  133 

D'ailleurs,  dans  une  légende  qui  appartient  au  cycle 
d'IJlster,  la  Cour  faite  à  Ferb^  les  acteurs  d'un  drame 
analogue  r»  celui  de  Muircertach  sont  formellement  appelés 
Fomor(ii(j  '.  Alliés  du  roi  épique  Concliobar,  une  tribu 
de  Fomoré  attaque  une  maison  dans  laquelle  un  jeune 
couple  célèbre  ses  noces  et  il  le  massacre. 

Muircertach  lui-môme,  bien  que  simj)le  mortel,  est  assi- 
milé à  un  chef  des  génies.  En  effet,  Sin  l'a  nommé  roi 
des  hommes  bleus  et  des  hommes  sans  têtes  qui  se  livrent 
bataille  la  nuit  de  Samhain-.  En  définitive,  l'histoire  de 
Muircertach  mourant  dans  sa  forteresse  prise  d'assaut 
parait  être  une  variante  du  mythe  de  Conann,  roi  des 
Fomoraig,  qui  meurt  dans  sa  tour  défendue  par  des  fan- 
tômes. 

D'autre  part,  les  événements  des  mythes  d'invasions  qui 
se  passent  aux  fêtes  sont  des  batailles  et  des  épidémies.  Or, 
ce  ne  sont  que  batailles,  carnages  et  prises  de  forteresses 
que  les  légendes  racontent  aux  mômes  fôtes.  Quant  aux 
épidémies  elles  ont  pour  pendant  des  morts  collectives 
dans  les  mythes  des  fêtes.  Ainsi  tous  les  adorateurs  de 
Cromm  Crûaich  sont  morts  à  Samhain  autour  de  leur  roi 
Tigernmas^  L'équivalence  de  ce  désastre  et  des  épidémies 
du  Lehar  mi  Gabala  est  d'autant  plus  manifeste  que  le 
génie  de  la  peste  qui  ravagea  l'Irlande  au  vf  siècle  s'op- 

stMil  pied...»    Le  chef  de   ces  gens  est  Cichol   Gricenchos.   Cen-chos- 
signifie  «  sans  pieds  ».  Ifjid.,  p.  32. 

1.  Tochmarc  Ferbe,éd.  Windiscii,  dans  Irise he  Texte  III.  p.  472,  trad. 
p.  473  et  p.  478,  trad.  p.  47'J.  Tous  les  Fomoraig  sont  tuùs  :  p.  486, 
trad.  p.  487. 

2.  Loc.  cit.,  §  2i,  p.  412  :  Tanic  sin  iarsin  chucii,  ocus  dobeir  rig 
forro  do  Muircertach,  —  n  Alors  Sin  vint  à  cu.x  'aux  fantômes  que  le  roi 
était  en  train  de  massacrer)  et  elle  donna  à  Muircertach  la  royauté  sur 
eu.xi).  —  Ajoutons  que  Muircertach  a,  comme  Lug.  tué  son  grand-pére 
maternel.  Loarn,  père  d'Erca,  roi  d'Ecosse  :  ibid.,  §  27  (deuxième  qua- 
train) p.  414. 

3.  Dinnsenclias  métriques  de  Mag  Slecht,  éd.  Kuno  Mcyer,  loc.  cit., 
strophes  7  à  10. 


134  SAINV    PATRICK    El'    LE    CULTE    DES    HÉROS 

pelle  Cromm  Conaill^.   C'est  évidemment  un  doublet  de 
Cromni  Crùaich. 

Il  y  a  donc  une  parfaite  ressemblance,  qui  va  jusqu'il 
l'identité,  entre  les  envahisseurs  mythiques  et  les  acteurs 
du  drame  festival.  Ils  font  partie  des  mômes  tribus  di- 
vines, ils  se  comportent  de  la  même  manière  et  la  fin  tra- 
gique des  uns  et  des  autres  est  identique. 

Les  esprits  qui  circulent  les  jours  de  fête  sont  aussi 

IDENTIQUES    AUX    ENVAHISSEURS    MYTHIQUES.   Il  en    CSt    de 

même  de  tous  les  esprits  qui  circulent  aux  dates  des  fêtes. 
Ce  sont  les  moments  où  ils  sont  le  plus  actifs.  Leurs 
demeures  souterraines,  les  sidh,  s'ouvrent  la  nuit  de  Sa- 
mhain  et  ils  s'en  échappent  en  foules.  Le  charme  qui  les 
protège  des  regards,  le  féth  flada'^,  est  rompu ^  et  on  peut 

1.  O'Curry,  Mss.  Materials,  p.  631  s.  —  Un  dislricl  du  Munster  est 
menacé  par  la  peste  Cromm  Conaill.  Le  peuple  terrifié  s'assemble  autour 
de  saint  Créiclie  qui  prie  et  agite  sa  sonnette  du  côté  d'où  doit  venir 
le  fléau.  Alors  on  voit  la  foudre  frapper  Cromm  Conaill  et  le  réduire  en 
cendres. 

2.  Nir  léir  dôibsium  sinde  leisin  fia  fiad  ro  loi  umaind,  ocus  ba 
leir  duinde  ialsom  —  «  nous  étions  invisibles  pour  eux  grâce  au  fia 
fiad  qui  était  autour  do  nous,  et  eux  étaient  visibles  pour  nous  ». 
Acallamh  na  Senorach,  éd.  WhiUey  Stokes  dans  Iriscke  Texte  IV,  1.  5238, 
—  ...uair  dà  ttaisbentar  in  fétli  fiadha  aoinf'eacht  do  nec/i  do  niacaibh 
Miledh,  nocha  bia  gabail  re  diamair  no  re  draideachl  ic  nech  do  Tua- 
thaib  De  Danann  =  «  car  si  le  féth  fiadlia  est  montré  (c'est-à-dire, 
si  son  secret  est  connu)  une  seule  fois  à  quelqu'un  d'entre  le  fils  de  Mile 
(les  hommes),  pas  un  seul  des  Tûallia  Dé  Danann  n'aurait  plus  le  pou- 
voir de  conserver  son  mystère  ni  son  druidisme  (sa  pui-ssance  magique)  » 
Tàin  Bô  Cùalnge,  1,  3845  ss.  —  Une  fée  donne  au  héros  Duncan 
O'Hartigan  un  manteau  qui  le  rend  invisible  et  qui  s'appelle  feadli  fia, 
Transactions  of  the  Ossianic  Society,  II,  101.  —  Sur  le  félk  fiada  et 
exemples,  cf.  James  ilenthorn  Todd,  Descriptive  Catalogue  of  the  Book  of 
Ferynoy  dans  Proceedings  of  the  Roy.  Ir.  Acad.,  Irish  Mss  Séries,  p.  46  et 
dans  p.  48;  Tripartite  Life  I  p.  47  ;  Sdvu  Gadelica,  vol.  des  trad.,  p.  228  ; 
H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  mythologique,  p.  277  s.,  p.  280  (fée 
qui  dépouille  son  félh  fiada  avec  ses  vêtements  et  devient  visible  aux 
hommes),  cf.  textes  réunis  par  O'Curry  dans  Atlanlis.  III,  p.  386. 

3.  Cf.  Boyish  Exploits  of  Finn,  citée  chez  Joyce,  op.  cit.,  I,  p.  263  : 
«  On  one  Samain  Night  Finn  was  near  two  shces  ( —  sidh,  demeure 
souterraine  des  génies)  ;   and  he  saw   both  of  thom  open,  after  the 


I.A    LÉr.ENDF.    DE    SAINT    PATRICK  135 

les  voir  tantôt  sous  l'aspect  d'oiseaux  noirs  qui  sortent  du 
sidh  de  Cruachan',  tantôt  sous  forme  d'oiseaux  blancs 
volant  deux  par  deux,  chaque  paire  unie  par  une  chaîne 
de  métal  précieux,  ou  bien  encore  sous  forme  de  cerfs-. 

Or,  nous  savons  par  le  mythe  des  invasions  que  les 
Tûatha  Dé  Danann  se  sont  réfugnés  dans  les  sidh  après 
leur  défaite,  et  nulle  part  on  ne  distingue  une  autre  caté- 
gorie de  génies  parmi  la  population  de  ces  demeures 
divines ^ 

D'autre  part  on  a  deux  légendes  dans  lesquelles  les 
fir-sidhe,  les  hommes  des  sidh,  subissent  les  mêmes  vicis- 
situdes que  les  dieux  des  invasions.  Les  Dinnsenchas 
racontent  qu'à  Moenmagh  en  Gonnaught,  deux  troupeaux 
de  cerfs  enchantés  se  sont  livré  jadis  une  bataille  acharnée. 


Fe-fiada  had  been  taken  off  them  :  and  hc  saw  a  great  fire  in  each  of 
iticdum  (dun  =  forteresse),  andheard  persons  talkingin  them.  Cf.  aussi 
le  texte  publié  par  0"Curry,  Lectures  on  Mss.  Materials,  Dublin,  1861, 
p.  30b. 

{.Le  Tribut  (The  Boroma),éd.  Whilley  Slokesdans  Rev.  Celtique.  XIII, 
p.  449  ;  éd.  Standish  H.  O'Grady  dans  Silva  Gadelica,  vol.  des  trad., 
p.  353. 

2.  Ce  sont  les  deux  aspects,  pour  ainsi  dire  classiques,  des  génies. 
Par  exemple  :  le  jour  de  Satnhain  dans  la  Plaine  de  Muirthemne,  deux 
oiseaux  liés  par  une  chaîne  d'or  rouge  sabatlanl  sur  un  lac.  Ils  chan- 
tent une  musique  douce.  Ce  sont  deux  fées  (Ser(jlige  Conculaind, 
§§  7-8  et  §  13).  Dechtiré,  sœur  de  Conchobar  s'enfuit  un  jour  avec  cin- 
quante jeunes  filles.  Elle  devient  l'épouse  du  dieu  Lug  et  revient  dans 
la  plaine  d'Emain  avec  ses  compagnes  sous  la  forme  d'oiseaux.  [Com- 
pert  Conculaind  éd.  "Windisch,  Irische  Texte,  I  p.  136,  p.  143  ss.)  — 
Dans  le  recueil  de  légendes  et  de  contes  intitulé  Colloques  des  Anciens, 
Accallamh  na  Senorack,  on  voit  continuellement  les  esprits  apparaître 
sous  forme  de  cerfs.  Par  exemple  Caoilte,  un  compagnon  de  Finn,  suit 
un  jour  un  cerf.  Celui-ci  arrive  à  un  tumulus,  met  sa  tète  sous  terre  et 
disparaît  dans  \esidh.  {Silva  Gadelica,  p.  222.)  Cf.  aussi  Tdin  B6  Cùalnge, 
11.  14o0  ss. 

3.  La  retraite  des  Tùalha  Dé  Danann  dans  les  sidk  est  racontée  dans 
la  Conquête  du  Sidh,  De  gabail  inlsida,  une  histoire  conservée  dans 
le  Livre  de  Leinsler,  p.  245,  col.  2,  11.  41  ss.  Elle  n'a  pas  été  publiée 
jusqu  ici  à  notre  connaissance.  Elle  est  résumée  dans  le  Cycle  Mytho- 
logique de  H.  dArbois  de  Jubainville,  p.  208  ss.  bur  l'identité  des  fir- 
aidhe  avec  les  Tùatha  De  Danann,  cf.  Alfred  Nutt,  The  Voyage  of  Bran, 
passiin. 


130  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

et  que  les  liimulus  dont  est  semée  la  plaine  renferment 
leurs  ossements*.  Le  second  récit,  Echtra  Nerai,  nous 
apprend  qu'une  nuit  de  Samhain  le  roi  de  Connaufçht 
Ailill  attaqua  le  s/dh  voisin  de  Cruachan,  sa  résidence, 
massacra  les  génies  et  pilla  leur  château-.  On  voit  que 
cette  légende  est  brodée  sur  le  même  thème  que  l'histoire 
de  Conann. 

Le  THÈME  DE   LA  MORT  DIVINE    EST   LE   THÈME  FONDAMENTAL 

DE  LA  MYTHOLOGIE  IRLANDAISE.  —  Ainsi  Ics  génics  dcs  inva- 
sions OU  des  ôtres  qui  leur  sont  identiques  sont  les  acteurs 
spirituels  du  drame  mythique  qui  se  joue  aux  fêtes. 

Il  en  ressort  qu'il  y  a  une  correspondance  entre  les  épi- 
sodes de  leur  vie  mythique  et  les  actes  de  la  fête,  de  même 
que  ceux-ci  correspondent  aux  incidents  des  mythes  mêmes 
des  fêtes. 

En  effet,  c'est  encore  le  sacrifice  festival  qui  explique 
l'alternance  des  triomphes  et  des  défaites  dans  la  vie  des 
envahisseurs  mythiques.  Le  thème  général  de  leurs  mythes, 
qui  est  le  retour  continuel  de  génies  colonisateurs  qui 
viennent  remplacer  à  certaines  dates  leurs  parents  morts 
ou  bien  exterminés  par  eux,  se  ramène  à  la  représentation 
de  la  mort  périodique  du  dieu  de  la  fête,  mort  qui  est  immé- 
diatement suivie  d'une  résurrection. 

On  a  vu  d'autre  part  que  la  même  représentation  est  au 
fond  des  mythes  de  fêtes.  Elle  est  la  clef  de  voûte  de  toute 
la  mythologie  irlandaise. 

1.  Dinnsenchai  de  Rennes.  Rev.  Celtique.  XVI,  p.  274. 

2.  Publiée  et  traduite  par  M.  Kuno  Mcyer  dans  Revue  Celtique,  X, 
p.  214  ss.  Gf  Catli  Maiglie  Mucramha  dans  Silva  Gadelica,  vol.  des  trad., 
p.  348  :  le  roi  de  Munster  Ailill  Ollomh  s'arrête  sur  la  colline  hantée 
de  Cnoc  Aine  la  veille  de  Samhain.  Il  s'endort  «  au  bruit  des  qua- 
drupèdes »  c'est-à-dire  des  fir-sidke  sous  forme  animale.  Les  génies 
sortent  du  sidh.  Les  compagnons  du  roi  les  attaquent.  Ils  en  tuent 
le  chef,  et  Ailill  enlève  la  fée  Aine,  fille  du  roi  du  sidh. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  137 

Le  même  thème  est  développé  par  l'épopée.  —  Mais 
les  vicissitudes  de  la  vie  divine,  les  défaites  et  la  mort 
succédant  aux  victoires,  rapproclient  les  dieux  des  hommes 
et  des  héros.  Aussi  le  mythe  se  confond-il  fréquemment  en 
Irlande  avec  l'épopée. 

Le  récit  du  Massacre  de  Mag  Muirthemne  est  un 
exemple  topique  de  ce  que  nous  avançons.  Cette  histoire 
est  un  chapitre  de  la  Tàin  B6  Cûalnge  '. 

Il  s'agit  d'un  carnage  terrible  que  Ciïchulaînn  fit  de  ses 
ennemis.  Monté  sur  un  «  char  à  faux  »  et  protégé  par  un 
charme  qui  le  rend  invisible,  le  héros  traverse  et  fauche 
les  rangs  des  armées  coalisées  contre  l'Ulster. 

A  ce  moment  son  aspect  est  monstrueux.  Son  corps 
s'est  retourné  dans  sa  peau,  ses  entrailles  lui  sortent  par 
le  gosier.  Au-dessus  de  sa  tôte  s'élève  un  jet  de  sang.  Il 
parait  «  grand  comme  un  Fomorach"  ».  Enfin,  un  nuage 
noir  chargé  d'éclairs  est  au-dessus  de  sa  tête,  et  il  déverse 
une  pluie  empoisonnée. 

Le  jour  suivant  Ciïchulainn  redevient  jeune  et  beau.  Il 
tient  à  dissiper  l'effroi  inspiré  par  son  aspect  de  la  veille  et 
il  veut  enchanter  ses  ennemis  par  la  beauté  de  ses  formes. 

Ciichulainn  est  le  plus  grand  héros  du  cycle  d'Ulster. 
Il  n'est  point  l'un  de  ces  dieux  dont  nous  parlions  5  l'ins- 


1.  Éd.  VVindisch,  p.  363  ss.,  chap.  xvuj  :  Bresslech  Maige  Murlhemne 
[Carpal  serda) . 

2.  Ibid.,  1.  3804  s  :  go  mba  metilhir  ra  Fomoir.  na  ra  fer  mara  in 
milid  morchalma,  w  de  sorte  quêtait  aussi  grand  qu'un  Fomorach 
ou  un  homme  de  mer  le  guerrier  très  courageu.x  ».  —  Ce  passage 
n'est  pas  dans  Bresslech.  Mais  Cûchulainn  apparaît  aussi  grand  au 
moment  de  sa  première  grimace,  (cétriaslrad)  qu'il  fait  dans  le  récit  de 
Bresslech.  Sur  la  taille  des  Fomoraig,  cf.  II.d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle 
Mythol..  p.  93-  p.  l>7  :  ce  sont  les  géants  des  contes  po|)ulaires.  Quant 
au  fer  mara,  ce  peut-être  aussi  un  Fomorach  :  on  en  a  fait  des  pirates, 
ibid.,  p.  91  ;  Giraldus  Gambrensis,  Topographia  Hibernica,  distinctio 
MI,  c.  3,  éd.  Ulmock,  dans  les  publ.  des  Masters  of  the  Rolls.  —  L'homme 
de  la  mer  gigantesque  et  terrible  est  un  personnage  classique  des  contes 
et  romans  celtiques.  C'est  le  Morholl  d'Irlande  de  Tristan  et  Yseult. 


138  SAINT    PATRlClv    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

tant,  qui  serait  humanisé,  et  ses  faits  et  gestes  appartiennent 
avant  tout  à  l'épopée. 

Et  pourtant  la  légende  que  nous  venons  de  résumer  a 
bien  les  traits  d'un  mythe  analogue  aux  précédents.  Qu'est 
donc  Cûchulainn  fauchant  ses  ennemis,  sinon  la  personni- 
fication d'une  puissance  analogue  i\  l'épidémie  qui  exter- 
mine les  dieux  des  invasions,  ou  bien  à  la  tempête  qui 
fauche  les  épis?  Le  thème  de  la  légende  est  au  fond  le 
même  que  celui  des  mythes.  C'est  encore  un  massacre  suivi 
d'un  triomphe.  N'oublions  pas  que  Cûchulainn  est  le  fils 
du  dieu  Lug,  le  principal  acteur  de  la  bataille  de  Mag 
Tured,  et  que,  suivant  une  version  de  notre  légende,  Lug 
a  combattu  aux  côtés  de  Cûchulainn  le  jour  du  massacre 
de  Mag  Muirthemne  \  II  est  impossible  de  tracer  une  ligne 
de  démarcation  nette  entre  la  mythologie  et  l'épopée  irlan- 
daises. Ainsi  s'expUque  le  fait,  que  l'idée  de  fête  qui  domine 
dans  Tune,  joue  un  rôle  aussi  important  dans  l'autre. 

La  mythologie  irlandaise  est  une    représentation  du 

CYCLE  de  l'année.  SeS  GÉNIES  ET  SES  DIEUX  SONT  DES  GÉNIES 
DE  FÊTES  SAISONNIÈRES  ET  DES  GÉNIES  DE  LA  NATURE.  

On  a  vu  que  la  mythologie  irlandaise  se  ramène  entière- 
ment à  un  seul  type  général  de  mythe  qui  est  précisément 
un  mythe  de  fête.  L'histoire  des  invasions  dont  les  épi- 
sodes sont  ordonnés  suivant  la  succession  des  fêtes  est  une 
représentation  mythique  du  cycle  numérique  de  l'année. 
Ce  cycle  est  divise  en  saisons  qui  correspondent  aux  chan- 
gements de  la  nature.  Comme  les  dieux  et  les  génies  per- 
sonnifient les  points  cardinaux  de  ces  saisons,  ils  sont  en 
même  temps  des  génies  de  la  nature  -. 

1.  Issed  alberal  araile,    ro  fich  Lug  mac    Eilhlend  la    Coinculaind 
sesrig  m-bresslige.   Tain,  l.  2659  s. 

2.  Alfred  Nutt,  Voyage  of  Bran,  dit   que  les  fêtes  irlandaises   sont 


I-A    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  139 

Nous  avons  reconstitué  le  rituel  général  des  fêtes  à 
l'aide  des  mythes.  C'est  un  procédé  légitime,  car  les  fêtes 
et  leur  rituel  d'une  part,  correspondent  normalement  avec 
les  mythes  de  l'autre.  D'ailleurs  les  acteurs  des  mythes 
que  nous  venons  d'analyser  ne  sont  pas  des  personnages 
pris  au  liasard,  mais  ils  ont  une  relation  avec  les  rites  des 
fêtes. 

III 

SAINT  PATRICK  ACTEUR  DU  DRAME  FESTIVAL 

Saint  Patrick  est  mêlé  aux  incidents  des  fêtes  irlan- 
daises. —  Le  culte  de  saint  Patrick  a  sa  place  dans  la  célé- 
bration des  fêtes  saisonnières  en  Irlande. 

11  en  est  devenu  le  protecteur  attitré.  Ainsi  l'assemblée 
de  Mâcha  en  Ulster  se  tient  en  une  plaine  qu'il  a  parcourue 
et   où    Dieu   lui   est  apparue   C'est  à  lui  que   la  fête  de 

agraires.  Elles  le  sont  assurément,  mais  en  tant  que  l'activité  agricole 
est,  comme  toute  autre  activité  sociale,  soumise  au  rythme  des  saisons. 
Le  système  môme  des  saisons  ne  peut  ôtre  expliqué  uniquement  par 
des  considérations  agraires.  —  Quant  à  la  théorie  de  M.  Squire,  Mytho- 
logy  of  Ihe  British  Islands,  suivant  laquelle  la  mythologie  irlandaise 
serait  la  représentation  du  cycle  astronomique  de  l'année  avec  fôtes 
au.x  solstices  et  au.x  équinoxes,  elle  pèche  par  la  base  :  les  quatre 
grandes  fêtes  ne  coïncident  pas  avec  les  dates  des  révolutions  solaires. 
1.  Vie  Triparlite,  éd.  Whitley  Stokes,  p.  238  :  In  chros  deiscertach 
ind  Oenach  Mâchai,  isand  quatuor  currus  ad  Patricium.  In  chros  tuas- 
cerfach  immorro,  isoccai  tarfaid  Dia  dosom  indeilb  bias  fair  in  die 
judicii.  Et  exiit  in  una  die  eu  Combur  tri  nUsgue,  «  près  de  la  croix 
Sud  dans  Oenach  Mâcha  quatre  chars  furent  amenés  à  Patrick.  Près 
de  la  croix  Nord,  Dieu  lui  apparut  sous  l'aspect  qu'il  aura  le  Jour 
du  Jugement.  Et  il  (Patrick)  vint  en  un  jour  à  Combur  tri  n-Usce  » 
(lieu-dit  en  Leinster).  V Oenach  Mâcha  dont  parle  ce  passage  est  le 
lieu  de  la  fête  d'Emain  Mâcha  ou  bien  d'Armagh  {Ard-Macha),  plutôt 
le  dernier,  vu  la  date  de  la  Triparlite:  Emain  était  abandonnée  au 
temps  de  la  christianisation  et  la  fêle  s'était  transportée  il  la  localité 
voisine  d'Armagh.  —  La  mention  des  quatre  chariots  amenés  à  Patrick 
mérite  d'être  retenue.  Peut-être  y  a-t-il  là  une  réminiscence  des 
courses  de  chars  qui  auraient  eu  lieu  entre  les  deux  croix,  l'une  mar- 
quant le  point  de  départ,  l'autre  le  but.  Malheureusement  les  rensei- 


140  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES     HÉRUS 

Tailliu  doit  de  se  passer  dans  une  paix  et  une  harmonie 
parfaites.  Il  a  défendu  d'y  mettre  à  mort  qui  que  ce  soit  et 
d'y  immoler  des  animaux  en  sacrifice'.  De  même,  la  fête 
de  Carman  est  placée  sous  sa  protection.  Un  jour  y  est 
consacré  au  culte  de  Patrick,  patron  de  l'Irlande  entière, 
et  au  culte  des  patrons  particuliers  du  Leinster*. 

Mais  l'association  de  saint  Patrick  à  la  célébration  de 
ces  fôtes  anciennes  est  bien  plus  intime.  Il  est  directement 
mêlé  par  sa  légende  au  système  des  fôtes  et  des  mythes. 

Quand  l'apôtre  arrive  à  Tara  c'est  le  jour  même  d'une 
grande  fête.  Une  assemblée  pan-gôidélique  y  a  lieu  sous 
la  présidence  du  roi  suprême.  Les  druides  y  allument  un 
feu  sacré  et  la  mort  attend  quiconque  en  aurait  allumé  un 
autre  avant  celui  de  la  maison  royale.  Les  chefs  réunis 
passent  leur  temps  en  festins  et  beuveries  \  Bien  que  la 

gnements  qu'on  a  sur  les  fôtes  d'Armagh  et  dEmain  Mâcha  sont  trop 
peu  explicites  en  ce  qui  concerne  les  courses.  Sinon  on  aurait  ici  un 
exemple  remarquable  de  substitution  de  Patrick  à  un  dieu  ou  bien  à 
un  héros  fondateur  de  la  fête. 

1.  Vie  Triparfite,  môme  éd.,  p.  250  :  «  c'est  un  miracle  toujours  renou- 
velé (litt.  toujours  vivant)  :  la  prairie  d'Oenach  Tailtiu  sans  (que 
jamais)  un  mort  (en  soit  emporté).  »  Ce  miracle  est  dû  à  la  bénédiction 
de  saint  Patrick.  —  Cf.  Dinnsenchas  métriques  de  Tailtiu  {Livre  de 
Ballymole,  cité  p.  112,  n.  4  :  Patrick  a  pris  la  fête  sous  sa  protection 
après  avoir  défendu  d'y  immoler  des  bestiaux  et  d'y  brûler  des  nou- 
veau-nés en  sacrifice.  —  Cf.  aussi  Vie  Tripartite,  p.  70  s. 

2.  Aenach  Carmain,  loc.  cit.,  strophe  42. 

3.  Muirchu.  p.  27S  :  «  contigit  uero  in  illo  anno  idolatriae  solemnita. 
tem  quam  gentiles  incantationibus  multis  et  magicis  inuentionibus, 
nonnullis  aliis  idolatri»  superstitionibus.  congregatis  etiam  regibus, 
satrapis,  ducibus,  principibus  et  oplimalibus  populi,  insuper  et  magis 
incantatoribus,  anispicibus  et  omnis  artis  omnisque  doni  (?  irlandais 
dàn,  1)  art  «  :  WhitleyStokes,  note 8)  inuentoribus  doctoribusque  uocatis 
ad  Loigaireum...  in  Temoria...  exercerc  consuerant,  eadem  nocte  qua 
sanctus  Patricius  pasca,  illi  illam  adorarent  festiuitatem  gentilem  ». 
Suit  la  défense  d'allumer  du  feu  sous  peine  de  mort,  caractéristique  de 
Samhain.  (Muirchu,  p.  278,  dernière  ligne,  et  p.  279)  :  «  Erat  quoque 
quidam  mos  apud  illos  (se.  Ilibernenses),  per  ediclum  omnibus  inti- 
matus,  ut  quicumque  in  cunclis  regionibus,  siue  procul,  siue  iuxta,  in 
111a  nocte  incendisset  ignem  ante  quam  in  domu  regia,  id  est,  in  palatio 
Temoriœ  succenderetur,  periret  anima  eius  de  populo  suo  ».  Le  jour 
suivant  les  païens  boivent  et  mangent  dans  une  salle  à  Tara.  —  Cf. 


LA    LKGENDE    DE    SAINT    PATRICK  141 

légende  de  saint  Patrick  assigne  la  veille  de  Pâques  pour 
date  à  celte  solennité,  la  descri])lion  que  nous  est  donnée 
montre  qu'il  s'agit  bien  de  la  Fête  de  Tara,  célébrée,  ainsi 
qu'on  se  le  rappelle,  à  Samhain. 

Le  jour  sui\ant  notre  saint  est  à  Tailtiu.  Or  on  y  court 
précisément  des  courses  royales^. 

Et  h  la  fin  de  l'octave  de  Pâques,  Patrick  se  rend  à 
Uisnech,  où  il  séjourne  auprès  du  roc  qui  marquait  le  centre 
de  l'emplacement  môme  de  l'assemblée", 

La  légende  a  donc  pris  soin  d'associer  le  nom  de  Patrick 
non  seulement  aux  lieux  des  trois  grandes  fêtes  irlandaises, 
mais  h  la  célébration  d'au  moins  deux  d'entre  elles.  Seu- 
lement les  solennités  qui  ont  lieu  respectivement  à  Samhain, 
Lugnasad  et  Beltaine  sont  ramenées  à  une  date  unique,  à 
la  fête  de  Pâques  ^ 

Le  feu  de  Pâques  de  la  légende  de  saint  Patrick  équi- 
vaut AUX  feux  des  fêtes  irlandaises.  —  Mais  revenons 
à  cette  fôte.  Le  premier  acie  de  saint  Patrick  est  de  faire 
un  grand  feu  de  Pâques  malgré  l'interdiction  royale*. 

Le  feu  de  Pâques  est  un  rite  populaire  chrétien.  D'ail- 


Colgan,  Vita  III",  loc.  cit.,  p.  24,  col.  1  :  la  fête  y  est  formellement  appelée 
Feis  Temrach.  Il  s'agit  donc  bien  de  l'assemblée  que  nous  connaissons 
et  qui  était  tenue  à  Samhain.  —  Pourtant  cf.  Bury,  op.  cit.,  p.  107. 

1.  Tlrechân,  p.  307  :  «  l'rima  feria  uenit  (Palricius)  ad  Taltenam,  ubi 
fil  agon  regale  ad  Coirprilicum  filium  Neil  ».  —  De  même  dans  Vie 
Tripartite,  éd.  Stokes.  p.  68.  —  Homélie  du  Lebar  Brecc,  loc.  cit.  p.  465  : 
Patrick  vient  insin  cohaenach  de  ïailliu,  cest-à-dire,  à  l'assemblée  de 
Tailtiu  ou  du  moins  au  lieu  de  cette  assemblée. 

2.  Tirechàn,  p.  310. 

3.  M.  Bury,  op.  cit.,  p.  107,  suppose  que  Pâques  remplace  Beltaine 
dans  la  légende  de  saint  Patrick  considérant,  ibid.,  note,  que  la  fête  de 
Samhain  est  trop  lointaine  de  la  fête  chrétienne.  En  réalité  les  thèmes 
mythiques  de  toutes  les  fêles  onl  été  transportés  à  Pâques. 

4.  Muirchu,  p.  27'J  :  «  sanctus  ergo  Palricius  pasca  celebrans,  incen- 
dit  diuinum  ignem  ualde  lucidum  et  benedictum  »  .Cf.  Tirechàn,  p.  306. 
Même  histoire  dans  toutes  les  Vies  sans  exception. 


142  SAINT    TATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

leurs  les  Mes  disent  expressément  qu'il  était  dans  la  tra- 
dition de  l'Eglise  '.  Mais  les  circonstances  dans  lesquelles 
le  feu  fut  allumé  par  Patrick  nous  obligent  ù  en  tenir 
compte,  parce  qu'elles  le  rapprochent  des  feux  de  fête 
païens. 

On  constate  d'abord  un  parallélisme  général  entre  les 
deux  rites,  de  par  le  fait  même  qu'ils  sont  opposés  l'un  à 
l'autre.  Le  feu  de  Pâques  de  saint  Patrick  est  un  sacrilège 
au  point  de  vue  païen.  Il  est  d'autre  part  la  manifestation 
d'un  pouvoir  divin  nouveau,  appelé  à  remplacer  un  autre 
plus  ancien.  Quand  les  druides  aperçoivent  le  feu  de  saint 
Patrick  ils  exhortent  le  roi  à  aller  l'éteindre,  car  —  disent- 
ils  —  si  on  le  laisse  brûler  jusqu'au  matin,  celui  qui  l'a 
allumé  régnera  pour  l'éternité". 

Remarquons  ensuite  que  l'emplacement  choisi  par  saint 
Patrick  pour  allumer  son  feu  est  un  tombeau,  celui  des 
«  hommes  de  Fiacc  »  ou  Ferta-fer-Féicc  ^.  Or  c'est  sur  des 
emplacements  pareils  que  brûlent  les  feux  des  fêtes  irlan- 
daises. 

Un  cercle  magique  entoure  le  feu  de  saint  Patrick.  Il  est 
interdit  aux  païens  d'y  pénétrer.  Le  saint  en  sort  envi- 

1.  «  luxta  sanctse  Ecclesiœ  consueludinem  de  igné  benedicto  lami- 
naria  accendit  ».  Colgan,  Vita  F/a,  auct.  Jocelino,  p.  74,  col.  1. 

2.  Muirchu,  loc.  cit., ...«  acciditergo  ut  a  Temoria  uideretur  (se.  ignis), 
uissoque  co  conspexerunt  omncs  et  mirali  sunt  ».  Et  les  7)iagi  du  roi 
lui  disent  :  «  Hic  ignis  quem  uidemus,  quique  in  hac  nocte  accensus 
est  anlequam  succenderetur  in  domo  tua,  id  est,  in  palatio  Temoriap, 
nissi  extinctus  fucrit  in  nocte  hac  qua  accensus  est,  nunquam  extinge- 
tur  in  a?ternum  :  insuper  et  omnes  ignés  nostrœ  consuetudinis  super- 
gradielur.  El  iiie  qui  incendit  et  regnum  superueniens  a  quo  incensus 
nocte  in  hac,  superabit  nos  omnes,  et  te,  et  omnes  homines  regni  tui 
reducet  et  cadent  ei  omnia  régna,  et  ipsum  implebit  omnia  et  regnabit 
in  sœcula  sseculornm  ». 

3.  Ferla,  «tombes»,  cf.  Tirechân,  p.  317  «  feceruntfossam  rotundam 
in  simiiitudinem  ferlœ  ».  —  Cf.  Colgani  Vifa  II,  p.  20  où  il  est  dit  que 
Ferta-fer-Féicc  était  appelé  ainsi  parce  que  les  serviteurs  d'un  certain 
Fiacc  y  avaient  creusé  des  tombes  pour  y  enterrer  les  morts.  — 
Ferta-fer-Féicc  est  actuellement  Slane  en  Meath. 


LA    LÉGENDi:    DE    SAINT    PATRICK  143 

ronné  de  llammcs  et  de  fumée,  comme  un  dieu  des  Tiiatha 
Dé  Danann  '. 

Ce  feu  est  encore  le  but  d'une  vérital)Ie  course,  dans 
laquelle  M.  Bury  a  déjà  reconnu  un  rite  analogue  aux  Flur- 
xiniritte  des  pays  germaniques  *.  Neuf  chars  «  suivant  la 
prescription  des  dieux  »  emportent  à  toute  vitesse  le  roi 
Loegaire  et  ses  guerriers  vers  l'étranger  sacrilège '.  Les  têtes 
des  chevaux  sont  tournées  à  gauche,  ce  qui  signifie  qu'ils 
font  un  cercle  dans  le  sens  rituel,  de  droite  h  gauche^. 

On  connaît  la  grande  place  qui  est  donnée  aux  courses 
dans  les  fêtes  irlandaises.  La  légende  de  saint  Patrick  nous 
fournil  ainsi  un  élément  de  plus  pour  la  reconstitution  de 
leur  rituel,  puisqu'elle  nous  indique  que  leur  but  était  le  feu 
même.  La  course  apparaît  donc  comme  un  rite  qui  fait 
partie  de  l'ensemble  des  rites  sacrificiels. 

Enfin  la  légende  de  saint  Patrick  comporte  le  récit  d'une 
mort  rituelle  dans  le  feu. 

Le  feu  de  Pâques  est  un  sacrifice  de  fête.  Ordalie 
DE  Tara.  —  Le  lendemain  des  incidents  de  Ferta-fer-Féicc, 

1.  Muirchu,  p.  t^ù  :  «  Euntibus  autem  illis  dixerunt  magi  régis  : 
Re.x,  nec  tu  ibis  ad  locum  in  quo  ignis  est,  ne  forte  tu  postea  adoraueris 
illum  qui  incendit,  sed  cris  foris  iuxta  et  uocabitur  ad  te  ille,  ut  te 
adorauerit.  et  tu  ipse  dominafus  fueris  et  sermocinabimur  ad  inuiccm 
nos  et  ille  in  conspeclu  tuo,  rex,  et  probabis  nos  sic...  lit  peruenie- 
runt  ad  pnefinitum  locum  ;  discendentibusque  illis  de  curribus  suis  et 
equis  non  intrauerunt  in  circuitum  lociincensi,  sed  sederunt  iuxta  »... 
«  lit  uocatus  estsanctus  Patricius  ad  regem  extra  locum  incensi  ». 

2.  Bury.  op  cit.,  p.  304.  —  Mannhardt,  op  cit.,  I,  p.  382  ss., 
p.  396  ss.,  p.  544  ss.  et  passim. 

3.  Muirchu,  p.  280  :  «  iunctis  VIIIl  curribus  secunduni  deoruni  traditio- 
nera...  in  fine  noctis  illius  perrexit  Loigaire  de  'femoria  ad  Ferli  uiro- 
rum  Face  et  equoruni  faciès  secundum  congruum  illis  sensum  ad 
leuam  uertentes.  »  —  Aussi  Coigan,  Vila  K/*». 

4.  C'est  le  contraire  du  deisiol  ou  deisiul,  rite  bénéficier  qui  consistait 
à  faire  le  tour  de  quelqu'un  ou  de  s'en  approcher  en  lui  présentant 
le  côté  droit  :  Joyce,  op.  cil.,  p.  301  s.  —  Tourner  vers  quelqu'un  son 
côté  gauche  en  un  signe  d'intentions  hostiles  :  exemples  dans  Tàin  Bô 
Cùalnge,  p.  80  s.,  p.  244  ;  cf.  Rev.  Celtique,  XXXIIl.  p.  257. 


144  SAINT    PATniCK    KT    LE    CII.TE    DES    Hl^ROS 

saint  Patrick  vient  ù  Tara  où  se  lient  l'assemblée  des 
hommes  d'Irlande. 

On  propose  une  ordalie  pour  juger  entre  les  deux  reli- 
gions. On  y  soumet  un  druide  qui  a  revôtu  les  ornements 
sacerdotaux  de  Patrick  et  pris  en  main  sa  Bible  d'une 
part,  et  d'autre  part  un  enfant,  Benignus,  que  le  saint  avait 
baptisé  la  veille  et  qui  a  pris  la  tunique  et  le  livre  du  druide. 
Ils  entrent  tous  deux  dans  une  maison,  construite  mi-partie 
en  bois  vert,  mi-partie  en  bois  sec.  On  enferme  le  druide 
dans  la  première  moitié,  Benignus  dans  la  seconde,  et  on 
met  le  feu  à  la  maison. 

Benio'nus  sort  indemne  des  décombres.  Seuls  son  livre 
et  sa  tunique  sont  brûlés.  Quant  au  druide,  il  est  mort  dans 
les  flammes  qui  ont  épargné  les  vêtements  et  le  livre  de 
saint  Patrick  \ 

L'ordalie,  duel  spirituel,  rappelle  les  duels  des  combat- 
tants mythiques. 

L'opposition  du  vieux  druide  brûlé  et  de  l'enfant  qui 
sort  triomphant  du  brasier,  correspond  à  celle  de  la  mort 
et  de  la  renaissance  des  dieux  du  sacrifice.  La  manière 
dont  est  construite  la  maison  incendiée,  en  bois  vert 
et  en  bois  sec,  traduit  le  souvenir  d'un  symbolisme 
naturel. 

D'ailleurs  on  doit  se  rappeler  que  le  thème  de  la  mort 

1.  Résumé  d'après  Muirchu,  p.  284  et  Colgan,  Vita  V'  auctore  Probo, 
p.  ol,  col.  1,  dans  laquelle  il  est  pour  la  première  fois  fait  mention  des 
matériaux  avec  lesquels  a  été  construite  la  maison.  Voir  aussi  Homélie 
du  Lebar  Brecc  dans  Tripartile  Life,  II,  p.  462.  —  Au  temps  où  furent 
compilées  les  Dinnsenchas  (.\u«  siècle),  on  montrait  à  Tara  l'endroit  où 
s'élevait  jadis  la  maison  dans  laquelle  Benignus  et  le  druide  avaient  été 
soumis  à  l'épreuve  :  Dinnsenchas  de  Rennes,  Rev.  Celtique,  XV,  p.  282 
(trad.  p.  286).  — Tlrechân  connaissait  la  légende,  mais  il  ne  fait  pas 
mention  de  la  maison;  p.  306  il  dit  :  «  fecerunt  conflictionem  magnam 
contra  Patricium  et  Benignum.  Gassula  autem  magi  inflammata  est 
circa  Benignum,  cassula  autem  Benigni  filii  Palricii  (voir  plus  loin)  infixa 
est  circa  magum  et  inflammatus  est  magus  in  medio  et  consumptus 
erat  ». 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  145 

sacrificielle  dans  l'incendie  d'une  maison  se  rencontre  dans 
les  mythes  des  fêtes  irlandaises. 

L'ordalie  de  Pâques  à  Tara  aboutit  donc  i\  un  sacrifice 
équivalent  à  ceux  qui  s'accomplissent  dans  les  fêtes.  Cette 
conclusion  n'est  pas  le  seul  résultat  de  notre  analyse,  qui 
nous  a  décelé  en  passant  l'existence  de  rites  symboliques 
dans  le  sacrifice  irlandais. 

Le  feu  de  Pâques  :  saint  Patrick  joue  le  rôle  d'un 
DIEU  SACRIFIÉ.  —  On  vcrra  que  le  feu  de  Ferta-fer-Féicc 
ne  va  pas,  lui  non  plus,  sans  sacrifice. 

A  vrai  dire,  personne  ne  meurt  dans  ce  feu  même.  Mais 
un  attentat  contre  la  vie  de  saint  Patrick  a  lieu  devant  le 
feu  et  à  cause  de  lui.  Il  y  a  donc  une  connexion  très  intime 
entre  le  feu  et  le  crime. 

Il  est  vrai  qu'il  y  eut  attentat  et  non  meurtre.  Mais,  en 
règle  générale,  toute  action  figurée  équivaut  en  matière  de 
rite  à  une  action  réellement  accomplie.  Or  le  roi  Loegaire 
s'était  déjà  levé  pour  tuer  saint  Patrick,  et  il  avait  levé  le 
bras  pour  le  frapper  '.  Seul  un  miracle  empêcha  l'exécution 
du  dessein  criminel. 

On  tue  d'ailleurs  pendant  la  fête  de  Tara  le  cocher  de 
Patrick ^  Or  ce  martyr  n'est  qu'un  substitut  du  saint.  En 
effet,  une  autre  légende,  celle-ci  localisée  en  Munster,  et 
dont  la  nôtre  est  une  réplique,  raconte  que  le  cocher  de 
Patrick  avait  été  tué  par  erreur,  parce  que  les  meurtriers 

1.  Muirchu,  p.  281,  chap.  De  ira  régis. 

2.  Comlholh  Loegairi  co  cretim,  éd.  Plummer,  loc.cil,  p.  166,  et  éd. 
Whilley  Stokcs,  dans  Tripartite  Life,  II,  p.  562  :  iincident  que  raconte 
cette  légende  se  place  après  les  combats  de  saint  Patrick  contre 
les  druides  à  rassemblée  de  Tara.  Les  païens  sont  déjà  convaincus 
de  la  supériorité  de  la  doctrine  chrétienne,  mais  ils  ne  comprennent 
pas  encore  ce  que  l'apôtre  veut  dire  par  pardon  des  injures.  Ils 
décident  donc  d'éprouver  comment  Patrick  lui-même  se  comporterait 
en  cas  d'injure  grave.  Ils  tuent  son  cocher.  Un  tremblement  de  terre 
venge  l'apùtre  en  faisant  mourir  une  foule  de  païens. 

CZARNOWSKI.  10 


146  SAINT    PATRICK    ET    I.E    CULTE    DES    HÉROS 

l'avaient  pris  pour  le  saint'.  Les  cochers  des  légendes 
épiques  sont,  pour  ainsi  dire,  des  doubles  de  leurs  maîtres. 
Ainsi  celui  de  Ciichulainn,  Laeg,  qui  est  le  frère  de  lait  du 
héros,  partage  toutes  les  vicissitudes  de  sa  vie  et  meurt 
dans  la  mémo  bataille". 

Enfin  les  coutumes  de  la  Saint-Martin  perpétuent  la  tra- 
dition d'un  sacrifice  à  saint  Patrick,  qui,  si  nous  jugeons 
comme  nous  venons  de  le  faire  des  sacrifices  païens  réels 
et  mythiques,  tient  la  place  du  sacrifice  même  du  saint. 
On  offre  au  patron  de  la  fête  un  porc^  l'ancien  porc  de 
Samhain,  devenu  le  cochon  de  saint  Patrick,  car  c'est  ce 
saint  qui  a  institué  la  coutume  en  question  ^.  Or  le  même 

\.  Vie  Triparlite.  éd.  Whitley  Stokes,  p.  216  s.  :  le  cocher  du  saint, 
Odrân,  est  tué  par  les  païens  qui  veulent  venger  l'idole  Cenn  Crùaich. 
Il  s'était  dévoué  pour  son  maître,  ainsi  que  nous  lavons  raconté  dans 
le  chapitre  précédent.  Cf.  aussi  extrait  du  Ms.  Raivlinson  B.  512 
dOxford  publié  par  M.  Kuno  Meyer  dans  Hibernica  Minora,  p.  79  ss.  — 
Cf.  liste  des  compagnons  de  saint  Patrick,  Triparlite  Life.  Il,  p.  266. 

—  Cf.  l'histoire  de  Cormac  et  les  Blaireaux,  éd.  Whitley  Stokes  dans 
Titrée  irish  Glossaries,  Introduction,  p.  xLii-p.  xlv,  où  parait  un  druide 
Odrân  lequel  est  en  môme  temps  le  cocher  de  l'intendant  d'un  seigneur. 

—  En  général  les  cochers  de  saint  Patrick  ne  paraissent  dans  sa  légende 
que  pour  mourir.  Ainsi  Tlrechân,  p.  311,  en  mentionne  un  :  «  uenitque 
Patricius  ad  alueum  Sinone  (Shannon)  ad  locum  in  quo  mortuus  fuit 
auriga  illius  Boidmailus  et  sepultus  ibi.  Dicitur  Cail  Boidmail  (Église 
de  Bodmael)  usque  in  hune  diem  et  immolalus  erat  Patricio  ».  Cf.  Vie 
Triparlite,  p.  92  :  Bodmael  est  mort  après  la  victoire  de  l'apôtre  sur 
Cenn  Cruaich,  donc  comme  Odràn.  —  Un  autre  cocher  encore  meurt 
dans  les  parages  du  Mont  Aigle  :  Livre  d'Armagh,  î»  13,  b.  1  :  «  et  per- 
rexit  Patricius  ad  Montem  Egli...  et  defunctus  est  auriga  illius /it  Muirisc 
Aigli,  hoc  est  campum  inter  mare  et  Aigleum  ». 

2.  Mort  de  Cùckulainn,  dans  Épopée  Celtique.  —  Cf.  ibid.,  les  récits 
du  cycle  d'Ulster,  passim. 

3.  Extrait  du  Ms.  Rawli7ison  B.  512  d'Oxford  dans  Triparlite  Life,  II, 
p.  360,  trad.  p.  b61  :  «  Martin,  it  is  he  that  confercd  a  monk's  tonsure 
on  Patrick  :  wherefore  Patrick  gave  a  pig  for  every  monk  and  every 
nun  to  Martin  on  the  eve  of  Martin's  feast,  and  killing  it  in  honour 
of  Martin  and  giving  it  to  his  community,  if  they  should  corne  for  it. 
And  from  that  to  this,  on  the  eve  of  Martin's  feast,  every  one  kills  a 
pig  though  he  be  not  a  monk  of  Patrick.  Finit  ».  —  Homélie  du  Lebar 
Brecc,  ibid..  p.  4o2,  trad.  p.  453  ;  «  As  Patrick  was  (going)  along  his 
way,  he  saw  the  tender  youth  herding  swine,  Mochoa  his  name. 
Patrick  preached  to  him,  and  baptized  and  tonsured  him...  and  he 
(Mochoa)  ordered  a  shaven  pig  (to  be  given)  every  year  to  Patrick, 
and  it  is  still  given.  (Cité  dans  la  trad.  de  Whitley  Stokes). 


LA    LKr.ENDE    DE    SAINT    PATRICK  147 

texte  du  Lehar  lirecc  dit  qu'il  était  interdit  à  saint  Patrick 
de  man<;er  de  la  viande  de  porc'.  Ceci  est  ù  rapprocher 
de  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  du  caractère  sacré  des 
porcs. 

Saint  Patru-k  tient  aussi  le  rôle  d'un  dieu  renaissant. 
—  La  légende  amène  donc  saint  Patrick  à  côtoyer  le  rôle 
de  dieux  sacrifiés.  On  verra  qu'il  est  en  môme  temps  un 
dieu  renaissant  ou  triomphateur. 

Ainsi  l'enfant  Bcnignus,  que  nous  avons  vu  dans  ce  der- 
nier rôle,  est  lui  aussi  un  substitut  de  Patrick.  Il  est  la 
première  personne  que  celui-ci  ait  baptisée  en  Irlande,  le 
disciple  favori  du  saint  et  son  successeur  sur  le  siège 
épiscopal  d'Armagh\  Mieux  encore,  Benignus  est  le  fils 
adoptifde  Patricks  II  est  son  champion  dans  l'ordaUe  de 
Tara. 

De  plus,  Patrick  lui-même  est  l'acteur  d'un  drame  qui 
présente  beaucoup  d'analogie  avec  la  légende  précédente. 
Il  s'agit  du  suicide  de  Milchu,  ou  Miliucc,  l'ancien  maître 
du  saint,  suicide  dont  on  a  déjà  parlé  plus  haut. 

Milchu  s'enferme  dans  sa  maison  avec  tous  ses  biens  et 
il  y  met  le  feu.  Il  meurt  tandis  que  le  futur  dominateur  spiri- 
tuel de  l'Irlande  contemple  l'incendie  du  haut  d'une  mon- 
tagne*. 


1.  Loc.  cil.  —  Cf.  Glossaire  d'O'Davoren  dans  Archiv  fiir  Celtische 
Lexikographie,  p.  407  ;  le  nom  du  cochon  offert  à  la  Saint-Martin  est 
Lapait.  Or  c'est  là  le  nom  même  de  la  sœur  de  saint  Patrick,  Vie 
Triparlile.  p.  12  et  ss. 

2.  Cf.  dans  Triparlile  Life  II,  liste  des  plus  anciens  évoques  d'Armagh. 
Benignus  apparaît  déjà  dans  les  plus  anciennes  Vies,  chez  Tfrechàn  et 
Muirchu. 

3.  Tirechan,  p.  306  :  «  Benigni  filii  Palricii  ».  La  légende  de  l'adop- 
lion  de  Benignus  est  racontée  tout  au  long  ibid,  p.  303. 

4.  Muirchu,  p.  276  s.  —  La  mort  de  Milchu  est  exactement  la  même 
que  celle  de  Sacrovir,  après  sa  défaite  :  Tacite,  Annales,  livre  III, 
chap.  XLvi  (fin)  :  «  Sacrovir...  in  villam   propinquam   cura  fidissirais 


148  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Or  celle  morl  Iragiquc  csl,  on  l'a  vu,  le  premier  signe 
de  ravènemcnl  Iriomphal  du  Règne  nouveau.  La  légende 
de  Milchu  esl  ainsi  une  réplique  des  anciens  mylhes  de 
fêtes,  dans  laquelle  Patrick  lient  le  rôle  du  nouveau  dieu  qui 
se  substitue  au  dieu  mis  à  mort. 

Saint  Patrick  est  un  héros  du  drame  festival  irlan- 
dais. —  D'autres  traits  complètent  le  parallèle  que  nous 
instituons  entre  saint  Patrick  et  les  génies  des  fêtes  irlan- 
daises. 

Au  moment  où  le  roi  à  Ferta-fer-Péicc  se  lève  pour  tuer 
Patrick,  celui-ci  commence  à  chanter  le  psaume  Exsurgat 
me  Dominiis.  Immédiatement  des  ténèbres  profonds  et  un 
tremblement  de  terre  viennent  jeter  le  trouble  dans  les  rangs 
des  païens.  Us  s'entretuent  à  l'aveuglette,  et  le  reste  périt 
dans  la  catastrophe  de  la  nature.  Quatre  survivants  restent 
seuls  auprès  du  feu  de  Pâques  \ 

Des  mylhes  analogues  à  ceux  de  Cùchulainn  à  Mag 
Muirthemne  et  celui  de  Tigernmas  à  Mag  Slecht  sont  réu- 
nis dans  celte  histoire.  L'analogie  avec  le  second  de  ces 
mylhes  va  même  si  loin  que  le  nombre  des  survivants 
après  le  désastre  de  Mag  Slecht  et  celui  de  Ferta-fer-Féicc 
est  exactement  le  même-. 


pergit.  Illic  sua  manu  reliqui  mutuis  ictibus  occidere.  Incensa  super 
villa,  omnes  cremavit  ».  —  Ce  sont  deux  suicides  rituels,  deux  sacri- 
fices, lin  ce  qui  concerne  Milchu,  M.  Bury  a  déjà  remarqué  qu'il  doit 
Être  rapproché  de  Crésus  mourant  volontairement  sur  un  bûcher  : 
op.  cit.,  p.  ^6  s. 

1.  Muirchu,  p.  281  s. 

2.  Dinnsenchas  métriques  de  Mag  Slecht,  éd.  Kuno  Meyer,  strophe  10  : 
Uair  itgén,  achl  celhramthi  slùaig  Gâidel  n-(jér  fer  i  m-belhaid  — 
bùan  in  sàs  —  ni  dechaid  cen  bds  Jias  bel.  «  car  j'ai  appris,  que 
sauf  quatre  de  la  troupe  des  hardis  Gôidels,  pas  un  homme  n'est 
(demeuré)  en  vie  —  c'est  une  durable  embuscade  !  —  (aucun) 
n'échappa  sans  la  mort  ».  Cf.  Muirchu,  p.  281  :  De  tous  les  païens, 
seuls  le  roi,  la  reine  et  deux  autres  Irlandais  demeurent  auprès 
de  saint  Patrick. 


À 


LA    LKOF.NDK    DE    SAINT    PATRICK  449 

Notons  encore  que  pour  déjouer  un  complot  contre  sa 
vie  Patrick  change  ses  compa|]^nons  et  lui-môme  en  cerfs 
et  se  rond  ainsi  pendant  la  nuit  de  PAqucs  de  Forla-fer- 
Féicc  :\  Tara'.  Le  miracle  de  celte  transformation  fut 
opéré  par  la  vertu  d'un  hymne  composé  par  le  saint.  Or 
le  titre  de  cet  hymne  est  Faeth  fiada\  le  nom  même  du 
ciiarme  qui  protège  les  «  hommes  des  sidli  »,  qui  circulent 
en  forme  de  cerfs  les  nuits  de  fêle. 

Ainsi  la  légende  de  saint  Patrick  résume  l'épisode  essen- 
tiel des  mythes  irlandais  qui  ont  Irait  aux  fôles.  Quant  au 
saint  lui-même,  il  réunit  les  traits  des  divers  acteurs  du 
drame  festival,  ceux  du  dieu  sacrifié  en  môme  temps  que 
ceux  du  dieu  nouveau,  ceux  du  dieu  qui  triomphe  dans  un 
carnage  comme  ceux  des  génies  qui  circulent  aux  fôles. 
EIntre  tous  les  héros  des  mythes  et  des  légendes,  saint 
Patrick  est  peut-ôlre  la  personnification  la  plus  complète- 
ment adéquate  à  Tensemblè  des  représentations  qui  régissent 
la  célébration  des  fôtes  irlandaises. 

La  légende  de  saint  Patrick  est  une  légende  de  prin- 
temps. —  Mais  la  légende  de  saint  Patrick  est  plus  parti- 
culièrement une  légende  du  printemps. 

Elle  se  passe  à  PAques.  Or  de  môme  que  les  envahis- 
seurs mythiques  arrivent  le  jour  de  Beltaine,  qui  est  une 
fête  du  printemps,  Patrick  débarque  à  Pâques. 

Le  caractère  pi'inlanier  de  Pâques  ressort  encore  de 
l'épisode  de  la  légende  qui  a  pour  théâtre  le  Mont  Aigle. 

1.  Muirchu,  p.  282  :  Saint  Patrick  bénit  ses  huit  compagnons,  dont 
un  jeune  garçon  (Benignus),  et  il  les  amène  au  roi.  Celui-ci  les  compte 
et  tout  à  coup  les  chrétiens  disparaissent  aux  yeux  des  païens.  A  leur 
place  ceux-ci  voient  «  octo  tantum  ceruos  cum  hynulo  euntes  quasi 
ad  dissertum  ». 

2.  Publié  sous  ce  litre  par  Whitley  Stokes  dans  Triparlite  Life,  I, 
p.  48  ss.  —  Cf.  la  légende  qui  raconte  la  composition  de  cet  hymne, 
ibid..  Introduction.  —  Cf.  Keating,  éd.  Dinneen,  vol.  cité,  p.  148. 


150  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES 'HÉROS 

Pendant  les  quarante  jours  du  Carême  Patrick  endure  les 
persécutions  des  démons.  Des  oiseaux  noirs  Tassaillcnt  en 
bandes  innombrables.  Il  est  à  bout  de  forces.  Mais,  lorsque 
vient  Pfîques,  les  oiseaux  noirs  disparaissent  et  un  ange 
vient  consoler  le  saint.  Enfin  se  lève  le  soleil,  et  au  même 
moment  les  âmes  des  saints  Irlandais  passés,  présents  et  à 
venir  entourent  le  saint  sous  la  forme  d'oiseaux  blancs'. 

Ainsi  le  triomphe  pascal  de  saint  Patrick  a  lieu  après 
une  période  de  souffrance  et  d'affaiblissement.  Il  est  d'autre 
part  le  signal  de  la  venue  d'esprits  bienfaisants  qui  se  subs- 
tituent à  des  génies  malins  et  qui  seront  les  semeurs  de 
biens  spirituels,  de  même  que  les  génies  des  fêtes  printa- 
nières  amènent  le  renouveau  de  la  nature. 

Saint  Patrick  est  même  directement  associé  à  celui-ci. 
Sa  propre  fête,  le  17  mars,  marque  le  milieu  du  printemps 
irlandaise  De  plus,  c'est  la  fête  du  shamrock,  plante  qui 
reverdit  précisément  vers  le  milieu  du  mois  de  mars.  On 
décore  les  chapeaux  de  shamrock  le  jour  de  la  Saint- 
Patrice  en  Irlande',  et  dans  certaines  localités  de  l'île  on 
en  mange  même  *. 

Caractère  solaire  de  saint  Patrick.  —  Enfin  saint 
Patrick  présente  certains  caractères  d'un  génie  solaire. 

Sa  fête  coïncide  avec  l'équinoxe  du  printemps. 

Elle  tombe,  on  l'a  vu,  le  17  mars.  Or,  c'est  la  date 
même  de  l'équinoxe  réel  vers  l'année  700,  suivant  le  calen- 

1.  Cf.  chapitre  suivant,  p.  192  s.  et  p.  195. 

2.  Tirechân,  p.  333  :  Patrick  a  lui-même  ordonné  que  sa  fête  soit 
célébrée  «  in  medio  ueris  ».  On  sait  que  la  saison  erracht  durait 
d'Imbulc  à  Beltaine.  Son  milieu  coïncidait  donc  à  deu.x  jours  près  avec 
la  Saint-Patrice. 

3.  A  Londres  par  exemple  tous  les  Irlandais  vont  le  17  mars  avec 
des  touffes  de  shamrock  au  chapeau. 

4.  Ainsi  dans  la  paroisse  de  Maghera  (Down)  :  The  Folk  Lore  Journal, 
II,  p.  212.  —  Cf.  ibid.  p.  211  :  rites  saisonniers  de  la  Saint-Patrice  dans 
la  paroisse  de  Dungiven. 


LA    LÉGENDK    DE    SAINT    PATRICK  151 

drier  Julien.  Celte  date  était  le  18  mars  à  partir  de  350  jus- 
qu'à l'année  GoO  environ,  el  le  19  mars  au  début  du 
VI*  siècle. 

La  date  de  la  mort  de  saint  Patrick  est  déjà  bien  établie 
au  vil"  siècle',  cl  sans  doute  dès  le  vi°,  c'est-à-dire  à  une 
époque  où  la  différence  entre  l'équinoxe  et  la  date  en  ques- 
tion était  de  un  ou  de  doux  jours.  G'est-là  une  différence 
tellement  peu  sensible  que  nous  pouvons  n'en  tenir  aucun 
compte.  11  y  a  bien  d'autres  fûtes,  comme  la  Noël  et  la  Saint- 
Jean-Baplisle,  qui  sont  plus  éloignées  des  solstices  et  dans 
la  célébration  desquelles  on  relève  pourtant  des  faits  en 
rapport  avec  les  solstices-. 

Il  en  est  de  môme  dans  la  légende  du  17  mars.  Le  soleil 
s'arrête  au  moment  de  la  mort  de  saint  Patrick  ''\ 

Il  luit  sans  discontinuer  pendant  douze  jours  et  douze 
nuits.  Et  l'on  assure  que  toute  Tannée  qui  suivit  la  mort  de 
l'apAtre  les  nuits  furent  moins  sombres  que  d'habitude*. 

Cette  histoire  n'est  évidemment  qu'une  réplique  de  celle 
de  Josué.  Néanmoins,  la  raison  probable  de  l'emprunt  est  la 
coïncidence  de  la  fête  de  saint  Patrick  avec  l'équinoxe. 

Caiuctkre  lumineux  de  saint  Patrick.  Saint  Patrick 
GÉNIE  DE  LA  NATURE.  —  De  plus,  Saint  Patrick  est,  comme 
le  soleil,  rempli  d'une  puissance  lumineuse  et  chaude. 

Deux  de  ses  néophytes  ont  été  touchés  par  la  Grâce  en 
voyant  une  volée  d'étincelles  partir  de  la  bouche  du  saint 
et  tomber  dans  la  leur.  Quand  Patrick  lève  la  main  ses 
cinq  doigts  éclairent  la  plaine  à  la  façon  de  cinq  torches. 

1.  Tlrcchân,  loc.  cit.,  «  in  medio  ueris  »,  donc  dès  la  seconde  moitié 
du  vii'siôcle. 

2.  Pour  exemples  voir  Mannhardt,  op.  cit.,  I. 

3.  Hymne  de  Fiacc,  loc.  cit.,  versets  29  et  30. 

4.  Muirclm,  p.  2%  s.  ;  Colgan.  Vita  V»,  p.  60,  col.  1  et  2. 
o.  Tirechân,  p.  330. 


152  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Enfant,  il  change  des  glaçons  en  feu  et  il  rallume  un  foyer 
en  faisant  tomber  des  gouttes  d'eau  de  ses  doigts*. 

Dans  le  tournoi  magique  dont  on  a  déjî\  parlé  Patrick  est 
toujours  le  représentant  de  la  clarté  et  de  la  chaleur  bien- 
faisantes. Il  fait  fondre  la  neige  et  reluire  le  soleil. 

Mais  cette  dernière  légende  nous  ramène  au  caractère 
de  génie  de  la  nature  printanière,  qu'on  a  déjà  considéré 
dans  saint  Patrick.  En  efTet,  le  tournoi  en  question  a  lieu  à 
Pâques.  D'autre  part  le  saint  déclare  ne  vouloir  faire  que 
des  miracles  qui  soient  conformes  au  caractère  chaud  et 
bienfaisant  de  la  saison,  tandis  que  les  druides  en  font  de 
contraires'. 

Caractère  national  de  la  légende  de  saint  Patrick.  — 
La  puissance  naturelle  de  saint  Patrick  éclate  et  triomphe 
dans  la  fête  du  printemps.  Sa  légende  et  son  culte,  comme 
ceux  des  grands  dieux  de  la  m3'thologie  païenne  le  mêlent 
aux  fêtes  et  rassemblent  Jes  représentations  que  suggèrent 
les  fêtes.  Or  il  faut  observer  que  la  vie  collective  de  la 
société  gùidélique  ne  s'exprime  que  par  les  assemblées  fes- 
tivales.  En  dehors  de  celles-ci  le  groupe  social  n'a  aucune 
cohésion.  Il  n'y  a  en  Irlande  ni  villes,  ni  villages.  Les 
membres  des  groupes  vivent  dispersés.  En  temps  ordinaire 

1.  Vie  Tripat'lile,  l"  partie. 

2.  On  pourrait  jeter  beaucoup  plus  de  lumière  sur  le  caractère 
solaire  de  saint  Patrick  si  Ion  pouvait  le  comparer  à  des  dieux  ou 
héros  solaires  irlandais.  Malheureusement,  et  malgré  ce  qu'on  a  écrit 
sur  ces  dieux  (Cf.  Rhys,  The  origin  and  growlh  of  religion  as  illusLra- 
tecl  by  celtic  heathendom  (Hibbert  Lecture)  Londres,  1888,  qui  voit  des 
dieux  et  des  héros  solaires  dans  les  personnages  des  mythes  et  de 
l'épopée  irlandaise),  la  question  des  cultes  solaires  gôidéliques  demeure 
entière.  —  Il  n'y  a  pas  non  plus  à  tenir  compte  des  épithètes  dont  les 
hagiographes  gratifient  Patrick.  Cf.  Félire  Oengusso,  au  17  mars, 
Lassar  gréine  ane,  apstal  liErenn  huaige,  Patraic...  «  Flamme  d'un 
splendide  soleil,  apôtre  de  l'Irlande  virginale,  Patrick.  »  —  Cf.  aussi  le 
préambule  à  la  Vie  Tripartite  :  Patrick  est  un  rayon  du  Soleil  de 
Justice  qui  est  le  Seigneur,  etc.  Tout  ceci  n'est  que  de  la  rhéto- 
rique. 


LA    LÉGENDE    DE    SAINT    PATRICK  153 

ils  n'existent,  pour  ainsi  dire,  que  comme  individus.  Ils  ne 
se  rencontrent  qu'aux  dates  des  fôtes. 

Ce  qui  est  vrai  pour  les  groupes  subordonnés,  l'est  d'au- 
tant plus  pour  la  nation.  Celle-ci  se  compose  de  clans 
autonomes,  en  guerre  continuelle  les  uns  contre  les  autres. 
Il  n'existe  aucun  pouvoir  central  capable  de  contenir  les 
velléités  d'indépendance,  car  le  roi  suprême  n'est  souve- 
rain qu'en  théorie  et  c'est  à  peine  s'il  parvient  à  maintenir 
son  propre  apanage  contre  les  appétits  de  ses  vassaux. 

Seules  les  grandes  assemblées  de  Tara,  Uisnech  et 
Tailtiu  marquent  une  trêve  à  la  guerre  et  à  l'isolement. 
Les  chefs  et  les  délégués  de  toutes  les  provinces  y  parais- 
sent. Ils  délibèrent  sous  la  présidence  effective  du  roi 
suprême,  ils  prennent  part  aux  mêmes  banquets,  ils  célè- 
brent ensemble  les  mêmes  cérémonies  religieuses.  Les 
trois  grandes  fêtes  en  question  sont  ainsi  les  seuls  moments 
où  la  nation  apparaisse  organisée. 

Or,  on  a  vu  que  la  légende  de  saint  Patrick  est  précisé- 
ment un  mythe  de  ces  fêtes  nationales.  Elle  est  ainsi  une 
légende  dans  laquelle  s'exprime  la  vie  même  de  la  nation 
irlandaise.  Le  caractère  national  de  cette  légende  résulte 
en  bonne  partie  de  là. 


CHAPITRE  IV 

LES  REPRÉSENTATIONS  IRLANDAISES  DE  LA  MORT 
ET  DES  MORTS  DANS  LA  LÉGENDE  DE  SAINT  PATRICK 


Nous  avons  appelé  indifféremment  dieux,  esprits,  génies, 
héros  les  personnages  que  nous  avons  vu  vivre  aux  fêtes 
les  épisodes  de  leur  vie  mythique. 

On  a  vu  dans  le  chapitre  précédent  que  les  générations 
divines,  dont  les  Irlandais  ont  peuplé  leur  univers  naturel 
et  surnaturel,  prenaient  place  dans  les  fêtes  :  foule  innom- 
brable des  génies  anonymes  qui  surgissent,  circulent  ou 
disparaissent,  protagonistes  du  drame  mythique,  ils  s'y 
livrent  d'éternelles  batailles. 

Nous  entreprendrons  d'abord  de  faire  voir  que  ce  sont 
des  héros  Saint  Patrick  ressemble  aux  uns  et  aux  autres. 
L'assimilation  étant  acquise,  la  conclusion  visée  ressortira 
de  cette  démonstration. 

Avant  tout  on  constatera  que  les  génies  en  question  ne 
sont  pas  seulement  des  dieux,  des  êtres  spirituels  sans  lien 
avec  l'humanité,  mais  que  ce  sont  en  môme  temps  des 
morts  et  des  ancêtres,  et  que  ceux  de  ces  esprits  qui  ont 
un  nom  sont  précisément  de  ces  personnages  que  nous 
rangeons  habituellement  dans  la  catégorie  des  héros. 

On  verra  que  la  ressemblance  indiquée  plus  haut  entre 
génies  et  les  morts  héroïques  est  d'autant  plus  parfaite, 
que  de  leur  côté  les  morts  et  les  ancêtres,  en  tant  qu'ils 


156  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

deviennent   l'objet   d'un   culte,  reçoivent  précisément  le 
même  culte. 

En  ce  qui  concerne  saint  Patrick,  on  observera,  dans 
cet  ordre  d'idées,  entre  son  type  légendaire  et  ceux  du  paga- 
nisme irlandais  des  ressemblances  qui  équivalent  à  celles 
qui  viennent  d'être  signalées. 

Les   GÉNIES   DES  FÊTES  SONT    DES    MORTS,  DES  ANCÊTRES   ET 

DES  HÉROS.  —  I.  Ils  sont  des  morts.  Le  fait  est  qu'ils  se 
confondent  avec  les  esprits  des  morts. 

Les  principaux  personnages  des  mythes  que  nous  avons 
passés  en  revue  sont  des  dieux  de  la  mort.  Le  nom  de  Bel, 
en  l'honneur  duquel  est  célébrée  la  fête  de  Beltame,  ou  du 
Feti  de  Bel,  et  celui  de  Bile,  père  de  Mile,  le  dernier  envahis- 
seur mythique  paraissent  dériver  tous  deux  de  la  racine 
bel  «  mourir  »  et  si  cette  élymologie  est  contestable,  il  ne 
l'est  pas  qu'on  ait  imaginé  un  dieu  Bel,  dieu  de  la  mort  V 
Le  nom  de  Tigernmas,  est  expliqué  par  tiffern-ôais,  «  sei- 
gneur de  la  Mort»-.  Les  Fomoré  sont  des  dieux  des 
morts  ^  On  se  rappelle  leur  amour  pour  la  mort  et  la 
nuit.  Un  de  leurs  principaux  chefs  dans  la  bataille  de  Mag 
Tured,  Tethra,  règne  sur  les  morts,  d'après  un  récit, 
Echtra  Condla^. 

Les  envahisseurs  mythiques  viennent  du  pays  des  morts. 
C'est  une  contrée  située  à  l'extrême  Ouest,  au  delà  de  la 
mer.  La  mort  des  génies  est  représentée  dans  certaines  ver- 


i.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  —  Le  Cycle  Mythologique,  p.  225. 

2.  Ibid.,  p.  IH. 

3.  Ibid.,  p.  91  ss. 

4.  Publié  par  M.  Windisch  dans  sa  Kurzgefasste  irische  Grammatik. 
Traduction  française  par  H.  d'Arbois  de  Jubainville  dans  L'Épopée 
Celtique  en  Irlande,  p.  388. 


LES    REPRESENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         157 

sions des  mythes  d'invasion  comme  un  retour  dans  ce  pays'. 

Aucun  vivant  ne  peut  y  débarquer.  La  mer  engloutit  les 
vaisseaux  des  fils  de  Nemed  au  moment  où  ils  allaient  tou- 
cher Tor-Inis. 

Inversement,  les  héros  qui  ont  pénétré  dans  le  pays  divin 
ne  peuvent  plus  toucher  du  pied  la  terre  des  hommes. 
Ainsi  lorsque  Bran,  fils  de  Febal,  l'un  de  ces  héros,  aborda 
en  Irlande  à  son  retour,  un  de  ses  compagnons  qui  avait 
touché  la  terre  du  pied  fut  immédiatement  réduit  en  cen- 
dres ■.  11  est  pareillement  interdit  au  héros  Loegaire,  fils 
de  Crimthann,  qui  revient  d'une  expédition  chez  les  génies, 
de  descendre  de  chevaP.  C'est  que  ces  héros  ne  sont  plus 
des  hommes,  mais  des  revenants. 

Il  s'agit  donc  bien  d'un  pays  des  morts. 

D'autre  part,  les  génies,  ou  une  partie  d'entre  eux, 
habitent  ordinairement  des  palais  souterrains,  les  sîdh.  Or 
les  sîdh  sont  généralement  des  sépultures.  Celui  de  Brugh 
na  Boinne  par  exemple,  un  des  plus  fameux,  est  un 
tumulus  à  chambre  funéraire  '. 


1.  Par  exemple  la  version  de  Nennius  sur  la  mort  des  fils  de 
Nemed  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  p.  117. 

2.  Imram  Brain  maie  Febail,  éd.  Kiino  Meyer,  dans  Alfred  Nutt 
et  Kuno  Meyer,  The  Voyage  of  Bran,  Londres,  1895,  I,  p.  32-33.  —  Le 
pays  que  Bran  a  visite  a  bien  tous  les  traits  du  pays  divin.  Comme 
Tor-Inis,  comme  l'Espagne  il  est  situé  à  l'Ouest.  Personne  ne  peut  le 
découvrir,  s'il  n'est  conduit  par  un  dieu  (Manannan  mac  Lir  dans 
Imram  Brain).  C'est  un  pays  de  vie,  de  jeunesse  et  de  santé  éter- 
nelles. Cf.  la  description  du  royaume  de  Bregon  en  Espagne  dans 
V Histoire  de  Tadg,  fils  de  Cian,  Silva  Gadelica,  II,  p.  385  ss. 

3.  Silva  Gadelica,  p.  290. 

4.  James  Copeland  Borlase,  The  Dolmens  of  Ireland,  II,  p.  345  ss. 
Brugh  na  Boinne  est  identique  à  la  grande  tombe  de  Newgrange 
(Cté  de  Meath).  L'intérieur  renferme  une  allée  couverte  qui  conduit  à 
(les  chambres  funéraires.  Les  parois  sont  décorées  de  sculptures  dans 
le  même  style  que  celle  de  «iavr'inis  dans  le  Morbihan.  —  Le  tumulus 
de  Newgrange  et  les  autres  tumulus  du  même  type  sont  antérieurs  à 
l'époque  gôidélique.  mais  ils  ont  en  partie  continué  à  servir  de  sépul- 
tures jusqu'à  un  temps  relativement  récent. 


158  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

On  pénètre  aussi  dans  le  pays  des  génies  par  des  grottes. 
Ces  grottes  servent  de  sépultures  ou  bien  elles  sont  entou- 
rées de  tombeaux.  Citons  comme  exemple  celle  de  Crua- 
chan  en  Connaught^ 

Un  passage  du  récit  épique  Togail  Bruidne  Dà  Derga 
nous  montre  les  morts  mêlés  à  la  population  des  sidh. 
Trois  cavaliers  rouges  que  rencontre  le  roi  Conaire  Môr 
lui  déclarent  :  «  Nous  montons  des  chevaux  du  séjour 
des  sidhe  :  bien  que  nous  soyons  vivants  nous  sommes 
morts  »  ". 

Ainsi  les  génies  des  fêtes  et  les  morts  habitent  en  commun 
le  même  monde,  où  ils  sont  régis  par  les  mêmes  dieux  de  la 
mort. 

Autre  raison.  Les  génies  des  fêtes  ont  alternativement 
une  existence  d'hommes  et  une  existence  d'esprits  désin- 
carnés, c'est-à-dire  de  morts. 

Un  exemple  topique  nous  est  fourni  par  un  texte 
mythologique,  Tochmarc  Etdine,  ou  la  Cour  faite  à 
Etam\ 

Etâin  était  une  bansidhaig^  c'est-à-dire  une  fée,  mariée 
au  dieu  Mider  qui  régnait  sur  le  sidh  de  Breg-Léth  en  Meath. 
Après  diverses  péripéties  Etâin  naît  parmi  les  hommes 
comme  fille  d'un  roi  et  elle  devient  la  femme  du  roi 
Eochaidh  Airem. 


1.  Sur  cette  grotte,  cf.  plus  haut  à  propos  du  sidh  de  Cruachan.  On  y 
a  retrouvé  des  sépultures.  Cf.  Joyce,  op.  cit.  il,  p.  556. 

2.  Éd.  Whitley  Stokes  dans  Rev.  Celt.  XXII,  p.  39. 

3.  Tochmarc  Etàine,  éd.  Windiseh.  dans  Irische  Texte,  I  p.  H7  ss.. 
130  ss.  Résumés  :  d'Arbois  de  Jubainville,  Le  Cycle  Mythol.,  p.3Hss.  ; 
OCurry,  Mannersand  Cusloms.  t.  Il,  p.  19:2  ss.  et  Alfred  Nutt  Voyage 
of  Bran,  II.  Des  fragments  de  la  légende  ont  été  en  outre  publiés  par 
le  Dr.  Stern  dans  Z/l.  fur  Celt.  Philol.  V,  3.  pp.  522  ss.  Cf.  étude  sur 
Tochmarc  Etdine  par  Alfred  Nutt  dans  Hev.  Celt.  XXVII,  p.  325  ss. 
Cf.    Zimmer  dans  Kuhns  Zfl.,  XXVIII,  p.  585  ss. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         159 

Mais  Mider,  qui  n'a  pas  oublié  son  ancienne  compagne, 
essaye  de  décider  la  jeune  femme  à  le  suivre.  Comme  elle 
refuse,  il  l'enlève  et  la  cache  dans  son  sidh. 

La  science  d'un  druide  permet  pourtant  à  Eochaidh  de 
découvrir  sa  retraite.  Il  attaque  le  sîdh,  défait  les  génies 
et  reconquiert  sa  femme. 

Ainsi  Etâin  est  en  même  temps  une  fée  et  une  femme 
morte.  En  effet,  elle  n'a  jamais  cessé  d'être  une  bansi- 
dhaig,  puisque  Mider  la  reconnaît  pour  son  ancienne  com- 
pagne et  qu'en  l'enlevant  il  ne  fait  que  la  ramener  parmi  les 
dieux.  Et  cependant  Etâin  est  une  femme  née  d'une  femme, 
et  la  longue  liste  de  ses  ancêtres  humains  lui  permet  de 
mépriser  le  séducteur  Mider,  qui  n'est  qu'un  simple  dieu 
et  par  conséquent  dépourvu  de  généalogie.  Elle  ne  se 
souvient  pas  de  son  existence  antérieure  dans  le  sidh.  L'en- 
lèvement d'Etàin  par  un  dieu  est  donc  une  représentation 
de  la  mort  humaine,  représentation  qui  est  d'ailleurs  uni- 
versellement répandue.  Lorsque  Eochaidh  reconquiert  sa 
femme  ce  n'est  pas  seulement  une  fée  qu'il  ramène.  C'est 
une  morte  qu'il  ressuscite. 

Or  Etâin  appartient  au  groupe  de  nos  génies  de  fêtes.  En 
effet,  elle  habite  comme  eux  un  sidh^  qui  est  un  lieu  de  fête 
[oenach),  et  son  mari,  Mider,  est  connu  par  d'autres  textes 
comme  un  des  Tûatha  Dé  Danann.  Tous  les  épisodes  de 
l'histoire  ont  d'ailleurs  pour  théâtre  des  assemblées  et  des 
banquets.  Ce  ne  peut  être  que  pendant  une  fête  que  le  sîdh 
est  attaqué  et  pris  par  les  hommes,  car  les  demeures  des 
dieux  sont  inaccessibles  en  temps  ordinaire. 

Cette  histoire  nous  donne  un  exemple  de  la  double  na- 
ture, humaine  et  spirituelle,  de  nos  génies.  En  tant 
qu'hommes  mêlés  aux  incidents  de  la  vie  humaine,  ce  sont 
d'anciens  dieux.  En  tant  que  dieux,  ce  sont  d'anciens 
hommes,  c'est-à-dire  des  morts. 


160  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

II.  lis  so7it  des  ancêtres.  Ce  sont  aussi  des  ancêtres. 

Les  Dinnsenchas  de  Carman  nous  apprennent  que  les 
esprits,  qui  se  réunissent  en  assemblées  en  môme  temps 
que  les  vivants,  sont  des  ancêtres  de  ceux-ci  '. 

Les  héros  qui  partent  pour  le  pays  des  génies  reviennent 
parmi  leurs  ancêtres.  Dans  le  récit  déjà  cité  de  Togail 
Bniidne  Dd  Derga,  le  roi  Conaire  Môr  se  voit  interdire 
la  chasse  à  des  oiseaux  qui  se  sont  échappés  d'un  sîdh, 
car  il  deviendrait  le  meurtrier  de  ses  ancêtres.  Leur  roi 
est  son  père  -. 

L'identité  des  génies  avec  les  ancêtres  des  hommes 
ressort  encore  des  mythes  d'invasions. 

En  effet,  les  Irlandais  descendent  tous  du  même  dieu 
de  la  mort  qui  a  donné  naissance  aux  génies  envahis- 
seurs. Bile,  père  de  Mile,  est  identique  audieuBeP.  Cette 
généalogie  est  d'ailleurs  confirmée  par  l'existence  d'une 
croyance  analogue  chez  les  Gaulois  qui,  suivant  César,  pré- 
tendaient descendre  de  Dispater\ 

Les  ancêtres  des  hommes,  qui  se  confondent  avec  la 
race  de  Bel,  se  confondent  encore  avec  les  Fomoraig.  Le 
pays  d'origine  des  uns  et  des  autres  est  celui  où  s'élève 
la  tour  des  dieux,  et  d'autre  part  YEchtra  Condla  fait 
présider  les  assemblées  des  ancêtres  humains  par  le  roi 
des  Fomoraig,  Tethra^  Or  les  Fomoraig  sont,  on  l'a  vu, 
les  plus  anciens  des  dieux  et,  par  conséquent,  leurs 
ancêtres  communs. 

Ce  n'est  donc  pas  une  tribu  particulière  de  génies  qui  se 
confond   avec   les  ancêtres  des  hommes.   C'est   la  série 

1.  Aenach  Carmain,  strophe  B,  chez  O'Curry,  op.  cit.,  III,  p.  530. 

2.  Éd.  Whitley  Stokes,  §  13,  daus  Rev.  Celtique,  XXII,  p.  24. 

3.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  p.  225. 

4.  De  bello  gallico,  livre  VI,  chap.  18. 

5.  Loc.  cit.,  p.  388. 


LES    REPRESENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         161 

entière  des  envahisseurs  mythiques,   toute  la  masse  des 
génies  réveillées  par  la  fùtc,  qui  leur  est  identique. 

III.  //*•  sont  des  héros.  —  Parmi  ces  génies,  quelques- 
uns  prennent  une  personnalité  et  un  nom  propres,  sans  tou- 
tefois cesser  d'ôtre  attachés  à  leur  tribu  divine.  Mais  à 
côté  de  ces  personnages,  on  en  a  vu  d'autres  à  titre  indi- 
viduel paraître  dans  les  mythes  des  fêtes.  On  verra  que 
ceux-ci  également  ne  sont  pas  purement  et  simplement  des 
dieux.  Ils  sont  des  morts,  des  ancêtres  et  des  héros. 

La  fée  Mongfind,  en  l'honneur  de  laquelle,  suivant  le 
rédacteur  d'un  récit  épique,  la  mort  de  Crimthann,  la 
fête  de  Samhain  était  appelée  Fête  de  Mong/iiid,  et  à 
laquelle  on  adressait  des  prières  à  celte  date,  est  une  reine 
morte.  Femme  du  roi  suprême  Eochaidh  Muigmcdon,  elle 
fut  régente  du  royaume  après  la  mort  de  son  mari  et 
elle  meurt  empoisonnée  pendant  un  banquet  de  Samhain*. 

Il  en  est  de  même  de  la  fée  Mâcha,  dont  on  a  parlé 
plus  haut  comme  déesse  de  la  fête  d'Emain  Mâcha  en 
Ulster.  Cette  Mâcha  qui,  suivant  la  Neuvaine  des  Liâtes, 
un  morceau  épique  du  cycle  d' Ulster,  est  une  petite-fille  du 
grand  dieu  de  la  mer  Manannan  mac  Lir'  est  identique 
à  une  reine  légendaire,  Mâcha  Mongrûad,  ou  aux- 
Cheveux-Roux,  dont  on  commémore  la  mort  à  la  fête 
d'Armagh  '.  En  effet,  les  deux  Mâcha  n'ont  pas  seulement 
le  même  nom,  mais  leur  fête  à  toutes  deux  est  célébrée  à 
la  même  date,  à  Samhain,  dans  deux  localités  voisines,  dont 
Tune,  Armagh,  n'a  pris  de  l'importance  que  lorsque  Emain 
Mâcha  et  sa  fête  avaient  été  abandonnées.  La  fête  d'Ar- 
magh apparaît  ainsi  comme  la  continuation  des  solennités 

4.  Whitley  Slokes.  dans  Rev.  Celt.  XXIV.  p.  179. 

2.  Traduction  de  d'Arbois  de  Jubainville,  Épopée  celtique,  p.  323. 

3.  Dinnsenchas  de  Rennes,  dans  Rev.  Celt.,  XVI,  p.  45. 

CzAR.NOWâKI.  11 


162  SAINT    PATniCK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

d'Emain  '  et,  par  conséquent,  Mâcha  Mongn'iad  et  la  fée 
Mâcha  ne  font  qu'un. 

La  fée  Mâcha  est  elle-même  une  morte  qui  revient  à  la 
vie.  La  Neiivaine  des  Ulates  raconte  qu'un  veuf  qui  ne 
s'était  pas  remarié  vit  un  jour  ^Licha  entrer  dans  sa  maison 
et  s'asseoir  sans  mot  dire  à  la  place  de  la  morte,  auprès  du 
foyer.  Puis  elle  alla  et  vint  dans  la  maison  comme  si  elle 
la  connaissait  depuis  longtemps,  elle  appela  chaque  servi- 
teur par  son  nom  et,  la  nuit  venue,  elle  se  coucha  auprès  du 
veuf.  Celte  fée  qui  se  comporte  en  tout  comme  la  morte  est 
évidemment  l'esprit  de  celle-ci. 

Inversement,  les  héros  deviennent  après  leur  mort  les 
acteurs  mythiques  des  fêtes.  Nous  savons  déjà  que  géné- 
ralement la  fête  donne  à  ces  personnages  l'occasion  de 
mourir  en  beauté. 

On  en  a  vu  plusieurs  exemples  dans  le  chapitre  précédent. 

Le  roi  Diarmaid  mac  Cerbhaill,  qui  est  d'ailleurs  un 
personnage  historique,  est  le  héros  de  tout  un  cycle  de 
récits,  dont  le  théâtre  est  Uisnech  Midi  et  la  date  Beltaine. 
La  mort  du  roi  est  le  thème  principal  d'un  de  ces  récits  et 
celte  mort  apparaît  comme  la  sanction  du  crime  commis 
sur  Flann,  crime  dans  lequel  nous  avons  reconnu  un  trait 
du  mythe  de  Beltaine  \ 

Le  roi  épique  Conchobar  est,  en  quelque  sorte,  un  patron 
de  Samhain  et  de  Tannée  entière,  dont  ses  guerriers  per- 
sonnifient les  jours.  Le  morceau  épique  intitulé  Naissance 


\.  Hymne  de  Fiacc,  verset  21  :  «  la  royauté  appartient  maintenant  il 
Armagh;  Emain  est  depuis  longtemps  déserte  ». 

2.  Loc.  cit.,  p.  321. 

3.  Death  of  King  Dermol,  dans  Silva  Gadelica,  p.  76  ss.  Le  roi  meurt 
d'ailleurs  non  à  Beltaine,  mais  à  Samhain,  ce  qui  revient  au  même, 
puisque  ces  deux  fûtes  se  font  pendant  dans  l'année,  et  que  sa  mort 
est  la  conséquence  d'un  fait  de  Beltaine. 


LES    REPRÉSENTATIONS    lUI.ANlJAlSES    DE    LA    MORT         163 

et  règne  de  Conchohar  raconte  que  la  troupe  du  roi  com- 
prenait «  trois  cent  soixante-cinq  hommes  c'est-à-dire  le 
nombre  des  jours  qui  sont  dans  l'année  ».  Us  avaient  fait  un 
pacte  suivant  lequel  chacun  présidait  à  son  tour  le  festin 
quotidien.  Quant  au  banquet  de  Samhain,  sa  présidence 
appartenait  à  Gonchobar  lui-môme  \ 

Ce  qu'on  vient  de  dire  à  propos  de  Diarmaid  et  de  Gon- 
chobar s'applique  b.  tous  les  héros  de  l'épopée  irlandaise. 
Les  épisodes  de  leur  vie  se  passent  aux  fêtes.  D'autre  part, 
c'est  aux  fêles  qu'on  raconte  leurs  légendes  au  public 
assemblé,  et  ces  auditions  font  partie  du  rituel  général  des 
fêtes,  ainsi  qu'il  ressort  des  Dinnsenchas  de  Garman  *. 
Ainsi  les  péripéties  de  la  vie  héroïque  finissent  par  être 
associées  à  la  célébration  des  rites  de  fôte,  à  l'égal  des  péri- 
péties de  la  vie  divine.  Les  thèmes  de  l'épopée  sont  d'ail- 
leurs identiques  à  ceux  des  mythes.  Les  dieux  des  fêtes  se 
confondent  ainsi  avec  les  héros  et  inversement  ceux-ci 
deviennent  des  personnages  du  mythe  festival.  Quant  au 
titre  de  héros  que  nous  donnons  aux  uns  et  aux  autres, 
nous  achèverons  de  le  justifier  dans  le  chapitre  suivant. 

Les  fêtes  sont  célébrées  en  l'honneur  des  morts,  — 
La  confusion  des  génies  de  fêtes  avec  les  morts  ressort 
encore  du  fait  que  les  assemblées  périodiques  sont  toujours 
tenues  dans  des  cimetières  et  autour  de  tombeaux. 

G'est  ce  qu'on  voit   par  exemple  dans  un  passage  du 


1.  Extrait  de  la  légende  et  traduction  allem.  chez  Windisch,  loc.  cit. 
p.  210.  —  Un  des  héros  de  Conchpbar,  Fergus,  parait  personnifier 
la  semaine  :  ...  «  le  nombre  se|)t  dans  Fergus...,  il  y  avait  sept  pieds 
entre  son  oreille  et  sa  bouche,  et  (la  grosseur  de)  sept  poings  entre  ses 
deux  yeux,  et  sept  poings  (était  la  longueur  de)  son  nez,  et  sept  poings 
sa  bouche...  »  Sept  femmes  le  soignent,  son  repas  se  compose  de  sept 
porcs  et  de  sept  bœufs.  «  Il  était  donc  obligé  de  manger  le  repas  d'une 
semaine  »,  ibùl.,  p.  210,  trad.  p.  211. 

2.  Aenach  Carmain,  loc.  cit.,  p.  o42  s.,  strophes  58  à  62  et  Oii. 


164  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Senchns  Màr,  le  plus  ancien  recueil  de  droit  irlandais,  qui 
prescrit  d'entretenir  les  tombes  [claide]  et  les  tumulus 
{ferta)  dans  les  emplacements  des  assemblées  solennelles. 

Une  revue  de  quelques-uns  de  ces  emplacement,  pris  au 
hasard  des  sources,  nous  permettra  de  confirmer  les  données 
du  Senchus  Màr.  On  groupera  simplement  les  faits  par  pro- 
vinces en  suivant  Tordre  même  des  poèmes  topographiques 
irlandais. 

Avant  d'y  procéder  notons  seulement  pour  la  compréhen- 
sion des  sources,  qu'une  assemblée  de  fête  s'appelle  en  irlan- 
dais oenach,  et  que  par  conséquent  ce  mot,  lorsqu'il  entre 
dans  la  composition  d'un  nom  de  lieu  désigne  l'emplacement 
d'une  fête. 

Dans  le  royaume  de  Mide,  ou  de  Meath,  Tara,  Tailtiu 
et  Uisnech  sont  autant  de  cimetières.  Les  deux  premières 
localités  figurent  dans  une  liste  des  plus  fameux  cimetières 
païens  de  l'Irlande,  le  Senchus  na  Relec  qui  date  du 
XII*  siècle  ^  Quant  à  Uisnech,  on  y  a  relevé,  de  même  d'ail- 
leurs qu'à  Tailtiu,  un  grand  nombre  de  sépultures  con- 
temporaines de  la  civihsation  gôidélique.  Tara  passait 
pour  avoir  servi  de  cimetière  aux  Clanna  Dedad  ^,  émigrés 
depuis  en  Munster,  qui  sont  une  des  t)'ois  races  héroïques 
de  l'épopée  irlandaise  avec  les  Clanna  Rudraige  et  les  Ga- 


1.  Se7ichus  Mot'  dans  Ancient  Laws,  I,  p.  136,  1.  34  et  p.  158,  dernière 
ligne. 

2.  Publié  par  Pétrie  dans  The  Ecclesiastical  Architecture  of  Ireland  an. 
terior  to  the  Anglo-Norman  Invasion,  vol.  I.  Dublin,  1845,  p.  96  ss.  (trad- 
p.  98  ss)  —  Cf.  extrait  du  Ms.  dit  Leabhar  nah  Vidhre  (LU),  concernant 
les  cimetières  fameux,  publié  ibid..  p.  103  s.  (trad  p.  104).  —  Cf.  qua- 
train du  môme  Ms.  chez  Borlase,  The  Dolmens  of  Ireland,  Dublin,  1896, 
II,  p.  438  note  :  c  Les  trois  cimetières  des  idolâtres  (étaient)  :  le  cime- 
tière de  Tailtiu,  (le  cimetière)  délite;  le  cimetière  de  Cruachan-la-tou- 
jours-belle  et  le  cimetière  de  Brugh  ». 

3.  Extrait  de  LU  chez  Pétrie,  p.  103.  —  Autres  tombeaux  illustres  à 
Tara  :  Senchus  na  Relec,  loc.  cit.,  p.  97.  —  Cf.  Dinnsenchas  de  Rennes, 
Rev.  Celtique  XV,  §§  5  ss. 


LES    nEPRKSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         165 

manrad  d'Irros  Domnand  \  Tailliu  était  le  cimetière  pré- 
sumé des  roisd'Ulster  antérieurs  à  ConchobarmacNessa^. 
On  y  montrait  en  outre  les  tombeaux  de  maint  personnage 
illustre,  par  exemple  celui  d'Ollamh  Fodhla,  un  des  pre- 
miers rois  et  législateurs  légendaires  de  l'Irlande^. 

Le  fait  que  les  fêtes  sont  célébrées  dans  les  cimetières 
mômes,  et  non  dans  le  voisinage,  ressort,  en  ce  qui  concerne 
la  fête  de  Tara,  d'un  passage  des  Duinsenchas,  où  il  est  dit 
que  la  pelouse  de  Tara  eslpropice  aux  Jeux  des  tombeaux. 
Il  en  est  de  même  à  Taillten  où  les  jeux  de  la  fête  sont 
célébrés  autour  du  tombeau  de  Tailltiu  \ 

Dans  les  autres  lieux  de  fête  du  rovaume  de  Mealh,  comme 
à  Tlachtga,  où  Ton  célébrait  Samhain,  s'élèvent  aussi  des 
tombeaux.  VOenach  Feci  dans  la  Plaine  de  Breg  a  été 
le  lieu  de  sépulture  à  quelques  rois  du  Munster.  On  y 
montrait  en  outre  un  tumulus  que  certains  croyaient  être 
celui  du  roi  Conaire  Môr,  et  que  d'autres  attribuaient  au 
roi  Conaire  Carpraige  °.  Enfin  l'emplacement  de  la  fête 
de  Brugh  na  Boinne  est  donné  comme  la  résidence  des 
principaux  chefs  des  Tûatha  Dé  Danann ,  mais  c'est 
en  même  temps  un  lieu  de  sépulture.  Les  rois  suprêmes 
étaient  enterrés  dans  le  sklh  de  Brugh  depuis  le  temps 
de  Crimthann  Nia  Nâir.  Ce  roi  avait  épousé  une  baîi- 
sidhaig   et  il  avait  préféré  reposer  après  sa  mort   dans 


1.  Laech  aicme.  Cf.  Tâin  Ba  Flidais,  §  6,  dans  Irische  Texte,  IIj,  p.  215.  — 
Irros  Domnand  était  situe  dans  le  comté  actuel  de  Mayo  :  c'est  proba- 
blement Enis.  —  Les  Clanna  Rudraipre  dUlster  ont  vaincu  et  exterminé 
les  deux  autres  «  races  héroïques  »  :  Windisch,  dans  Tâin  Bô  Cùalnge, 
p.  436,  note  1  ;  cf.  Keating,  éd.  Dinneen,  vol.  cité,  p.  2i0  s. 

2.  Sullivan,  vol.  d'introd.  à  O'Gurry,  op.  cit..  p.  CCCXXVII,  note  567. 

3.  Poème  de  Cuan  hiia  Lochain.  intitulé /lenac/i  JatZ/en,  dans  Gwynn, 
Poems  from  tfie  Dinnsenchns  [Todd  Lectures  Séries),  Dublin. 

4  .  Gwynn,  The  Metrical  Dinnsenchas  (Todd  Lecture  Séries  VI),  p.  6  : 
Temair  II,  vers  1  à  12.  —  Cf.  Aenach  Taillen,  cité  plus  haut. 
5.  Senchus  na  Relec,  loc.  cit.,  p.  97;  extrait  de  LU,  chez  Pétrie,  p.  103. 


106  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉIIOS 

la   liibu   do  sa  femme  que  parmi   ses  propres  ancêtres  '. 

La  j)lus  renommée  des  assemblées  du  Leinster,  celle  de 
Lugnasad  à  Oenach  Col/nain,  ou  Oenach  Life,  est  elle 
aussi  tonne  dans  un  cimclière.  Il  contient  dos  tombeaux  des 
rois  du  Munster  et  il  est  mentionné  parle  Se  fichus  na  lielec^. 
En  un  autre  lieu  de  la  môme  province,  Oenach  Ailhe, 
dont  le  nom  indique  qu'il  a  été  un  lieu  d'assemblées,  est 
la  sépulture  principale  des  rois  du  Leinster  \  Carman, 
dont  nous  avons  décrit  la  fôte,  est  également  célébrée  dans 
les  Dinnsenchas  comme  relie  na  righ  ou  «  cimetière  de 
rois  »  *. 

Dans  le  royaume  de  Desmond  ou  Munster  Oriental 
Temair  Luachra  qui  est  un  lieu  d'assemblée,  est  pareille- 
ment un  cimetière  qui  figure  sur  la  liste  du  Senchus  na 


1.  Senchus  na  Relec,  loc.  cit.,  p.  96  et  ibid.  note  e.  Cf.  extrait  de 
LU,  chez  Dorlasc,  loc.  cit.  :  «  les  troupes  du  grand  Mealh  (royaume  de 
Mide)  sont  enterrées  au  milieu  (à  l'intérieur?)  de  Brugh  le  seigneu- 
rial ».  Cf.  ibid.  commentaire  de  Maelmuire  :  «  les  princes  des  Tiiatha 
Dé  Danann,  à  l'exception  de  sept  d'entre  eux  qui  ont  été  enterrés  à 
Brugh,  notamment  :  Lug,  et  Oe,  fils  d'Ollamh,  et  Ogma,  et  Coirpre  fils 
d'Etan,  et  Etan  elle-même,  et  Dagda  et  ses  trois  fils,  notamment  Aedh 
et  Oengus  et  Cermait,  et  beaucoup  d'autres,  tant  Tùatha  Dé  Danann 
que  Fir-Bolg  ou  autres.  »  Au  xi»  siècle  les  evhéméristes  irlandais  se 
figuraient  que  les  dieux  avaient  été  des  hommes  et  qu'ils  étaient 
morts.  C'est  pourquoi  nous  trouvons  les  Tùatha  Dé  Danann  transfor- 
més, de  dieux  qu'ils  étaient  habitant  le  sid/i  de  Brugh  (Sur  ce  sidh  cf. 
la  Conquête  du  sidh,  résumée  par  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  loc.  cit.), 
en  morts  enterrés  à  Brugh.  — Toutefois,  il  n'y  a  pas  de  doute  que  Brugh 
ait  été  considéré  en  même  temps  comme  cimetière  et  comme  sidh,  à 
l'époque  même  où  les  dieux  n'étaient  pas  encore  humanisés,  puisqu'on 
croyait  que  les  rois  suprêmes,  qui  étaient  des  dieux  (Cf.  chap.  vi)  y 
avait  été  enterré.  —  Cf.  aussi  la  légende  de  l'enterrement  du  roi 
suprême  Cormac  mac  Airt,  chez  Pétrie,  op.  cit.,  p.  96  (trad.  p.  98)  :  ce 
roi  qui  avait  embrassé  en  secret  le  christianisme  n'avait  pas  voulu 
reposer  dans  le  tumulus  païen  de  Brugh.  Il  avait  ordonné  qu'on  l'en- 
terrât sur  la  rive  opposée  de  la  Boyne  à  Ruas  na  Rlgh  (Rossnaree). 

2.  Loc.  cit.,  p.  96:  Cf.  LU,  dans  Pétrie,  loc.  cit. 

3.  Setichus  na  Relec,  p.  96  ;  ibid.  p.  97  :  «  les  gens  du  Leinster.  c'est-à- 
dire,  Calhair  avec  sa  race  et  les  rois  qui  étaient  avant  eux,  étaient 
enterrés  dans  Oenach  Ailbe  ».  —  Aussi  LU  dans  Pétrie. 

4.  Aenach  Cannain,  loc.  cit.,  strophes  3  et  74. 


LES    UEPHKSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         167 

Relec^  C'était  la  sépulture  des  Clanna  Dedad.  L'Oenach 
Clochain  ou  Oenach  Cuii,  dans  la  môme  province,  con- 
tenait dos  tombeaux  des  rois  du  Munster'.  II  y  avait  aussi 
des  tombeaux  dans  ÏOenach  Urnuimhan  ou  Oeiiach  Tête 
dans  le  royaume  de  Thomond  ou  Munster  Occidentale 

Cruachan  en  Gonnaught,  dont  l'assemblée  de  Samhain 
dépasse  en  importance  les  limites  de  la  province,  est  égale- 
ment un  relie  na  rigli  des  plus  fameux.  C'est  môme,  pour- 
rait-on dire,  le  relie  na  righ  par  excellence  de  l'Irlande 
païenne.  Il  servit  de  lieu  de  sépulture  à  tous  les  rois  de 
Connaught  et  aux  rois  suprêmes  antérieurs  à  Crimthann 
Nia  Nâir*.  La  plaine  qui  entoure  l'ancienne  forteresse  royale 
de  Cruachan  est  entièrement  semée  de  monuments  funé- 


1.  LU.  dans  Peirie,  loc.  cit.  — Cf.  Dinnsenchas  de  Rennes,  n"  50,  Rev. 
Celtique  XV  ;  O'Grady,  Extracts  n»*  12  et  13  dans  Silva  Gadeliea,  vol.  des 
trad.,  p.  523.  —  Sur  la  fôte  de  Temair  Luachra,  voir  O'Donovan,  The 
BookûfRights,  p.  255  cl  les  notes  des  pp.  254  s.  —  Temair  Luachra  était, 
suivant  O'Donovan,  ibid.,  p.  90  :  «  a  fort  near  Beala  Atha  na  Tcamrach 
in  the  parish  of  Dysart,  near  Castle  Island  in  the  Cty  of  Kerry.  » 

2.  Henchus  na  Helec,  p.  98  :  LU,  dans  Pétrie,  loc.  cit.  —  Cf.  Acallamh  na 
Henoracli  dans  Silva  Gadeliea,  vol.  des  trad.,  p.  118  :  «  le  lieu  de  l'assem- 
blée (oommémorative)  deCuil,  femme  de  Nechtan,  qu'on  nomme  aujour- 
d'hui la  pelouse  de  fête,  porteuse  de  génisses,  de  Sen  Clochair  ».  —  Cf. 
O'Curry,  Mss  Materials,  p.  303  :  courses  d'Oenach  Clochair.  —  C'est 
actuellement  Manisterprès  de  Cromm,  comté  Limerick  ;  O'Curry,  ibid. 

3.  On  y  voit  des  traces  de  sépultures.  —  C'est  actuellement  Nenagh, 
comté  Tipperary  :  Chronicon  Scolorum,  p.  234,  ad  annum  992,  et  note 
de  l'éditeur,  ibid. 

4.  Senchus  na  Relec,  p.  96  et  p.  97  :  «c'est  là  que  la  race  d'Eremon, 
c'est-à-dire,  les  rois  de  Tara,  se  faisaient  enterrer  jusqu'au  temps  de 
Crimthann,  fils  de  Lugaidh  Riabderg  .  .  notamment  :  Cobhthach 
Coelbregh  et  Labraidh  Loingsech  et  Eocho  Fedlech  avec  ses  trois  fils, 
cesl-â-dire,  les  trois  Fidhemaa,  ou  Bres,  Nar  et  Lolhor;  et  Eocho 
Airemh,  Lugaidh  Riabderg,  les  six  filles  d'Eocho  Fedhlech,  c'est-à- 
dire  Medb  et  Clothru,  Muresc  et  Derdriu,  Mugain  et  Ele  ;  et  Ailill 
mac  Mata  avec  ses  sept  frères...  »  —  Cf.  poème  attribué  à  Dorban 
publié  par  Pétrie,  op.  cit.,  p.  102,  d'après  LU  :  «  chaque  tertre  dans  cet 
oenach  a  sous  lui  des  guerriers  et  des  reines,  et  des  poètes  et  des  dis- 
tributeurs de  richesses  [cudchaire]  et  des  belles  et  fières  femmes...  11 
n'est  pas  un  seul  tertre  en  ce  lieu,  dans  YOenach  Cruachna,  qui  ne  soit 
le  tombeau  d'un  roi  ou  d'un  i)rince  royal  (rif^-flathat  ou  d'une  femme, 
ou  d'un  poète  belliqueux  ».  —Sur  la  fête  de  Samhain  à  Cruachan,  cf. 
Kcating,  éd.  Dinneen,  Irish  Texts  Soc,  IX,  p.  4i  s. 


468  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTE    DES    HÉROS 

raircs,  dont  beaucoup  sont  de  dimensions  considérables. 
Ces  monuments  appartiennent  à  la  môme  époque  que  ceux 
d'Uisnech  et  de  Tailtiu'. 

Il  y  a  encore  à  Cruachan  un  sidh,  qui  est  situé  à  proxi- 
mité du  cimetière.  C'est  une  grotte  naturelle,  mais  il  y  a 
des  indices  qu'elle  a  servi  de  lieu  de  sépulture  et  on  y  a 
trouvé  une  inscription  en  caractères  oghamiques^. 

Pour  les  autres  lieux  de  fêtes  les  renseignements  font 
défaut  ^ 

Mais  telle  quelle,  notre  liste  établit  avec  certitude  que 
les  fêtes  irlandaises  sont  célébrées  dans  des  cimetières.  Il 
y  est  donc  fort  probable  que  les  génies  que  réveillent  ces 
fêtes  sont  identiques  aux  esprits  des  morts  qui  reposent  en 
leurs  emplacements. 

1.  Joyce,  op.  cit.,  II,  p.  556.  —  Ce  sont  des  tumuhis  de  dimensions 
assez  restreintes,  du  moins  si  on  les  compare  aux  énormes  tombelles 
de  l'époque  néolithique,  telles  qu'on  en  voit  à  Brugh  (=  Newgrange)  et 
Loughcrew.  Les  tumulus  de  l'époque  gôidélique  ne  renferment  pas  d'al- 
lées couvertes  avec  entrée  extérieure,  mais  des  cistes  en  pierres  ou  bien 
des  sépultures  en  pleine  terre,  sans  ciste.  A  Cruachan  on  voit  aussi  des 
sépultures  entourées  d'un  rempart  circulaire,  ràth,  qui  sont  nombreuses 
dans  tous  les  autres  cimetières  gôidéliques.  Cf.  Joyce,  II,  p.  577  ss. 

2.  Joyce,  op.  cit.,  II,  p.  556  s.  Sir  Samuel  Ferguson  sur  la  pierre 
en  question  a  déchiffré  le  nom  de  Medb,  une  reine  épique  et  l'une  des 
principales  héroïnes  du  cycle  d'Ulster.  Mais  la  justesse  de  cette  lec- 
ture est  très  douteuse/ 

3.  Du  moins  en  ce  qui  concerne  les  fêtes  célébrées  dans  des  cime- 
tières proprement  dits.  Car,  partout  oi'i  se  tient  une  assemblée  de  fête 
en  Irlande,  il  y  a  un  tumulus,  un  monument  funéraire  quelconque,  ou 
bien  la  tradition  veut  que  le  lieu  de  la  fête  renferme  une  sépulture. 
Ainsi  la  fête  d'Ailech  en  Ulster  est  la  répétition  d'une  fête  funéraire 
célébrée  en  l'honneur  dune  princesse,  Ailcch.  ou  d'une  fée  du  même 
nom  :  O'Curry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  152  s.  Un  roi  de  Connaught, 
Eoghan  Bel,  est  enterré  dans  YOenach  Locha  Gille  (du  Lac  Gill  à  la 
frontière  de  l'Ulster  et  du  Connaught)  :  Vie  de  saint  Cellach  de  Killala 
dans  Silva  Gadelica,  II,  p.  52  (vol.  des  textes,  p.  51).  —  Un  chef  du 
Meath,  Fiachra,  est  enterré  dans  un  lieu  qui  s'appelle  depuis  forrach, 
c'est-à-dire,  marché,  place  de  foire  (forrach  est  apparenté  au  latin 
forum)  :  Story  of  King's  Eochaid's  Sons,  dans  Silva  Gadelica,  vol.  des 
trad.,  p.  54;^;  The  Dealh  of  Crimthann,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Rev. 
Celtique  XXIV,  p.  185  —  Cf.  aussi,  ibid.,  p.  183  :  le  druide  Drithlin  est 
tué  sur  le  bord  du  lac  Erne  Lower.  C'est  de  là  que  vient  le  nom  de 
YOenach  Drilhlenn. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         169 

En  tout  cas  le  choix  des  cimetières  indique  suffisam- 
menl  que  les  morts  avaient  une  part  dans  la  célébration 
des  fêtes.  Et  pourtant  nous  ne  les  voyons  nulle  part  se 
distinguer  des  autres  génies  qui  paraissent  pendant  la 
fôle. 

C'est  que  ceux-ci  sont  eux  aussi  des  morts  ou  bien  des 
ressuscites,  ce  qui  est  la  même  chose.  En  effet,  on  a  vu 
que  le  thème  essentiel  du  drame  de  fête  en  Irlande  est 
celui  de  la  mort  et  de  la  renaissance  divine.  Les  génies  et 
les  dieux  qui  en  sont  les  acteurs  sont  en  train  de  mourir 
pour  reparaître  immédiatement  après  leur  mort.  Ce  sont 
donc  des  esprits  de  môme  nature  que  les  esprits  des  morts 
humains.  Ils  leurs  sont  entièrement  identiques. 

Ainsi,  quand  on  considère  de  plus  près,  comme  nous 
venons  de  le  faire,  les  génies  anonymes  ou  nommés  des 
fêtes,  on  constate  que  ce  sont  soit  des  morts  anonymes, 
soit  des  héros  nommés. 

Représentation  de  la  .mort  en  Irlande.  —  l.  La 
désincarnation  et  la  réincarnation  des  génies.  —  La 
chose  a  des  raisons  profondes.  En  effet,  si  nous  jetons 
un  regard  sur  les  idées  qui  président  au  développement 
du  culte  des  morts  en  Irlande,  nous  constatons  qu'elles 
n'admettent  aucune  différence  entre  les  morts  et  les  autres 
esprits. 

La  mort  et  la  naissance  ne  sont,  selon  les  idées  irlan- 
daises, qu'une  désincarnation  et  une  réincarnation  des 
mêmes  génies  dont  nous  parlons  sans  cesse.  Ces  génies 
sont  d'une  nature  telle  qu'ils  se  réincarnent  continuelle- 
ment et  de  la  sorte  passent  de  la  vie  divine  b.  la  vie  ter- 
restre et  inversement.  Ils  sont  les  esprits  qui  donnent  la 
vie  aux  corps  et  la  mort  n'est  autre  chose  que  leur  départ. 

Un  exemple  de  ces  réincarnations  est  fourni  par  l'his- 


170  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTE    DES    HÉROS 

loire  de  la  Génération  des  deux  Porchers^ ,  une  des  renucéla, 
ou  récils  qui  servent  d'inlroduclion  à  la  Tàin  Bô  Cûalnge. 

Friueh  et  Rucht,  porchers  l'un  de  Bodb,  roi  du  sidli  de 
Femen  en  Munster,  l'autre  d'Ochall  Ochne,  chef  des 
génies  du  sidh  de  Cruachan  se  métamorphosent  successi- 
vement en  corbeaux,  en  animaux  aquatiques,  puis  en 
guerriers  qui  après  un  combat  acharné  deviennent  des 
fantômes.  Ceux-ci  se  transforment  à  leur  tour  en  vers,  dont 
l'un  vit  dans  l'eau  d'une  fontaine  du  Connaught  et  l'autre 
dans  un  ruisseau  de  Cûalnge,  et  qui  finissent  par  être  avalés 
par  deux  vaches.  Celles-ci  en  sont  fécondées  et  mettent  bas 
deux  inyiveaux ,  Finnbennach,  ou  le  «  Blanc-Cornu  »  de  Con- 
naught, et  Bonn,  ou  le  Brun  de  Cooley,  les  mômes  dont  la 
rivalité  déchaînera  la  guerre  de  la  Tàin  Bô  Cûalnge'^. 

Un  conte  analogue,  mais  dont  la  rédaction  ne  remonte 
pas  plus  haut  que  les  invasions  Scandinaves,  est  Y  Histoire 
de  Ti'ian  mac  CairilP. 

Tùan  est  un  neveu  ou  un  frère  de  Partholon,  arrivé  avec 
lui  en  Irlande,  et  qui  seul  de  sa  race  échappe  à  la  mort. 
Parvenu  aux  extrêmes  limites  de  la  vieillesse  et  de  la 
décrépitude  il  se  retire  dans  une  caverne,  il  y  jeûne  et  puis 
s'y  endort.  Il  se  réveille  cerf.  Tûan  devient  ensuite  vau- 
tour, sanglier  et  enfin  saumon.  Péché  sous  cette  forme  et 


^.  Des  deux  versions  de  cette  histoire  une  seule,  celle  du  Livre  de 
Leinster,  a  été  publiée  dans  le  texte  et  traduite  par  M.  Windisch  dans 
Irische  Texte  III,,  p.  235  ss.  Elle  a  été  traduite  à  nouveau,  en  anglais, 
par  M.  Kuno  Meyer,  dans  Voyage  of  Bran,  II,  p.  58  ss.  et  en  français 
par  d'Arbois  de  Jubainville,  dans  Les  Druides  et  les  Dieux  celtiques  à 
formes  d'animaux,  Paris,  1906,  p.  171  ss.  —  La  seconde  version,  qui  est 
consignée  dans  le  Ms.  Egerton  1782  du  British  Muséum,  est  comparée  à 
la  première  et  étudiée  dans  Voyage  of  Bran,  II,  p.  06  ss.  Les  diffé- 
rences entre  les  deux  sont  insignifiantes. 

2.  Sur  Donn  et  Donn-B6,  cf.  plus  haut,  p.  127  s. 

3.  Publiée  et  trad.  par  M.  Kuno  Meyer  dans  Voyage  of  Bran,  II. 
appendice  A.  —  Résumé  par  d'Arbois  de  Jubainville  dans  le  Cycle 
Mythologique,  p.  47  ss. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         171 

mangé  par  une  reine,  femme  de  Gairel,  il  renaît  homme. 

Les  exemples  abondent,  \ess  avala  un  ver  en  buvant  et 
devint  grosse.  Elle  mil  au  monde  le  futur  roi  Conchobar '. 
Môme  mode  de  conception  d'un  autre  fameux  héros  du  cycle 
d'Ulstcr,  Conall  Cernach'-. 

Or  ces  dieux  et  ces  génies  qui  s'incarnent  ainsi  ^  ce  sont 
toujours  ceux  que  nous  avons  appris  à  connaître. 

Ainsi  Cùchulainn  est  l'incarnalion  du  dieu  Lug '',  Etâin, 
fille  de  la  reine  Etar,  est  rincarnation  de  la  fée  Etâin  qui 
appartient  aux  Tùatha  Dé  Danann.  La  fée  Etàin  avait 
été  emportée  hors  de  son  sid/i  par  un  coup  de  vent, 
et  elle  était  tombée  j)ar  la  cheminée  d'une  salle  de  fes- 
tin dans  la  coupe  d'Etar  qui  l'avala.  Neuf  mois  après,  la 
reine  mettait  au  monde  une  fille,  qui  était  la  réincarnation 
d'Elûin  ^ 

Un  personnage  historique  qui  vivait  au  vu'  siècle,  le  roi 
d'Ulster  Mongan,  passait  pour  ôlre  le  fils  ou  l'incarnation 

1.  Cotnperl  Conchobair,  éd.  Kuno  Meyer,  dans  Rev.  Celtique,  YI, 
p.  178 ss.  Trad.  française  dans  d'Arbois  de  Jubainville,  Épopée  Celtique, 
sous  le  titre  \aissance  de  Conchobar,  p.  17. 

2.  C6ir  Anmann,  éd.  Whilley  Stokes  dans  Irische  Texte,  IIIj,  p.  3'Ji. 

3.  La  conception  en  buvant  de  leau  est  le  thème  de  nombreuses 
légendes  irlandaises  qui  ont  été  étudiées  par  Alfred  Nutt,  op.  cit..  Il, 
p.  38  bs.  Dans  les  temps  chrétiens  c'est  de  leau  bénite  qui  remplace 
l'eau  contenant  un  germe  divin.  Cf.  légende  de  la  naissance  d'Aedh 
Slaine,  roi  d'Irlande,  dans  Silva  Gadelica,  II,  p.  88  ss.  Aux  histoires  de 
ce  genre  citées  par  Nutt  et  dont  il  est  fait  mention  dans  notre  texte 
on  peut  ajouter  encore  une,  la  légende  de  la  naissance  de  saint  Fin- 
nacha  dans  la  Vie  de  saint  Molaise,  dans  Silva  Gadelica,  II,  p.  23.  Une 
femme  stérile  vient  demander  conseil  à  saint  Molaise.  Celui-ci  donne 
sa  coupe  au  mari  en  lui  ordonnant  d'aller  puiser  de  leau,  il  bénit 
cette  eau  et  la  fait  boire  â  la  femme.  Après  quoi  il  lui  dit  :  «  Femme, 
sois  sûre  qu'à  partir  de  ce  moment  tu  seras  enceinte  et  que  lu  don- 
neras la  vie  à  un  flls.  »  Ce  fils  s'appelle  Mac  da  crela,  «  fils  des  deux 
bénédictions  »,  ou  saint  Finnacha. 

4.  Comperl  Conculaind,  publié  en  deu.\  versions  (texte  seul)  par 
M.  Windisch,  dans  Irische  Texte  I,  traduits  en  français  par  M.  Louis 
Duvau  dans  d'Arbois  de  Jubainville,  Épopée  celtique,  p.  26  ss.  —  Cf. 
Alfred  Nutt,  op.  cit.,  II,  p.  39  ss. 

5.  Tochmarc  Elàine^éd.  Windisch.  dans /?isc/ie  Texte,  I,  p.  131. 


172  SAINT    PATRICK    ET    LK    CULTE    DES    HÉROS 

de  Manannan  mac  Lir,  le  dieu  de  la  mer*.  En  général 
incarnation  et  génération  se  distinguent  mal  en  Irlande.  On 
voit  par  exemple  Lug  vivre  d'une  existence  propre  comme 
dieu,  quoiqu'il  fût  incarné  en  Cuchulainn.  On  considère 
aussi  ce  héros  comme  le  fils  de  Lug. 

D'un  autre  côté  les  dieux  qui  s'incarnent  dans  les  héros 
appartiennent  tous  aux  troupes  des  génies  d'invasion. 
Mais  aussi  bien  il  n'y  en  a  pas  d'autres.  Ils  sont  tous  des 
Tûatha  Dé  Danann.  Quant  à  l'omission  de  représentants 
d'autres  tribus  divines  dans  les  histoires  citées,  elle  s'ex- 
plique par  le  fait  qu'une  des  tribus  en  question ,  les 
Fomoraig,  sont  plus  particulièrement  des  dieux  de  la  mort 
et  que,  en  ce  qui  concerne  les  autres,  elles  sont  considérées 
comme  appartenant  à  un  passé  très  lointain.  Seuls  les 
Tûatha  Dé  Danann,  qui  sont  les  derniers  des  dieu.x,  sont 
réellement  présents  à  Tesprit  du  peuple  irlandais.  Leur 
histoire  résume  celle  de  toutes  les  autres  tribus  divines. 

La  naissance  d'un  héros  est  ainsi  l'incarnation  d'un  être 
divin.  La  mort  est  par  conséquent  le  retour  de  cet  esprit  à 
la  vie  divine. 

Ce  qui  vient  d'être  dit  des  héros  doit  être  étendu  à  tous 
les  hommes  en  général.  Les  Dinnsenchas  disent  que 
l'objet  de  la  célébration  de  Lugnasad  était  d'assurer  aux 
participants  de  belles  récoltes,  le  croît  du  bétail  et  de 
beaux  enfants'.  Les  offrandes  de  nouveau-nés  qu'on 
faisait  aux  autres  fêtes  indiquent  que  celles-ci  étaient  célé- 
brées dans  un  but  identique. 

Or  les  puissances  spirituelles  évoquées  aux  fêtes  sont 
précisément  les  mêmes  génies  qu'on  a  vu  s'incarner  dans 

1.  Tous  les  textes  relatifs  à  l'incarnation  de  Manannan  mac  Lir  en 
Mongan  ont  été  réunis  dans  l'appendice  au  vol.  I.  de  Voyage  of  Bran, 
par  M.  Kuno  Meyer.  —  Cf.  Jmram  Brain,  ibid.,  p.  24  ss. 

2.  Dinnsenchas  de  Rennes,  Rev.  Celtique  XV,  p.  112;  cf.  ci-dessus, 
p.  124,  note. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         173 

cerlains  héros.  C'est  donc  en  eux  que  réside  le  principe 
de  la  vie  humaine,  ainsi  que  d'ailleurs  de  la  vie  animale  et 
végétale.  En  un  mot,  ils  sont  les  âmes  des  vivants,  et,  lors- 
qu'ils retournent  à  la  vie  divine,  ils  sont  les  âmes  des  morts. 

U.Le  pays  de  génies  est  un  dépôt  d'âmes  à  incarner. — On 
fait  un  pas  de  plus  si  Ton  étudie  le  monde  où  vivent  les  génies. 

Nous  savons  que  c'est  le  pays  des  morts.  On  verra  que 
c'est  aussi,  pour  ainsi  dire,  un  réservoir  de  forces  vitales. 

En  eiïet,  le  pays  des  génies  est  une  contrée  de  vie  éter- 
nelle. C'est  la  ((  Terre  des  vivants  »,  Tir  innambeo.  La 
mort,  la  vieillesse  et  toute  souffrance  en  sont  bannies,  et 
la  jouissance  de  la  vie  y  atteint  son  intensité  suprême.  On 
nomme  aussi  cette  contrée  Mag  Me  II,  «  Plaine  de  Délices*  ». 

Au  centre  de  Mag  Mell  est  un  arbre  merveilleux  qui 
porte  en  môme  temps  des  feuilles,  des  fleurs  et  des  fruits^. 
Cet  arbre  est  l'Arbre  de  Vie. 

Ses  fruits  assurent  la  vie  et  la  jeunesse  à  celui  qui  les 
consomme.  Une  seule  pomme  de  Mag  Mell  suffit  pendant 
un  mois  à  la  subsistance  d'un  héros,  Condla,  sans  diminuer 
de  volume^.  Dans  la  relation  d'un  voyage  à  des  îles  fantas- 


1 .  Le  pays  des  dieux  est  encore  appelé  Tir  nan-og  =  Pays  des 
Jeunes,  Tir  Tairnfjiri  =  Pays  de  la  Promesse,  (Cf.  Alfred  Nutt,  op. 
cil.,  I,  p.  226  ss.),  Pays  de  la  Vérité,  etc.  :  cf.  Voyage  of  Bran,  Index,  sub 
«  Land  »;  d'Arbois  de  Jubainvilie,  Cycle  Mythologique,  p.  28  s. 

2.  Iinram  Brain  maie  Febail,  éd.Kuno  Meyer,  dans  Voyage  of  Bran,  I, 
p.  7,  strophe  7.  —  Cf.  The  Advenlures  of  Tadg,  son  of  Cian.  éd.  Standish 
O'Grady,  dans  Silva  Gadelica,  p.  385  ss.  :  un  grand  pommier  qui  porte 
des  fleurs  et  des  fruits  en  même  temps  ombrage  la  maison  dans  laquelle 
vit  un  couple  éternellement  jeune  dans  un  séjour  élyséen.  —  Cf.Imram 
Brain.  p.  5,  strophe  3  :  crôib  dind  abaill  a  hemain  =  une  branche 
du  pommier  d'Einain.  Emain  est  la  cité  divine.  Cf.  un  poème  du  .\i"  siècle 
dans  le  Ms  Livre  de  Fermoy,  dans  lequel,  pour  dire  qu'une  des  Hébrides 
est  une  lie  fortunée,  on  la  nomme  Emhain  Abhla  :=  Emain  aux  Pom- 
miers :  James  Henthorn  Todd.  Descriptive  Catalogue  of  Ihe  Book  of 
Fermoy,  dans  Proceedings  of  Ihe  Roy .  Ir.  Academy,  I,  p.  11. 

3.  Echtra  Condla,  éd.  Windisch  loc.  cit.  §  4  ;  trad.  française  de  d'Ar- 
bois de  Jubainvilie,  Épopée  celtique,  p.  387. 


m  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

tiques,  la  Navigation  de  Mael-l)nin\  l'cquipage  entier 
d'un  vaisseau  vit  quarante  jours  de  trois  pommes  pareilles. 
Un  autre  passage  du  même  récit  nous  montre  un  aigle 
vieux  et  décrépit  qui  redevient  jeune  et  vigoureux  après 
avoir  mangé  des  fruits  de  l'arbre  divin  et  s'être  baigné  dans 
un  lac  où  quelques-uns  de  ceux-ci  étaient  tombés.  Un  com- 
pagnon de  Mael-Duin  qui  a  suivi  l'exemple  de  l'aigle  con- 
serve toute  sa  vie  sa  vigueur  et  son  aspect  juvénile  ^ 

Tous  les  germes  de  vie  sont  inclus  dans  l'Arbre  divin. 
En  effet,  des  arbres  sacrés  qui  sont  sortis  de  ses  graines, 
et  qui  évidemment  le  représentent,  sont  plantés  au  milieu 
des  oenach  dont  on  sait  que  les  rites  assuraient  la  fécon- 
dité et  la  croissance  ^ 

Les  arbres  des  oeiiach  irlandais  sont  ainsi  des  Arbres  de 
Vie,  et  par  conséquent  leur  prototype  idéal,  l'arbre  my- 
thique, dont  ils  sont  tous  issus,  est  l'Arbre  de  Vie  par  excel- 
lence. 

Le  monde  où  il  croît  est  donc  bien  le  pays  d'où  sort  la 


i.  Éd.  Whitley  Stokes,  sous  le  titre  Imram  cuirrech  Mael-Duin,  dans 
Rev.  Celtique  X  et  XI.  L'épisode  des  pommes  forme  le  sujet  du  chap.  vu 
(le  l'histoire.  —  Cf.  aussi  Advenlures  of  Tadg,  loc.  cit.  où  les  fruits  du 
pays  fortuné  apparaissent  à  chaque  instant  comme  suffisant  à  assurer 
la  vie  et  même  la  jeunesse  éternelle. 

2.  Imram  cuirrech  Mael-Duin,  chap.  xxx. 

3.  Huit  arbres  pareils  sont  nommés  dans  une  liste  qui  a  été  publiée 
par  O'Curry  dans  Cath  Muighe  Léana,  p.  96  note.  —  «  L'arbre  de  lOenach 
Maighe  Adhair  »  est  mentionné  dans  les  Annales,  ad  annum  981, 
publiés  dans  Silva  Gadelica,  vol.  des  trad.,  p.  542.  —  L'arbre  dOenach 
Reil  (bile  i  n-Oenach  Reil)  est  mentionné  dans  The  Death  of  Muir- 
certachmac  Erca,  p.  426,  §  46.  Le  fait  que  la  vie  humaine  est  liée  à  ces 
arbres  ressort  encore  d'une  légende  qui  raconte  la  naissance  du  roi 
Conn  Getcathach.  Cette  naissance  fut  marquée  par  la  germination  de 
quatre  d'entre  eux.  Cath  Muighe  I.éana,  p.  94.  Ce  sont  :  Bile  Tortan, 
Eo  Rosa,  Craobh  Mughna,  et  Craobh  Daithe.  Le  commentaire  au 
Félire  Oengusso  du  Lebar  Brecc.  éd.  de  1880,  p.  CLXXXI  au  10  décem- 
bre, dit  au  contraire  que  l'if  Mugna  est  sec  depuis  la  naissance  de 
Conn  Getcathach.  (Cet  if  poussait  en  Belach  Mugna  sur  la  rive  de  la 
Barrow,  en  Leinster).  Mais  1  if  de  Mugna  est  ici  aussi  un  Arbre  de 
Vie.  La  Vie  en  est  sortie  pour  entrer  dans  Conn. 


I.FS    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         175 

vie.  Il  contient  la  provision  des  ftmes  incarnables  et,  en 
g^én^>ral,  les  sources  de  toute  fécondité.  Les  puissances  qui 
animent  les  liommes  ainsi  que  tous  les  autres  ôlres  y  sont 
pour  ainsi  dire  emmagasinées  à  l'état  latent,  et  la  vie  est  la 
conséquence  d'un  dégagement  des  forces  qui  y  résident. 

Inversement,  la  mort  est  un  retour  aux  sources  de  la  vie. 

En  effet,  on  ne  connaît  pas  un  pays  des  morts  qui  difTére 
de  celui  des  génies.  Ainsi,  l'enlèvement  par  un  Dieu  est 
expressément  indiqué  comme  équivalent  t\  la  mort  dans  une 
légende  des  Dinnsenchas,  celle  de  Tuag  Inbir.  Une  jeune 
fille  endormie  sur  le  rivage  est  noyée  par  une  vague.  Mais 
en  réalité  c'était  Manannan  mac  Lir  qui  avait  pris  la  forme 
de  vague  pour  l'enlever  et  l'emmener  au  pays  des  dieux  '. 

D'autre  part,  les  esprits  incarnés  n'entrent  pas  tout 
entiers  dans  la  vie  humaine.  Leur  vie  plonge  ses  racines 
dans  la  vie  divine.  Ils  gardent  un  gage  de  retour. 

C'est  un  rameau  ou  bien  un  fruit  de  l'Arbre  de  Vie.  Les 
dieux  le  présentent  aux  hommes  qu'ils  invitent  à  les  suivre 
dans  Mag  Mell  et,  le  rameau  une  fois  reçu,  on  est  forcé  de 
partir  sans  retour.  C'est  ainsi  qu'une  déesse  oblige  Bran 
mac  Febail  à  quitter  l'Irlande  pour  Tir  innambeo.  Pareil- 
lement le  roi  Cormac  mac  Airt  voit  Manannan  mac  Lir 
enlever  sa  femme  et  ses  deux  enfants  en  échange  de  trois 
pommes  de  Mag  Mell'. 

1 .  Dinnsenchas  de  Rennes,  Rev.  Cellique,  XV  (  Tuag  Inbir).  —  Cf.  Dinn- 
senchas  Bodléiennes  (du  Ms.  Raulinson  B.  500  d'Oxford),  éd.  Whitley 
Stokes,  n»  4fj  dans  Folk-Lore,  IV.  —  Légendes  analogues  de  Tonn 
Clidna  dans  Dinnsenchas  Rodléiennes  n»  10  et  de  Rûad,  (ille  de  Maine 
Milscoth,  Dinnsenchas  de  Rennes,  dans  Rev.  Celtique,  XVI,  p.  ol  s.  — 
Cf.  Dinnsenchas  dEdimbourg.  dans  Silva  Gadelica,  vol.  des  Irad.,  p.  528. 

i.  Echira  Cormaici  Tir  Tairngiri,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Irische 
Texte,  III,  p.  194  s.,  §5  31  s.,  trad.  p.  21i  s.  Le  récit  est  assez  récent. 
l!  ne  remonte  pas  au  delà  du  .\iv«  siècle,  mais  les  éléments  qui  entrent 
dans  sa  composition  appartiennent  en  grande  partie  au.x  mythes  et 
aux  légendes  de  l'époque  païenne.  —  Cf.  l'analyse  de  M.  Alfred  Nutt, 
dans  Voyage  of  Bran.  I,  p.  189  s. 


176  SAINT    PATRICK    KT    I.E    CULTE    DES    HÉROS 

Il  y  a  ainsi  une  relation  intime  entre  l'idée  de  mort,  celle 
de  la  vie  et  celle  de  la  vie  divine.  La  vie  corporelle  n'est 
qu'un  intermède  entre  deux  périodes  de  vie  divine  et  la 
mort  est  le  retour  d'un  esprit  divin  dans  le  dépôt  de  forces 
vitales,  dont  il  est  sorti  pour  créer  de  la  vie  ici-bas.  Par  là 
même  est  expliqué  le  fait  que  les  dieux  et  les  génies  irlaui- 
dais  se  confondent  si  naturellement  avec  les  morts. 

III.  Confusion  des  morts  avec  les  génies.  — On  verra 
que  de  leur  côté  les  morts  tendent  à  se  confondre  avec 
les  dieux  et  les  génies. 

On  a  nié  que  les  Irlandais  eussent  connu  la  notion 
d'âmes  de  morts,  distinctes  des  autres  esprits.  M.  Alfred 
Nutt,  après  avoir  étudié  parallèlement  les  mythes  irlandais 
de  l'Autre  Monde  et  le  rituel  des  fêtes,  établit  que  la  mort  et 
le  sacrifice  agraire  sont  deux  moyens  analogues  d'échanger 
une  certaine  quantité  de  vie  contre  une  quantité  corres- 
pondante de  vie  nouvelle.  Chaque  mort  vient  seulement 
enrichir  la  réserve  de  Puissances  de  Vie  disponibles. 
Quant  à  l'individu,  suivant  M.  Nuit,  rien  n'en  survit'. 

On  verra  que  celte  division  absolue  entre  les  âmes  des 
morts  et  celle  des  vivants  est  inexacte.  Il  reste  une  âme 
désincarnée,  apte  à  se  réincarner  dans  un  individu. 

Catégories  des  morts,  morts  anonymes  et  morts  nommés. 
—  Il  y  a  en  Irlande  deux  classes  de  morts. 

C'est  d'une  part  la  foule  anonyme,  les  morts  ou  les  ancê- 
tres en  général.  On  n'en  parle  que  comme  d'une  masse 
innombrable.  Ils  n'ont  qu'une  existence  collective. 

Le  rituel  des  fêles  comporte  des  lamentations  sur  les 
morts  en  général.  A  Carman,  par  exemple,  il  y  avait  sept 

1.  Voyage  of  Bran,  II,  p.  96. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         177 

tumulus  sur  lesquels  on  s'assemblait  pour  pleurer  les  morts, 
et  le  texte  des  Dinnsenchas  dit  expressément  que  ces  morts 
sont  une  foule,  une  troupe  *. 

Mais  à  ctMé  de  celte  foule  anonyme  il  y  a  des  morts  qui 
gardent  leur  personnalité. 

Ils  se  distinguent  des  autres  morts  par  un  monument 
funéraire  apparent,  par  exemple,  un  carn  (cairn),  ou 
monceau  de  pierres,  ou  une  duma,  ou  tumulus  en 
terre. 

La  seule  présence  d'un  monument  pareil  suffit  à  faire 
un  mort  d'une  classe  distincte,  un  héros,  de  celui  qu'il 
commémore.  En  effet,  bien  que  la  plupart  du  temps 
on  ne  sache  rien  sur  celui-ci,  pas  môme  son  nom,  son 
monument  funéraire  est  toujours  attribué  à  quelque  mort 
qui  se  distingue  du  commun.  C'est  le  Tombeau  du  Sei- 
gneur [Carn  ligerna)^  ou  bien  du  Champion  [Carn  na 
Laech)  ^.  Une  tradition  des  environs  de  Killarney  voit  dans 
un  grand  carn  du  Mont  Mangerton  le  monument  d'un 
berger  qu'on  trouva  mort  sans  que  personne  pût  expli- 
quer son  décès  ^.  Quant  aux  tombeaux  attribués  aux  héros 
épiques,  ils  se  chiffrent  par  douzaines*. 

D'autre  part  les  morts  en  question  conservent  dans  bien 
des  cas  la  partie  la  plus  précieuse  de  leur  individuaUté,  celle 
qui  en  constitue  le  signe  distinctif  :  leur  nom. 

En  effet,  le  nom  des  morts  de  distinction  est  inscrit  en 
caractères  oghamiques  sur  la  pierre  levée  qui  surmonte  la 
tombe.  Il  s'agit  ici  non  de  faits  isolés,  mais  d'un  rite  qui  est 
une  partie  intégrante  du  rituel  funéraire  héroïque,  ainsi 
qu'on  peut  s'en  convaincre  à  chaque  pas  en  parcourant  les 

i.  Aenach  Carmain,  strophe  3,  p.  530. 

2.  Borlase,  I,  p.  13. 

3.  Joyce,  Social  Hislory  of  Ireland,  II,  p.  563. 

4.  Borlase,  II,  p.  552etpasstm.  Cf.  aussi  ibid.,  p.  2. 

CZARNOWSKI.  12 


478  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

textes  épiques*.  Les  monuments  archéologiques  attestent 
de  leur  côté  l'existence  de  ce  rite  dès  une  époque  anté- 
rieure au  VII*  siècle  après  Jésus-Christ,  ainsi  qu'il  ressort 
de  la  graphie  des  épitaphes  retrouvées'". 

Quant  à  Tobjet  du  rite  en  question,  il  n'est  assurément 
pas  seulement  de  perpétuer  la  mémoire  du  défunt,  puis- 
qu'on a  trouvé  do  nombreuses  épitaphes  sur  la  partie 
enfouie  des  pierres  levées  ^  Ce  dont  il  s'agit,  c'est  d'empô- 
cher  l'âme  du  mort  de  se  perdre. 

En  effet,  en  Irlande  comme  ailleurs  il  y  a  un  rapport 
entre  le  nom  de  l'homme  et  l'esprit  qui  habite  son  corps. 
Connaître  le  nom  d'une  personne  permet  d'exercer  sur 
elle  un  pouvoir  magique  *. 

Aussi  l'inscription  de  l'épitaphe  avait-elle  pour  effet 
de  lier  l'âme  du  mort  à  son  menhir  funéraire.  Quand  le  poète 
Murgen  veut  évoquer  l'esprit  du  héros  Fergus  mac  Roig,  il 
déchiffre  son  nom  sur  son  menhir  et  ensuite  il  adresse  à 
celui-ci  une  incantation  «  comme  si  Fergus  en  personne  » 
avait  été  devant  lui,  et  le  vieux  héros  se  dresse  bientôt 
devant  le  poète". 

On  voit  donc  que  les  Irlandais  avaient  une  notion  très 
nette  de  morts,  dont  la  personnalité,  persistait,  dont 
les  esprits  vivaient  d'une  vie  indépendante  sans  se 
confondre  ni  avec  la  foule  anonyme  des  morts,  ni,  à  plus 

1.  Cf.  par  exemple,  Acallamh  na  Senorach,  éd.  O'Grady,  Silva  Gade- 
lica,  p.  47iJ. 

2.  Suivant  Macalister,  Irish  epigraphy.  I,  Londres  1897,  sur  beaucoup 
d'épilaphes  oghamiques  un  q  remplace  le  c,  prononcé  k  à  partir  du 
vu»  siècle.  On  a  ainsi  maq  au  lieu  de  mac  sur  toute  une  série  d'épilaphes. 

3.  Macalister,  op.  cit. 

4.  J.  Rhys.  Cellic  Folk-Lore,  11.  p,  6i'4  s.  Cf.  ibid..  pp.  45.  54.  61,  88, 
97,  229. 

5.  Légende  publiée  par  M.  Windisch  dans  Tain  Bô  Cùalnge,  introduc- 
tion, p.  LUI,  (trad.  p.  LUI  s.).  Cf.  II.  dArbois  de  Jubainville,  Senchan 
Torpeist,  dans  Bibl.  de  l'École  de  Chartres  XL,  p.  132.  —  Cf.  aussi  Zimmer, 
KuhnsZft.,  XXVIII,  p.  426  ss. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA   MORT         179 

forte  raison,  avec  les  Puissance  de  Vie  amorphes  du  pays 
divin. 


Les  MORTS  nommés  sont  ceux  dont  la  mort  a  une 
PORTÉE  SOCIALE.  —  S'il  Qu  cst  ainsi  c'est  que,  par  les  circons- 
tances mêmes  de  leur  mort,  ils  sont  devenus  des  êtres  à 
part.  Ils  sont  ceux,  dont  la  mort  ressemble  à  celle  des  dieux 
et  des  génies. 

Ce  sont  d'abord  ceux  qui  sont  morts  d'épidémie.  En  effet, 
ces  morts  ont  des  monuments  funéraires  apparents.  Le  nom 
particulier  de  ceux-ci,  tamlachta,  indique  que  le  souvenir 
de  l'épidémie  y  demeure  attaché  '. 

\'iennent  ensuite  les  guerriers  tués  en  combattant".  C'est 
surtout  que  leur  mort  est  assimilable  à  une  mort  rituelle. 
En  effet,  les  héros  épiques  sont  en  règle  générale  tués  en 
combat  singulier,  ce  qui  est  toujours  une  forme  d'ordalie. 

Ceu.x  dont  la  mort  est  la  sanction  d'une  infraction  rituelle 
comptent  pour  cette  raison  môme  parmi  les  morts  indivi- 
dualisés. C'est  le  cas  de  très  nombreux  héros  épiques  qui 
meurent  pour  avoir  enfreint  les  interdictions  magiques,  les 
geis,  qui  pèsent  sur  eux.  La  mort  du  roi  d'L'lsler  Cormac 
mac  Conchobair,  préparée  par  une  série  d'infractions  invo- 
lontaires de  fjeis  personnelles  à  ce  héros',  en  est  un  exemple. 
Celle  du  roi  suprême  Loegaire  mac  Néill,  qui  meurt  pour 
avoir  violé  son  serment*,  en  est  un  autre. 


1.  Joyce,  p.  608.  \Vindisch,  Tàin  Bô  Cùalnge,  p.  172,  note  i.  — 
Tamlachta  est  un  mot  composé  de  tam,  épidémie,  et  lachta,  monument 
funéraire. 

2.  Leurs  monuments  sont  toujours  des  monuments  apparents,  carn 
ou  fert,  c'est-à-dire  tumulus.  Presque  toujours  les  textes  épiques  men- 
tionnent l'inscription  de  l'épitaphe  de  morts  pareils. 

3.  Toqail  Bi-uiden  Ud  Chocae,  éd.  Whillev  Stokes,  dans  Rev.  Celtique, 
XXI,  §i  6  ss.  :  p.  152  ss. 

4.  Comlhoth  Loegairi  cocretvn,  éd.  Piummer,  dans  Rev.  Celtique,  \l. 
p.  165  s.  (trad.  p.  168  s.). 


180  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

En  général,  toutes  les  morts  violentes  ou  inexplicables, 
toutes  celles  qui  tranchent  nettement  sur  la  banalité  des 
morts  normales,  ont  pour  conséquence  l'individualisation 
des  esprits.  C'est  que  tout  ce  que  ces  morts  ont  précisément 
de  rare  et  de  mystérieux,  on  pourrait  dire  de  surnaturel, 
les  rapproche  de  la  mort  rituelle. 

Ainsi  ceux  qui  meurent  noyés  deviennent  des  esprits 
indépendants  des  autres  morts,  comme  le  montre  l'exemple 
du  roi  légendaire  Rûad,  qui  périt  dans  la  cataracte  d'Assa- 
roe,  et  dont  l'àme  habite  depuis  lors  un  tumulus  voisin'.  Il 
en  est  de  même  de  ceux  dont  le  cœur  éclate  de  chagrin, 
comme  ces  deux  amants,  héros  du  conte  Scél  Baile 
Binnberlaig ,  à  chacun  desquels  on  avait  faussement 
annoncé  la  mort  de  l'autre^.  C'est  encore  le  fait  de  toutes  les 
morts  qui  bouleversent  l'ordre  établi,  comme  celles  qui 
sont  amenées  par  trahison. 

A  plus  forte  raison,  on  individualise  les  morts  qui,  de  leur 
vivant,  étaient  investis  d'un  caractère  représentatif  et  sacré, 
comme  les  rois  et  les  druides,  et  ceux,  dans  la  mort 
desquels  l'intervention  d'une  puissance  spirituelle  paraît 
manifeste.  Tels  sont,  par  exemple,  ceux  qui  meurent 
empoisonnés,  comme  le  roi  Crimlhann  Nia  Nair',  l'empoi- 
sonnement étant  toujours  et  partout  entaché  de  magie,  et 
ceux  qui,  comme  le  roi  suprême  Dathi,  ont  été  frappés  par 
la  foudre*. 

Ainsi  les  morts  qu'on  distingue  des  autres  sont  ceux 
dont  la  mort  a  une  valeur  religieuse  particulière,  c'est-à-dire 

1.  Joyce,  Social  Hislory,  \,  p.  i62. 

2.  Éd.  Kuno  Meyer,  dans  Rev.  Celtique,  XIll,  p.  2i2  (Irad.   p.  225). 
On  inscrit  le  nom  de  ces  morts  sur  leurs  pierres  funéraires. 

3.  Dealh  of  Crimlhann,  éd.  Whitlev  Stokes,  Rev.  Celt.,  XXIV, 
p.  47'J. 

4.  Sur  la  mort  de  Dathi,  voir  chapitre  suivant.  Ce  roi  a  l'un  des  plus 
beaux  tombeaux  de  Cruachan.  tombeau  qu'on  montre  encore. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         18< 

ceux  dont  la  mort  est  rituelle,  ou  bien  survient  dans  des 
circonstances  qui  la  rendent  passible  d'ôlrc  interprétée 
comme  mort  rituelle.  On  verra  que  c'est  là  la  raison  de  ce 
qu'ils  survivent  5  leur  mort  physique  en  tant  qu'indi- 
vidus. 

Mort  rituelle  et  mort  physique.  Diverses  formes  de 
MORT  rituelle.  —  I.  Niivigaùoji  errante.  En  efîet,  la  mort 
rituelle  est  compatible  en  Irlande  avec  la  continuité  de  la 
vie  individuelle.  A  la  mort  physique  équivalent  des  rites 
qui  ouvrent  l'entrée  de  l'Autre-Monde  aux  vivants. 

Il  en  est  un  qui  consiste  à  embarquer  un  homme  dans 
un  bateau  sans  rame  ni  gouvernail  et  à  l'abandonner  au 
gré  des  flots'.  L'existence  réelle  de  ce  rite  en  Irlande  est 
démontrée  par  les  faits  historiques  :  au  xii®  siècle  encore 
Hughes  de  Lacy  venge  la  mort  de  Jean  de  Courcy  en  aban- 
donnant ses  meurtriers  présumés  dans  des  barques  sans 
avirons". 

Cette  peine  équivaut  à  la  mort.  Dans  la  légende  de 
Becuma,  les  dieux  expulsent  ainsi  la  déesse  condamnée  au 
bûcher.  Quand  un  homme  parti  dans  un  bateau  errant  est 
rejeté  vivant  à  la  cote,  il  n'a  plus  aucun  droit  dans  son  an- 
cienne tribu.  On  le  traite  en  étranger  naufragé,  on  en  fait  un 
esclave  ^  C'est  que  le  rite  l'a  retranché  de  la  société 
humaine.  Il  est  voué  h  la  mort  et  on  n'envisage  même  pas 
l'éventualité  de  son  retour. 


1.  Commentaire  au  Senchus  Môr,  dans  Aiicient  Lavjs  ofireland,  I,p.  14, 
1.  10.  Dans  le  cas  d'homicide  involontaire,  le  meurtrier  qui  ne  peut 
payer  la  composition  est  placé  dans  une  barque  et  abandonné  au 
gré  des  flots. 

2.  Cf.  encore  :  Rev.  Celtique,  IX.  p.  17  s.  ;  O'Curry,  Manners  and  Cus- 
toms.  M,  p.  29:  Mss.  Materials,  p.  333;  Sullivan,  introduction  à  O'Curry, 
Manners  and  Customs,  1,  p.  CXX  et  p.  CGCXXXIV. 

3.  Senchus  Môr,  commentaire,  Ane.  Laws,  l,  p.  204,  en  haut  de  la 
page. 


182  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTE    DES    IIÉHOS 

^  Naviguant  au  gré  des  Ilots,  il  est  comme  les  morts  pas- 
sant en  Mag  Mell.  Eux  aussi  sont  obligés  de  traverser  la 
mer  avant  d'arriver  aux  lointaines  Iles  de  TOucst  où  est  le 
Pays  des  Vivants. 

Plusieurs  héros  ont  entrepris  la  traversée  et  nous  en 
avons  des  relations.  Elle  s'effectue  sous  la  conduite  d'une 
divinité  psychopompe  montée  dans  une  barque  de  verre  ou 
de  bronze,  dans  laquelle  saute  le  héros  ^  Bran  mac  Febail 
rencontre  en  mer  le  dieu  Manannan  qui  lui  souhaite  la  bien- 
venue et  le  guide.  Dans  d'autres  histoires,  comme  dans 
celle  de  Tuag  Inbir  ou  celle  de  Cormac  mac  Airt,  le  héros 
du  récit  est  enlevé  par  Manannan  et  transporté  dans  le  pays 
divin. 

Manannan  mac  Lir  est  le  dieu  psychopompe  par  excel- 
lence, le  seul  des  grands  dieux  qui  soit  nommé  dans  les 
mythes  de  voyage  en  Autre-Monde.  Or,  se  laisser  aller  au 
gré  des  flots  c'est  s'abandonner  au  bon  vouloir  de  ce  dieu, 
car  Manannan  personnifie  la  mer.  11  en  est  le  fils,  mac  Lir, 
et  le  dieu  qui  passe  sa  vie  à  parcourir  les  «  plaines  fleu- 
ries »  de  l'Océan  et  à  commander  aux  vagues,  qui  sont  le 
troupeau  innombrable  de  ses  chevaux'. 

En  effet,  les  navigateurs  qui  se  sont  abandonnés  aux 
vents  et  aux  courants  ont  fini  par  aborder  dans  les  pays  des 
morts  et  des  dieux.  C'est  ainsi  que  Mael-Duin  découvre  une 
série  d'îles  fantastiques,  dont  les  traits  ont  été  empruntés 
aux  descriptions  de  Mag-Mell.  Un  autre  héros,  Tagd,  fils  de 
Cian,  ayant  perdu  la  route  de  son  vaisseau  à  la  suite 
d'une  tempête,  se  laisse  voguer  à  l'aventure  et  débarque 


1.  Par  exemple  Condla.  D'Arbois  de  Jubainville,  loc.  cit.,  p.  389 
(§  7).  —  Gùchulainn  part  également  pour  le  pays  des  fées,  guidé  par 
une  déesse  qui  est  venue  le  chercher.  Serglige  Conchulainn,  ibid., 
p.  203. 

2.  Imram  Brain,  loc.  cit.,  p.  19  (strophes  34  à  36). 


LKS    RKPHÉSENTATIONS    IRLANDAISES    \)V.    LA    MORT         183 

enfin  en  Espagne,  où  il  retrouve   les  héros  des  anciens 
temps,  qui  y  attendent  le  Jugement  Dernier*. 

Ainsi  le  rite  que  nous  venons  de  décrire  équivaut  bien  à 
la  mort  et  pourtant  la  mort  naturelle  n'en  est  pas  la  con- 
séquence. Les  héros  qui  vont  en  Mag  Mell  continuent  à 
vivre.  Us  ne  meurent  qu'au  retour. 

IL  IS initiation.  —  Un  autre  moyen  d'entrer  vivant  dans 
l'autre  monde  est  l'initiation,  telle  que  la  pratiquaient  les 
poètes  et  les  magiciens. 

Pour  devenir  tels,  il  fallait  entrer  dans  le  monde  des 
génies  pour  y  goûter  au.K  fruits  du  Sorbier  de  Science  et 
d'Inspiration'. 

Cet  arbuste  est  la  source  de  toute  science.  Il  croît  au- 
dessus  d'une  fontaine,  dans  l'eau  de  laquelle  tombent  ses 
baies  qu'elles  teignent  en  rouge.  Des  truites  qui  vivent 
dans  la  fontaine  avalent  les  baies  qui  y  tombent.  Pour 
atteindre  à  la  science  suprême  il  faut  boire  à  cette  fontaine 
ou  bien  manger  une  des  truites. 

Il  arrive  parfois  qu'une  des  truites  en  question  s'échappe 
et  arrive  dans  une  rivière  d'Irlande.  Celui  qui  prend  et 
mange  une  Truite  d'Inspiration  devient  du  coup  un  grand 
savant,  pour  lequel  il  n'y  a  rien  de  caché  ^. 

Or,  la  contrée  où  pousse  le  Sorbier  de  Science  est  iden- 
tique au  pays  des  morts.  Le  héros  Condla  qui  est  parti 
pour  Mag  Mell  y  demeure  auprès  du  Sorbier  et  on  appelle 
la   fontaine  qui   coule  au    pied  de    l'arbre   Fontaine  de 


i.  su  va  Gadelica,  p.  385  ss. 

2.  Dinnsencfias  de  Rennes  {Sinann),  Rev.  Celtique,  XV,  p.  457  et 
Dinnsenchas  Rodléiennes.  loc.  cit.,  n'  20.  —  Cf.  :  Noie  dO'Donovan  à 
Cormac's  Translation,  p.  35;  Echtru  Cormaic  :  Tir  Tairmjiri.  loc.  cit., 
§  35,  p.  195,  Irad.  p.  213  ss. 

3.  OCiirry,  Sianners  and  Customs,  II,  p.  413. 


184  SAINT    PATniCK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Condla\  D'autre  part  cette  contrée  est  située  sous  un  lac, 
ou  bien  dans  un  monde  souterrain  qui  communique  avec 
celui  des  hommes  par  les  sources  des  rivières.  Le  pays  des 
génies  et  des  morts  est  souvent  situé  de  la  môme  façon. 

Les  initiés  portent  comme  insigne  un  rameau  de  métal 
précieux  chargé  de  clochettes^,  et  qui  est  un  rameau  de 
l'Arbre  de  Vie,  En  effet,  les  rameaux  que  les  dieux  psy- 
chopompes présentent  aux  hommes  qu'ils  appellent  dans 
l'Autre-Moude,  sont  des  rameaux  mélodieux.  Ils  font  en- 
tendre une  musique  délicieuse  lorsqu'on  les  agite  ^  D'autre 
part  le  Sorbier  de  Science^  auquel  les  rameaux  des  initiés 
sont  évidemment  censés  être  cueillis,  n'est  qu'une  forme 
particulière  de  l'Arbre  de  Vie.  11  produit  aussi  ses  feuilles, 
ses  fleurs  et  ses  fruits  en  même  temps. 

Ainsi  l'initié  est  un  homme  qui  est  parvenu  jusqu'aux 
sources  de  la  Vie  et  qui  en  a  rapporté  un  gage.  Il  est 
pareil  à  un  dieu  et  à  un  mort.  Et  pourtant  il  reste  bien  en 
vie. 

La  conception  irlandaise  de  la  mort  oscille  donc  entre 
deux  points  extrêmes.  A  l'un  des  pôles  est  le  passage  rituel 
dans  l'Autre-Monde  qui  assure  la  continuité  de  la  vie  indivi- 
duelle. Au  pôle  opposé  est  la  mort  purement  physique,  celle 
qui  n'a  rien  de  rituel  ni  même  de  remarquable,  celle  dont 
meurt  tout  le  monde.  Elle  entraîne  le  naufrage  de  ce  qui 
faisait  la  personnalité  du  vivant.  Par  sa  fréquence  et  son 
uniformité  même  elle  confond  les  âmes  en  une  foule  ano- 
nyme qui  n'existe  que  par  sa  masse. 

Les  morts  nommés  occupent  une  situation  intermédiaire 
entre  ces  deux  cas  extrêmes.  D'un  côté  ils  ne  sont  plus 

1.  Dinnsenchas,  cités  p.  181,  note  2. 

2.  O'Curry,  Manners  and  Customs,  III,  p.  316. 

3.  hnram  Brain,  loc.  cit.,  p.  2  s.  —  La  branche  que  présente  Manan- 
nan  à  Corniac  rend  un  son  si  agréable  que  le  roi  offre  au  dieu  tout  ce 
que  celui-ci  voudra  prendre  en  échange,  Echlra  Cormaic,  p.  194. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         185 

des  vivants  comme  le  sont  les  navigateurs  errants  ou  les 
initiés.  Mais  de  l'autre  ils  conservent  intacte  leur  person- 
nalité. Le  caractère  môme  de  leur  mort  la  préserve  de 
sombrer  dans  l'anéantissement  du  coips. 

Les  RITES  FUNÉRAIRES.  —  I.   Fiuiérailles  provisoires. 

—  Un  coup  d'oeil  sur  le  rituel  funéraire  irlandais  nous  per- 
mettra de  projeter  un  peu  plus  de  lumière  sur  cette  situa- 
tion particulière. 

A  la  double  conception  de  la  mort  répondent  deux  séries 
de  rites  funéraires'. 

La  première  commence  dès  l'instant  du  décès.  Le  ca- 
davre est  d'abord  lavé  dans  une  rivière",  après  quoi  com- 
mence la  veillée,  pendant  laquelle  on  se  lamente  sur  le 
mort  et  l'on  prononce  son  éloge  ^.  Le  mort  repose  sous 
une  couverture  de  branchages  [strofais)  ou  un  manteau*. 

Arrêtons-nous  un  moment  au  premier  de  ces  rites.  C'est 
assurément  un  rite  de  purification.  Mais  il  a  en  outre  pour 
effet  de  réveiller  la  vie  spirituelle  dans  le  cadavre. 

Les  rivières  dans  lesquelles  on  lave  le  mort  viennent  de 
Mag  Mell,  du  Pays  de  la  Vie.  Leurs  sources  sont  des  pas- 
sages qui  mènent  dans  cette  contrée. 

D'autre  part  le  bain  du  cadavre  est  en  tous  points  ana- 

i.  Noire  reconstitution  s'appuie  surtout  sur  le  récit  de  The  Dealh  of 
Muircertach  mac  Erca,  dans  laquelle  la  série  des  rites  est  presque 
complète. 

2.  Death  of  Muircertach,  loc.  cit.  §  43,  p.  424.  —  Cf.  Revue  Celtique, 
XIII,  p.  38  et  p.  124  ;  I>-ische  Texte,  IV,  p.  310.  —  Cf.  Keating,  Three 
Shafts  of  Death.  éd.  Alkinson,  p.  ol. 

3.  Exemples  :  Death  of  Muircertach,  p.  424  s.  ;  Cath  Muighe  Léana, 
p.  2t»  ;  Tain  Bô  Cùalnge.  p.  6:56  s.  ;  Meurtre  des  Fils  d'Usnech,  trad. 
française,  dans  Epopée  Celtique,  p.  27'J  ss.  :  Bruiden  Dû  Chocae,  éd. 
Whitley  Stokes,  dans  Rev.  Celtique,  X.XI,  §  65.  —  On  trouve  des  com- 
plaintes et  des  éloges  funèbres  dans  presque  tout  récit  épique.  Sur  ce 
rite,  cf.  Sullivan,  op.  cit.,  p.  32a;  Joyce,  op  cit.,  II,  p.  540  ss.  et  p.  543. 

—  Ce  rite  est  encore  pratiqué  dans  les  pays  gùidéliques  :  G.-K.  Kinahan, 
Notes  on  Irish  Folk  Lore,  dans  The  Folk  Lore  Record,  IV,  p.  100. 

4.  Joyce,  op.  cit.,  II.  p.  543  s.  ;  Muirchu,  p.  287. 


486  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

logue  aux  bains  médicaux*.  Or  ceux-ci  ont  pour  eiïel  d'in- 
troduire dans  le  corps  du  patient  une  force  de  vie  nouvelle. 
Ainsi  Gethern,  un  héros  blessé  dans  les  combats  de  la 
TàinBô  Cûalnge,  acquiert  une  vie  et  une  vigueur  nouvelle 
après  avoir  été  plongé  dans  une  bouillie  de  chair  animale 
qu'il  a  bu  et  qui  a  pénétré  ses  tissus  ^  Dans  la  Bataille 
de  Mag  Tured  le  dieu  médecin  Diancecht  ressuscite  les 
morts  des  Tùatha  Dé  Danann  en  les  plongeant  dans  Teau 
d'une  fontaine^. 

Le  bain  dans  une  rivière  dont  l'eau  roule  des  germes  de 
vie  opère  de  même  une  véritable  renaissance''. 

l.Cf.  Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  49:  Fothrucad  =  a  baigner  o, 
est  employé  dans  deux  sens,  celui  de  bain  curatif  et  de  lustration  d'un 
cadavre. 

2.  Tain  Bô  Cûalnge,  p.  630  s.  —  Cf.  Giraidus  Cambrcnsîs,  Topogra- 
phia  Hibernica,  dist.  III,  cap.  23  :  lorsqu'il  s'agit  d'introniser  un  roi 
de  Cénel  Connell  [Tribu  de  Conall.  qui  occupait  le  comté  actuel  de 
Tirconnell),  on  lui  amène  une  jument  blanche  devant  laquelle  il  se  met 
à  quatre  pattes  en  déclarant  qu'il  est  bien  une  bète.  Alors  la  jument 
est  tuée  et  sa  viande  cuite  à  l'eau.  Le  nouveau  roi  se  baigne  dans  le 
bouillon  ainsi  obtenu  et  il  en  boit  en  se  baignant.  La  viande  de  la 
jument  est  partagée  entre  les  assistants.  Une  fois  cette  cérémonie  termi- 
née, personne  ne  peut  plus  contester  le  pouvoir  du  nouveau  roi.  — Il 
est,  certes,  fort  douteux  que  cette  cérémonie  ait  été  jamais  célébrée  au 
moment  d'une  intronisation.  Giraidus  n'a  pas  été  en  Tirconnell,  il 
relate  ce  qui  lui  a  été  raconté,  et  le  cérémonial  d'avènement  de  la 
tribu  en  question,  tel  que  le  rapporte  Harris,  dans  son  édition  des 
œuvres  de  James  'SVare  (note  à  Antiquitates  Iliberniœ,  p.  65)  ne  con- 
tient rien  de  pareil.  C'est  le  cérémonial  normal,  celui  que  nous  décrivons 
au  chap.  vi.  Cf.  Keating,  éd.  Comyn,  p.  22.  De  plus  le  sacrifice  du  cheval 
n'est  pas  un  fait  grMdélique:  il  est  gallois  ou  germanique.  Mais  les  cir- 
constances mêmes  de  ce  sacrifice  sont  assurément  authentiques.  Jamais 
Giraidus  ni  aucun  anglo-normand  le  plus  hostile  aux  Irlandais  n'aurait 
imaginé  quelque  chose  de  semblable.  La  cérémonie  en  question  est  trop 
cohérente  et  d'autre  part  sa  description  concorde  trop  bien  avec  celle 
du  bain  de  Cethern.  Aussi  faut-il  voir  un  fait  dans  ce  que  rapporte 
Giraidus,  un  fait  qu'il  a  tout  au  plus  mal  interprété  en  en  faisant  un 
rite  d'intronisation.  Or,  ce  qui  ressort  de  ce  fait,  est  que  les  bains 
pareils  à  celui  de  Cethern  étaient  des  bains  sacrificiels  et  qu'ils  avaient 
I)Our  effet  de  faire  participer  le  baigneur  à  la  nature  de  la  victime  du 
sacrifice.  —  Cf.  encore  Keating,  Histoire  d'Irlande,  éd.  Dinneen,  Irish 
Texts  Soc,  IX,  p.  110  :  des  hommes  blessés  par  des  armes  empoi- 
sonnées guérissent  après  s'être  baignés  dans  du  lait  de  vaches. 

3.  Éd.  citée,  §  123. 

4.  C'est  un  bain  pris  dans  les  eaux  de  la  Boyne  qui  fait  oublier  à  la 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         187 

II.  Funérailles  dé  finit  ic  es.  —  Les  funérailles  proprement 
dites  commencent  quand  la  veillée  est  terminée. 

Le  cadavre  placé  sur  une  bière  est  transporté  jusqu'au 
cimetière. 

C'est  un  rite  qui  représente  le  départ  du  mort  pour 
l'Autre-Monde.  En  effet,  on  pénètre  dans  tous  les  cime- 
tières irlandais  en  allant  de  l'est  à  l'ouest,  c'est-à-dire 
dans  la  direction  que  suivent  les  âmes  des  morts,  et  il  en 
est  de  môme  des  allées  couvertes  sous  tumulus,  dont  cer- 
taines ont  servi  de  sépultures  encore  à  l'époque  gôidé- 
lique  ^  De  plus,  nombre  de  cimetières  sont  situés  au  bord 
de  rivières  ou  de  lacs,  et  on  y  transporte  le  cadavre  en 
bateau  ■.  On  brise  le  char  ou  le  bateau  qui  a  servi  à  trans- 
porter le  mort  de  crainte  que  celui-ci  ne  revienne^. 

Sur  la  tombe  les  lamentations  recommencent  et  un 
nouvel  éloge  du  mort  est  prononcé  *. 

fée  Eithne  le  secret  du  charme,  féth  fiada.  Elle  devient  une  femme  mor- 
telle :  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  p.  278  ss.  — 
Pareillement  les  âmes  qui  boivent  les  eaux  du  fleuve  infernal  oublient 
leur  vie  humaine  avant  d'entrer  dans  IHadès.  Elles  dépouillent  ce  qui 
leur  reste  de  leur  ancienne  nature  pour  vivre  une  vie  nouvelle  et  diffé- 
rente. 

1.  Cf.  Wood-Martin.  Pa^on  Ireland,passim;  Borlase,  op.  cit.,  passim. 

2.  Les  dolmens  et  les  tumulus  sont  très  nombreux  dans  les  lies 
lacustres.  Cf.  Borlase,  op.  cit.,  pas.mn.  —  C'est  aussi  dans  des  lies 
qu'on  trouve  le  plus  de  clochan,  c'est-a-dire,  de  petites  constructions 
coniques  en  pierres  sèches  ayant  servi  d'habitations  à  des  ermites  et 
peut-être  même  ayant  été  habitées  antérieurement  au  christianisme. 
Ces  clochan  passent  souvent  pour  être  des  tombeaux,  et  on  en  trouve 
qui  sont  associés  à  des  monuments  funéraires.  Cf.  Pétrie,  op.  cit.,  pas- 
sim. —  Un  très  ancien  cimetière  chrétien  qui  a  été  précédé  par  une 
nécropole  païenne  est  situé  dans  un  tlot  du  Lough  Corrib,  Inchagoill. 
Cf.  Peirie,  op.  cit.,  appendice  sur  les  Round  Towers,  p.  i65.  —  Dans 
l'Ile  Inishmurray  se  trouve  un  uladh,  qui  est  actuellement  consacré  à 
la  Vierge  et  qui  est  un  but  de  pèlerinage.  Les  uladh  sont  des  tombeaux 
païens.  Kilhenny  Arcliœol.  Journal,  1885-1886,  p.  302. 

3.  Un  poète  dit  qu'd  ne  peut  se  consoler  depuis  que  le  bateau,  sur 
lequel  le  corps  de  saint  Cuimmin  Fota  a  été  porté  au  cimetière,  est 
brisé  :  J.-H.  Todd,  Book  of  Hymns,  p.  86  ;  cf.  ibid.,  note  2.  —  Dans  les 
Hébrides  on  brise  encore  aujourd'hui  le  char  qui  a  porté  un  mort  à  sa 
tombe  :  Carmichael,  Cannina  Gadelica,  l'JUO,  II,  p.  320. 

4.  Dans  Catk  Muiyhe  Léana,  p.  20,  Mogh  JNéit,  père  du  roi  de  Munster, 


188  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Enfin  on  célèbre  une  fôtc  funéraire  qui  consiste  en 
jeux  athlétiques*,  festin  et  sacrifice.  Des  bestiaux  sont 
mis  à  mort  sur  la  tombe  et  mangés,  sinon  à  toutes  les 
fêtes  funéraires,  du  moins  à  celles  des  personnages  de 
marque^. 


Eoghan  Môr,  est  d'abord  pleuré  par  son  fils  qui  raconte  les  circon- 
stances de  la  mort.  Puis  on  creuse  la  tombe  et  on  érige  au-dessus  un 
tumulus.  Alors  un  druide  improvise  un  éloge  funèbre.  —  Cf.  Tke  Death 
of  Muircertach.  §  47,  p.  426  :  le  roi  est  enterré,  après  quoi  seulement  saint 
Cairnech  chante  un  poème  sur  le  mort.  —  Cf.  Bruiden  Dd  Chocae,  l.  c.  ; 
le  poète  Amairgen  érige  le  tumulus  du  roi  d'Ulster  Cornaac  et  chante 
son  éloge  après. 

1.  Cluichi  câinlech,  litt.  jeux  funèbres.  —  Pour  parler  de  funérailles 
l'épopée  a  une  phrase  consacrée  dans  laquelle  ces  jeux  sont  pres- 
que toujours  mentionnés  :  ro  claidead  a  leaght  ,  ro  laigeadh  a 
fearth  ,  rohadhadh  a  cluichi  caintech  ,  ro  scribed  a  ainm  oghaim 
«  ils  creusèrent  son  tombeau,  et  ils  élevèrent  son  tumulus,  et  ils  accom- 
plirent ses  jeux  funéraires,  et  ils  inscrivirent  son  nom  en  ogham  ». 
Death  of  Crimthann,  p.  184;  —  cf.  Cath  Finntraga,  The  Baille  of  Yen- 
try,  éd.  Kuno  Meyer,  Anecdola  Oxoniensia  (Mediaeval  and  Modem 
Séries)  I.  part.  IV,  p.  28  ;  Tain  Bô  Cùalnge,  p.  601,  note  1.  —  C'étaient  des 
jeux  analogues  aux  agones  funèbres  des  Grecs.  Les  lettrés  irlandais 
traduisent  aywv  par  cluichi  cdinlech  :  Doringned  a  cluichi  câinlech,  dans 
Togail  Troi,éd.  Whitley  Stokes,  1.  1805,  cité  chez  Windisch,  Tàin,p.  601, 
note.  —  Des  coursos  de  chevaux  faisaient  partie  des  cluichi  câinlech  : 
«  Ils  célébrèrent  des  courses  brillantes  et  pures  pour  Achall.  en  face 
de  Tara  »  :  Gwynn,  Metrical  Dinnsenchas,  Achall.  —  Un  passage  de 
Coladh  Gaedhel  re  Gallaib,  histoire  des  guerres  entre  les  Irlandais  et 
les  Danois,  éd.  J.-H.  Todd  (Rois  Séries),  p.  82,  parle  de  courses  de 
femmes  :  «  C'est  alors  (après  la  prise  de  Limerick  par  les  Irlandais 
en  982)  qu'ils  célébrèrent  les  courses  (graffaing)  du  fils  de  Feradach 
(Cathal  mac  Feradaich,  un  des  chefs  irlandais)  :  les  femmes  des  étran- 
gers (les  prisonnières  danoises)  furent  disposées  en  une  longue  ligne  sur 
les  collines  de  Saingel  à  l'intérieur  d'un  cercle,  et  leurs  mains  furent 
appuyées  sur  le  sol.  et  elles  furent  fouettées  par  derrière  par  les  valets 
de  l'armée  pour  le  bion  des  âmes  des  étrangers  qui  avaient  été  tués 
dans  la  bataille.»  Cf. /«<ro(iuc<Jo?i  de  Todd,  c.\xn  s.  et  les  noies, ibid. — 
S'agit-il  ici  d'un  rite  funéraire  régulier?  II  y  avait  bien  des  courses  de 
femmes  à  la  fête  de  Carman  (cf.  plus  haut).  Pourtant  rien  ne  permet  de 
supposer  qu'elles  aient  couru  à  quatre  pattes.  Il  est  probable  qu'on  est 
ici  en  présence  d'une  contrefaçon  ironique  d'un  rite,  qu'il  s'agit  d'une 
parodie.  C'est  pour  cela  sans  doute  que  le  chroniqueur  l'a  décrite  avec 
tant  de  détails.  Quoiqu'il  en  soit,  l'idée  de  la  course  des  femmes  prison- 
nières a  dû  être  suggérée  aux  organisateurs  par  un  rite  qui  existait 
réellement,  et  ce  rite  ne  peut  être  qu'une  course  de  chevaux,  ou  bien 
une  course  de  femmes. 

2.  Cf.  plus  loin,  p.  190.  n.  1. 


les  représentations  irlandaises  de  la  mort      189 

Les  morts  nommés  sont  dans  un  état  intermédiaire 
entre  la  vie  et  la  mort  qui  correspond  a  la  première 
SÉRIE  DE  RITES.  —  Lcs  doux  sories  de  rites  funéraires  cor- 
respondent î\  deux  états  du  mort. 

En  effet,  on  n'est  pas  en  présence  d'un  rituel  composé 
simplement  de  deux  parties,  mais  de  véritables  funérailles 
doubles,  les  unes  provisoires,  les  autres  définitives. 

Tant  que  le  corps  repose  sous  le  strofais  la  mort  n'est 
pas  complète.  Le  mort  est  dans  sa  maison,  au  milieu  de  ses 
parents  '.  Son  Ame  n'est  pas  encore  détachée  de  son  corps 
dans  lequel  le  bain  funéraire  a  môme  introduit  uue  puis- 
sance spirituelle  nouvelle.  Ce  n'est  pas  un  cadavre  sans 
vie,  c'est  un  corps  dans  lequel  la  vie  n'est  qu'engourdie. 

Le  mort  demeure  en  cet  état  jusqu'à  l'enterrement.  Son 
âme  ne  s'en  va  rejoindre  les  autres  Ames  des  morts  que  par 
l'effet  des  rites  de  transport. 

Or,  c'est  cet  état  intermédiaire  entre  la  vie  humaine  et  la 
mort  définitive  qui  est  prolongé  au  delà  de  l'enterrement 
pour  les  morts  dont  la  personnaiité  persiste.  Leur  âme 
demeure  liée  à  leur  corps.  Ainsi  le  roi  Loegaire  annonce 
que  debout,  dans  sa  tombe,  il  attendra  les  ennemis  jusqu'au 
jour  erdathe,  «  c'est-à-dire,  explique  Tîrechan,  jusqu'au 
Jugement  Dernier-.  Morts  et  vivants,  ils  régnent  dans  leurs 

i.  Muirchu,  p.  287  :  «  in  mcdio  eorum...  iacentem...  (mortuum) 
uidit  M. 

i.  Tircchân,  p.  3u8  :  «  Nara  Neel  pater  meus  non  siniuit  inihi  cre- 
dere,  sed  ut  sepeliar  in  cacuminibu.sTemro,  quasi  uiris  consistentibus 
in  beilo,  quia  ulunlur  genliles  in  sepulcris  armali  prumptis  armis,  facie 
ad  faciem,  usque  ad  diem  erdathe  apud  magos,  id  est,  iudicii  diem 
Domini.  »  —  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction  à  l'étude  de  la 
littérature  celtique  (Cours  de  littérature  celtique.  I),  p.  18G  ss.  remarque 
avec  raison  qu'erdathe  ne  peut  pas  signifier  «Jugement  du  Seigneur»: 
la  croyance  à  un  Jugement  Dernier  est  entièrement  d'origine  chrétienne 
en  Irlande,  et  les  genliles  ni  les  magi,  c'est-à-dire  les  druides,  ne  pou- 
vaient entendre  par  erdathe  quelque  chose  qui  leur  était  inconnu.  — 
Ue  plus,  c'est  co  mbràlh  qui  est  l'expression  consacrée  pour  dire  qu'un 
état  doit  durer  jusqu'au  Jugement,  jamais  erdathe.  On  ne  rencontre 
même  plus  ce  mot  dans  l'épopée.  —  Pourtant  erdathe  désignait  cerlai- 


190  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

tombeaux  comme  les  Tuatha  Dé  Daiiann  dans  leur  sïdh, 
ceux-ci  ressemblant  aux  plus  individuels  des  esprits  dont 
nous  avons  traité  dans  le  précédent  chapitre. 

Concentration  des  fêtes  funéraires  aux  fêtes  pério- 
diques DU  calendrier.  —  Les  morts  et  les  héros  reçoivent 
un  culte  en  tant  qu'acteurs  mt/thiques  des  fêtes.  —  Nous 
avons  signalé  plus  haut  que  les  morts  avaient  part  aux 
fêtes.  Il  faut  insister  et  noter  à  quel  point. 

Les  fêtes  périodiques  attirent  les  rites  funéraires. 

Ceux-ci  sont  pareils  aux  rites  de  fêtes. 

Le  fait  central  de  la  cérémonie  funéraire  est  un  sacrifice 
suivi  d'un  festin.  Comme  aux  fêtes  ce  sont  des  bestiaux 
qu'on  tue^  et  dont  la  chair  est  mangée  pendant  le  banquet 
solennel. 

Les  jeux  funéraires  consistent  surtout  en  courses,  de 
même  que  ceux  des  fêtes. 

Les  éloges  et  les  complaintes  dont  les  morts  sont  l'objet 
ont  leur  pendant  dans  les  légendes  épiques  dont  la  narra- 
tion occupe,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  une  grande  place  aux 
fêtes  périodiques.  Les  rites  de  celles-ci  comportent  aussi 
des    lamentations  sur  les  dieux    morts.    On   les  appelle 

nement  un  terme  très  lointain,  peut-être  la  fin  d'un  grand  cycle.  Sinon, 
on  ne  conçoit  pas  son  emploi  dans  la  phrase  citée  ni  son  assimilation 
au  Jugement  Dernier  par  Tlrechùn. 

1.  Tochmarc  Etdine  dans  Irische  Texte.  I.  p.  122,  version  LV,  §  8. 
dernière  ligne.  Cf.  Kilkenny  Archaeol.  Journal,  1868-1869,  p.  334  ;  Whitley 
Stokes,  Introduction  à  T/ie  Triparlile  Life,  p.  cl;  Sullivan,  op.  cit.. 
p.  cccx.xi.  On  sait  par  César,  De  bello  Gallico,  vi,  29,  qu'aux  funérailles 
des  chefs  gaulois  on  brûlait  avec  le  mort  ses  esclaves,  ses  clients  et  ses 
animaux  favoris.  Il  s'agissait  probablement  de  faire  accompagner  le 
mort  de  tout  ce  dont  il  pouvait  avoir  besoin  dans  l'Autre  Monde,  et  on 
ne  saurait  afQrmer  que  c'était  d'un  sacrifice.  En  ce  qui  concerne 
l'Irlande,  un  texte  nous  parle  d'une  pratique  qui  ressemble  bien  à  un 
sacrifice  humain  :  aux  funérailles  d'un  chef.  Fiachra.  douze  prisonniers 
de  guerre  sont  enterrés  vivants  {Death  of  Crimttiann,  l.  c,  p.  184;  cf. 
Silva  Gadelica,  p.  543).  Mais  peut-être  est-ce  encore  un  fait  isolé,  un 
acte  de  vengeance  par  exemple. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         191 

môme  «  assemblées  de   lamentation  »,  oenacli   n-guba. 

D'autre  part  le  caractère  rituel  de  la  mort  des  morts  qui 
gardent  leur  personnalité  les  raproche  des  dieux  sacrifiés. 
En  effet,  on  a  vu  que  les  personnages  en  question  meurent 
d'une  mort  semblable  à  celle  des  dieux,  ou  bien  que  les 
dieux  sont  cause  de  leur  mort,  ou  bien  encore  qu'il  s'agit 
de  personnages  sacrés,  c'est-à-dire,  qui  participent  à  la 
nature  des  dieux. 

Aussi  ces  morts  sont-ils  attirés  par  les  fêles  d'une 
manière  irrésistible.  On  a  vu  que  ce  sont  les  seules  dates 
assignées  à  la  naissance,  à  la  mort  et  aux  exploits  des 
héros.  On  oublie  les  dates  réelles,  s'ils  ont  réellement  vécu. 
Un  exem[)le  topique  de  cette  attraction  est  fourni  par  la 
comparaison  de  deux  relations  de  la  mort  d'un  roi  de 
Leinster,  dont  l'une  se  trouve  dans  le  Chronicon  Sco- 
torwn,  du  xii''  siècle,  et  l'autre  dans  les  Annales  des 
Quatre  Maîtres  qui  ont  été  compilées  au  xvii"  siècle  ^  Le 
premier  de  ces  textes  dit  simplement  que  le  roi  se  tua  en 
tombant.  Dans  le  second  cet  événement  a  déjà  une  date,  et 
c'est  précisément  la  fête  de  l'Oenach  Colmain. 

En  définitive  la  fôte  funéraire  se  confond  avec  la  fête 
périodique.  Elle  aurait  dû  être  répétée  aux  anniversaires 
de  la  mort.  Or,  jamais  on  n'entend  parler  d'anniversaires 
p£Îreils,  autres  que  ceux  qui  coïncident  avec  une  grande 
fêle  du  calendrier. 

Ainsi  les  morts  ne  reçoivent  im  culte  qu'en  tant  qu'ils  se 
confondent  avec  les  acteurs  mythiques  des  fêtes.  Celui  qui 
s'adresse  aux  morts  nommés  est  le  même  que  celui  dont  sont 
l'objet  les  personnages  individuels  des  mythes,  les  dieux. 
Quant  aux  morts  anonymes,  ils  tiennent  dans  la  célébration 
des  fêtes  la  même  place  que  la  foule  anonyme  des  génies. 

1.  Chronicon  Scotorum,  ad  annum  941  ;  Annals  of  Ihe  Four  Masters, 
ad  annum  940. 


192  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

Par  là  môme  se  trouve  juslifice  Tassimilalion  des  dieux 
et  des  génies  de  fôtc  aux  morts  et  aux  héros. 

Les    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DES    MORTS     ET    SAINT 

Patrick.  —  Nous  avons  vu  que  saint  Patrick  et  sa  légende 
se  rattachent  à  l'ensemble  de  la  mythologie  et  de  la  reli- 
gion païennes  par  l'intermédiaire  des  acteurs  mythiques 
des  fêtes  et  de  leurs  légendes.  Nous  allons  voir  la  légende 
du  saint  se  rattacher  également  au  système  de  croyances 
et  de  rites  qui  vient  d'être  étudié.  Ce  n'est  certes  pas  uni- 
quement parce  que  saint  Patrick  en  tant  que  saint  est  un 
mort,  qu'il  a  pris  la  physionomie  que  nous  lui  connaissons, 
mais  c'est  parce  qu'il  est  un  maître  des  morts  pareil  aux 
dieux  irlandais  et  que.  tant  par  sa  légende  que  par  son 
culte,  il  peut  être  assimilé  aux  héros  du  paganisme  gôidé- 
lique. 

Saint  Patrick  est  un  m.aitre  des  morts.  —  En  effet, 
saint  Patrick  ouvre  aux  âmes  des  morts  irlandais  les  portes 
de  l'éternité  bienheureuse. 

Il  leur  a  permis  d'éviter  les  obstacles  qui  retardent  leur 
entrée  immédiate  dans  le  Paradis  en  rendant  le  Purgatoire 
accessible  aux  vivants.  Le  fameux  Purgatoire  de  saint 
Patrice,  dont  l'apôtre  a  ouvert  lentrée,  est  une  région  sou- 
terraine, où  quiconque  pénètre  en  état  de  grâce  et  sort  vic- 
torieux des  épreuves  qui  l'y  attendent,  est  certain  d'avoir 
sa  place  marquée  d'avance  dans  le  paradis*. 

Sur  le  Mont  Aigle  saint  Patrick  se  fait  accorder  la  faveur 
de  délivrer  immédiatement  autant  d'âmes  des  tourments 
de  l'enfer,  qu'il  en  faut  pour  couvrir  le  ciel  à  perte  de  vue 

1.  Selmar  Eckleben,  Die  âllesle  Schilderung  vom  Fegefeuer  des  hei- 
ligen  Palricius,  Halle  a.  S.,  1883;  Ph.  de  Félice,  L'Autre  Monde,  Paris, 
1906,  chap.  II  et  m. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         193 

du  côté  de  la  mer  et  du  coté  de  la  terre.  Dieu  permet 
ensuite  au  saint  de  faire  sortir  de  l'enfer  d'abord  sept 
âmes,  puis  douze,  chaque  samedi  et  sept  chaque  jeudi,  et 
le  jour  du  Jup^ement  Dernier  saint  Patrick  sauvera  sept 
Ames  damnées  pour  chaque  fil  de  sa  cagoule'. 

Mais  ces  privilèfçes  ne  suffisent  pas  à  Tapôtre.  Il 
demande  et  il  obtient  d'être  le  seul  juge  des  Irlandais  au 
Jugement  Dernier,  tandis  que  les  autres  hommes  seront 
jugés  par  Jésus-Christ".  Aussi  le  jour  de  la  résurrection 
des  corps  tous  les  Irlandais  se  réuniront  auprès  du  tom- 
beau de  leur  apôtre,  à  Down,  pour  se  rendre  sous  sa  con- 
duite au  lieu  du  Jugement^ 

Dans  ces  légendes  la  représentation  des  Ames  des  morts 
est  bien  la  même  que  dans  les  mythes  païens.  En  effet, 
les  âmes  en  question  se  confondent  avec  celles  qui  ne  sont 
pas  encore  incarnées. 

Quand  Patrick  s'apprête  à  descendre  du  Mont  Aigle, 
une  troupe  innombrable  d'oiseaux  blancs  l'entoure  pour 
recevoir  sa  bénédiction.  Ce  sont  les  âmes  des  saints  irlan- 
dais, non  seulement  de  ceux  qui  sont  morts  ou  des  saints 
présents,  mais  encore  des  saints  futurs  *.  Et  Tirechân 
affirme  que  les  enfants  non  encore  nés  faisaient  entendre 

1.  Vie  Tripartile,  éd.  Whitley  Slokcs,  p.  112  ss  :  Homélie  du  Lebar 
Brecc,  loc.  cit..  p.  474  s.  :  Colgan,  Vila  IV",  p.  43,  col.  1.  Cf.  Tirechân, 
p.  322,  cilé  note  4. 

2.  Continuateur  de  Tirechân.  Tripartile  IJfe,  II.  p.  331  ;  Hymne  de 
Fiacc,  dans  Thésaurus  l'alœohibernicus,  II,  p.  317,  p.  319.  —  Suivant 
les  Vies  plus  récentes,  le  privilège  en  question  a  été  obtenu  par  saint 
Patrick  sur  le  Mont  Aigle. 

3.  Hymne  de  Fiacc,  loc.  cit..  p.  319  :  immut  illathiu  in  7nessa  regait 
fir  hErend  dobralh. 

4.  Tirechân,  p.  322  s.  «  Kt  exiit  Patricius  ad  cacumina  mentis  super 
Crochan  Aigli  et  mansit  ibi  xl  diebus  et  xl  noclibus.  El  graues  aues 
fuerunt  erga  iilum  et  non  poterat  uidere  faciem  cœli  et  terrse  et  maris, 
quia  llibcrniaî  sanctis  omnibus  prœterilis,  pracscntibus,  fuluris  Deus 
dixil  :  asccnditc,  o  sancli,  super  montcm,  ad  benecidcndos  Iliberniaî 
populos  ut  uideret  Patricius  fruclum  sui  laboris  ».  —  CI.  Vie  Tripartile, 
éd.  Whitley  Stokes,  p.  114. 

CZARNOWSKI.  13 


194  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

à  saint  Patrick  des  appels  pour  qu'il  vint  en  Irlande  et  les 
libérât  ^ 

Ainsi  notre  saint  est  un  maître  et  un  conducteur  des 
âmes  de  TAutre  Monde,  analogue  aux  dieux  psychopompes 
du  panthéon  irlandais. 

Saint  Patrick  a  pénétré  dans  l'Autre  Monde  d'une 
MANIÈRE  RITUELLE.  —  Si  saint  Patrick  commande  ainsi  sur 
les  chemins  de  l'Autre  Monde,  c'est  qu'il  en  a  lui-même 
forcé  rituellement  les  portes. 

11  s'était  armé  pour  le  faire  des  vertus  du  jeûne. 

Le  jeûne  est  en  Irlande  un  rite  analogue  au  jeûne  rituel 
des  Hindous  ou  des  Chinoise  Jeûner  contre  quelqu'un  est 
un  moven  de  contrainte,  dont  les  saints  usent  largement 
vis-à-vis  des  chefs.  Son  efficacité  est  telle  que  la  seule 
menace  de  le  mettre  en  pratique  amène  à  résipiscence  les 
plus  récalcitrants^. 

1.  Tirechân,  p.  310  :  «  causa  filiorum  clamantium  clamore  raagno 
(quorum)  uoces  audiuit  (Patricius)  in  utero  matrum  suarum  dicenlium  : 
ueni  sancte  Patrici,  saluos  nos  facere  ».  —  Cf.  Vie  Tripartite,  éd. 
Whitley  Stokes,  p.  134  :  Patrick,  baptise  deux  femmes,  Crebriu  et  Lesru. 
C'est  elles  qui  lavaient  appelé  du  sein  de  leur  mère,  lorsqu'il  séjournait 
encore  dans  les  lies  de  la  Aler  Tyrrhénienne.  La  même  légende  se  trouve 
aussi  dans  une  glose  du  manuscrit  du  Liber  Ilymnorum,  dit  des  Fran- 
ciscains, au  verset  8  de  l'Hymne  de  Fiacc,  T/iesaurus  Palœohib,  II, 
p.  312.  —  Les  deux  femmes  en  question  sont  vénérées  comme  saintes, 
patronnes  de  Cell  Fargland  en  Hùi  Amalgada  (sur  cette  localité,  cf. 
O'Donovan  dans  Hy  Fiachrach,  Index). 

2.  Cf.  Tamasia,  Il  Dharna,  dans  Rivista  scientifica  del  dirifto, 
1897,  II,  p.  76;  W.  Hopkins,  On  the  Hindu  custom  of  dying  to  redress 
a  grievance.  dans  Journal  of  the  American  Oriental  Society,  1901, 
p.  146,  ss. 

3.  H.  d'.\rbois  de  Jubainville,  La  procédure  du  jeûne  en  Irlande  dans 
Rev.  Celtique,  VII,  p.  2ih  ss.,  a  étudié  le  rite  en  question  comme 
moyen  de  coercition  judiciaire.  C'est  en  réalité  un  rite  qui  peut  avoir 
les  buts  les  plus  divers.  Ainsi  on  l'emploie  pour  évoquer  les  morts  : 
Imtheacht  na  Tromdhaimhe,  éd.  Owen  Conellan  dans  Transactions  of  the 
Ossianic  Society,  V,  Dublin,  1860.  —  En  jeûnant  trois  jours  saint  Ciaran 
fait  baisser  le  niveau  d'un  lac  dans  lequel  avaient  été  jetés  les  cada- 
vres d'assassinés  :  Betha  Chiarain,  dans  Silva  Gadelica,  p.  7  s.  —  Saint 
Molaise.  en  jeûnant  écarte  une  épidémie  :  Vie  de  saint  Malaise,  ibid., 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MOUT         195 

Or  saint  Patrick  a  jeûné  contre  le  Christ.  Sur  le  Mont 
Aigle  il  menace  le  Ciel  lui-inômc  de  jeûner,  tant  que  ses 
demandes  ne  seraient  pas  exaucées.  Il  subit  pendant  qua- 
rante jours  les  supplices  de  la  faim.  ÏS'i  les  tourments  que 
lui  infliij^ent  des  démons,  ni  les  consolations  des  anges  ne 
viennent  à  bout  de  son  obstination.  Enfin,  effrayé  de  voir 
un  aussi  grand  saint  jeûner  éternellement  et  menacé  d'être 
abandonné  par  tous  les  habitants  du  Paradis,  qui  ne  veulent 
pas  qu'une  honte  pareille  rejaillisse  sur  eux,  Dieu  entre  en 
négociations.  11  accorde  sucessivcment  à  saint  Patrick  tous 
les  privilèges  qu'on  vient  d'énumérer. 

Saint  Patrick  est  un  initié  pareil  aux  initiés  irlan- 
dais. —  Le  pouvoir  de  saint  Patrick  sur  le  monde  des 
âmes  est  d'autre  part  la  conséquence  du  fait  qu'il  y  est 
entré  à  la  manière  des  initiés  irlandais. 

Le  saint  possède  un  bâton,  le  fameux  BaculusJesu\  qui 

p.  21.  —  Sainte  Monnine  jeune  pour  qu'un  poêle  muet  recouvre  le  don 
de  la  parole  :  Félire  Oenfjusso,  commentaire  du  Lebar  Brecc,  au  6  juil- 
let, p.  cxvi.  —  Employé  contre  des  personnes,  le  jeûne  était  un  rite  de 
maléfice.  Ainsi  la  foudre  frappe  le  roi  breton  Gortigern  qui  avait  laissé 
saint  Germain  l'Auxerrois  jeûner  trois  jours  au  seuil  de  sa  forteresse  ; 
texte  de  LU,  cité  par  d'Arbois  de  Jubainville,  Zoc.  c>t..  p.  245,  note  1.  — 
Les  douze  princijiaux  saints  d  Irlande  jeûnent  pour  amener  la  ven- 
geance de  Dieu  sur  le  roi  Diarmaid  mac  Cerbhaill  :  Vie  de  saitil  Malaise, 
loc.  cit.,  au  bas  de  la  p.  31  et  p.  32.  —  Une  fois  trois  jours  de  jeûne  passés, 
rien  ne  peut  plus  arrêter  les  effets  du  rite,  pas  même  le  saint  qui  l'a 
pratiqué  :  The  Baille  of  Cairn  Conaill,  éd.  Whitley  Stokes,  Zfl.  fiir  Cel- 
lische  l'hilologie.  III,  p.  209.  t laçjmenlartj  Aniials.  dans  Silva  Gade- 
lica,  vol.  des  trad.,  p.  442  s.,  ad  annum  702.  —  Mais  on  peut  se  préserver 
des  effets  du  jeûne  en  jeûnant  soi-même.  Ainsi  fait  saint  Ciaran  contre 
lequel  tous  les  autres  saints  d'Irlande  s'étaient  mis  à  jeûner.  Ils  vou. 
laient  le  faire  mourir,  parce  que  sa  sainteté  les  rejetait  eux-mêmes  dans 
l'obscurité.  La  moitié  de  l'Ile  le  vénérait  comme  un  chef  spirituel  : 
Félire  Oetif/usso,  commentaire  du  Lebar  Brecc,  au  9  septembre. 
Cf.  Heiue  Celtique,  XXXI,  p.  2bi  et  XXXIV.  p.  240. 

1.  Giraldus  Cambrensis,  Topugraphia  Ilibernica,  éd.  citée,  p.  180  : 
«  Inler  universos  Iliberniae  baculos  lignea^que  naturœ  sanctorum  reli- 
quias,  virtuosus  ille  et  famosus,  quem  Baculum  Jesu  vocant,  non  imme- 
rito  primus  et  prœcipuus  esse  videlur.  Per  quem  vulgari  opinione 
sanctus  Palricius  venenosos  ab  insula  vcrmes  ejecit.  Cujus  siquideni 


196  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

est  une  clef  de  l'Aulre-Monde.  C'est  en  traçant  du  bout  de 
ce  bftton  un  cercle  sur  le  sol  que  Patrick  fait  se  découvrir 
rentrée  de  son  Purgatoire  ^  Or  ce  bâton  ressemble  aux 
rameaux  et  aux  baguettes  magiques  des  initiés  irlan- 
dais. 

C'est  un  rameau  de  vie.  Un  jour  l'apôtre  ressuscite  un 
mort  païen  pour  le  temps  nécessaire  à  son  baptême,  en 
perçant  sa  pierre  tombale  de  son  bâton,  et  lui  ouvre  ainsi 
l'entrée  dans  la  vie  éternelle-.  Les  esprits  de  la  mort,  les 
démons,  fuient  les  idoles  qu'ils  habitaient  à  la  seule  menace 
du  bâton  de  saint  Patrick  ^. 

Il  vient  du  pays  de  la  vie.  Saint  Patrick  Ta  reçu  des 
mains  d'un  couple  éternellement  jeune  dans  son  île  de  la 
Mer  Tyrrhénienne,  qui  est,  on  l'a  vu,  identique  au  pays 
divin  des  mythes  irlandais.  C'est  le  propre  bâton  de  Jésus- 
Christ  ',  source  de  toute  vie  pour  les  chrétiens,  comme 
l'Arbre  de  Mag  Mell  est  la  source  de  vie  pour  les  païens. 

Enfin,  comme  les  rameaux  des  magiciens,  le  Baculits 
Jesu  est  le  gage  d'une  initiation. 

En  effet,  la  visite  de  saint  Patrick  à  l'île  de  la  Mer  Tyrrhé- 

tam  incertus  est  ortus  quam  certissima  virtus.  Nostris  aulem  tempori- 
bus  et  nostrorum  opéra  nobilis  hic  thésaurus  ab  Archmatia  (id  eslArd- 
macha)  Dubliniam  est  translatus  ».  Il  s'agit  donc  bien  d'un  bâton  et 
non  d'une  croi.x,  comme  le  feraient  croire  les  bacliall  qu'on  conserve 
acluellement  en  Irlande  comme  reliques  des  saints.  Sinon  Giraldus 
aurait  dit  crux.  Cf.  note  d'O'Donovan  dans  Connais  Translation, 
p.  18,  aumolfîac/ia^Z  :  ce  mot  signifie  aussi  croix.  C'est  sans  doute  celle 
double  acception  qui  a  fait  considérer  des  croi.x  processionnelles  comme 
anciens  bâtons  de  saints  irlandais. 

1.  De  Félice,  op.  cit.,  p.  83  (au  bas  de  la  page). 

2.  Tirechân,  p.  324  s. 

3.  Passage  cité  de  Giraldus  :  «  per  quem...  venenosos  ab  insula  vermes 
ejecit  ».  Cf.  Vie  Tripartite,  p.  90  ;  Colgan,  Vita  llla  ;  cap.  46  :  Saint  Patrick 
menace  de  son  bàlon  l'idole  Cenn  Crûaich  et  le  démon  qui  y  habitait 
s'enfuit  dans  l'épouvante.  —  Cf.  Birth  and  Life  of  saint  Moling,  éd. 
Wliitley  Stokes,  dans  Revue  Celtique,  XXVII,  p.  268  :  saint  Moling  est 
vainqueur  d'un  démon  qu'il  frappe  avec  le  bâton  de  son  maître,  saint 
Brenan. 

4.  Vie  Tripartite,  éd.  Whitley  Stokes,  p.  28  s. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         197 

nienne  marque  la  fin  de  sa  préparation  ù  l'apostolat.  Aupa- 
paravanl,  le  saint  n'avait  fait  qu'étudier  les  Ecritures  et 
que  s'exercer  h  la  pratique  de  l'ascétisme.  C'est  seulement 
lorsqu'il  aborde  dans  l'Ile,  que  Dieu  lui  intime  l'ordre  de  se 
consacrer  désormais  à  l'œuvre  d'évangélisation  de  l'Irlande. 
Le  Bâton  de  Jésus  est  précisément  le  gage  de  ce  que 
l'apôtre  a  été  agréé  par  le  Seigneur. 

De  plus,  le  voyage  de  notre  saint  dans  la  Mer  Tyrrhé- 
nienne  comporte  des  incidents  qui  appartiennent  à  des 
mythes  d'initiation . 

Au  bord  de  la  mer  le  futur  apôtre  découvre  un  lieu  où 
vivent  «  trois  autres  Patrick  »,  c'est-à-dire  trois  saints 
déjà  glorifiés.  Mais  il  ne  peut  entrer  dans  leur  compagnie. 
11  faut  qu'il  aille  d'abord  puiser  de  l'eau  à  une  fontaine 
que  garde  un  monstre.  Alors  seulement  les  trois  saints 
le  reconnaissent  pour  un  des  leurs  et  ils  «  nouent  avec 
lui  les  liens  de  l'amitié  spirituelle  »  K 

Or,  l'initiation  héroïque  de  Ciichulainn  comporte  elle 
aussi  une  expédition  sur  les  rives  de  la  Mer  Tyrrhénienne. 
Il  y  prend  d'assaut  une  forteresse  après  en  avoir  vaincu 
les  défenseurs  qui  sont  des  monstres.  C'est  à  l'issue  de 
cette  expédition  que  la  déesse  initiatrice  des  héros  établit 
entre  lui  et  ses  compagnons  d'armes  plus  âgés  que  lui  les 
liens  de  la  fraternité  du  sang  ^ 


1.  Vie  Tripavtite,  version  de  Colgan,  p.  121  s.  (le  te.xte  irlandais  de 
ce  passage  est  perdu  :  cf.  Whilley  Stokes,  Introduction  à  son  édition 
de  Tripartile  Life)  :  n  Quodam  tcmpore  dum  csset  S.  l'atricius  in  mari 
Tyrrheno.  vonit  ad  lociim  in  qiio  erant  1res  alii  Patricii...  et  ab  ois 
peliit  licentiam  cum  eis  commanondi.  Responderunt  se  non  vclle  hoc 
permillere.  nisi  veiit  ex  vicino  fonte  aquam  haurire.  Erat  cnini  in  iilo 
loco  quajdam  bostia...  Patricius  autom  venit  ad  fontem,  et  beslia  eo 
viso  gcstiens  dabat  isetiliae  signa...  Post  hfc  aquam  hauricns  domum... 
retulit...  Et  cum  iliis  mansit  annis  septem,  fœdusque  spirilualisamiciliaî 
et  confraternitatis  inter  se  contraxerunt  ». 

2.  Tâin  B6  Cùalnge,  p.  585  ss.,  1.  4106  ss.  —  Cf.  Zimmer,  Kelliscfie 
Beitrâge,  I,  dans  Zfl.  far  deutsches  Allertum,  XXXII  (nouv.  série,  XX), 


198  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Mais  c'est  avant  tout  le  nom  de  celui  contre  qui  l'expédi- 
lion  est  dirigée, qui  permetde  reconnaître  une  parenté  entre 
les  deux  légendes.  Il  se  nomme  Garman.  Ce  Garman,  qui 
possède  une  forteresse  sur  le  rivage  de  la  mer  Tyrrhé- 
nienne,  n'est  autre  que  saint  Germain  l'Auxerrois,  le  maître 
de  saint  Patrick,  qui,  suivant  la  légende  irlandaise,  habite 
les  mêmes  parages'.  Il  y  a  pénétration  mutuelle  de  la 
légende  hagiographique  et  des  mythes  irlandais  d'initia- 
tion. Son  résultat  a  été  de  faire  de  saint  Patrick  un  initié 
pareil  aux  initiés  irlandais.  Il  a  pénétré  dans  un  pays  de 
Vie  et  il  y  a  puisé  à  une  fontaine  qui  ne  peut  être  que  l'an- 
cienne Fontaine  de  Science  et  d'Inspiration. 

Saint  Patrick  est  assimilé  aux  navigateurs  errants. 
—  Le  fait  même  d'avoir  navigué  dans  la  Mer  Tyrrhénienne 
fait  de  saint  Patrick  un  homme  qui  est  entré  vivant  dans 
l'Autrc-Monde,  pareil  en  cela  aux  navigateurs  errants. 

Une  comparaison  entre  son  voyage  et  les  voyages  ana- 
logues entrepris  par  d'autres  saints  nous  montrera  qu'il 
s'agit  bien  là  d'une  navigation  rituelle  qui  mène  dans  le 
pays  divin. 

Le  moyen  que  de  très  nombreux  clercs  irlandais  ont  mis 
en  pratique  pour  découvrir  des  pays  nouveaux  où  prêcher 
la  foi,  ou  bien  des  contrées  désertes  pour  y  vivre  en  ermites. 


1888,  p.  308  ss.  et  G.  Andier,  Quid  ad  fabulas  heroicas  Germanorum 
Hiberni  conlulerinl  (thèse),  Turonibus,  1897,  p.  77  ss. 

1.  Cf.  Windisch,  Tdin,  note  7  à  la  p.  .184.  —  Garman  n'est  pas  un  nom 
irlandais.  C'est  le  latin  Germanus.  —  Notre  poème  montre  comment  des 
éléments  qui  appartenaient  à  la  littérature  ecclésiastique  sont  venus 
déformer  l'ancien  mythe  d'initiation.  La  Mer  Tyrrhénienne  y  a  rem- 
placé le  pays  divin,  et  l'initiateur  des  saints,  l'évéque  Germain,  qu'on 
croit  avoir  habité  ces  parages,  devient  un  guerrier  féroce,  que  les 
jeunes  héros  doivent  vaincre  chez  les  dieux.  —  Il  faut  rapprocher  de 
ce  Garman  =  Germanus  tous  les  autres  Garman  des  légendes  irlan- 
daises. Tous  ils  doivent  leur  nom  à  saint  Germain,  par  exemple  celui 
dont  on  a  parlé  à  propos  de  la  fête  de  Garman. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         199 

a  été  de  s'en  aller  i\  Tavenlure  dans  une  barque  sans  rames 
ni  gouvernail. 

Adamnan  rapporte  l'hisloire  de  deux  moines  partis 
dans  ces  conditions  à  la  recherche  d'Iles  désertes.  L'un 
d'eux,  Cormac  hi'ia  Liathain,  dut  môme  entreprendre  trois 
fois  le  voyage  avant  de  trouver  ce  qu'il  cherchait  dans  une 
des  Orcades  \  Suivant  les  chroniques  anglo-saxonnes  une 
barque  dépourvue  de  moyens  de  direction  et  qui  portait 
trois  clercs  irlandais  fut  rejetée  un  jour  à  la  côte  de  Cor- 
nouailles  sous  le  règne  d'Alfred  le  Grand  -. 

11  s'agit  ici  de  l'ancien  rite  païen  christianisé. 

C'est  ce  que  montre  expressément  un  passage  de  Muir- 
chu.  On  y  voit  saint  Patrick  abandonnant  au  jugement  de 
Dieu  un  converti  chargé  de  trop  grands  crimes,  Maccuil 
Maccu  Grege.  Il  est  condamné  à  s'embarquer  dans  un 
canot  sans  gouvernail  et  sans  avirons.  Si  le  Seigneur  lui 
fait  gr;\ce  de  la  vie  il  devra  prêcher  la  foi,  là  où  la  main  de 
Dieu  l'aura  conduit^. 

Certes,  les  voyages  des  clercs  irlandais  n'ont  pas  tous 
comme  celui-ci  un  caractère  pénal'.  Néanmoins  ils  s'en 
rapprochent  tous  par  le  fait  que  l'idéa  d'expiation  est  tou- 


1.  Sancfi  Columbx  Vila  auctore  .\damnano,  lib.  I,  cap.  20  et  lib.  II, 
cap.  42  dans  Colgan,  Triadis  Thaumalurgx...  Acta. 

2.  Florence  de  Worcester,  cité  par  O'Flaherty,  Ogygia,  III,  24. 

3.  Muirchu,  p.  288  :  a  Non  possum  iudicare  (dit  saint  Patrick  à  Mac- 
cuil). scd  Deus  iudicabil.  Tu  lamen  egredire  nunc  inermis  ad  mare  et 
transi  uelociler  de  rcgione  hac  ilibL-rnensi,  nihil  tollens  lecum  de  tua 
subslantia,  pra?ter  uile  et  paruum  indumentum  quo  possit  corpus  tuum 
conlegi,  nihil  guslans  nihilque  bibens  de  fruolu  insola?  huius,  habens- 
(que  hoc)  insigne  peccati  lui  in  capite  tuo  {Genèse,  IV,  lo).  Et  postquam 
pcruenics  ad  mare,  conliga  pcdes  tuos  conpede  ferrée  et  proiece 
clauim  in  mare,  et  initie  le  in  nauim  unius  pcllis  absque  gubernaculo 
et  absque  remo.  »  —  La  nauis  unius  pellis  désigne  un  currach,  c'est-à- 
dire  un  bateau  fait  d'une  ou  de  plusieurs  peau.x  tendues  sur  une  arma- 
ture de  bois;  cf.  Joyc.;,  op.  cit.,  Il,  p.  423  ss. 

4.  <'  Uabensquc  hoc  insigne  peccati  lui  in  capite  tuo  »,  loc.  cit.  — 
La  manière  dont  Maccuil  est  vêtu,  l'entrave  en  fer  qu'il  doit  porter, 
tout  ceci  indique  bien  un  pénitent. 


200 


SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 


jours   présente  à  priori    dans    les   œuvres    chrétiennes. 

D'ailleurs,  les  conditions  nuimes  du  voyage  des  clercs  en 
font  toujours  une  espèce  d'ordalie.  Dieu  épargne  et  mène 
au  but  ceux  qu'il  juge  dignes  de  le  servir.  Avant  leur  mort 
ils  sont  déjà  des  élus.  En  effet,  tous  sont  vénérés  comme 
saints  ^ 

VoiU\  donc  des  saints  ou  des  clercs  en  odeur  de  sainteté 
qui  ressemblent  aux  héros  partis  pour  Mag  Mell.  On  verra 
que  leur  parenté  avec  ceux-ci  est  encore  plus  intime. 

Ils  courent  les  mêmes  aventures.  Un  ermite,  que  Mael- 
Duin  a  découvert  dans  une  île,  et  saint  Finnbarr  ont  tous 
deux  rencontré  en  mer  un  homme  marchant  sur  les  flots 
et  qui  déclare  à  saint  Finnbar,  que  la  mer  est  une  plaine 
fleurie  ^  La  légende  de  saint  Finnbar  donne  à  ce  person- 
nage le  nom  de  saint  Scuithin,  mais  évidemment  il  s'agit  de 
Manannan  mac  Lir.  Celui-ci  tient  exactement  les  mêmes 
proposa  Bran  mac  FebaiP. 

Les  saints  navigateurs  visitent  des  îles  dans  lesquelles  on 
reconnaît  le  vieux  pays  des  dieux.  Ainsi  Maccuil  débarque 


1 .  Ainsi  le  grand  criminel  Maccuil  est  lui-même  devenu  «  episcopus 
et  antistes  Arddaî  Huimnonn  »,  Muirchu,  p.  289. 

2.  Imram  cuirech  Mael-Duin,  loc.  cit.,  l  33.  —  Martyrology  of  Donegal, 
éd.  J.-H.  Todd  et  Will.  Reeves  (O'Donovan,  traducteur),  Dublin.  Irish 
ArchcBol.  and  Cellic  Society,  p.   5. 

3.  Imram  Brain,  loc.  cit.,  p.  \~  s. 
33  :  Càine  amre  lasin  m-Bran  Ceci  paraît  très  beau  à  Bran 

ina  churc/iàn  tar  muir  glan  :  (d'aller)  dans  son  bateau  à  tra- 

os  mé  im  charpul  di  chéin  vers   la  mer   claire, 

is  mag  scolhach  immaréid.  tandis  que  pour  moi  dans  mon 

char,  de  loin, 

c'est  une  plaine   fleurie  sur  la- 
quelle il  roule. 

Ce  qui  est  une  mer  claire 
pour  le  bateau  pointu  dans  le- 
quel est  Bran, 

c'est  une  plaine  de  délices  (peut- 
être  nom  propre  :  Mag  Mell)  avec 
une  profusion    de    fleurs, 
pour  moi  dans  le  char  à  deux 
roues. 


§  34  :  >4  n-as  muir  glan 
don  nôi  broinig  itâ  Bran, 
is  mag   meld  co   n-itnmut  scolh 
dam-saa  carput  dû  rolli. 


LES    REPPÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         201 

dans  l'île  Eitonia  '  dont  le  nom  est  évidemment  une  cor- 
ruption graphique  iVEmania,  forme  latinisée  cVE?nain^, 
Or  Emain  est  un  des  noms  de  l'Elysée  irlandais.  Au  sur- 
plus les  hagiographes  identilient  Euonia  avec  Tile  de 
Man',  dont  une  tradition  constante  fait  le  séjour  préféré  de 
Manannân  mac  Lir*. 

Ou  bien  encore  c'est  un  vaisseau  chargé  de  clercs  qui, 
égaré  par  la  tempête,  s'arrête  au-dessus  d'une  église  sous- 
marine.  La  vraie  règle  monastique  y  est  révélée  à  un  plon- 
geur et  celui-ci  la  rapporte  à  sainte  Brigit  ^  Ce  pays 
sous-marin  dans  lequel  s'effectuent  les  révélations  est  ma- 
nifestement identique  au  pays  des  mythes  païens  où  Ton 

1.  Muirthu,  p.  238  (au  bas  de  la  page). 

■2.  Imram  Brain,  §  3,  première  ligne  ;  §  10  ;  §  19  et  §  60  :  Emain  est  le 
nom  de  l'Ile  divine. 

3.  Muirchu,  p.  289  :  Maccuil  di  Mane.  La  Vie  Triparlite,  éd.  Whitley 
Stokes,  p.  222,  identitie  Maccuil  avec  saint  Maughold,  apôtre  et  patron 
de  rile  de  Man.  —  Mais  la  version  de  Muirchu  du  Ms.  de  Bruxelles  a 
Maccuil  de  mare. 

4.  Sanas  Cormaic,  mot  :  Manannân  :  ce  personnage  était  un  hardi 
navigateur  qui  habitait  l'tle  de  Man  et  qui  a  donné  son  nom  à  cette 
contrée.  Le  Côir  Anmann,  éd.  Whitley  Stokes,  Iriche  Texte,  III, 
p.  357,  dit  au  contraire  que  Manannân  vient  de  Man.  Cf.  Tochmarc 
Luaine,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Rev.  Celtique,  XXIV,  p.  274  s.  — 
Suivant  O'Curry,  Lectures  on  the  Mss.  Materials  on  ancient  Irisfi  liis- 
tory,  Dublin  1861,  p.  :j88,  note  172,  lilc  de  Man  était  autrefois  appelée 
Falga  par  les  Irlandais.  Or  Falga  est  un  des  noms  par  lesquels  on 
désigne  le  pays  des  génies  :  Dinnsenchas  d'Oxford,  éd.  Whitley  Stokes. 
l.  c,  N"  2.  Cf.  Baile  an  Scail,  éd.  OGurry,  appendice  CXXVIII  ix  Mss. 
Maleials,  p.  387  :  la  pierre  sacrée  Fnl  qui  servait  à  introniser  les  rois 
suprêmes  avait  été  apportée  de  VWaFoal.  Cf.  Ivealing,  éd.  Gomyn,  p.  206 
et  ibid.,  p.  204  :  avant  de  venir  en  Irlande  les  Tuatha  Dé  Danann  habi- 
taient quatre  villes  dont  l'une  s'appelait  Fâilias.  Ce  sont  des  noms  à 
rapprocher  de  Falga.  Le  nom  de  Maccuil  est  lui  aussi  intéressant. 
M.  Bury.  op.  cit.,  p.  207  remarque  qu'un  des  trois  dieux  des  Tùalha  Dé 
Danann  qui  régnent  sur  l'Irlande  au  temps  où  débarquent  les  fils  de 
Mile,  s'appelle  précisément  Mac  Cuill,  ce  qui  signifie  Fils  du  Coudrier. 
M.  Bury  se  demande  donc  si  les  deux  personnages  ne  sont  pas  au  fond 
identiques.  S'il  en  est  ainsi  le  départ  du  pécheur  Maccuil  serait  une 
représentation  du  départ  des  anciens  dieux  pour  l'exil,  et  on  aurait  un 
argument  de  plus  pour  voir  dans  la  navigation  errante  une  manière 
de  gagner  le  monde  des  dieux. 

5.  Lebar  Brecc,  commentaire  au  Félire  Oengusso,  éd.  de  1880,  p.  XLVII, 
au  1«'  février,  légende  de  X'Amra  Plea. 


202  SAINT    PATRICK    ET    LE    CUI/FE    DES    HÉROS 

va  chercher  la  science  et  qui  est  aussi  situé  sous  l'eau. 

Enfin  la  célèbre  Navigation  de  saint  Brendan  comporte 
une  visite  aux  Enfers  et  au  Paradis.  Les  épisodes  de  celte 
histoire  sont  inspirés  par  la  légende  de  Mael-Duin,  qui  pro- 
cède à  son  tour  des  mythes  païens  de  voyages  en  Mag- 
iMellV 

Ainsi,  comme  les  personnages  voguant  à  l'aventure  du 
paganisme,  les  saints  qui  errent  en  mer  entrent  dans  le  do- 
maine des  esprits. 

Il  en  est  de  même  de  saint  Patrick.  Certes,  sa  légende 
ne  dit  nulle  part  qu'il  ait  laissé  aller  son  vaisseau  au  gré 
des  flots.  Mais  il  y  a  lieu  de  tenir  compte  de  ce  que  l'île 
de  la  Mer  Tyrrhénienne  est  une  terre  inconnue,  que  per- 
sonne ne  sait  la  route  qui  y  mène  et  que,  par  conséquent, 
le  hasard  a  guidé  saint  Patrick. 

Au  surplus  les  épisodes  de  la  navigation  de  saint  Patrick 
répondent  aux  épisodes  des  légendes  que  nous  venons 
d'examiner.  On  a  vu  que  l'île  de  la  Mer  Tyrrhénienne  est 
une  forme  chrétienne  de  Mag  Mell,  et  que  la  fontaine  aux 
Trois  Patrick  doit  être  rapprochée  de  celle  du  pays  des 
dieux. 

Les  CIRCONSTANCES  DE  LA  MORT  ET  DE  l'eNTERREMENT  DE 

SAINT  Patrick  en  font  un  mort  pareil  aux  morts  héroï- 
ques irlandais.  —  Mais  saint  Patrick  n'est  pas  seulement 

1.  La  Navigalio  sancli  Brendatn  a  6fc  publiée  par  le  cardinal  Moran 
dans  ses  Acta  sancli  Brendani.  Dublin,  1872,  C'est  cette  édition  que 
nous  avons  consultée.  La  Navigatio  est  une  adaptation  latine  d'un 
original  irlandais  perdu.  On  la  trouve  dans  un  Ms.  du  xiir  siècle.  Une 
étude  magistrale  de  cette  légende  est  due  à  Zimmer,  art.  Dreudan's 
Meerfahrt  {Kellische Beitrdge,  II)  dans  Zft.  filr  deulsches  Allerlum  XXXI II, 
1889,  livraisons  I  cl  II.  —  Cf.  aussi  Alfred  Nutt.  op.  cit.,  I  :  le  volume 
est  en  grande  partie  consacré  à  lélude  littéraire  des  Imrama  ou  .Vact- 
gations  qui  forment  en  Irlande  toute  une  classe  de  récils.  Cf. 
Ch.  Plummer,  dansZ/^.  fiir  Cellische  Philologie,  V,  p.  124. 


LES    REPRÉSENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         203 

un  personnage  entré  vivant  dans  le  pays  des  morts  par  le 
moyen  des  rites  païens. 

Les  circonstances  de  sa  mort  et  de  son  enterrement 
présentent  des  traits  inspirés  par  les  idées  sur  les  morts, 
particulières  i\  l'Irlande  païenne. 

Remarquons  d'abord  que  l'âme  de  saint  Patrick  ne  se 
détache  pas  de  son  corps  immédiatement  après  sa  mort. 

Suivant  VHf/mne  de  Fîacc,  elle  alla  d'abord  chercher 
celle  de  Sen  Fatraic,  ou  Patrick  l'Ancien,  pour  la  prendre 
avec  soi'.  Le  commentaire  de  ce  te.xte  nous  apprend  qu'elle 
attendit  ainsi  jusqu'à  la  fête  de  Sen  Patraic,  c'est-à-dire, 
du  1(J  mars  au  24  août,  et  qu'alors  seulement  les  âmes 
des  deux  saints  montèrent  ensemble  au  cieP. 

Or,  Sen  Patraic  n'est  qu'un  doublet  de  saint  Patrick. 
Son  tombeau  à  Armagh  a  été  longtemps  attribué  à  l'apôtre. 
Le  séjour  de  l'âme  de  celui-ci  auprès  de  Sen  Patraic  équi- 
vaut donc  à  un  séjour  auprès  de  son  propre  corps\ 

On  voit  que  Patrick  a  passé  après  sa  mort  par  un 
étal  intermédiaire  entre  la  vie  et  le  départ  définitif  de 
l'âme,  tout  à  fait  identique  à  celui  que  nous  avons  étudié 
plus  haut  à  propos  des  morts  païens. 

Quant  à  l'enterrement  de  saint  Patrick  il  a  lieu  confor- 

i.  Hymne  de  Fiacc,  dans  Thesaurvs  Palaeohib..  Il,  p.  320  s. 

2.  Liber  Ihjmnorum  dit  des  Fransdscatns,  commentaire  à  l'Hymne  de 
Fiacc,  ibid.,  p.  '6il. 

3.  Tombeau  de  Sen  Patrick  à  .\rmagh  :  Félire  Oengusso.  au  24  août. 
On  lui  connaissait  d'ailleurs  plusieurs  autres  sépultures,  notamment 
à  Ros-Dela.  act.  Rosdalla  (Gté  Wcstmeath)  et  à  Glastonbury  en  Grande- 
Bretagne  :  Liber  Hymnorum  des  Franciscains,  commentaire  à  l'Hymne 
de  Fiacc  l.  c,  p.  321.  Cf.  Mac  Firbis  De  quibusdam  Episcopis,  sub 
Rosdela.  Cf.  Colgan,  .,4p;)en(/jx  F.  cap.  21  à  Triadis  Tliaumatnrgae  Acla, 
p.  2o8,  col.  1  à  p.  263.  —  Le  fait  que  le  tombeau  d'Arma^h  doit  être 
considéré  comme  tombeau  du  vrai  saint  Patrick  ressort  non  seulement 
de  ce  que  Sen  Patrick  nest  qu'un  doublet  de  lapiMrc,  mais  aussi  de 
ce  que  dans  les  deu.x  Vies  les  plus  anciennes  Dieu  promet  à  notre 
saint  que  «  sa  résurrection  aurait  lieu  ix  Armagh  »  :  Muirchu.  p.  293  ; 
Tirechàn,  p.  331. 


204  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

mémcnt  aux  rites  païens  qui  ouvrent  l'entrée  de  l'Autre 
Monde. 

Le  lieu  de  la  sépulture  de  saint  Patrick  est  désigné  d'une 
façon  miraculeuse. 

Quant  on  chargea  la  bière  sur  le  char  un  conflit  s'éleva 
entre  les  gens  d'Airthir  et  ceux  d'Uladh  au  sujet  du  lieu 
de  la  sépulture.  Chacun  des  deux  peuples  tenait  à  pos- 
séder les  reliques  du  saint,  et  il  fallut  que  Dieu  ordonnât  à 
la  mer  de  séparer  les  adversaires,  sans  quoi  le  sang  eût 
déshonoré  l'enterrement  de  Patrick.  On  convint  enfin  de 
laisser  aller  les  bœufs  de  l'attelage  à  Leur  guise  et  de  creuser 
le  tombeau  là  où  ils  s'arrêteraient. 

Mais  la  crainte  d'un  nouveau  conflit  n'étant  pas  encore 
écartée,  la  prévoyance  divine  fît  que  chaque  armée  vit 
devant  elle  une  bière  traînée  par  des  bœufs.  Celle  que 
voyaient  les  hommes  d'Airthir  les  conduisit  dans  la  direc- 
tion d'Armagh,  puis  s'évanouit,  tandis  que  l'attelage  réel 
menait  les  hommes  d'Uladh  à  Down  et  s'y  arrêtait'. 

Le  corps  de  saint  Patrick  est  donc  porté  miraculeuse- 
ment à  sa  dernière  demeure,  il  entre  miraculeusement 
dans  l'Autre  Monde. 

Si  pareille  légende  se  raconte  de  plus  d'un  saint  breton, 
c'est  cependant  aux  héros  du  paganisme  irlandais  que  nous 
font  songer  tout  d'abord  ce  miracle,  cette  solennité,  cette 
immense  valeur  attribuée  aux  restes  funéraires. 

L'assimilation  sera  complète  quand  on  aura  montré  que 
le  trait  de  la  mort  violente  ne  manque  qu'en  apparence  à 
saint  Patrick. 

Certes,  il  n'est  pas  un  martyr.  Mais  on  a  vu  qu'à  sa  place 
meurt  son  cocher,  Odràn,  et  que  celui-ci  n'est  qu'un  sub- 

1.  Résumé  d'après  Muirchu,  p.  293  ss. 


¥ 


LES    REPRESENTATIONS    IRLANDAISES    DE    LA    MORT         205 

stilut  du  saint.  Saint  Patrick  est  ainsi  un  personnage  en 
quelque  sorte  dédoublé,  qui  subit  le  martyr  sous  une  de 
ses  formes  et  qui,  par  là  encore,  se  rapproche  des  morts 
héroïques  de  l'Irlande  païenne. 

En  résumé  saint  Patrick  est  étroitement  apparenté  aux 
personnages  héroïques  irlandais,  c'est-à-dire  aux  morts 
individualisés  et  à  ceux  qui  sont  rituellement  entrés  dans 
le  pays  divin.  Il  leur  ressemble  par  ses  rapports  avec  le 
monde  des  morts  et  par  les  caractères  qui  lui  sont  attribués 
en  tant  qu'à  un  mort. 


CHAPITRE  V 
SAINT  PATRICK   EST   UN   HÉROS 


On  se  rappelle  que  les  dieux  et  les  génies,  qui  figurent 
dans  les  fôles  et  les  mythes,  sont  représentés  comme 
morts.  Ils  ont  subi  la  mort  en  tant  qu'acteurs  divins  du 
drame  festival,  ou  bien,  comme  Lug  et  Manannan  Mac  Lir, 
ils  ont  vécu  pour  un  temps  dans  un  corps  d'homme,  et  ils 
sont  ainsi  des  âmes  de  morts  après  leur  retour  h  la  vie 
divine.  Les  fôtes  sont  célébrées  dans  des  cimetières  au 
même  moment  et  suivant  le  môme  rituel  que  celui  des 
morts. 

On  peut  donc  considérer  comme  acquis  que  le  culte  des 
fêtes  prend  en  Irlande  la  forme  du  culte  des  morts. 

Mais  nous  allons  nous  occuper  particulièrement  de  l'as- 
pect qu'il  a  pris  comme  culte  de  héros. 

Aspects  divers  du  culte  des  morts.  —  Voyons  quels 
sont  les  aspects  particuliers  de  ce  culte. 

C'est  d'abord  le  culte  des  morts  en  tant  que  morts.  Il 
s'adresse  à  la  masse,  i\  la  foule  anonyme  des  âmes  dont  le 
seul  caractère  est  d'être  des  âmes  des  mort. 

Les  tombeaux  sont  l'objet  de  soins  particuliers  ainsi 
qu'on  l'a  vu  par  le  texte  cité  du  Senchus  ^lù)'  qui  prescrit 
leur  entretien. 

La  violation  de  sépulture  est,  comme  ailleurs,  suivie  d'une 


203  SAIM    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

sanction  surnaturelle.  Ainsi  dans  l'histoire  de  Macl-Duin 
nous  voyons  qu'un  moine  qui  a  voulu  enterrer  un  mort 
au-dessus  d'un  autre  mort  est,  quelque  temps  après,  jeté 
par  une  tempôte  dans  une  île  déserte  où  il  doit  faire  péni- 
tence pour  son  méfait. 

On  rend  encore  un  culte  aux  morts  parce  qu'ils  sont  des 
esprits  puissants. 

On  les  craint  et  on  craint  tout  ce  qui  les  touche.  Le 
Glossaire  de  Cormac  dit  que  les  gaules  nommées  fé,  qui 
servaient  à  mesurer  les  cadavres,  étaient  un  objet  d'horreur 
pour  tous  les  Irlandais.  La  destruction  de  la  bière,  dont  on 
a  déjà  parlé,  prouve  bien  qu'on  craignait  les  revenants,  et 
VEchtra  Nerai  raconte  l'histoire  d'une  gageure  dans 
laquelle  la  preuve  du  courage  était  d'aller  nouer  une 
brindille  autour  du  pied  d'un  pendu. 

Ceux  des  morts  qui  gardent  leur  personnalité  reçoivent 
un  culte  particulier  en  raison  du  caractère  thaumaturgique 
de  leur  mort. 

On  a  vu  qu'ils  sont  honorés  par  des  monuments  funé- 
raires apparents. 

On  leur  doit  des  offrandes.  A  chaque  carn  (il  s'agit  d'un 
monument  qui  passe  toujours  pour  être  celui  d'un  per- 
sonnage mort  de  mort  violente),  le  passant  est  tenu 
d'ajouter  une  pierre  au  monceau  V 

Leur  mort  a  une  place  à  part  dans  les  commémora- 
tions de  toutes  les  fêtes,  môme  de  celles  dont  ils  ne  sont  à 
aucun  titre  les  acteurs  mythiques.  On  chante  aux  assem- 
blées «  toutes  les  morts  héroïques  de  la  Moitié  de  Conn  — 
ou  du  nord  de  l'Irlande  —  et  du  sud  d'Erinn  »  -. 


1.  Joyce,  op.  ct7.,  Il,  p.  563. 

2.  Aenach  Carmain,  loc.  cit.  strophes  58  à  60,  et  Calh  Almaine,  loc. 
cit.  §  8  et  19  s. 


SAINT    PATRICK    EST   UN    HÉROS  209 

On  honore  enfin  les  morts  comme  ancêtres. 

Le  mi>me  jjassage  des  Dinnsenchas  de  Carman,  que  nous 
avons  cité  tout  à  l'heure  à  propos  des  morts  anonymes, 
nous  apprend  que  ces  morts  sont  en  môme  temps  consi- 
dérés comme  ancôtres.  «  Leurs  vénérées  troupes  ances- 
trales  »  s'assemblent  lorsqu'on  les  pleure. 

Mais  ces  ancêtres  sont  en  même  temps  des  âmes  qui 
peuvent  se  réincarner. 

En  effet,  on  a  vu  que  la  venue  des  âmes  et  leur  incarna- 
lion  était  l'un  des  objets  des  fêtes  irlandaises.  Comme  les 
ancêtres  et  les  âmes  non  encore  incarnées  y  sont  confon- 
dues dans  une  seule  masse  amorphe  de  génies,  on  voit  que 
le  culte  des  ancêtres  prend  en  Irlande  l'aspect  du  culte  des 
âmes  qui  sont  prêles  à  s'incarner. 

Tous  les  aspects  du  culte  des  morts  se  retrouvent  donc 
dans  le  culte  des  fêtes. 

Nous  allons  montrer  pour  faire  un  pas  de  plus,  que  tous 
les  dieux  irlandais  relèvent  de  la  même  conception. 

Les  dieux  irlandais  sont  des  morts.  —  I.  Les  dieux 
des  choses.  Constatons  d'abord  que  toutes  les  fonctions 
divines  sont  remplies  par  des  morts. 

Ainsi  le  dieu  qui  juge  les  morts  dans  l'Autre  Monde  et 
qui  garantit  ici-bas  la  justice  des  sentences  arbitrales  est 
un  mort .  C'est  un  j uge  célèbre  des  anciens  temps,  Morann  * . 
Il  a  été  le  premier  à  porter  un  collier  magique,  le  Collier  de 
Morann,  qui  étouffe  les  juges  prévaricateurs '. 

i.  Ecfilra  Cormaic,  éd.  Whilley  Stokes,  Irische  Texte,  III,  p.  188  S3. 

2.  D'Arbois  de  Jiibain\  ille.  Résumé  d'un  cours  de  droit  celtique,  II, 
p.  36  ss.  —  Echtra  Cormaic,  6d.  Whitley  Stokes,  lac.  cit..  p.  188. 
p.  208.  —  Cf.  William  M.  llcnnessy,  On  Irish  Ordeals  dans  ï'roceed. 
Roy.  Ir.  Ac,  X,  p.  34. 

CZARNOWSKI.  14 


2<0  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HKnOS 

La  plupart  des  «  pierres  de  jugement  »  qui  démasquent 
les  parjures  et  qui  rendent  des  oracles  sont  considérées 
comme  des  monuments  funéraires  '.  Les  événements  futurs 
sont  révélés  dans  des  lieux  consacrés  par  une  mort  reli- 
gieuse. La  fin  des  rois  est,  par  exemple,  annoncée  par  le 
bruit  des  vagues  en  un  lieu  où  une  déesse',  Clidna, 
s'était  noyée". 

Les  dieux  guérisseurs  sont  des  morts.  Les  sources  cura- 
tivcs  jaillissent  de  leurs  tombeaux''.  C'est  le  cadavre  du 
dieu  Miach,  fils  du  dieu  médecin  Diancecht,  qui  a  donné 
naissance  aux  plantes  médicinales  *. 

De  même  les  dieux  des  techniques  ont  subi  la  mort. 
Ainsi  le  dieu  des  ouvriers  en  bronze,  Crédne,  s'est  noyé  en 
revenant  d'Espagne  où  il  était  allé  chercher  de  ^o^^  L'or 

1.  Clocha  breaca,  clacha  bràlh,  cloch-bralh).  Exemples  chez  Borlase, 
op.  cit.,  I,  p.  116,  128,  174;  III,  p.  913,  914  ss.  ;  cf.  Accallamh  na  Seno- 
rach,  éd.  Whitley  Stokes  (Ir.  Texte,  IV).  pp.  148,  224. 

2.  Kilkenny  archœol.  journ.,  1856,  p.  127.  —  Cf.  Dinnsenchas  de 
Tond  Clidna,  Rev.  Celtique.  XV.  —  L'endroit  est  la  côte  de  Glandore, 
comté  Cork,  où  la  Vague  [Tond)  de  Clidna  fait  entendre  un  gémisse- 
ment particulier  en  se  brisant  contre  les  rocs. 

3.  TirechAn,  p.  323  :  une  sépulture  se  trouve  sous  une  fontaine  qui 
dicilur  Sldn,  c'est-à-dire  de  Santé.  —  Source  et  lac  curatifs  qui  jaillis- 
sent du  Carn  Oc-Triallaig  en  Achad  Abla  (Connaught)  :  Catfi  Maighe 
Tured,  §  126  cf.  ibid.,  §  123.  Suivant  la  légende  ce  carn  n'est  pas  un 
monument  funéraire.  Les  Fomoraigl'érigèrent  afin  de  combler  la  source 
curalive  où  guérissaient  les  blessés  des  Tûatha  Dé  Danann.  Leur 
chef  Oc-Triallach  leur  en  avait  donné  le  conseil  :  d'où  le  nom  du  carn. 

Mais  Oc-Triallach  n'est  évidemment  qu'un  doublet  d'Oc-Trial,  un  des 
dieux  Dé  Danann  auxquels  la  source  doit  ses  qualités  curatives.  Il 
est  le  dieu  guérisseur  local.  Quant  à  la  légende  elle  a  été  imaginée  en 
raison  de  la  situation  du  carn  à  proximité  de  Mag  ïured.  On  associé 
ainsi  celui-ci  au  grand  mythe. 

4.  Cath  Maighe  Tured,  §§  34  et  35,  loc.  cit.  p.  69.  Miach  fut  tué  par  son 
père.  Sur  sa  tombe  poussèrent  autant  d'herbes  médicinales  qu'il  y 
avait  de  nerfs  et  d'articulations  dans  son  corps,  trois-cent-soixante- 
cinq.  —  Ce  passage  est  dans  le  récit  de  la  bataille  mythologique 
une  interpolation  postérieure  au  xi»  siècle.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville 
Épopée  celtique,  p.  394  s.  —  Il  n'en  démontre  pas  moins  qu'on 
croyait  au  pouvoir  guérisseur  des  morts. 

5.  Ms.  Livre  de  Leinster  {LL),  fol.  11  recto,  1.  37  du  fac-similé. 
Cf.  aussi  O'Curry,  Manners  and  Customs,  III,  p.  210. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HÉROS  211 

a  été  fondu  pour  la  première  fois  par  Tigcrnmas  ',  dont  on  se 
rappelle  que  c'est  un  dieu  de  la  mort  et  que  son  mythe 
représente  comme  un  roi  mort. 

Le  culte  qui  s'adresse  aux  choses  est  pareillement  un 
culte  des  morts. 

Ainsi  les  arbres  sacrés  qui  représentent  l'Arbre  de  Vie 
mythique  sont  consacrés  à  des  morts.  Celui  qui  s'élève 
dans  rOenach  Reil  est  le  témoin  de  la  fin  de  Duaibsech, 
la  veuve  du  roi  Muircertach  mac  Erca,  dont  le  cœur  éclata 
de  douleur  au  moment  môme  où  elle  s'était  appuyée  contre 
cet  arbre  -.  Un  if  et  un  pommier  sont  sortis  de  la  tombe  de 
Baile  Binnberlach  et  d'Ailinn,  les  deux  amants  malheureux 
dont  on  a  parlé  tout  à  l'heure,  et  ils  sont  habités  par  leurs 
âmes  ^ . 

Les  pierres  sacrées  sont  des  pierres  funéraires.  L'exis- 
tence du  culte  des  menhirs  en  Irlande  est  démontrée  par 
leur  appellation  ail  adrada  ou  pierre  d'adoration''.  D'ail- 


1.  Annals  of  the  Four  Masters,  anno  mundi  3.656.  O'Curry,  Mann. 
and  CasL,  II,  p.  4  ss.,  a  réuni  une  liste  des  inventeurs  héroïques. 

2.  The  Dealh  of  Muircertach  mac  Erca,  loc.  cit.  p.  4:J6,  §  46.  — 
L'Oenach  Reil,  en  Ulster,  n'a  pas  été  identifié  a  notre  connaissance. 
Cf.  O'Curry,  loc.  cit.,  sur  Tif,  dit  Craobh  Lisnigh,  au  faite  de  la  colline 
d  Uisnech,  donc  au  centre  du  lieu  de  fête.  —  Cf.  Tàin  B6  Cùalnge. 
1.  2046  :  chaque  endroit  où  Medh  a  planté  sa  cravache  se  nomme 
depuis  Arbre  de  Medb  (Cach  bail  ro  said  a  echlaisc  is  Bili  Medba  a 
chomainm). 

3.  Scél  Baili  Binnberlaig,  éd.  Kuno  Meyer  Rev.  Celt.,  XIII,  p.  222  ss., 
p.  224  ss.  :  Les  arbres  ont  poussé  chacun  sur  une  tombe.  Leur  feuil- 
lage a  la  forme  de  la  lôte  du  mort.  On  fit  des  tablettes  avec  le  bois  de 
ces  arbres.  Celle  de  pommier  et  celle  d'if  se  rejoignent  et  on  ne  peut 
les  séparer.  —  Cf.  résumé  de  la  légende  dans  OCurn-,  Mss.  Mal., 
p.  463  s. 

4.  Ane.  Laus  IV,  p.  142,  p.  143. —  Kuno  Meyer,  Dinnsenchas  métriques 
de  Mag  Slerht.dans  Voyage  of  Bran,  dans  II,  app.  C,  strophe  13  :  «  depuis 
le  temps  d'Ilerimon...  il  y  avait  un  grand  culte  des  pierres  (en  Irlande) 
jusqu'à  l'arrivée  de  Patrick.  »  —  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Le  culte  des 
menhirs  dans  le  monde  celtique,  Bev.  Cell.,  XXVII,  p.  313  ss.  où  l'on 
trouvera  aussi  les  faits  gaulois  et  bretons.  —  On  sait  (jue  ce  culte  a  per- 
sisté jusqu'à  nos  jours,  surtout  en  Bretagne.  Cf.  V.  Sébillot,  Folklore 
de  la  France,  sous  Culle  des  pierres. 


212  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉHOS 

leurs  doux  menhirs,  Cenn  Cniaich  '  et  Ccrmancl  Ceslach  % 
adorés  Tun  dans  Mag  Slechl  et  Taulre  à  Clogher  étaient 
dieux. 

Ces  menhirs  idoles  sont  identiques  aux  pierres  levées 
tombales,  dont  il  a  été  question  plus  haut.  C'est  ce  qui  res- 
sort d'un  passage  de  la  Tdin  Bd  Càalnge^.  On  y  voit 
Cûchulainn  placer  douze  têtes  coupées  de  ses  ennemis  tués 
sur  autant  de  menhirs  et  celle  de  leur  chef,  Ferchu  Long- 
sech,  sur  une  treizième  pierre  spéciale.  De  môme  le  dieu 
Cenn  Cniaich  était  entouré  de  douze  idoles  moins  élevées*. 

Enfin  les  dieux  des  sources  et  des  lacs  sont  des 
morts. 

Ainsi  Tirechân  raconte  que  les  païens  jetaient  des 
offrandes  d'or  et  d'argent  dans  une  fontaine  parce  qu'elle 
recouvrait,    croyaient-ils,   la    sépulture    d'un   prophète^. 

1.  Vie  Triparlile,  éd.  Whitley  Stokes,  p.  90  s.  Cenn  Crùaich  est  iden- 
tique au  dieu  Crom  Cniaich  des  Dinnsenclias  de  Mag  Siecht,  strophe  M. 
—  Cf.  d'Arbois  de  Jubainvilie  art.  cité,  p.  316  s.  :  Cenn  signifie  «  tèle  » 
et  Crom  Crùaich  «  courbe  de  léminence  artificielle  «.  11  y  avait  aussi 
un  Cenn  Crùaich  en  Grande-Bretagne,  ainsi  que  le  démontre  le  nom 
de  lieu  Penno-Crucium. 

2.  L'auteur  des  notes  au  Félire  Oengusso  a  vu  Cermand  Ces- 
tach  :  d'Arbois  de  Jubainvilie,  arl,  cité,  p.  316.  —  On  conservait  ce 
menhir  sous  le  portail  de  la  cathédrale  de  Clogher  en  Tyrone  jusqu'au 
temps  de  l'annaliste  Galhal  Maguire,  mort  en  14'J8.  Todd,  Hainl  Patrick, 
p.  129. 

3.  Cinnit  Ferchon,  Tàin,  p.  418  ss.  —  Cf.  la  légende  du  roi  Lugaidh 
Mac  Con  tué  au  pied  d'un  menhir  pendant  qu'il  distribuait  de  l'or 
et  de  l'argent  aux  poètes  au  milieu  d'une  assemblée  solennelle  :  Kea- 
ting,  éd.  Dinneen.  Irish  Te.vls  Soc.  VIII,  p.  286. 

4.  Vie  Triparlile,  éd.  'W'hitlcy  Stokes,  p.  90. 

5.  Tirechân,  p.  323  s.  :  les  païens  croyaient  que  dans  la  fontaine  de 
Findmag  «  profeta  mortuus  fecit  bibliothicam  (i.  e.  un  sarcophage) 
sibi  in  aqua  sub  pelra...  quia  adorabant  fontem  in  modum  dii  ». 
Saint  Patrick  souleva  la  pierre  et  trouva  dans  l'eau  l'or  et  l'argent  des 
offrandes.  —  Cf.  O'Donovan,  cité  dans  Borlase,  III,  p.  771  :  Tober 
Grainné  («  Source  de  Grainne  »,  hérotne  d'un  conte  très  répandu)  dans 
le  Cté  Clare  :  l'eau  passe  par  un  trou  pratiqué  dans  une  pierre  carrée 
qui  couronne  un  dolmen.  C'est  la  disposition  même  de  la  fontaine  dont 
parle  Tirechân  :  elle  était  carrée,  recouverte  d'une  pierre  carrée.  L'eau 
jaillissait  par  un  trou  du  couvercle  et  se  répandait  sur  tout  l'édifice 
«  quasi  uestigium  ». 


SAINT    PATRICK    EST    UN- HÉROS  213 

D'autres  sources  ont  jailli  des  tombes  où  reposent  les  des- 
cendants de  Parlholon  *, 

De  mi^me  le  lac  Oirbscn  recouvre  le  tombeau  de  Ma- 
nannan  mac  Lir  qui  j)éril  li\  dans  une  bataille  ■.  Au  bord 
d'un  grand  nombre  de  lacs  sont  des  tombeaux  héroïques 
et  c'est  auprès  deux  qu'on  célèbre  le   culte   des  eaux'. 

II.  Les  dieux  locaux  sont  des  morts.  Les  patrons 
locaux,  les  dieux  éponymes  se  recrutent  eux  aussi  parmi 
les  morts. 

Ainsi  les  dieux  qui  régnent  sur  des  sidh  déterminés  sont 
pour  une  bonne  part  des  personnages  ayant  subi  une  mort 
rituelle.  Clidna,  par  exemple,  la  noyée  qui  annonce  la 
mort  des  rois  est  la  fée  éponyme  et  la  reine  des  génies  de 
Carrigcleena  en  Munster*.  Le  roi  Aedh  Rùad  qui  périt  dans 
la  cataracte  d'Assaroe  a  donné  son  nom  à  celle-ci  [Ess- 
Aeda-Rûaid)  et  vit  depuis  en  roi  des  génies  dans  le  sidh 
voisin,  le  MuUaghshee.  Pareillement  les  génies  de  la 
caverne  Belach  Conglaiss  sont  soumis  à  la  domination 
d'un  ancien  chef  humain,  Cûglass,  qui  y  disparut  un  jour 
qu'il  chassait  dans  les  environs  ^ 

Beaucoup  de  lieux  hantés  par  les  génies  sont  occupés 
par  des  carn  héroïques.  D'autres  monuments  pareils  cou- 

1.  Borlase,  MI,  p.  770. 

i.  Dinnse  ne  fias  de  Rennes,  Rev.  Celtique,  XVI,  p.  143  ;  Tochmarc 
Luaine,  ibid.  XXIV  p.  274.  p.  27b  ;  Keating,  éd.  Comyn,  p.  224.  —  Le 
lac  se  nomme  aujourd'hui  Lough  Corrib  (Connaught).  —  Cf.  Joyce, 
Social  Hislory,  I,  p.  260  :  le  dieu  Bodb  Derg  a  son  sidh  au  bord  du 
Lough  Derg  de  la  Shannon. 

3.  Par  exemple  à  Loughadrine,  Cté  Cork,  où  l'on  fait  des  processions 
autour  d'un  dolmen,  en  mùme  temps  que  l'on  jette  des  offrandes  aux 
poissons  du  lac  et  que  Ion  s'y  baigne  dans  un  but  curatif.  Windele, 
cité  par  Borlase,  II,  p.  o'Ji. 

4.  Cf.  plus  haut,  p.  210,  n.  2. 

5.  Joyce,  op.  cit.  I,  p.  262.  Dans  le  sidh  de  Knokfierna,  Cté  Limerick, 
règne  Uond.  frère  du  premier  roi  d'Irlande  Erimon,  qui  se  noya  avant 
le  débarquement  des  fils  de  Mile  :  ibid.  Cf.  OCurry,  Mss.  Mal',  p.  283. 


214  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

ronnenl  les  hauteurs  \  D'autres  encore  sont  au  voisinage 
des  passes  de  montagnes  et  des  gués*. 

Or  on  sait  que  les  morts  enterrés  sous  les  carn  reçoivent 
des  offrandes  de  chaque  passant.  Au  surplus  ces  morts  ont, 
dans  la  plupart  des  cas,  donné  leur  nom  aux  lieux  en  ques- 
tion. Le  culte  des  dieux  locaux  est  donc  bien  celui  de 
morts  éponymes. 

Il  en  est  de  môme  des  génies  qui  protègent  les  habita- 
tions humaines.  Ce  sont  encore  des  esprits  de  morts. 

Les  emplacements  des  enceintes  habitées  passent  pour 
être  des  lieux  où  un  homme  mourut  de  mort  violente.  C'est 
ce  qui  ressort  d'un  passage  du  Glossaire  de  Cormac  '  sui- 
vant lequel  le  sang  d'un  homme  fut  versé  pendant  la  cons- 
truction d'Emain  Mâcha.  Bien  que  cette  histoire  ait  son 
origine  dans  une  fantaisie  étymologique  sur  le  nom 
d'Emain,  dérivé  d'alr.a  —  sang  et  d'am  —  un,  elle  n'en 
indique  pas  moins  que  la  mort  d'un  homme  était  jugée 
utile  à  la  construction  des  forteresses  *. 

D'ailleurs  tout  fort  irlandais  est  construit  au-dessus  de 
la  sépulture  d'un  mort  illustre. 

Ainsi  Dinn-rig,  résidence  des  rois  de  Leinster,  couronne 
un  tertre  qui  est  censé  être  le  tumulus  de  Slanga,  un  roi 
des  Fir-Bolg^  Des  morts  éponymes  reposent  dans  les 
enceintes  fortifiées  d'Ailech,  Almu  et  dans  le  Râlh  Cael- 


1.  Joyce,  op.  cit.,  p.  564.  —  Les  carn  qui  couronnent  les  collines 
servent  souvent  d'observatoires.  Exemples  :  carn  du  Sllab  Moduirn, 
Tdin  Bô  Cùalnge,  p.  144  s.,  Carn  Amalgaidh,  O'Donovan,  Utj Fiachrach, 
p.  100,  p.  101. 

2.  Tain  B6  Cùalnge.  passiui.  Voir  Index  géographique  au  nom  des 
gués  et  des  passes  (âlh). 

3.  Sanns  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  42. 

4.  Cf.  Nennius,  éd.  Mommsen  (Chronica  Minora,  XllI),  p.  182  s. 

îj.  Annals  of  Ihe  Four  Masters.  anno  mundi  3267.  —  On  nommait 
encore  Dinn-rig  Duma  Slainge  et  Tuam  (tombeau)  Tenba. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HKROS  21& 

chon  à  Tara'.  Le  nom  même  de  Tara,  en  moyen  irlandais 
Tetnair,  vient,  suivant  les  étymologistes  des  Dinnsenchas 
de  ce  que  Tea,  femme  du  premier  roi  de  la  race  de  Mile, 
y  est  enlenée - . 

m.  Les  dieux  des  groupes  sociaux  sont  des  morts.  Ce 
que  nous  venons  de  dire  des  dieux  locaux  doit  ôtre  étendu 
aux  dieux  des  clans  et  des  tribus. 

En  effet,  les  forteresses  dont  on  vient  de  parler  sont  les 
résidences  des  chefs  et  des  rois.  Elles  sont  les  capitales  des 
clans,  des  tribus  et  des  provinces.  Les  représentants  des 
familles  dont  se  compose  le  clan,  les  fonctionnaires,  les 
otages  des  clans  assujettis  y  vivent  autour  du  roi  tandis 
que  le  reste  du  groupe  est  dispersé.  En  un  mot  la  forte- 
resse royale  est,  en  dehors  des  assemblées  de  fêtes,  la  seule 
chose  qui  exprime  rexislence  ininterrompue  du  clan,  de 
même  qu'ailleurs  le  chef-lieu  exprime  la  vie  du  district  qui» 
l'entoure*. 

Ainsi  les  dieux  qui  protègent  les  résidences  royales  sont 
les  dieux  des  clans.  Et  ces  dieux  sont  des  morts. 

Il  en  est  de  même  des  dieux  locaux  d(!s  oenach  dans 
lesquels  s'assemblent  les  membres  des  mêmes  clans,  tribus 
ou  royaumes. 

Nous  avons  parlé  encore  de  gués,  de  passes  et  de  hau- 
teurs. Mais  ces  endroits  sont  souvent  les  limites  territo- 
riales des  clans*.  Il  en  résulte  que  les  dieux  morts  de  ces 


1.  Battle  of  Cnucha,  éd.  Uenncssy,  Rev.  Celtique,  II,  p.  86  ss.,  §  2.  — 
Joyce,  op.  cit..,  II,  p.  8b  s.  —  l'our  Ailech  cf.  chapitre  précédent. 

2.  Edward  Gwynn,  Metrical  Dinnsenchas  (Todd  Lecture  Séries  VII), 
Dublin,  l'JÛO.  lemair,  vers  31-40. 

3.  Chaque  roi  d'une  tùalh  (clan)  est  lenu  d  avoir  trois  forteresses. 
Ane.  Laws.  IV,  p.  377,  1.  13  ;  V.  p.  53,  I.  21  ss.  ;  p.  441,  1.  25.  —  On 
ne  connaît  pas  d'autres  forteresses  que  celles  des  rois. 

4.  Cf.  p.  218.  note  2. 


216  SAINT    PATRICK    ET    LE    «:ULTE    DES    HÉROS 

lieux  se  confondent  pour  une  bonne  part  avec  les  dieux 
des  clans  et  des  tribus. 

Les  mômes  raisons  décident  de  ce  que  nombre  de  ces 
dieux  morts  deviennent  des  dieux  territoriaux.  L'extension 
de  leur  puissance  suit  celle  du  pouvoir  royal.  Mais  lors 
môme  que  les  limites  des  royaumes  changent,  les  dieux 
continuent  à  régner  sur  les  territoires  qu'ils  ont  une  fois 
acquis. 

Ainsi  la  fée  Aibell,  qui  protège  le  clan  royal  des  O'Brien, 
commande  en  même  temps  à  tous  les  génies  du  Thomond^ 
Elle  continue  à  régner  sur  ce  territoire. 

Ici  encore  les  dieux  sont  représentés  comme  des  morts. 
Aibell,  ainsi  que  les  autres  génies  des  sîdh,  appartient  à  la 
classe  des  esprits  des  fêtes  confondus  avec  les  moris.  Et 
d'autres  dieux  de  clans  et  de  territoires  gardent  bien  leur 
caractère  d'hommes  morts. 

On  en  verra  des  exemples  dans  le  chapitre  suivant.  Bor- 
nons-nous ici  à  citer  le  cas  d'un  fils  de  Mile,  Eber  Donn, 
noyé  pendant  la  tempête  magique  que  les  Tùatha  Dé 
Danann  avaient  suscité  pour  empêcher  le  débarquement 
de  Mile  ".  Donn  est  devenu  roi  du  sidh  de  Knokfierna  et  il 
étend  son  pouvoir  sur  tous  les  génies  de  la  plaine  de  Lime- 
rick^.  Un  autre  mort,  fils  du  roi  de  Leinster  Dunlang, 
étend  sa  protection  sur  le  clan  de  Bresal  Brecc,  et  le 
roi  d'Irlande  Loegaire  fait  de  même  pour  son  propre 
clan,  celui  des  Mac  Néill  ou  Hûi  Néill  de  Meath  ^ 


1.  Elle  habitait  le  roc  Craglea  sur  le  flanc  dune  montagne  près  de 
Kiilaloe.  Une  fontaine  voisine  se  nomme  toujours  Tobereevil,  source 
d'Aibell.  Mais  depuis  qu'on  a  coupé  le  bois.  Aibell  erre  sans  pouvoir 
retrouver  son  sidh.  Joyce,  op.  cit.,  I,  p.  263  s. 

2.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  mythologique,  p.  258  s. 

3.  Joyce,  op.  cit.,  I,  p,  262. 

4.  Dinnsenchas  de  Tara,  dans  Rev.  Celtique,  XV,  p.  281,  trad.  p.  284; 
Tirechân,  p.  308. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HÉROS  217 

IV.  Inversement  les  morts  individualisés  jouent  le  rôle 
de  dieux.  Ainsi  les  dieux  irlandais  de  toute  espèce  sont 
représentés  comme  des  morts  restés  actifs. 

Par  li\  m^me  ils  se  confondent  avec  ceux  d'entre  les 
morts  humains  qui  gardent  leur  individualité  intacte.  En 
effet,  ceux-ci  continuent  à  vivre  et  fi  agir  après  leur  mort. 

Leur  puissance  s'est  môme  considérablement  accrue. 
Le  cadavre  du  roi  Dalhi,  frappé  parla  foudre  au  pied  des 
Alpes,  fait  gagner  neuf  batailles  sur  mer  et  dix  sur  terre 
à  ceux  qui  le  rapportent  en  Irlande  ^ 

Le  corps  du  roi  de  Connaught  Eoghan  Bel,  qui  a  été 
enterré  debout  à  la  frontière,  suscite  une  terreur  panique 
dans  les  troupes  ulates,  chaque  fois  qu'elles  s'avisent  d'en- 
vahir la  province.  Les  gens  d'Ulster  sont  enfin  obligés 
de  déterrer  le  corps,  de  le  transporter  chez  eux  et  de  l'y 
enterrer  de  nouveau,  mais  la  tête  en  bas'. 

Le  roi  d'Irlande  Loegaire  et  le  fils  de  Dunlang  sont 
enterrés  tous  deux  de  la  môme  manière,  l'un  à  Tara  et 
l'autre  à  Maistiu  en  Leinster.  Ils  étaient  leur  vie  durant 
deux  ennemis  mortels.  Après  leur  mort  ils  se  font  face 
«  dans  la  posture  d'hommes  qui  combattent  »  et  ils  con- 
tinuent la  lutte  plus  acharnée  encore  qu'auparavant  ^ 

Les  dieux  et  les  .morts  individualisés  sont  des  héros. 
—  Mais  que  sont  donc  ces  dieux  morts  et  ces  morts  humains 
dont  l'activité  persiste  dans  leur  tombeau  sinon  des  héros  .^ 

Ils  le  sont  d'abord  par  leur  caractère  de  morts,  et  par  la 
nature  de  leur  mort.  En  effet,  la  mort  violente  et  la  mort 

1.  ODonovan,  Tribes  and  cusloms  of  Ily  Fiachrach,  p.  23. 

2.0'Donovan,  Hy  Fiachrach,  p.  472  ;  Silva  Gadelica,  II,  p.  52. 

3.  Tlrechân,  p.  308.  Loegaire  se  fait  enterrer  ainsi  par  ordre  de  son 
père,  le  roi  Niall.  —  Dinnsenchas  de  Tara  loc.  cit.  :  Loegaire  est 
debout  combattant  contre  le  Leinster  c'est-à-dire  contre  le  clan  de 
Brcsal  Brecc. 


218  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

rituelle  sont  les  formes  par  excellence  héroïques  de  la  mort. 

Ils  le  sont  de  môme  par  le  fait  de  leur  vie  posthume  indé- 
pendante. On  a  vu  que  leur  mort  équivalait  à  l'entrée 
rituelle  d'un  vivant  dans  l'Autre-Monde,  ce  qui  est  le  fait 
des  héros.  Les  navigateurs  errants  et  les  initiés  sont  aussi 
des  héros  pour  la  môme  raison. 

Le  caractère  héroïque  de  tous  ces  personnages  est  déter- 
miné encore  par  leur  nature  ù  la  fois  divine  et  humaine. 
Les  hommes  morts  sont  des  dieux  incarnés  et  les  dieux  sont 
des  morts  divinisés.  La  confusion  des  morts  et  des  dieux 
en  Irlande  a  pour  conséquence  nécessaire  que  ceux  des 
morts  dont  la  personnalité  persiste,  et  ceux  des  dieux,  qui 
sont  conçus  à  leur  image,  sont  des  héros. 

Enfin,  on  verra  que  ce  sont  des  héros  de  par  la  nature 
des  liens  qui  les  unissent  à  la  société  humaine. 

I.  Ils  sont  des  champions.  Les  morts  en  question  sont 
les  protecteurs  et  les  champions  de  leurs  groupes. 

Ils  en  sont  les  Dieux  Termes.  On  reconnaît  le  tracé  d'une 
frontière  de  clans  aux  vieux  arbres  et  aux  tumulus  héroï- 
ques ^  Les  textes  juridiques  irlandais  obhgent  de  leur  côté 
les  clans  à  jalonner  les  limites  de  leurs  territoires  empierres 
d'adoration'^,  c'est-à-dire  de  menhirs  sacrés,  et  on  sait  que 
des  menhirs  pareils  sont  considérés  comme  pierres  funé- 
raires de  héros. 

Les  reliques  de  ces  morts  triomphent  des  ennemis.  On 
l'a  vu  en  ce  qui  concerne  Eoghan  Bel  et  les  autres  morts 
dont  nous  avons  parlé  en  même  temps  que  de  lui^  Un 

1.  Ane.  Lau's,  IV,  p.  142. 

2.  Ajic.  Laves,  loc.  cit.,  et  IV,  p.  6,  1.  12;  p.  8,  1.  6  ;  p.  18,  1.  1.  — 
Sayias  Cor  maie,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  55,  s.  v.  Gall  :  on  n'est  voisin 
que  lorsqu'on  a  érigé  des  menhirs  à  la  limite  du  territoire.  —  Cf.  Coi»' 
Anmann,  éd.  Whitley  Stokes,  Iriscke  Texte,  111,  p.  293. 

3.  Loegaire,  le  flls  de  Dunlang  et  Dathi.  Cf.  plus  haut. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HÉROS  219 

morceau  épique,  la  Mort  de  Conall  Cernach,  raconte  que 
les  Ulates  recommenceront  à  être  victorieux  lorsqu'ils 
auront  reconquis  le  crâne  de  Conall,  qui  est  conservé 
dans  la  forteresse  royale  de  Cruachan  en  Connaughl'. 

Les  héros  morts  ne  font  que  continuer  ainsi  ce  qu'ils 
ont  fait  leur  vie  durant.  Ils  ont  été  au  cours  de  leur  vie 
mortelle  les  champions  de  leur  clan  ou  de  leur  province. 
Encore  enfant,  Cùchulainn  délivre  sa  province  natale  de 
trois  ennemis  redoutables,  les  Mac  Nechta,  qui  dévabtaicnt 
les  frontières.  Devenu  iiomme  il  arrête  seul  pendant  trois 
mois  les  troupes  de  l'Irlande  entière  coalisées  contre 
r Lister.  Au  moyen  d'une  conjuration  magique  il  les 
avait  obligées  à  attendre,  tant  qu'un  champion  capable 
de  le  vaincre  en  combat  singuher  ne  lui  aurait  pas  été 
opposé  ^. 

C'est  à  des  duels  entre  héros  qu'aboutit  la  rivalité  tri- 
bales. Ainsi  dans  YHistoire  du  Porc  de  Mac  Datho  voit-on 
les  guerriers  de  deu.\  royaumes  rivau.x,  l'Ulster  et  le  Con- 
naught,  se  livrer  à  une  véritable  chasse  à  l'homme  les  uns 
contre  les  autres  *.  Les  Mac-Nechta  se  vantent  d'avoir  tué 
autant  de  héros  ulates  qu'il  en  reste  en  vie,  et  Conall 
Cernach  déclare  qu'il  a  rarement  dormi  une  nuit  sans 
appuyer  sa  lôte  sur  la  tôte  coupée  d'un  homme  du 
Gonnaught  '. 

1.  Goire  Conaill  Chernaig  i  Cruachain,  éd.  Kuno  Meyerdans  Zfï.  fur 
Cellische  Philologie,  I.  1897,  p.  106  (Irad.  p.  lO'J). 

i.  Tain  B6  Cùalnge,  p.  146  ss.  (Macgnimrada). 

3.  Ibid.,  à  partir  du  chap.  i.x  de  i"éd.  Windisch. 

i.  Scél  Muvci  Mic-Datho,  éd.  Kuno  Meyer  dans  Hibernica  Minora; 
éd.  Windisch,  sans  Irad..  Irische  Texte,  I,  p.  96  ss.  ;  Irad.  Louis  Duvau, 
sur  le  texte  de  M.  Windisch  dans  Épopée  celtique,  p.  66  ss. 

5.  Duvau,  lac.  cil.  p.  77.  Cf.  la  phrase  citée  par  M.  Kuno  Meyer, 
Hibernica  Minora,  p.  6:2  n.  2  où  il  y  a  /"o  a  glûn  «  sous  son  genou  ». 
Cf.  Keating.  éd.  O'Mahony,  p.  530  :  Les  guerriers  du  roi  Fiann  lui 
apportent  la  tête  de  Corniac  roi  d<^  Munster,  en  lui  disant  de  la  mettre 
sous  sa  cuisse.  C'est  un  moyen  d'humilier  le  tué. 


220  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Ce  sont  bien  des  champions.  Leur  caractère  est  nicme 
officiel.    Ils    agissent    au    nom    de    leur    groupe    entier. 

Ainsi  un  guerrier  ulale  est  toujours  posté  à  la  passe  du 
Sliab  Fuait  avec  mission  de  livrer  bataille  fi  tout  venant 
«  pour  la  province  »  d'IJlster*.  Les  frontières  des  clans  sont 
gardées  par  des  menhirs,  sur  lesquels  une  inscrij)tion  ogha- 
mique  défend  à  tout  étranger  de  pénétrer  dans  le  territoire 
sans  avoir  soutenu  un  combat  singulier  contre  un  cham- 
pion du  clan^  Les  textes  juridiques  et  historiques  nous 
apprennent  que  dans  chaque  tribu  irlandaise  un  guerrier 
de  rang  élevé  était  officiellement  chargé  de  relever  tous 
les  défis  venant  du  dehors  et  de  venger  toutes  les  offenses 
faites  au  roi  ou  à  l'ensemble  de  la  tribu ^ 

Ainsi  la  sécurité  et  l'honneur  du  clan  ou  de  la  province 
sont  confiés  aux  héros.  Ils  sont  en  fait  les  représentants  de 
leurs  groupes. 

II.  Le  groupe  se  voit  en  eux.  —  Il  s'incarne  en  eux. 
Leur  gloire  est  la  sienne. 

Lorsque  Cùchulainn,  par  exemple,  tue  les  Mac  Nechta, 
c'est  pour  venger  l'honneur  de  l'Ulster.  Les  vanteries 
de  Gonall  Cernach  ont  pour  conséquence  de  faire  attribuer 
aux  Ulates,  de  préférence  aux  hommes  de  Connanght,  les 
morceaux  de  choix  d'un  festin  qui  réunit  les  guerriers  des 
deux  provinces*. 

Mais  ce  n'est  pas  de  la  seule  gloire  des  armes  que  les 


1.  Tuin  Bô  Cùalncje,  p.  138,  s.,  1.  1149  ss. 

2.  Ibid.,  p.  68,  1.  564  s.,  cf..  p.  72  \.  598  ss.  ;  p.  148,  I.  1230  ss.  Lobli- 
galion  de  répondre  à  un  défi  en  cette  forme  s'appelle  fir,  «  vérité  ». 

3.  Ancient  Laivs  of  Ireland,  IV,  p.  322;  cf.  O'Curry,  Manners  and 
Cuslotns,  II,  p.  365.  Le  guerrier  en  question  s'appelait  aire  ecla,  «  chef 
de  l'exploit  »  ou  «  du  meurtre  ».  Cf.  Windisch,  Irische  Texte,  I;  Wôr- 
terbuch,  au  mot  echl. 

4.  Scélmucci  Mic-Datho,  éd.  Windisch,  §§  15  et  16. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HÉROS  221 

clans  sont  redevables  à  leurs  héros.  C'est  du  bon  renom 
dans  la  plus  large  acception  du  mot. 

Ainsi  les  sentinelles  postées  au.x  frontières  ont  pour  mis- 
sion de  protéger  les  poètes  et  les  hommes  d'art  qui  se 
rendent  auprès  des  rois.  A  ceux  qui  reviennent  mécontents 
de  l'accuoil  reçu,  ces  guerriers  offrent  des  présents,  afm 
que  «  l'honneur  de  la  province  »  soit  sauf. 

Tous  les  héros  irlandais  sont  d'ailleurs  des  rois,  ou  bien 
des  fonctionnaires  de  la  maison  royale ^  Ce  sont  les  repré- 
sentants attitrés  des  clans. 

III.  —  Ils  incarnent  tin  idéal  nioinil.  —  Enfin  les  héros 
réunissent  un  ensemble  de  qualités  qui  en  font  des  types 
idéaux,  des  modèles  i\  imiter. 

Ils  sont  généreux  et  hospitaliers  ^  Les  guerriers  ne  se 
préoccupent  que  de  gloire  '*. 

Ils  sont  chevaleresques  les  uns  envers  les  autres.  Leurs 
combats  ont  lieu  suivant  les  règles  d'une  étiquette^  La 
Tàin  B6  Cûctlnge  donne  Ciichulainn  en  exemple,  parce 
que  jamais  ce  héros  ne  tuait  les  hommes  désarmés,  ni  les 
cochers  et  qu'il  ne  dépouillait  pas  ses  adversaires*. 

Les  héros  sont  tous  d'une  beauté  accomplie  ^  Mais  ils 

\.  Tain  B6  Cùalnge,  p.  140. 

2.  Cf.  Toichim  na  m-buiden,  dans  la  Tàin,  p.  710  ss.  ;  Dresslech 
Maige  Mairlhemne,  ibid.,  p.  382  ss.  (lisle  des  tués)  et  p.  386,  1.  269'J. 

3.  Cf.  par  exemple  Naissance  et  règne  de  Conchobar,  dans  Épopée  cel- 
tique, p.  8  s. 

4.  Le  sujet  de  la  Fled  Bricrend,  éd.  Windisch,  dans  Irische  Texte.  I, 
est  la  concurrence  entre  les  trois  meilleurs  guerriers  ulales  pour  être 
glorifiés  du  curadmir  (part  du  héros)  au.x  festins  et  de  la  préséance  sur 
tous  les  hommes  de  la  cour  royale.  Comme  .\chillc,  Cûchulainn  a  préféré 
la  gloire  à  une  vie  longue  mais  terne  :  Macgnivirada,  Tain,  p.  130  ss. 

5.  Cf.  Windisch,  Préface  à  l'éd.  de  la  Tâin,  p.  XXXIV  s.  qui  conclut 
0  dann  aber  liegt  uns  in  der  altirischen  Sage  eine  Vorslufe  zum  mittel- 
alterlichen  Ritterlum  vor  «. 

G.  Tdin,  p.  174.  I.  14IG  ss.  p.  84,  1.  686  ss. 

7.  Ibid.,  p.  394  ;  Aided  Conchobair .Aditts  0'Curry,3f55.  Mal.,  Irad.  franc. 


222  SAINT    PATRICK    ET    \.E    CULTK    DKI.    UKROS 

sont  en  môme  temps  glorifiés  pour  l'aspect  terrifiant  qu'ils 
prennent  aux  yeux  de  leurs  ennemis  ^ 

L'agilité  et  la  force  des  guerriers  n'ont  naturellement 
d'égal  que  leur  courage  -.  Un  passage  de  la  Tàin  B6  Cùalrujt 
est  entièrement  consacré  à  la  louange  des  tours  de  forces 
divers  et  nombreux  que  savait  faire  Cûchulainn^. 

Ceux  des  héros  qui  sont  poètes  ou  musiciens  possèdent 
le  don  de  la  parole  à  un  degré  inconnu  des  vivants.  Les 
juges  légendaires,  auxquels  remontent  tous  les  préceptes  de 
droit  et  qu'on  doit  ranger  dans  la  catégorie  des  héros  civi- 
lisateurs, sont  infaillibles.  La  préface  du  Senchns  Môr  dit 
qu'ils  étaient  inspirés  par  le  Saint-Esprit*. 

Les  médecins  héroïques  sont  de  même  des  types  profes- 
sionnels accomplis.  Ainsi  Fingin,  médecin  du  roi  Con- 
chobar,  établissait  son  diagnostic  rien  qu'en  entendant  le 
soupir  d'un  malade  ou  en  regardant  la  fumée  de  sa  maison. 
11  lui  suffisait  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  sang  qui  sor- 
tait d'une  blessure  pour  reconnaître  l'auteur  de  celle-ci'. 

En  somme,  partout  où  les  héros  apparaissent,  ils  sont 

Épopée  Celtique,  p.  370;  Bev.  Celt.,  XV.  p.  295  :  Les  guerriers  vont 
parader  devant  les  femmes,  les  jeunes  filles  et  les  poètes  pour  leur 
permettre  de  conJempler  leur  beauté,  Tâin,  p.  38  ss..  Cf.  Introduction 
de  Windisch,  ibid.,  p.  xxvii. 

1.  Sanas  Cormaic,  p.  2,  s.  v.  Ascalh:  cf.  dans  Tàin,  p.  370  ss.  les 
transformations  de  Cûchulainn  avant  le  massacre  de  Mag  Muirlhemne. 
—  L'ardeur  des  héros  est  telle  qu'ils  doivent  se  rouler  dans  la  neige, 
ibid.,  p.  216.  L'eau  de  leur  bain  devient  bouillante,  ibid.,  p.  166  s. 

2.  Les  héros  massacrent  des  armées  entières  :  ibid.,  Biesslech  Maige 
Muirlhemne  et  p.  728.  1.  5136  ss.  —  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Court 
de  littérature  celtique,  VI  :  comparaisons  avec  les  héros  grecs,  en  par- 
ticulier avec  ceux  de  l'Iliade. 

3.  Cf.  dans  Tain,  p.  278  ss. 

4.  Ane.  Laws,  I,  p.  25  ss.  —  Plusieurs  sont  avertis  par  des  ulcères 
qui  paraissent  sur  leur  visage  qu'ils  vont  commettre  une  erreur.  —  Ibid, 
Cf.  plus  haut  le  collier  de  Morann. 

0.  Tàin,  p.  610  ss.,  et  p.  794  1.  5507  ss.  Fingin  est  un  fàth-liaig,  «  pro- 
phète-médecin ».  —  Quant  à  Miach  il  prononce  une  incantation  sur  une 
main  coupée  :  celle-ci  s'ajuste  au  moignon  et  redevient  vivante.  Cath 
Maighe  Tured,  §  34.  —  Il  est  vrai  que  Miach  est  un  dieu. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HÉROS  223 

l'incarnation  j)arfaile  de  toutes  les  valeurs  morales.  Et  plus 
ils  sont  tj^i'ands  ol  célèbres,  plus  ils  sont  clignes  d'être 
pris  pour  modèles.  Cuchulainn  et  Finn,  les  héros  cen- 
traux des  deux  grands  cycles  irlandais,  surpassent  à  ce 
point  de  vue  tous  les  autres  personnages  de  l'épopée.  Ainsi 
les  héros  irlandais  réalisent  un  type  analogue  aux  héros 
grecs  et  qui  a  en  même  temps  les  traits  de  ce  que  le  lan- 
gage courant  appelle  héros.  Ce  que  nous  venons  de  montrer 
pour  la  généralité  des  dieux  et  des  morts  illustres  qui  sont 
objets  d'un  culte,  vaut  pour  ceux  dont  le  culte  est  l'objet 
des  fêtes  et  qui  ont  illustré  aux  dates  de  fêtes  soit  leur  vie 
divine,  soit  leur  vie  humaine. 

Saint  Patrick  est  un  héros  du  même  type  que  les  héros 
IRLANDAIS.  —  Ce  que  nous  venons  de  dire  s'applique  éga- 
lement à  saint  Patrick.  Il  est  un  héros,  et  pour  les  raisons 
que  nous  avons  énumérées  dans  les  chapitres  précédents, 
et  pour  ce  qu'il  a  de  semblable  aux  génies  et  aux  morts, 
dont  nous  avons  vu  qu'ils  sont  des  héros. 

La  parenté  de  type  et  de  fonctions  est  plus  complète  encore 
entre  notre  saint  et  les  héros  païens.  Il  a  les  mêmes  rap- 
ports avec  les  choses  et  les  groupes  que  les  héros  irlandais. 

I.  Caractère  héroïque  des  saints  irlandais  en  général. 
Ce  sont  des  protecteurs  et  des  chamjnons.  —  Il  en  est  de 
même  des  autres  saints  irlandais.  L'élude  de  ceux-ci  nous 
permettra  de  donner  plus  de  relief  à  ce  que  nous  dirons  de 
saint  Patrick. 

Les  saints  irlandais  ne  sont  pas  seulement  les  patrons 
des  groupes,  au  sens  chrétien.  Ils  en  sont  les  représentants 
et  les  champions. 

Remarquons  d'abord  que  ce  sont  des  saints  mihtants. 
Ils  sont  les  guerriers  de  Dieu  vainqueur  des  démons.  Les 


224  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

légendes  hagiographiques  sont  remplies  de  leurs  luttes 
incessantes  contre  les  druides,  les  méchants  chefs  et  les 
esprits  malins. 

Le  caractère  combatif  des  saints  irlandais  se  manifeste 
dans  leur  culte.  Leurs  reliques  corporelles  y  tiennent  moins 
de  place  que  leurs  bâtons  et  leurs  sonnettes*.  C'est  que  ce 
sont  les  armes  des  saints  dans  leurs  luttes  contre  le  démon. 

Leurs  bâtons  sont  des  bâtons  pareils  à  celui  de  saint 
Patrick.  Ils  en  frappent  les  démons.  Quant  aux  sonnettes 
elles  servent  d'instruments  dans  les  malédictions.  Les 
saints  les  agitent  dans  la  direction  des  hommes  ou  des 
lieux  qu'ils  maudissent.  Aucun  mauvais  esprit  n'en  peut 
supporter  le  son^. 

Aussi  ces  champions  de  Dieu  ont-il  hérité  du  rôle  social 
des  héros. 

Ils  sont  les  patrons  des  clans  et  des  royaumes,  comme 
saint  Ailbe,  qui  est  patron  du  Munster,  saint  Declan  celui 
des  Déisi,  saint  Columcille  celui  des  Hûi  Néill,  saint 
Finnian  de  Mag  Bile  celui  d'Uladh,  sainte  Brigit  qui  est 
la  patronne  du  Leinster  et  saint  Comgall  qui  protège  les 
hommes  de  Dal-Riada^ 

Mais  ils  en  sont  en  même  temps  les  champions  tempo- 
rels. 

Son  bâton  en  main,  saint  Finnchua  de  Brigown  inflige 
une  défaite  aux  Ulates  qui  avaient  envahi  le  Munster.  Les 
Hûi  Maine  font  précéder  leurs  armées  par  le  bâton  de  leur 

1.  Giraldus  Cambrensis,  Topogr.  Hibeni.,  III,  cap.  33,  éd.  citée, 
j).  179.  —  On  prête  serment  sur  ces  bâtons  et  sonnettes  plus  que  sur 
l'Évangile.  11  en  est  de  même  en  Ecosse  et  dans  le  pays  de  Galles. 

2.  Sonnettes  employées  pendant  les  malédictions  :  0"Donovan,  The 
Baltle  of  Mag-Rath  (Ir.  Archseol.  Soc),  p.  39,  note  o;  Death  of  Muir- 
cerlach  mac  Erca,  loc.  cit.,  p.  402  s.  ;  Silva  Gadelica,  II,  p.  45.  p.  82. 
—  Saint  Patrick  chasse  les  démons  en  agitant  sa  sonnette  sur  le  Mont 
Aigle  :  Vita  Vl",  auclore  Jocelino. 

3.  Sallair  na  Rann,  éd.  Whitley  Stokes.  Fragment  de  la  Vie  de  saint 
Declan,  Thésaurus  Palaeohibernicus  II,  p.  297.  —  Cf.  chap.  suivant. 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HKROS  225 

palron.  saint  Ciicllan.  Les  Conmaicne  font  de  môme  avec 
le  bAlon  de  saint  Caillin  do  Fenagh.  Et  les  O'Donnell  font 
porter  autour  de  leurs  troupes  prùtcs  à  la  bataille  un  livre 
qu'on  appelle  cathach  ou  prœlialor  et  qui  passait  pour 
avoir  été  copié  par  Columcille  *. 

Comme  les  héros  encore,  les  saints  font  office  de  dieux 
Termes. 

Les  limites  des  propriétés  ecclésiastiques  sont  marquées 
en  Irlande  par  des  hautes  croix  en  pierre  dont  chacune  est 
placée  sous  l'invocation  d'un  saint.  Les  tertres  sur  lesquels 
sont  érigées  ces  croix  jouissent  du  droit  d'asile'.  La  haute 
croix  irlandaise  dérive  du  menhir.  A  l'origine  elle  n'était 
qu'un  menhir  gravé  d'une  croix'.  Or,  les  memhirs  sont, 
on  Ta  vu,  des  pierres  funéraires  héroïques. 

Saints  patkons  des  lieux  et  des  choses.  —  Les  saints 
se  sont  d'autre  part  substitués  aux  héros  comme  dieux 
locaux  et  comme  dieux  des  choses. 

Beaucoup  sont  enterrés  dans  des  sidh,  ou  bien  ont  vécu 
en  ermites  dans  des  lieux  hantés,  dont  ils  sont  devenus 
depuis  les  patrons. 

Un  cas  de  pareille  succession  est  très  nettement  repré- 
senté dans  la  légende  de  sainte  Feber*.  L'endroit  où  elle 
construisit  son  oratoire,  auprès  d'une  source  sacrée,  lui 
avait  été  indiqué  par  un  cerf,  qui  lui  était  apparu  dans  un 

1.  Whitley  Stokes.  Lives  of  SS.  from  Ihe  Book  of  Lismore,  II.  p.  240  : 
Hcnnessy.  Book  of  Fenagh,  p.  195  ss.  ;  ODonovan,  The  Baille  of  Mag 
Balh,  p.  447  note"  ;  le  môme,  Ïly-Many,  p.  81.  —  Il  ressort  du  lexte  du 
B.  of  Fenagh  que  saint  Caillin  n'a  Iaiss6  aux  Conmaicne  qu'un  modèle 
du  bâton  avec  sa  bénédiction.  On  en  faisait  un  neuf  à  chaque  occasion 
en  observant  certains  rites. 

2.  Miss  Margaret  Stokes,  The  high  crosses  of  CasUedermot  and  Durrow, 
Intr.,  p.  IX  ;  Pétrie,  op.  cil, p.  59,  cite  un  canon  sur  les  croix-bornes. 

3.  Miss  Stokes  op.  cil.,  et  Allen,  Early  Christian  Art. 

4.  Chez  Borlase,  III,  p.  909. 

CzARNOWSKI.  45 


22G  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE   DES    HÉllOS 

lieu  hanlé  par  les  démons.  Ce  cerf  est  évidemment 
un  dieu  de  sidh,  le  dieu  local  de  la  fontaine  de  sainte 
Feber,  qui  a  volontairement  succédé  sa  place  à  la  patronne 
chrétienne. 

D'autres  saints  se  sont  substitués  aux  héros  enterrés 
sous  les  carn.  Ainsi  saint  Domongart  repose  sous  un  mo- 
nument pareil,  qui  était  autrefois  attribué  au  héros  Slanga 
et  il  a  succédé  à  celui-ci  comme  éponyme  local.  La  montagne 
sur  laquelle  s'élève  le  carn,  et  qui  se  nommait  jadis  Sliab 
Slanga,  s'appelle  aujourd'hui  Sliab  Domongairt. 

Les  esprits  des  arbres  sacrés  ont  dû  de  môme  céder  leur 
place  à  des  saints.  L'if  Eo  Rosa,  par  exemple,  qui  est  un 
des  arbres  divins  dont  la  graine  provient  de  l'Arbre  de  Vie, 
abrite  aujourd'hui  l'oratoire  de  saint  Moling  et  est  dédié  à 
ce  saint*. 

On  a  placé  pareillement  sous  l'invocation  des  saints, 
nombre  d'anciennes  pierres  sacrées',  qui  étaient  autrefois 
les  pierres  des  dieux  ou  des  héros.  Parfois  même  l'ancien 
dieu  survit  déguisé  en  saint,  comme  il  en  est,  par  exemple, 
dans  le  cas  d'un  dolmen,  Leaba-Mologa,  qui  est  censé 
être  l'ermitage  d'un  saint  Mologa.  En  effet,  ce  saint  n'est 
qu'un  avatar  de  Lug.  Le  nom  du  dieu  précédé  du  préfixe 
mo,  entre  dans  la  composition  du  nom  du  dolmen,  de 
sorte  que  Leaba  Mologa  signifie  en  réalité  Lit  de  «  mon  » 
Lug  et  non  de  saint  MologaK 

Les  fontaines  dédiées  aux  saints  sont  innombrables. 
Citons  seulement  entre  les  plus  célèbres  celles  de  saint 
Senan  en  Clare,  de  saint  Ciaran  près  de  Kells,  de  sainte 
Atrachta  en  Hûi  Maine.  D'autres  saints  sont  patrons    de 

1.  O'Curry,  Catli  Muighe  Léana,  p.  96,  note. 

2.  Exemples  dans  Wood-Martin,  Traces  of  elder  faiths  in  Ireland. 

3.  Borlasc,  I,  p.  8  ;  II,  p.  038;  III,  p.  768  s..  Cf.  Loth,  Rev.  Celtique. 
XXIX,  p.  ^'28  ;  Plummer,  Vilœ  Sanctomm  liiberniœ,  I,  p.  lxxiv,  p.  xc  ; 

pp.   CXLIX..    CLU. 


SAINT    PATRICK    KST    UN    HÉROS  227 

lacs'.  Dans  ces  fontaines  et  ces  lacs  vivent  des  truites 
sacrées,  auxquelles  on  jette  des  offrandes  aux  jours  des 
fêtes  patronales.  Or,  des  truites  sacrées  étaient  vénérées 
dans  les  fontaines  sacrées  du  paganisme  et  elles  corres- 
pondent aux  truites  de  la  fontaine  de  Mag  Mell.  On  voit 
donc  qu'ici  encore  les  saints  patronnent  un  culte  qui  a  son 
origine  dans  le  paganisme  irlandais. 

Ainsi  les  saints  irlandais  sont  les  héritiers  des  héros  dans 
leurs  rapports  avec  les  groupes  et  les  choses  et  ils  sont 
eux-mêmes  des  héros. 

il.  Saint  Patrick  joue  le  même  rôle  que  les  autres 
saints  irlandais  et  les  héros.  —  Il  en  est  de  même  de 
saint  Patrick. 

Lui  aussi  s'est  substitué  à  des  héros  locaux. 

11  a  pris  la  place  de  la  fée  Mâcha  comme  patron  de 
la  colline  d'Armagh.  Mâcha,  divinité  éponyme  d'Armagh, 
ou  Ardmacha,  était,  on  le  sait,  une  déesse  mère  et  une 
fée.  Or  l'autel  de  la  cathédrale  d'Armagh  qui  a  été  de  tous 
temps  dédiée  à  Patrick  s'élève  à  l'endroit  même  où  l'apôtre 
a  trouvé  une  biche  avec  son  faon-,  c'est-à-dire,  des  ani- 
maux dont  les  génies  des  sidh  revêtent  habituellement  l'as- 
pect •. 

Patrick  est  encore  le  patron  d'innombrables  monuments 
mégalithiques,  de  carn  et  de  tumulus,  disséminés  dans  l'Ir- 

1.  Wood-Martin,  op.  cit.,  II,  p.  97;  p.  110  ;  Joyce,  I,  p.  630;  cf.  Wood- 
Martin,  Index,  Holy  Wells. 

i.  .Muirchu,  p.  i'Ji. 

3.  William  Reeves,  The  ancient  churches  of  Armagh  (brochure),  Du- 
blin ;  Fallow,  Cathedral  churches  of  Iveland,  Dublin,  p.  3  ss.  —  Muirchu 
dit  que  saint  Patrick  transporta  le  faon  dans  ses  bras  sur  la  colline 
voisine.  Or  une  légende  récente  veut  que  la  cathédrale  catholique 
actuelle,  sous  l'invocation  de  saint  Patrick,  soit  construite  à  l'endroit 
même  oi'i  l'apAlre  déposa  son  fardeau.  Saint  Patrick  avait  ainsi  prévu 
la  spoliation  des  catholiques  au  profit  des  protestants  et  indiqué  l'em- 
placement de  son  église  future. 


228  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

lande  entière  *.  C'est  lui  qui  a  mis  des  truites  sacrées  dans 
la  fontaine  d'Achad  Fobuir  en  Mayo".  Beaucoup  d'autres 
fontaines  lui  sont  dédiées^  ou  bien  ont  été  dédiées  par  lui 
à  Dieu. 

Or  il  s'agit  ici  encore  de  substitution  à  une  divinité 
païenne.  En  effet,  le  nom  que  portent  généralement  ces 
fontaines,  Tobereendoney,  dérive  en  réalité  non  de  Tober 
R'igh  an  Bomnach  (Fontaine  du  Roi  du  Dimanche),  ainsi 
qu'on  le  croit,  mais  de  Tober  Ri  g  h  an  Domuin,  c'est-à-dire 
«  Fontaine  du  Roi  de  l'Abîme  ».  On  doit  rapprocher  de  ce 
nom  celui  de  Do?nnii^  la  déesse  des  Fir  Domnann  et  des 
Fomoré*. 

D'autre  part  saint  Patrick  s'est  substitué  aux  dieux  anciens 
des  eaux  en  les  faisant  mourir  ou  bien  en  les  chassant  à 
tout  jamais  hors  d'Irlande  \ 

Saint  Patrick  est  encore  un  champion,  le  champion  par 
excellence  de  la  Foi  en  Irlande.  Sa  vie  entière  n'est  qu'un 


1.  Borlase,  HI.  p.  776  :  à  Ballygaddy  (Galway)  deux  carn  sacrés  sont 
dits  Leachla  Phadruig,  «  lits,  tombeaux  de  Patrick  »,  l'un  distingué 
par  le  nom  Altoir  Phadruig  ;  ibid.  Togher  Patrick  «  siège  de  P.  »  au 
pied  du  Croagh  Patrick  (dit  aussi  Leachl  Benain  ou  de  Benignus)  :  Dinn- 
senchas  de  Brugh,  Bev.  Celt.,  XV..  p.  292,  p.  2'J3  :  on  y  montre  un  mo- 
nument dit  Ferla  Patraic.  Autrefois  on  le  nommait  tombeau  d'Esclam, 
juge  du  dieu  Dagda.  —  Cf.  encore  Borlase,  II,  p.  5§4  et  passim  ;  Wood- 
Martin,  op.  cit.,  passim. 

2.  Triparlite,  p.  H2,  p.  dl3.  Des  anges  habitent  avec  les  truites.  Cf. 
aussi  Homélie  du  Lebar  Brecc,  loc.  cit.,  p.  478,  p.  479.  —  Achad-Fobuir, 
act.  Aghagower,  bar.  Murrisk,  Mayo. 

3.  Ex.  Triparlite,  p.  76  s.,  p.  77  s.  :  fontaine  de  saint  Patrick  à  Tech 
Laissrenn  en  Meath.  Le  tombeau  de  sainte  Bice  est  auprès  de  la  fon- 
taine. —  Ibid.,  p.  92,  p.  93  :  dans  Mag  Slecht.  —  Cf.  Wood-Martin, 
op.  cit. 

4.  Borlase,  III,  p.  771,  auquel  nous  empruntons  l'étymologie  de  To- 
bereendoney.  L'auteur  suggère  le  rapprochement  de  dornuin  et  de 
Domnu. 

5.  Joyce,  Soc.  Hisl.,  II,  p.  514  s.  —  Le  thème  du  dragon  lacustre  vaincu 
par  saint  Patrick  n'apparaît  pas  dans  les  Vies  anciennes.  Mais  il  est 
très  répandu  dans  lé  folk-lore  local  des  lacs.  Cf.  aussi  Giraldus  Cam- 
brensis,  op.  cit.,  p.  180;  expulsion  des  reptiles,  lesquels,  on  le  sait,  sont 
souvent  l'incarnation  de  dieux  des  eaux, 


SAINT    PATRICK    EST    UN    HÉROS  229 

long*  combat  contre  les  druides.  C'est  comme  champion  que 
le  célèbrent  les  plus  anciens  hymnes,  par  exemple  la  Prière 
de  Ninine\  Quant  aux  exemples  des  combats  qu'il  soutient 
on  en  a  vu  trop  au  cours  de  ce  travail  pour  qu'il  soit  encore 
nécessaire  d'en  citer  encore. 

Saint  Patrick  est  enfin  le  protecteur  des  tribus  et  des 
clans  irlandais.  II  les  a  tous  convertis  lui-môme,  sauf  uni- 
quement les  clans  de  l'extrôme  Sud.  Les  forteresses  royales 
sont  protégées  par  sa  bénédiction  ^ 

On  en  est  arrivé  à  employer  son  nom  comme  synonyme 
de  patron  et  d'apâtre.  Ainsi  un  vieux  poème  irlandais  dit 
que  «  l'humble  Ailbe  est  le  Patrick  de  Munster  »  et 
«  Declan  est  le  Patrick  des  Déisi^  ».  Ce  n'est  sans  doute 
que  dans  la  rhétorique.  Mais  elle  n'en  indique  pas  moins 
que  notre  saint  était  représenté  comme  le  parfait  patron,  le 
modèle  des  héros  chrétiens. 


1.  Thésaurus  Palaeohibemicus,  II,  p.  322. 

2.  Ex.  des  conversions  de  clans  dans  Tirechàn,  passim,  et  Triparlile, 
passim.  —  Cf.  chap.  suivant.  —  Ex.  de  forteresses  :  Dûn  Sobairche, 
auj.  Dunseverick,  Antrim,  où  il  y  a  aussi  une  source  de  saint  Patrick  : 
Vie  Triparlile,  p.  162,  p.  163. 

3.  Ita  scotice  cantatur  ille  uersus  :  Ailbe  umal  Pairie  Muman...  De- 
clan  Patrie  na  nDéise   Thésaurus  Palaeohibemicus,  II,  p.  207. 


CHAPITRE  VI 

LA  CONSTITUTION  SOCIALE  DE  L'IRLANDE 
ET  SON  INFLUENCE  SUR  LA  FORME   DU   CULTE 


Ainsi  les  dieux  irlandais  prennent  en  général  la  forme 
héroïque,  c'est-à-dire  qu'ils  sont  représentés  comme 
ancêtres,  précurseurs  et  types  de  la  société  qui  les  adore. 
Les  traits  de  leur  caractère  héroïque  sont  perpétués  par 
saint  Patrick. 

Si  nous  trouvons  la  raison  de  ce  tour  particulier,  qu'a 
pris  l'évoluiion  des  figures  divines  en  Irlande,  nous  aurons 
expliqué  du  môme  coup  pourquoi  les  saints  irlandais,  et 
saint  Patrick  en  particulier,  ont  pris  la  môme  figure,  à 
supposer  toutefois  que  la  société  irlandaise  n'ait  pas  changé 
dans  sa  forme  fondamentale  au  passage  du  paganisme  au 
christianisme. 

Cette  raison  nous  est  donnée  par  la  constitution  de  la 
société  gùidéHque.  Elle  est  telle,  que  le  culte  à  tous  les 
degrés  n'a  pu  ôtre  qu'un  culte  gentilicc,  dans  lequel  s'ex- 
prime l'idée  de  la  parenté  comme  base  de  la  société,  comme 
origine  des  liens  sociaux. 

Le    (iROUPE    FONDAMENTAL    DE    LA  SOCIÉTÉ   EST     LA    TUATH. 

DÉFINITION.  —  Le  groupe  fondamental  de  la  société  irlan- 
daise est  la  tûath,  le  peuple  *. 

1.  Tùalh  ■=.  populus,  Zeuss,  Grammalica  Cellica,  éd.  Ebel,  p.  34jj, — 


232  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Elle  se  gouverne  elle-même.  A  sa  tête  est  un  chef  hérédi- 
taire qui  porte  le  titre  de  roi,  en  irlandais  ri^.  L'assemblée 
des  hommes  libres,  des  féne,  décide  de  toutes  les  affaires 
en  dernière  instance^. 

Au  point  de  vue  politique  la  tûat/i  est  entièrement  indé- 
pendante. En  effet,  les  tûatha  font  la  guerre  et  concluent 
des  alliances  pour  leur  propre  compte  ^ 

Il  en  est  de  môme  au  point  de  vue  militaire.  Dans  les 
grandes  expéditions  qu'entreprennent  les  rois  des  provinces, 
les  guerriers  de  chaque  tûath  marchent  et  campent  à  part 
sous  la  conduite  de  leur  propre  chef.  Dans  les  batailles  la 
tûath  est  l'unité  de  combat  *. 

La  tûath  est  aussi  un  groupe  religieux.  Elle  a  des  dieux 
particuliers  qui  sont  invoqués  dans  une  formule  familière 
du  serment^  et  des  assemblées  périodiques  qui  lui  sont 

Cf.  d'Arbois  de  Jubainville  dans  Rev.  CelL,  I,  p.  45.3  s.  :  Tirlandais  tûath, 
breton-armoricain  tud,  «  peuple  »,  comique  tus  «  peuple  »  viennent 
d'un  primitif  'tota,  'louta,  *teuta,  dérivé  de  la  racine  lu  «  grandir  », 
«  croître  ».  Le  thème  'leula  est  identique  au  mot  osque-sabin  touta, 
tota  —  «  cité  ».  Le  nom  du  dieu  gaulois  Tentâtes  en  est  dérivé.  —  En 
gotique  on  a  thiuda  —  «  peuple», vieux-haut  allemand  diota,  d'où  deutsch . 
i.  Cf.  ri  tùaithe  dans  Ane.  Laws,  VI.  Glossaire;  Senchus  Môr,  I,  p.  o4  : 
((  Il  y  a  dans  chaque  tûath  quatre  dignitaires  susceptibles  d'être  dé- 
posés :  le  roi  qui  prononce  des  sentences  fausses...  » 

2.  Cf.  ^nc.  Laws,  Glossaire,  s.  x.féine.  —  Le  droit  irlandais  est  la  «  loi 
des  féne  »,  Fénechas,  Dlighte  Féine  :  Ane.  Laws,  I.  p.  116,  p  118;  III, 
p.  224;  VI,  Glossaire,  s.  v.  Feinechas.  —  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Les 
assemblées  irlandaises. 

3.  Cf.  par  exemple  Tucait  indarba  na  n-Déisi,  éd.  Kuno  Meyer,  dans 
Anecdota  from  Irish  Mss.,  I,  Halle  a.  S.  1908.  —  La  guerre  est  l'état  normal 
des  relations  entre  tûatha  voisines.  Chaque  jeune  homme  promu  au  rang 
de  guerrier  prouve  sa  valeur  en  accomplissant  un  meurtre  ou  bien  en 
razziant  du  bétail  dans  le  territoire  voisin.  Cf.  Tàin  Bô  Cûalnge,  Mac- 
gnimrada.  —  Un  état  de  choses  identique  régnait  entre  les  clans  écos- 
sais. Cf.  Alexander  Gonrady,  Geschichle  der  Clanverfassung  in  den  schot- 
tischen  Hochlanden  —  Leipzig  18D8  {Leipziger  Studien  aus  dem  Gebiet 
der  Geschichle,  V.  Bd.,  I.  Heft.),  p.  19. 

4.  Tdin  Bô  Cûalnge,  p.  21  ss.  ;  p.  51  ss.  ;  cf.  p.  55. 1.  446  ;  p.  79  ;  p.  701  ; 
p.  731  ss.  :  p.  823.  L'armée  d'Ailill  et  de  Medb  compte  dix-huit  corps  de 
troupes  qui  sont  autant  de  tricha  cél.  Sur  l'identité  de  tricha  cet  et  lùath 
cf.  plus  loin,  p.  249  s. 

5.  Tàin  Bô  Cùalnge,  p.  861,  note  2  :  longu  do  dia  loingeas  mo  tûath. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    l'iRLANDE  233 

propres.  Lors  des  g-randes  solennités  des  provinces  les 
hommes  de  chaque  tûath  campent  ensemble,  ils  tiennent 
des  conseils  particuliers  et  ils  luttent  entre  eux  dans  les 
concours  athlétiques  '. 

Les  membres  de  tûatha  différentes  sont  presque  des 
étrangers  les  uns  pour  les  autres.  En  effet,  des  rapports  de 
droit  civil  n'existent  qu'entre  hommes  appartenant  à  la 
môme  tûath. 

On  le  voit  par  les  textes  juridiques  irlandais  qui  concer- 
nent les  délais  de  saisie.  La  saisie  du  bétail  est  en  Irlande 
un  acte  personnel,  par  lequel  le  demandeur  dans  une 
affaire  civile  force  son  adversaire  à  comparaître  devant  un 
arbitre,  et  comme  il  n'existe  point  de  tribunaux  qui  puis- 
sent citer  le  défendeur  de  leur  propre  autorité,  la  saisie  est 
la  seule  forme  reconnue  de  la  procédure.  Elle  doit  être 
précédée  d'un  commandement. 

Or  des  cas  de  saisie  opérée  dans  une  tûath  voisine  ne 
sont  prévus  que  dans  les  textes  juridiques  dont  la  rédac- 
tion remonte  certainement  à  une  date  relativement  ré- 
cente. Un  délai  de  dix  jours  francs  y  doit  séparer  la  saisie 
du  commandement,  tandis  que  le  droit  irlandais  primitif, 
celui  qui  est  consigné  dans  la  partie  la  plus  ancienne  du 
Senchus  Mùi\  ne  connaît  que  la  saisie  immédiate^  De  plus, 


«  je  jure  au  dieu  (auquel)  jure  ma  tùalh  »  ;  p.  747,  n.  5  :  «  tongu  do  dia 
toinges  mo  tùalh  em  »,  or  Fergus.  —  Whitley  Stokes,  Cuchulainn's  Death, 
Rev.  Celtique,  111,  p.  17.o  :  «  tongu  dodia  atonges  mothuath  »  or  Ldech  «  je 
prête  serment  par  le  dieu  (par  lequel)  prête  serment  ma  tùatli  »,  dit 
Loeg.  —  Cf.  Scél  Mucci  Maic-Dathô,  éd.  Windisch,  Jrische  Texte,  I, 
§lt).  —  La  formule  est  si  souvent  répétée  que  les  copistes  se  contentent 
parfois  d'écrire  tongu  ocus  ri.,  ar  NN.  «  Je  prête  serment  etc.  ».  dit  NN. 
—  Il  y  a  des  variantes  :  tongu  do  dia  toingthe  hUlaid  (le  dieu  auquel 
prêtent  serment  les  (Jlates).  Tàin,  p.  880  noie  1.  —  Tongu-sa  na  dé  da 
nadraim  «  je  jure  au.x  dieux  que  j'adore  »,  Tàin,  1.  1868. 

1.  Aenach  Carmain,  dans  O'Curry.  Mann,  and  Customs,  lac.  cit.  — 
Cf.  la  disposition  des  places  dans  la  salle  de  festin  à  Tara,  fragment 
publié  par  O'Curry,  op.  cit.,  II,  p.  16. 

2.  D'Arbois  de  Jubainville,  Résumé  d'un  cours  de  droit   irlandais, 


234  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES     HÉROS 

les  cas  en  question  sont  nettement  dislinc^ués  des  cas  nor- 
maux, comme  se  produisant  entre  tûatha^ .  C'est  du  droit 
des  gens  qu'ils  relèvent. 

Du    CARACTÈRE   DE   LA   TÛATH.  LeS  NOMS  DES   TÙATHA   SONT 

DES  NOMS  GENTiLiCES.  —  Lc  lien  qui  unit  les  membres  de 
la  tùath  est  un  lien  de  parenté. 

Ce  sont  des  gens  «  nourris  du  même  lait  »^,  imbleogan. 
Ils  forment  une  race,  cenél^  une  postérité,  clann^. 

L'ensemble  des  membres  d'une  tùath  est  désigné  par  un 
nom  collectif  qui  a  la  forme  d'un  nom  gentilice.  Ce  sont 
tantôt  des  noms  propres  au  nominatif  pluriel,  comme 
Coîialli,  Érna,  Ciarrichi''  et  qui  sont  ainsi  parallèles  aux 
désignations  des  gentes  romaines  comme  Cornelii,  Fabii, 
Valerii  —  tantôt  ce  sont  des  substanlifts  collectifs  dérivés 


i"  semestre,  Paris  1888,  p.  18  s.  —  Les  passages  plus  récents  du  Sen- 
chus  Môr  accordent  un  délai  de  trois  jours  à  l'intérieur  de  la  tùath  et 
treize  jours  pour  la  saisie  opérée  dans  une  tùath  étrangère.  —  Il  est 
probable  que  la  saisie  en  dehors  de  la  tùath  est  une  innovation.  Nous 
ne  voyons  pas,  en  effet,  quelle  juridiction  pourrait  assurer  la  régularité 
de  l'opération  chez  un  voisin  qui  est  indépendant  et  presque  toujours 
un  ennemi. 

1.  Senchus  Môr,  dans  Ancient  Laws,  l,  244  s. 

2.  Cf.  imbleogan  dans  Ane.  Laws,  VI,  Glossaire. 

3.  Cf.  Kuno  Meyer,  Contributions  to  Irish  lexicorjraphy,  s.  vv.  Pour  des 
exemples  des  mots  clann  et  ceiiét  employés  dans  le  sens  de  tùath  cf. 
0'  Donovan,  Hy  Fiachrach  et  Uy  Many,  passim.  —  Cf.  Tàin  Bô  Cùalnge, 
p.  .So,  \.  452  s.  :  lotar  forsin  fecht  frisna  illùathaib  ocus  ilmacnib  ocus 
ilmilib  dos-hertatar  leo  «  (les  troupes)  allèrent  en  cette  expédition 
par  tùalha,  par  générations  et  par  «  milles  »  et  par  nombres  ». 

4.  Conalli  Muirthemni,  cf.  Tàin,  index  :  Geographische  Samen;  chez 
Muirchu  Conalnei.  Ils  occupaient  la  partie  basse  de  factuel  Comté  de 
Louth.MagMuirthemne. —  Clarrichi,  Ciarrighi,  Ciarraighi  :  Additamenta 
à  Tlrcchân,  loc.  cit.,  II  p.  .337,  aujourd'hui  Kerry  en  Connaught.  —  Erna  : 
cf.  plus  loin.  —  Condiri  :  Bury,  Saint  Patrick,  p.  162  :  leur  nom  passa 
au  diocèse  de  Connor  sur  le  Lough  Neagh  en  Ulstcr.  —  Le  nom  de 
Cùailnge  aujourd'hui  Coolcy.  la  région  qui  a  donné  son  titre  à  la  Tàin 
paraît  être  aussi  un  nom  de  tùath.  Cf.  à  ce  propos  Windisch,  index 
géographique  à  Tdin,  s.  v..  Jbid.,  étir  Conailliu  ocus  Cûailngiu  entre  les 
Conalli  et  Cùailnge  (au  génitif  pluriel  ?) 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    l'iRL.VNDE  23S 

d'un  nom  propre  de  personne  à  l'aide  du  suffixe  —  acht^ 
par  exemple,  Eoganacht  «  l'ensemble  des  Eogan  »  ou  les 
a  gens  d'Eogan  »,  un  nom  que  les  lettrés  irlandais  emploient 
indiiïércmment  avec  Cenèl  Eogain  ou  «  Race  d'Eogan*.  » 
Ou  bien  encore  ils  se  composent  du  mot  corcii,  qui  équi- 
vaut au  latin  gcnus,  suivi  d'un  génitif  :  Corcu  Ochland, 
Corcomrûadh' . 

Enfin  beaucoup  do  tùatha  sont  désignées  par  le  nom 
d'un  ancêtre  au  génitif,  précédé  d'un  mot  qui  indique  la 
filiation.  Ainsi  Mac  Eachach  signifie  «  fils  d'Eocho  »,  Hùi 
Degaidh  ou  Clann  Degaidh,  «  petits-fils  »  ou  «  postérité 
de  Degadh  »,  Ccnél  Conaill,  «  race  de  ConalP.  » 

La  tûath  a  la  forme  D'vîiE  familia.  C'est  une  clientèle 
PATRONALE.  —  La  tûath  est-elle  donc  une  gens  ? 

Elle  est  une  espèce  de  famille.  C'est  ce  qui  ressort  de 
son  organisation  intérieure,  qui  est  une  hiérarchie  fondée  à 
la  fois  sur  les  liens  de  la  parenté  et  sur  celui  de  la  clientèle 
patronale*. 

Le  sol  est  en  principe  la  propriété  de  la  tûath  entière*. 


1.  Sanas  Cormaic,  p.  44,  s.  v.  Eoganacht  :  i.  icht  cenél.  i.  cenél  l'ochin 
o  Eogan.  —  Cf.  Arda  Ciannaclita,  une  lùalh  dans  le  sud  de  l'actuel 
comté  de  Loulh.  O'Donovan,  Dook  of  Rigfits,  p.  186,  note. 

2.  Trip.  Life,  I  p.  04.  Les  Corcu  Ochland  portaient  le  surnom  de  Corcu 
Chonluaind  «  genus  du  fumier  du  chien  ».  Thésaurus  Palœohibernicus, 
H,  Index  des  noms  propres  géograpiques.  —  Cf.  ibid.,  Corcu  Soi  —  Cor- 
comrûadh, act.  Corcomroe,  comté  Clare  :  Windisch,  Tâin.  p.  876  n.  4  et 
877  1.  639.  Cf.  Imram  Curaig  Màiledùin,  version  du  Livre  jaune  de  Lecan, 
strophe  14  :  Anecdola  from  Msh  Mss,  L 

3.  Cf.  encore  Triparlite  Life,  II,  p.  542  :  a  Cormac.de  Chiaind  Cher- 
naig  »  (Clankarney,  ;  ib.  p.  544  :  «  Felhgna.  i.  Seignech  macc  Nectain  de 
Claind  Echdach  u  ;  «  Calhasach  macc  Robartaig  hùi  Moinaich  de  Chiaind 
Suibrii  ».  —  Thésaurus  l'aLxohibernicus.  H,  p.  364,  1.  16  :  «  Conlae  macc 
Coilboth  Domnach  Combar  la  Cenél  Fiachrach  reges...  » 

4.  Sur  la  question  en  général,  Sumner  Maine,  Htslory  of  ancienl 
Inslilulions,  187o.  —  Nisbeth,  Land-lenure  in  Jrelund.  Kdinburgh,  1887. 
—  Aïkinson,  Ane.  Laws,  VI,  Glossaire,  s.  vv.  cleith,  flâith.  aire. 

5.  A  l'époque  historique  il  est  partagé  entre  les  familles  nobles.  Mais 


236  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES     HÉROS 

Une  partie  en  est  allouée  au  roi  en  apanage'.  Le  reste 
constitue  les  domaines  héréditaires  des  familles  aristocra- 
tiques qui  représentent  les  branches  collatérales  de  la 
dynastie  régnante'. 

Ces  possesseurs  tiennent  leurs  droits  de  l'investiture 
royale*.  Le  77  tûaithe  est  obligé  de  donner  des  subsides 
en  biens  meubles  aux  chefs  de  l'aristocratie  territoriale,  les 
flàiihï" .  Ceux-ci  en  retour  composent  la  cour  du  roi.  Ils 
lui  doivent  le  service  de  guerre  et  ils  se  partagent  les 
hautes  fonctions  publiques. 

Le  flàith  est  usufruitier  d'une  partie  du  domaine  fami- 
lial. Il  peut  l'exploiter  à  sa  guise,  par  des  tenanciers  libres, 
des  serfs  ou  des  esclaves^,  Le  reste  est  considéré  comme 

la  trace  de  l'ancienne  propriété  collective  est  conservée  dans  un  texte 
où  il  est  dit  qu'avant  le  règne  d'Aed  Slâine  il  n'y  avait  pas  de  limites 
de  propriété  en  Irlande  :  Todd,  Book  of  Hymns  p.  132  ;  cf.  Comperl  Con- 
culaind  dans  Irische  Texte  I,  p.  136,  §  2.  —  Cf.  à  ce  sujet  Sumner  Maine, 
op.  cit.,  p.  103.  Les  jurisconsultes  irlandais  favorisaient  la  propriété 
individuelle.  —  Mais  le  droit  éminent  de  la  tûath  est  conservé  dans  le 
droit  d'investiture  :  le  chef  de  famille  reçoit  des  mains  du  roi  la  terre 
que  lui  octroient  ses  parents  en  apanage  :  Senchus  Môr  II,  p.  280  (com- 
mentaire). 

1.  Ferann  bùird,  «  terre  de  table  ». 

2.  Sur  leur  parenté  avec  le  roi,  cf.  les  traités  généalogiques  publiés 
par  O'Donovan  :  Hy  Fiachrach  ;  Hy  Many  et  Geinealach  Corcu  Laidlie, 
dans  Miscellanea  of  llie  Cellic  Society,  I. 

3.  Senchus  Môr  II,  p.  280,  commentaire  :  ...  o  ri  tuailhe  cia  flailhius 
deside  ala  ac  flaith  qelfine.  i.  tus  naidbsena.  a  lus  nurlabra,  ocus  toga 
do  rannaib,ocus  sechtmad  tire  dibaidh  na  laimh...  «  du  roi,  car  c'est  de 
lui  que  vient  la  seigneurie  du  chef  de  famille,  c'est-à-dire  (le  droit)  de  mar- 
cher le  premier,  et  de  parler  le  premier,  et  de  choisir  son  lot  et  (la  pos- 
session de)  la  septième  partie  de  l'apanage  de  la  main  (du  roi  ?)  ». 

4.  Ibid.  :  Cumad  rath  do  çjabur  do  cach  duine  isin  tuaith  o  flaith  gel  fine, 
ocus  flaith  gelfne  do  gabail  ratha  o  ri  tuaithe  —  «  appropriée  largesse 
est  reçue  par  chaque  homme  dans  la  tàath  du  seigneur  de  la  gelfine. 
Et  le  seigneur  de  la  gelfine  reçoit  largesses  du  roi  de  la  tùath  ».  —  On 
nommait  aussi  ces  subsides  tuaraslal  ou  taurcrec.  Cf.  0'  Donovan,  Book 
of  Rights,  passim. 

5.  Tenanciers  libres  :  saer-céile  ;  tenanciers  qui  donnent  un  caution- 
nement :  daer  céile  ;  serfs  glebae  adscripti  :  fudir.  —  Cf.  ces  mots  dans 
Ane.  Laws.  VI,  Glossaire.  Cf.  Book  of  Rights,  p.  222  :  daer  clanda  et 
saer  clanda.  Les  premiers  vivent  sur  la  terre  du  roi  et  lui  payent  des 
redevances. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  237 

tenurc  héréditaire  des  membres  de  la  famille,  oîi  celle-ci 
est  représentée  par  son  chef. 

Tout  ce  monde,  aussi  bien  les  tenanciers  parents  que  les 
tenanciers  libres  et  les  serfs,  constitue  la  «  famille  » 
juridique  du  flàith,  sa  fine^.  C'est  une  organisation  ana- 
logue à  la  familia  domestique  romaine.  Tous  ses  membres 
payent  au  chef  des  redevances  et  en  reçoivent  des  subsides 
en  bétail.  Il  leur  doit  aide  et  protection. 

Les  tenanciers  directs  du  flàilk  ont  à  leur  tour  des 
familiœ  de  clients,  dont  la  composition  est  la  même  en  ce 
qui  concerne  la  parenté.  Ils  leur  sous-louent  leurs  terres 
et  leur  bétail.  Les  degrés  de  clientèle  continuent  ainsi  à 
descendre  jusqu'aux  simples  midboth^  roturiers,  qui  n'ont 
plus  de  bétail  à  louer". 

Ainsi  la  lûath  présente  l'aspect  d'une  vaste  famille  de 
nobles  avec  des  clients,  qui  comprend  plusieurs  degrés 
hiérarchiques  et  plusieurs  branches. 

Caractère  familial  de  la  tûath.  — Mais  le  lien,  qui  unit 
les  membres  de  la  tûath  à  leur  roi  et,  par  conséquent,  les 
uns  aux  autres,  est  encore  plus  intime.  Ce  n'est  pas  seule- 
ment leur  patron  qu'ils  voient  dans  le  roi,  c'est  bien  un 
père. 

En  Irlande  le  roi  est  en  principe  le  mari  de  toutes  les 
femmes.  Il  exerce  le  droit  de  jambage,  jus  primœ  noctis, 
sur  les  nouvelles  mariées.  Le  roi  Conchobar  était  même 
obligé  de  l'exercer  sous  peine  de  sanctions  magiques^.  En 

\.  Ane.  Laws,  IV,  p.  284  :  la  fine  du  flâilh  se  compose  des  serfs  {fu- 
dir),de  sa  parenté  (a  ciniud),  de  ses  subordonnés  [ugabail  fodagniat)  : 
n  On  les  nomme  tous  gens  du  flailhe  fine  ». 

2.  Cf.  Sumner  Maine,  op.  cit.,  et  Nisbelh,  op.  cit.  :  O'Curry,  Mann,  and 
Customs,  I  p.  3o  s.  —  Ceux  des  tenanciers  qui  ont  assez  de  bétîjil  pour 
le  louer  ont  rang  de  chefs  subordonnés.  Ils  commandent  à  leur  famille 
et  ii  leurs  clients.  Il  y  a  deux  catégories  de  ces  chefs  (peut-être  trois?) 
Ane.  Laws,  IV,  pp.  3i0  ss.,  p.  344  s. 

3.  Sur  le  jus  primœ  noclis  en  Irlande,  cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Le 


238  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULFE    DES    HÉROS 

tout  temps  d'ailleurs,  le  roi,  s'il  est  dans  la  maison  d'un  de 
ses  sujets,  a  le  droit  de  partager  la  couche  de  la  femme  ou 
de  la  fille  de  celui-ci,  et  en  le  faisant  il  comble  d'honneur 
son  hôte. 

Le  vrai  mari  n'est  ainsi  juridiquement  qu'un  substitut  du 
roi  et  tous  les  enfants  qui  naissent  sont  les  enfants  du  roi. 
Il  en  est  ainsi  avant  tout  des  premiers-nés,  de  ceux-là 
même  qui  deviennent  en  rèj^le  générale  des  chefs  de 
familles. 

On  voit  des  tûatha  et  des  tribus  entières  porter  des  noms 
patronymiques  qui  ne  dérivent  point  de  noms  d'ancêtres 
mais  de  ceux  de  rois.  Les  Hûi  Maine,  par  exemple,  étaient 
toute  une  armée  au  temps  du  roi  Maine  Môr  dont  ils  portent 
le  nom^  Il  est  difficilement  croyable  que  tous  aient  été  ses 
hûi  ou  «  petits-fils  ».  Le  roi  Amalgaidh  commandait  à  la 
population  d'un  vaste  territoire,  qui  toute  s'appelle  depuis 
Hûi  Amaigada"-.  Et  les  Gonalli  de  Muirthemne,  qui  portent 
le  nom  de  Conall  Gernach,  savent  parfaitement  qu'il  n'était 
point  leur  ancêtre^ 

Ce  qui  ressort  de  tous  ces  faits  est  que  la  tûath  est 
représentée  comme  une  immense  famille  dont  le  roi  est 
juridiquement  le  père. 

Les  subdivisions  de  la  tuath.  La  famille.  —  Il  y  a  en 
Irlande  d'autres  groupes  sociaux  que  la  tûath.  En  effet, 

droit  du  roi  dans  l'épopée  irlandaise,  Paris,  et  La  famille  celtique,  Paris, 
lyOo,  p.  dâi)  ss.,  où  les  textes  sont  réunis. 

1.  Ils  descendent  d'un  héros  Colla  de  Crïach.  Maine  Môr  était  leur 
roi.  U  les  guida  d'tJlster  en  Connaught,  où  ils  s'établirent  et  où  ils 
devinrent  les  liùi  Maine.  Toutes  leurs  généalogies  remontent  à  Maine, 
malgré  qu'ils  prétendent  être  venus  à  sa  suite. 

2.  Cf.  Tirechân,  livre  II. 

3.  Amairgen,  père  de  Conall  avait  sa  résidence  chez  les  ConaUi  ;  cf. 
Macgnimrada  dans  Tâin  Bô  Cùalnge.  Les  Conalli  étaient  déjà  une  tricha 
cet  lorsque  Conall  était  encore  un  guerrier  plein  de  vigueur.  Cf., 
Tàin,  loc.  cit. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  239 

celle-ci  comprend  un  certain  nombre  de  groupes  de  parenté 
plus  étroite,  les  fine. 

Ce  sont  des  familles  agnatiques  indivises*. 

La  succession  y  est  dévolue  du  père  au  fils,  et  de  l'oncle 
paternel  au  neveu,  à  l'exclusion  des  cognais.  La  dot  des 
femmes  ne  passe  pas  à  leur  postérité,  mais  elle  retourne  à 
leur  famille  propre.  A  cette  règle  il  n'y  a  qu'une  exception: 
c  est  le  cas  où  le  père  n'a  pas  de  postérité  mâle  et  où  en 
donnant  sa  fille  en  mariage  il  se  réserve  l'enfant  à  naître. 
Le  fils  de  la  fille  devient  alors  juridiquement  le  fils  de  son 
grand-père  et  son  successeur  légal. 

Est-ce  donc  une  famille  patriarcale?  Non  pas.  En  effet,  le 
chef  de  celte  famille  n'est  pas  nécessairement  le  père,  ni,  en 
général,  l'ascendant  direct.  Ce  qu'il  faut  pour  devenir  chef 
de  la  fine,  c'est  être  le  plus  riche,  le  plus  expérimenté,  le 
plus  populaire  de  ses  membres.  Lorsqu'aucun  des  ascen- 
dants directs  ne  satisfait  à  ces  conditions  on  le  remplace 
par  un  chef  élu  ^. 

Degrés  de  parenté  dans  la  famille.  —  La  fine  est 
divisée  en  une  ligne  directe  et  trois  lignes  collatérales. 

La  première  est  la  gel  fine,  ou  «  famille  de  la  main  »,  in 
manu,  c'est-à-dire  soumise  à  l'autorité  directe  du  pater 
familias  »  '.  Elle  comprend  le  chef  de  la  fine,  son  fils,  son 
petit-fils,  son  arrière-pelit-fils,  et  le  fils  de  celui-ci,  en  tout 
cinq  générations. 

1.  Pour  les  détails  de  l'organisation  familiale  nous  renvoyons  au 
livre  de  d'Arbois  de  Jubainville,  La  famille  celtique. 

2.  Textes  réunis  chez  d'Arbois  de  Jubainville,  op.  cil.,  ch.  vi,  p.  7i  ss. 

3.  Senchus  Mûr,  p.  278. 

4.  Gel  —  «  main  »  :  d'Arbois  de  Jubainville,  op.  cil.,  p.  3.  —  Une  autre 
expression  pour  ce  groupe  de  parents  est  muntar,  montar.  dérivé  de 
'manu-lera.  Les  deux  mots  désignent  la  famille  qui  est  in  manu,  sous 
la  puissance  du  pire,  tout  comme  à  Rome,  où  les  termes  qui  désignent 
la  chose  sont  identiques  :  in  manu,  mancipium,  emancipatio. 


240  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

La  ligne  collatérale  la  plus  proche  est  la  derbfinc,  ou 
«  famille  certaine  ».  Elle  compte  le  père  du  chef  et  trois 
générations  de  ses  descendants,  soit  quatre  catégories  de 
parents. 

Vient  ensuite  la  ear/î;ie,  ou  «  famille  lointaine  ».  C'est 
la  lignée  qui  descend  du  grand-père  du  chef.  Comme  la 
précédente  elle  s'arrête  à  la  quatrième  génération. 

Enfin,  Yind/ine,  ou  «  famille  de  la  fin  »,  représente  la 
postérité  de  l'aïeul  du  chef.  Elle  aussi  compte  quatre  géné- 
rations. 

Il  y  a  ainsi  dix-sept  catégories  de  parents  répartis  en 
quatre  subdivisions  de  la  fme.  Les  textes  irlandais  disent 
«  dix-sept  hommes  »  K 

On  devrait  plutôt  dire  «  seize  ».  En  effet,  si  la  gel  fine 
est  dite  comprendre  cinq  générations,  au  lieu  de  quatre 
comme  les  autres  groupes  de  parenté,  ce  n'est  là  qu'une 
fiction  juridique,  dont  l'origine  est  dans  une  interprétation 
erronée  du  mot  gel/ine.  On  a  voulu  pouvoir  comparer  les 
cinq  hommes  de  la  gel  fine  aux  cinq  doigts  de  la  main  -,  et 
ce  faisant,  les  jurisconsultes  irlandais  n'ont  pas  remarqué 
qu'ils  détruisaient  l'harmonie  du  système  entier  de  la  fine. 
Car  une  gelfine  de  cinq  générations  une  fois  admise,  au 
moment  où  un  fils  naîtrait  à  l'un  des  membres  de  la  plus 
jeune  génération,  tous  les  autres  représentants  de  celle-ci 
ne  pourraient  plus  être  classés  dans  aucune  des  divisions 
de  la  famille,  comme  trop  éloignées  de  l'ancien  ancêtre  de 
Xagelfine^  devenu  chef  de  la  derbfine  par  rapport  à  l'enfant. 
Or  ce  serait  contraire  à  la  doctrine  môme  des  jurisconsultes 
irlandais,  suivant  laquelle  on  doit  passer  delà  gel  fine  dans 
la  derbfine^  et  ainsi  de  suite. 

1.  De  fodlaib  cineoil  lùailhi,  dans  Ane.  Laws,  IV,  p.  282  ss. 

2.  D'Arbois  de  Jubainville,  op.  cit.,  p.  24  s. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    l'iRLANDE  241 

La  parenté  des  membres  de  la  famille  s'arrête  a  une 
CERTAINE  LIMITE.  —  Afin  de  bien  comprendre  l'organisation 
de  la  fine,  supposons  que  son  chef  soit  mort. 

Il  est  remplace  par  un  de  ses  fils,  élu  de  son  vivant,  le 
tanaiste,  ou  «  second  »  '.  Au  môme  moment  une  génération 
de  la  gel  fine  passe  dans  la  derbfine.  En  effet,  la  gel  fine 
ne  comprenant  que  les  descendants  directs  du  chef,  les 
frères  de  l'ancien  tanaiste  cessent  d'en  faire  partie  et 
entrent  dans  la  derbfine  avec  tous  leurs  descendants. 

De  môme  la  derbfine  devient  iarfine  pour  les  descen- 
dants directs  du  tanaiste^  et  la  iarfine  prend  à  son  tour 
la  place  de  Yindfine,  qui  cesse  de  faire  partie  de  la  famille. 

Ainsi  s'e.xpUque  ce  que  disent  les  jurisconsultes  irlandais 
en  parlant  de  la  fine  :  que  la  gel  fine  est  la  plus  jeune  et 
Vindfine  la  plus  âgée  des  quatre  branches  de  la  famille,  et 
que  chaque  homme  passe  avec  l'âge  du  groupe  le  plus  jeune 
dans  le  groupe  plus  âgé. 

Au  delà  de  Vindfine  il  ne  subsiste  plus  aucun  lien  de 
parenté.  Quand  on  sort  de  ce  dernier  groupe  on  s'en  va 
parmi  les  gens,  dôine  ^  Ainsi  la  famille  n'embrasse  pas 
tous  les  descendants  de  son  fondateur.  La  fine  est  un 
système  de  parenté  relative. 

Du  LIEN  DE  FAMILLE.  —  La  fine  est  coresponsable  pour 
les  dettes,  les  délits  et  les  crimes  de  chacun  de  ses  membres 
en  proportion  du  degré  de  parenté  qui  unit  l'insolvable  à 
chacune  des  quatre  divisions  de  la  famille. 

Considérons  une  gelfine  dont  un  membre  s'est  rendu 


1.  Le  tanaiste  est  celui  des  héritiers  qui  succède  aux  charges  consi- 
dérées comme  indivises,  et  par  conséquent  au.x  bénéfices  qui  y  sont 
attachés.  Il  est  désigné  du  vivant  de  son  père  (ou  de  son  prédécesseur). 
Ce  n'est  point  nécessairement  le  fils  aîné.  C'est  seulement  \'un  des  fils 
du  père.  —  Sur  le  tanaiste,  et.  d'Arbois  de  Jubainville,  op.  cit.,  p.  44  s. 

2.  Textes  réunis  par  d'Arbois  de  Jubainville,  op.  cit.,  ch.  i  et  ii. 

CZAR.NOWSKI.  16 


242  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    IlÉnOS 

coupable  de  meurtre.  Elle  paye  la  composition  en  entier. 
Mais  si  elle  est  incapable  de  le  faire,  la  clerbfine,  la  iarfine 
et  Yindfine  payent  chacune  une  partie  du  prix  du  sang 
selon  une  proportion  décroissante  *. 

Les  membres  de  la  fijie  sont  donc  tous  solidaires,  mais 
leur  solidarité  est  limitée  dans  la  mesure  même  de  leur 
degré  de  parenté. 

ha  fine  est  relativement  indivise. 

Les  pâturages  et  terrains  désertiques  de  son  territoire 
sont  ou  bien  propriété  commune  de  la  famille  entière  ^  ou 
bien  ils  sont  partagés  entre  les  quatre  branches  de  la  fine. 
Quant  aux  terres  cultivées,  elles  sont  la  propriété  indivise 
des  subdivisions  de  la  fine^.  Mais  il  y  a  déjà  dans  les  plus 


i.  Senchus  Môr,  I,  p.  264  :  Ad  fogarar  dechmu  do  feine  fiachaigh  afia- 
dain  frecnarcais  ;  arus  dechmud  fri  saidhidh,  ociis  inbUoguin  coipnesadh 
fine  fri  cack  saighes  cin.  Cintach  cach  fine  iar  nelodh,  iar  n-apa,  iar 
n-urfogra  ociis  iar  n-idnuigh  dlighidh.  «  Un  commandement  de  di.x  jours 
est  notifié  à  la  famille  du  débiteur  devant  témoins;  car  di.x  jours  (sont 
laissés)  pour  poursuivre  et  le  membre  le  plus  proche  de  la  famille  est  pour- 
suivi pour  chaque  cin  («  délit  »,  «  dette  »).  Chaque  famille  est  responsable 
après  la  fuite  (dun  de  ses  membres),  après  commandement,  après 
notice  et  après  un  délai  légal  ».  —  Cf.  glose  ibid.,  p.  286.  —  Cf.  ibid., 
p.  260  et  glose  p.  272  :  il  y  a  trois  degrés  de  responsabilité  :  pour  ses 
propres  crimes  [cin)  ;  pour  les  crimes  de  son  fils  et  de  son  petit-fils 
(tobhach)  ;  pour  les  crimes  «  d'un  demi-parent,  c'est-à-dire  jusqu'au 
dix-septième  (homme)  »  (saighi,i.  in  linbleogain  medonachi.  cin  comfo- 
cuis  00  a  secht  dec).  Tous  ces  degrés  de  responsabilité  sont  compris 
dans  celle  qui  pèse  sur  un  membre  de  la  famille  pour  les  crimes  d'un 
parent  en  général  (cin  inableogain).  La  glose  en  fait  un  quatrième  degré 
{cin  linbleogain  is  sia)  «  crime  du  parent  le  plus  éloigné  »,  mais  il  y  a 
îà  une  faute  dinterprétaMon.  Le  parent  le  plus  éloigné  est  le  dix-sep- 
fième  homme.  Cf.  d'.\rbois  de  Jubainville,  op.  cit.,  p.  23  s.  Cf.  ibid., 
p.  9  et  13  et  Senchus  Môr  cité  en  note  :  un  délai  de  dix  jours  s'écoule 
entre  le  commandement  et  la  saisie  lorsqu'elle  vise  le  bien  des  «  dix-sept 
hommes  ».  Il  est  de  trois  jours  seulement,  lorsqu'on  saisit  un  membre 
de  la  muinler,  c'est-à-dire,  de  la  famille  restreinte  de  l'insolvable. 

2.  Senchus  Môr.  I,  p.  200  et  glose  p.  202.  Le  texte  prévoit  l'éventualité 
d'un  partage  des  terrains  désertiques  et  montagneux  qui  sont  la  pro- 
priété collective  de  la  fine. 

3.  Cf.  plus  loin,  p.  246.  —  Senchus  Môr,  III,  p.  16  :  car  caite  corus 
feine?  Comaitcesa  (labourage  en  cemmun  des  cohéritiers). 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    LIRLANUE  243 

anciens  textes  juridiques  une  tendance  marquée  à  favoriser 
la  possession  individuelle  du  sol.  Cependant  les  droits 
éminenls  de  la  fine  subsistent.  On  ne  peut  vendre  sa  terre 
ni  la  léguer  sans  l'autorisation  de  la  fine  \ 

Les  cadres  de    la  famille   sont  immuables.  C'est  un 

GROUPE    analogue    AUX    a    MAISONS    »    SEIGNEURIALES    DE    LA 

FÉODALITÉ.  —  La  dévolution  des  biens  se  fait  à  parts  égales 
entre  les  membres  delà  même  branche  familiale^. 

Dans  le  cas  où  une  branche  de  la  fine  s'éteint,  les  trois 
autres  héritent  de  son  bien  dans  la  proportion  où  elles  se 
rapprochent  de  la  branche  éteinte.  Ainsi,  lorsqu'une  gelfine 
s'éteint,  sa  derbfine  prend  les  trois  quarts  de  son  bien,  sa 
iarfiine  trois  seizièmes  et  son  indfine  le  reste. 

Jusqu'ici  tout  est  clair.  Mais  les  textes  prévoient  d'autres 
éventualités  qui  ne  peuvent  être  exphquées  aussi  aisément. 

Ils  disent  que  si  c'est  la  derbfine  qui  est  éteinte,  les  trois 
quarts  de  sa  succession  iront  à  la  gelfine,  trois  seizièmes 
à  la  iarfine  et  un  seizième  à  Y  indfine.  La  iarfine  laisse 
trois  quarts  de  son  bien  à  la  derbfine,  trois  seizièmes  à  la 
gelfine  et  un  seizième  à  Y  indfine.  L'héritière  principale  de 
Yindfine  est  la  iarfine,  puis  vient  la  derbfine  et  enfin  la 
gelfine,  toujours  dans  la  môme  proportion  ^. 

Que  sifçnifient  donc  ces  règles?  Si  les  quatre  branches 
de  la  famille  n'étaient  que  des  catégories  de  parenté  par 

1.  Senchus  Môr,  III,  p.  '62  :  ni  udbair  nech  seilb  achl  mad  ni  do  ruaicle 
fadesin,  achl  mad  a  comcetfaig  a  fine,  ocus  foracba  a  cuit  tire  la  fine  a 
comdilse  daraeise.  «  Personne  ne  donne  une  propriété,  s'il  ne  l'a  aclietée 
lui-même,  sauf  du  consentement  de  la  fine,  et  il  doit  laisser  sa  part  de  terre 
à  sa  fine  en  copropriété  après  lui  ».  —  Cf.  glose  t'A. .-  foracba.  i.ocuscora 
facba  a  catruma  ac  in  fine  a  cumad  dilsi  dar  éis  in  fearaind  tue  amach 
«  (il  doit)  laisser,  c'est-à-dire,  il  faut  qu'il  laisse  un  lot  équivalent  à  la 
fine,  et  que  la  terre  qu'il  a  donnée  revienne  ».  —  Cf.  Senchus  Môr,  II, 
p.  282, 1.  7  ss.  ;  III,  p.  501  :  défense  de  grever  la  terre  dont  on  a  hérité. 

2.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  op.  cit  ,  p.  47  s. 

3.  Jbid.  p.  30  ss.  Cf.  le  cas  où  deux  branches  de  la  fine  sont  éteintes. 


244  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

rapport  à  un  des  membres  de  la  fine,  comme  nous  l'avons 
envisagé  jusqu'ici,  les  règles  énoncées  n'auraient  aucun 
sens*.  Une  branche  de  la  famille  ne  peut  être  collatérale  en 
soi,  être  derbfine  ou  ia7'/ine  par  elle-même  —  à  moins  que 
la  /?/ie  ne  soit  pas  seulement  une  famille  dans  l'acception 
générale  du  mot,  mais  une  maison^  dans  le  sens  qui  est 
entendu  lorsqu'on  parle  d'une  maison  régnante  d'aujour- 
d'hui. 

Il  faut  donc  supposer  que,  tout  comme  dans  celles-ci,  il 
n'y  a  dans  chaque  fine  qu'une  seule  hgne  directe,  la 
gelfine,  et  des  branches  collatérales  de  plus  en  plus  éloi- 
gnées, \aderbfine,  la  iarfine  et  Vindfine.  Les  branches  qui 
se  sont  détachées  de  la  ligne  directe  plus  anciennement  que 
Vindfine  ne  font  plus  partie  de  la  maison  et  n'ont  plus 
aucun  droit  à  sa  propriété.  La  fine  est  une  famille  d'agnats 
qui  s'organise  par  rapport  à  une  branche  principale. 

Dans  cette  h^-pothèse  le  sujet  du  droit  familial  qu'on 
vient  d'étudier  n'est  donc  pas  l'individu  dans  ses  rapports 
avec  d'autres  individus.  La  personne  juridique  est  la  fine 
elle-même,  qui  est  conçue  comme  un  groupe  constitué  en 
cadres  immuables,  dans  lesquels  les  individus  changent  de 
position  suivant  la  génération  à  laquelle  ils  appartiennent. 

La  famille  est  un  groupe  local.  C'est  un  village. 
—  Le  fait  est  que  de  même  que  les  branches  d'une  maison 
féodale  se  succèdent  dans  les  fiefs  définis,  les  divisions  de 
la  fine  représentent  Tordre  dans  lequel  les  consanguins 
accèdent  à  la  jouissance  de  parcelles  territoriales  délimitées 
une  fois  pour  toutes. 

C'est  ce  qui  ressort  du  traité  de  droit  intitulé  Bech-bretha, 


1.  C'est-à-dire,  si  l'on  admettait,  ainsi  que  le  fait  d'Arbois  de  Jubain- 
ville,  p.  23,  que  les  membres  delà  gelfine  sonl  une  derbfine  par  rapport 
à  un  membre  de  celle-ci.  Cf.  aussi /l«e.  Laits,  IV,  p.  242. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  245 

«jugements  sur  abeilles  ».  Il  s'agit  de  savoir  à  qui  appar- 
tiendra un  essaim  d'abeilles  qui  se  pose  sur  les  bords  dun 
cours  d'eau.  Voici  la  réponse:  s'il  se  pose  sur  les  bords  de 
la  source,  c'est  la  gelfine  qui  le  prendra  ;  si  c'est  sur  le 
canal  d'amont,  il  appartiendra  à  la  derb/ïne  ;  sur  les  bords 
du  bassin,  ù  la  iarfine,  et  sur  les  bords  du  canal  d'aval  à 
ïind/ineK 

Il  est  vrai  qu'il  s'agit  ici  d'un  cas  un  peu  spécial.  Le 
cours  d'eau  dont  parle  notre  texte  paraît  bien  actionner  un 
moulin,  c'est-à-dire  une  propriété  qu'il  est  impossible  de 
partager  et  qui  devient  généralement  l'objet  de  droits  sei- 
gneuriaux. Mais  la  propriété  foncière  proprement  dite  est 
elle  aussi  organisée  suivant  les  mêmes  principes. 

Considérons  les  divisions  du  sol  en  Irlande.  Les  cartes 
de  VOrdnance  Swvey  démontrent  que  toutes  les  terres  cul- 
tivées de  l'île  sont  réparties  entre  baile,  ou  hameaux.  Le  sol 
de  chaque  baile  est  divisé  en  quatre  parties  égales  de  trois 
cent  soixante  ou  de  trois  cent  vingt  acres  anglais  chacune. 
Comme  cette  division  n'a  aucune  raison  d'ôtre  dans  les 
conditions  économiques  ni  juridiques  actuelles,  il  convient 
de  la  tenir  pour  une  survivance  ancienne.  En  effet,  on  en 
retrouve  la  trace  aussi  loin  que  les  documents  permettent 
de  remonter,  c'est-à-dire,  dès  le  xv''  siècle. 

Chaque  quart  de  baile  porte  un  nom  différent. 

Il  comprenait  autrefois  quatre  maisonnées  de  paysans. 
Il  y  avait  donc  seize  maisonnées  dans  le  baile  -. 

On  remarque  tout  de  suite  que  le  nombre  de  ces  maison- 
nées et  leur  répartition  correspond  exactement  au  nombre 

1.  Ancient  Laws,  IV.  p.  168,  1.  9  s.,  commentaire  :  Gelfine,  t.  in 
tobor.  Derbfine,  i.  in  dire  6  lobur  gii  lind.  Iarfine  in  lind.  Indfine  ô  lind 
sis. 

2.  Ce  que  nous  disons  ici  est  le  résumé  des  résultats  du  travail  de 
Meitzen,  Arjrarwesen  und  Siedelung  der  Germanen,  1,  p.  175  ss.  —  Cf. 
l'atlas  annexé  à  ce  livre,  cartes  23  et  ss. 


246  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

des  catégories  de  parenls  dans  la  fine  enlicrc  et  dans  cha- 
cune de  ses  subdivisions,  en  comptant  quatre  générations 
seulement  pour  la  gelfine  comme  pour  les  autres  branches 
de  la  famille.  D'ailleurs,  s'il  y  a  jamais  eu  des  gelfine  de 
cinq  générations,  la  plus  jeune  ne  pouvait  comprendre  que 
des  enfants  en  bas-ùge,  qui  ne  comptaient  pas  au  point  de 
vue  économique  et  qui  ne  pouvaient  occuper  de  maisons 
particulières. 

D'autre  part,  les  textes  juridiques  posent  comme  prin- 
cipe que  les  cohéritiers  ont  une  «  maison  commune  »V  Ils 
ont  «  un  seul  lit  »,  dit  le  Senchus  Môr'. 

Ainsi  les  subdivisions  de  la  fine  paraissent  correspondre  à 
une  division  immuable  du  sol.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  — 
tous  les  documents  topographiques  irlandais  en  font  foi  — 
c'est  que  les  fine  sont  réparties  sur  le  territoire  par  baiie 
ou  groupes  de  ôaile  voisins  et  que  chaque  ôaile  est  habité 
exclusivement  par  des  gens  qui  portent  tous  le  môme  nom 
et  qui  se  croient  issus  d'un  ancêtre  commun'.  On  con- 
cluera  donc  qu'en  Irlande  le  hameau,  le  baile  est  identique 
à  la  fine  propriétaire  du  sol. 

Si  l'on  confronte  ce  fait  avec  l'organisation  de  la  clien- 
tèle irlandaise  on  voit  que  c'est  la  fine  qui  en  est  la 
base. 

En  effet,  que  sont  donc  ces  fldithi  qui  constituent  la 
clientèle  du  roi?  Ce  sont  les  chefs  des  fine  propriétaires. 
Les  textes  juridiques  disent  que  pour  être  flàith  il  faut  gar- 
der intact  le  domaine  de  son  père  et  de  son  grand-père*,  et 

1.  Treb  coUchenn,  Senchus  Môr,  I,  p.  i30,  1.  32  et  p.  122.  1.  19. 

2.  Senchus  Môr,  I,  p.  126,  I.  4  :  im  comleptha  commitech  ;  cf.  ib., 
p.  142,  1.  20  —  Ane.  Laws,  IV,  p.  374,  1.  23,  fineclmr  cach  solebacli, 
«  chaque  membre  de  la  famille  est  un  compagnon  de  lit  ». 

3.  Cf.  pour  exemples  rénumération  des  fine  des  Hûi  Amalgadaet  des 
baile  qui  leur  appartiennent  dans  O'Donovan,  liy  Fiachrach  p.  148  ss. 

4.  Ane.  Laws,  IV,  p.  348  :  Aire  desa  (le  plus  bas  rang  des  fldithi).  i. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  247 

que  le  fldith  est  «  celui  qui  marche  à  la  tête  de  sa  famille 
et  parle  au  l'oi  '  » . 

D'autre  part  le  chef  de  la  fine  est  précisément  appelé  par 
les  textes  fldith  na  geil/ine'. 

La  fine  est  elle-même  organisée  en  clientèle  pareille  îi 
celle  qui  dans  la  ti'(a(h  a  le  roi  pour  patron.  De  môme  qu'à 
celui-ci  on  octroie  un  apanage,  un  bénéfice  est  alloué  par 
la  fine  à  son  chef.  Les  quatre  branches  de  la  famille  sont 
autant  de  catéf;'ories  de  tenanciers^  qui  vivent  sur  la  terre 
du  fldith.  Elles  lui  payent  une  rente  et  ont  droit  à  des  sub- 
sides de  sa  part*.  Il  en  est  donc  le  patron  par  le  fait  môme 

fer  conae  deis  n-athar  ocus  a  tsenalharamail  atcota  riam  ocus  do 
lairchid,  «  un  homme  qui  garde  le  patrimoine  de  son  père  et  de  son 
gfrand-père  et  qui  le  fait  grandir  d. 

1.  Ib.,  p.  346  ;  Aii-e  tuisi  (fldilh  de  haut  rang)  dofet  fine  comcenel  do  co 
rig,  ocus  a  roslabra  «  mène  les  familles  de  sa  race  au  roi  et  lui  parle  ». 

2.  Ane.  Laws  IV,  p.  62,  glose  :  ata  fine.  i.  flâilh  geilfine.  —  Senchus 
Môr,  II,  p.  280,  cenn  caick  {fine)  iar  n^uinib.  i.  curub  do  daine  na  fine 
iaruin  in  cach  is  ceand  flàit/i  na  geilfine. 

3.  Senchus  Môr,  III,  p.  16  :  comaitces  a  culture  en  commun  »  des  terres. 

4.  Un  texte  juridique  du  Ms.  du  XV  s.  Harleian,  3,  18  (Trinity  Collège, 
Dublin),  publ.  par  O'Curry  dans  Cn//i  Muighe  Léana,  app.  II,  p.  186  s. 
définit  les  droits  et  les  obligations  du  chef  de  famille  :  Cesc  hi  fvil  ni 
bralail  sinnsear  ar  comorbaib  ?  Fil  eigin  :  isé  conae  caire  ocus  dabach, 
ocus  escra  ;  ocus  ise  beris  lis  ocus  tige,  ocus  airlisi.  —  Cadiat  a  folaid- 
sium  fri  braitkrib  iarsin  '.'  Ésin  a  tech  arfedar  daim  righ,  ocus  espuic, 
ocus  suadh  ;  ocus  ise  is  bun  fine  fri  elud  dia  brailhrib  ;  ocus  is  a  liai 
ennce ;  ocus  is  do  dénum;  ocus  isé  is  feit/iem  fri  corus  fine  ima  imgabail 
neich  bes  nesum  ;  ocus  im  cungnum  im  gach  ocus  ;  ocus  ni  teil  fuilliud 
uad  isin  imluad  sin  for  braitkrib  :  Cotnaithces  do  càcfi  fri  araile  iarom 
0  thà  sin.  —  «  Le  frère  atné  a-t-il  une  part  plus  grande  que  ses 
cohéritiers?  Il  en  est  ainsi  :  c'est  lui  qui  prend  les  marmites  et  les 
chaudrons  et  les  pots;  cl  c'est  lui  qui  prend  le  clos  et  la  maison  et  les 
outils.  —  Quel  bénéfice  en  ont  ses  frères  en  retour  ?  Il  entretient  une 
maison  d'hospitalité  pour  un  roi,  un  évoque  ou  un  savant  (qui  vien- 
draient à  passer)  ;  et  c'est  lui  qui  se  porte  garant  de  la  fine  pour  les 
fautes  de  ses  frères;  et  il  est  (le  garant)  de  leur  honneur;  et  il  (s'oc- 
cupe) de  leurs  procès;  et  il  est  le  gardien  des  contrats  de  la  famille 
afin  qu'aucun  voisin  ne  la  pille  (litt.  «  ne  l'envahisse  »)  ;  et  c'est  lui 
qui  leur  prête  aide  en  toute  occurence  ;  et  il  ne  reçoit  rien  de  plus  de 
ses  frères  pour  ces  services.  Ils  sont  tous  des  cotenanciers.  »  —  Le 
droit  d'ainessc  qui  apparatt  dans  ce  texte  reste  une  modification  de 
l'ancien  droit  de  lanaisteach.  Le  fils  aîné  a  pris  la  place  du  tanaisle  élu. 
C'est  la  conséquence  de  révolution  du  droit  irlandais  au  Moyen  Age. 


2i8  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

qu'il  est  chef  de  famille.  Pareillement  le  roi  est  le  patron 
des  fîàithi  qui,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  sont  issus  de  la  môme 
souche  que  lui*. 

Famille  ettûath.  L'une  procède-t-elle  de  l'autre?  — 
Il  y  a  donc  lieu  de  se  demander  si  la  tûath  n'est  pas  une 
fine  élargie,  ou  bien  si  elle  n'est  pas  composée  de  ^/le  jux- 
taposées. 

Ce  n'est  ni  Tun  ni  l'autre.  La  tûath  est  un  groupe  dont 
l'existence  est  absolue  et  qui  se  subdivise  rigoureusement 
par  rapport  à  lui-môme.  Là  fine  est  une  subdivision  numé- 
rique de  la  tûath. 

La  famille  est  une  subdivision  numérique  de  la  tûath. 

—  La  population  de  la  tûath  est  répartie  en  groupes  de 
parenté  plus  étroite  dont  le  nombre  est  fixé  par  des  combi- 
naisons variables  des  chiffres  deux,  trois  et  cinq. 

Ainsi  une  tûath  des  Hùi  Maine,  les  Soghan,  comprend 
six  subdivisions  dont  chacune  a  un  nom  patronymique  dif- 
férent". Les  Erna  de  Meath  sont  répartis  en  vingt-quatre 
forsloi?ite,  «  dénominations  »,  qui  sont  groupées  deux  par 
deux  en  douze  aicme  «  souches''  ». 

—  Quant  à  raffirmation  du  texte  que  le  chef  ne  reçoit  rien  pour  ses 
services  elle  est  exacte  dans  son  sens  littéral.  Mais  il  reçoit  des  rentes 
pour  le  bétail  qu'il  loue  à  ses  frères.  Cf.  plus  haut. 

1.  Cf.  Geinealach  Corca-Laidhe,  éd.  O'Donovan,  p.  28  :  Ile  and-so  cei- 
thri  primlhellaigki  Dartraigi  ocus  Calraidhi.  i.  Meg  Fhlandchaidh  a 
righa,  acus  Meic  Crundluachra  a  d-taisich,  acus  Tellach  Curnain  a  b- 
filidfi,  h-Ui  Find  a  m-brughadha.  «  Voici  les  quatre  lignées  principales 
des  Dartraige  et  Calraide  :  les  Mac  Fhlandchaidh  sont  leurs  rois,  les 
Mac  Crunnluachra  leurs  chefs, les  Tellach  Curnain  leurs  poètes,  les  Hùi 
Find  leurs  fermiers.  »  La  division  de  la  tûalh  en  quatre  branches  hié- 
rarchisées ressemble  bien  à  celle  de  la  fine. 

2.  Cinel  Rechta,  Cinel  Luchla,  Cinel  Domaingen,  Cinel  Trena,  Cinel 
Fergna,  Cinel  Geighil.  —  0'  Donovan,  IJy  Many,  p.  70. 

3.  Livre  de  Leinster,  cité  dans  Windisch,  Tàin  Bô  Cûalnge,  p.  832, 
note  3  :  da  primacmi  déc  do  Ernaib  ocus  celhri  forsloinle  fichet.  i.  dà 
forslonnud  cach  aicme. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    l'iRLANDE  249 

Théoriquement  toute  tàath  est  divisée  en  trente  «  cen- 
taines »,  tricha  CL't\ 

Une  glose  au  traité  de  droit  intitulé  Uraicech  Becc 
explique  les  mots  ri  aentuaithe  «  roi  d'une  seule  tùath  » 
par  «  celui  qui  a  une  tricha  cet  de  terre'  ».  Tricha  cet 
désigne  donc  ici  l'étendue  territoriale  de  la  tuath.  Mais 
dans  les  textes  épiques,  par  exemple  dans  la  Tàin  Bô 
Cùalnge,  on  appelle  ainsi  la  troupe  armée  qui  entoure 
chaque  roi'. 

Or,  dans  son  sens  territorial,  la  tricha  cet  équivaut  à 
trente  baile^  ou  territoires  suffisants  pour  entretenir  trois 
cents  bêtes  à  cornes  chacun.  Le  baile  comprend  quatre 
sesrech,  ou  bien,  suivant  une  autre  source,  quatre  cetramad 
ou  «  quarts  »,  de  trois  sesrech  chacun*.  Si  l'on  considère 
que  le  sesrech  comptait  cent  vingt  acres  irlandais,  dont  la 
grandeur  oscillait  entre  deux  et  trois  acres  anglais  actuels', 

1.  Comp.  la  division  en  centuries  à  Rome.  —  A  Athènes  chaque 
phratrie  compte  trente  y^'^^i*'-  Pierre  Paris  et  G.  Roques,  Lexique  des 
Antiquités  grecques,  Paris,  19Û'J. 

2.  Ane.  Laws,  V,  p.  oO. 

3.  Les  Conalli  Muirlhemni  forment  une  tricha  cet.  :  Tdin,  p.  823.  Les 
Galiôin  sont  une  autre  tricha  cet,  ibid.  ;  or  ils  sont  une  tùath  :  Dinn- 
senchas  de  Rennes,  Rev.  Celtique,  XV,  p.  299.  —  Cf.  Idin  Bô  Cùalnge, 
passim.  —  Il  ne  s'agit  pas  ici  du  nombre  des  guerriers,  mais  dune 
expression  conventionnelle  pour  désigner  l'armée  d'une  tùath.  En  effet 
celle-ci  ne  comptait  normalement  que  sept  cents  guerriers:  ri  aen- 
tuaithe, sechl  cet  laech  lais,  —  Uraicech  Becc  (texte),  toc.  cit.  «  roi  d'une 
seule  tùath,  se|)t  cents  guerriers  il  a  ». 

4.  Poème  publié  par  O'Curry,  Cath  Muighe  Léana,  p.  106  ss.  note.  Cf. 
Keatiiig.  Histoire,  ch.  m,  section  I.  O'Donovan.  Hy  Fiachrach  p.  149. 
On  comptait  en  tout  cent  quatre-vingt-quatre  tricha  cet  dans  toute  l'Ir- 
lande, dont  di.x-huit  en  Meath,  trente  en  Connaught.  trente-cinq  en 
Ulster,  autant  en  Desmond  et  Thomond,  trente  et  une  en  Leinster  (Kea- 
ting,  p.  287  s.).  Giraldus  Cambrcnsis,  Topogr.  Hibernica,  ill,  5  nomme 
les  tricha  cet,  «  cantaredi  »  et  dit  qu'il  y  en  avait  cent  soixante-seize  en 
Irlande.  Après  la  conquête  normande  la  tricha  cet  resta  l'unité  territo- 
riale. Les  donations  du  roi  Jean  à  ses  chevaliers  sont  toujours  des 
cantaredi  ou  des  di^mi-cantaredi.  Or  ces  territoires  ont  des  noms  patro- 
nymiques. Cf.  Calendar  of  State  Papers,  Charter  Rolls.  King  John,  I, 
passitn.  s.  a.  1199. 

5.  Cf.  Mcitzen.  lac.  cit.  et  p.  188,  cf.  p.  184  et  passim.  Sur  les  dimen- 
sions de  l'acre  irlandais  :  Joyce,  Social  Uistory,  II,  p.  372  s. 


250  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉ[U>S 

on  conclura  que  le  sesrech  équivalait  au  domaine  occupé 
par  une  des  quatre  branches  de  la  fine,  et  qu'ainsi  chaque 
tûath  comprenait  théoriquement  trente  fine  propriétaires 
du  sol. 

Que  signifient  ces  chiffres  ?  Précisément  ceci,  que  les 
divisions  de  la  tûath  résultent  du  subdivisionnement  ré- 
guHer  d'une  unité  primaire  et  que  la  tûath  subdivisée  n'est 
pas  le  produit  de  l'agrégation  d'unités  primaires. 

Familles  propriétaires  et  familles  clientes.  —  Mais, 
demandera-t-on,  que  deviennent  dans  ce  système  les 
branches  des  fine  qui  ont  fini  par  s'en  détacher  après 
s'être  progressivement  éloignées  de  la  branche  princi- 
pales }  Ne  peuvent-elles  point  donner  naissance  à  des  fine 
nouvelles  ? 

Oui  certes.  Seulement  celles-ci  vivent  sur  les  terres  déjà 
déUmitées,  Les  textes  juridiques  nous  révèlent  l'existcnco, 
à  côté  des  flàithi  et  de  leurs  familles  d'une  très  nom- 
breuse plèbe,  dont  le  rang  social  est  précisément  déter- 
miné par  le  fait  que  ses  membres  n'ont  hérité  d'aucun 
domaine  de  famille.  Les  terres  sur  lesquelles  ils  vivent  sont 
les  terres  des  autres.  Ils  s'y  établissent  en  qualité  de  tenan- 
ciers libres,  saer^  s'ils  ont  de  la  fortune,  ou  bien  comme 
serfs,  daer,  s'ils  sont  pauvres,  et  dans  la  plupart  des  cas 
ils  transmettent  leur  lenure  à  leurs  héritiers.  Ainsi  la  nais- 
sance de  fine  nouvelles  aboutit  à  la  formation  d'une  nou- 
velle catégorie  de  clientèle,  sans  que  la  division  territo- 
riale de  la  tûath  s'en  ressente. 

Pas  plus  d'ailleurs  que  sa  division  en  sous-groupes.  En 
effet,  la  plèbe  est  entièrement  répartie  entre  les  clientèles 
des  divers  fiait  hi  et  du  roi.  Ils  en  sont  les  patrons  dans  le 
sens  qu'avait  ce  mot  chez  les  Romains,  c'est-à-dire  qu'il 
s'établit  entre  eux  et  leur  tenanciers  un  véritable  lien  de 


LA    CONSTITUTION    SOCIA.LK    DH    L  IRLANDE  231 

parenté.  Le  fldith  irlandais  est  responsable  des  crimes  et 
délits  de  ses  tenanciers  \  Il  témoigne  en  leur  nom  en  jus- 
tice. Il  peut  annuler  tout  contrat  fait  par  un  d'eux  tout 
comme  le  chef  do  famille  le  peut  en  ce  qui  concerne  les 
contrats  faits  par  un  de  ses  enfants.  C'est  si  bien  un  lien 
de  parenté  que  les  tenanciers  irlandais  portent  même  le 
môme  nom  que  leur  fldith. 

La  tû.ath  est  un  cl.vn  local  et  polymorphe.  —  En 
résumé,  si  l'on  se  demande  ce  qu'est  la  tûath  on  voit  que 
son  org'anisation  est  celle  d'un  claii.  Eu  effet,  c'est  un 
groupe  fondé  sur  la  parenté  juridique  de  ses  membres, 
parenté  qui  se  traduit  dans  leur  nom  commun,  et  sur  la 
propriété  éminento  d'un  territoire,  dont  des  sous-groupes 
locaux,  qui  sont  répartis  suivant  un  principe  numérique, 
sont  les  possesseurs  immédiats. 

Sans  doute,  celte  organisation  ne  subsistait  plus  qu'en 
théorie  au  temps  même  où  furent  rédigés  les  plus  anciens 
documents  qui  parlent  de  la  division  de  la  tûath.  Aucun  de 
ceux-ci  n'est  de  beaucoup  antérieur  au  xii°  siècle.  Or  ce 
que  les  documents  historiques  nous  montrent  déjà  au 
xiii"  siècle  sous  le  nom  de  tûath,  n'est  plus  rien  qu'une 
hiérarchie  de  fine  clientes  les  unes  des  autres  et  habitant  le 
même  territoire  et  régies  par  un  chef  qui  est  le  patron 
suprême.  On  peut  dire  que  la  fine  a  absorbé  la  tûath. 

Mais  la  succession  d'un  état  de  choses  pareil  à  celui  que 
nous  avons  décrit  n'a  rien  pour  étonner.  La  tûath  portait 
en  elle-même  le  germe  de  l'évolution  qui  devait  tôt  ou  tard 


1.  Senchus  Môr,  I,  p.  260  :  cetheora  selha  bit  for  cach  adgair  ocus 
adgairter  ;  selb  fini  nthardai,  ocus  selb  flalha,  ocus  selb  Ecalsa,  ocus 
selb  mait/trai  no  selb  altrama.  «  Quatre  catoRories  de  parents  (qui 
répondent  do)  chacun  qui  est  |)oursuivi  et  qui  poursuit  ;  les  parents  de 
la  famille  du  père,  et  les  parents  du  ftâitfi,  et  les  parents  ecclésias- 
tiques et  les  parents  de  la  mère  ou  d'adoption.  » 


252  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

briser  son  armature  rigide.  Ce  germe  était  son  organisation 
en  clientèle.  Les  bouleversements  politiques  et  les  ambi- 
tions des  fine  puissantes  et  riches  ont  fait  le  reste.  Le  fait 
est  que  la  loi  ouvre  largement  la  porte  à  ces  ambitions.  Elle 
autorise  l'aliénation  des  terres  héréditaires  sous  la  réserve 
que  les  membres  de  la  fine  y  consentent  ;  elle  reconnaît  le 
titre  et  les  privilèges  d'un  /Idith  au  plébéien  dont  le  grand- 
père  a  acheté  une  terre  ;  elle  fait  du  domaine,  qu'un  fonc- 
tionnaire ou  un  artisan  a  reçu  en  récompense  de  ses  ser- 
vices, le  domaine  héréditaire  de  sa  fine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  avant  tout  tenir  compte  du  fait 
même  qu'une  théorie  de  la  division  numérique  de  la  tùath 
a  pu  être  formulée,  et  que,  de  plus,  elle  a  été  universelle- 
ment admise  au  xii"  siècle.  Ce  n'est  pas  là  une  de  ces 
théories  qui  sont  créées  de  toutes  pièces  par  un  scribe  en 
mal  d'imagination.  Certes,  l'application  universelle  du 
chiffre  trente  à  la  division  de  toutes  les  tùatha  doit  en  être 
rejetée  en  raison  de  son  universalité  même.  Il  n'en  reste 
pas  moins  vrai,  que  si  les  lettrés  du  xf  siècle  posent  en 
principe  que  la  tùath  est  divisée  suivant  une  conception 
numérique,  c'est  que  ce  principe  a  été  réellement  observé 
à  un  moment  donné,  et  qu'il  leur  était  connu  par  la  tradi- 
tion. Les  exemples  cités  des  Soghan  et  des  Erna  sont 
d'ailleurs  là  pour  confirmer  cette  opinion. 

Groupes  plus  étendus  que  la  tùath.  Tribu,  fédération, 
PROVINCE,  NATION.  —  Le  même  principe  qui  est  à  la  base 
du  groupement  des  fne  en  tùatha  détermine  le  caractère 
des  organisations  plus  étendues. 

Ce  sont  d'abord  la  môr-tùath  ou  «  grande  tùath  », 
la  province  et  enfin  le  royaume  d'Irlande  \ 

1.  Hiérarchie  des  rois  :  Crilh  Gablach  dans  Ane.  Laws,  IV,  p.  344  s. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  253 

Il  s'agit  toujours  ou  bien  de  la  division  d'une  ancienne 
tûath  unique  en  tribu  de  plusieurs  tùatha,  ou  bien  d'une 
agrégation  des  groupes  en  question  dans  la  forme  juri- 
dique donnée.  Dans  le  premier  cas,  la  notion  de  la  parenté 
qui  unit  les  membres  de  la  tribu  reste  consciente.  Elle  s'ex- 
prime dans  un  nom  genlilice  propre  à  la  tribu  ^,  comme 
Hiii  Fiachrach,  Hiii  Maine,  Osraighi.  Et,  qu'il  s'agisse  de 
tùatha  issues  d'une  môme  souche  ou  de  tùatha  agrégées, 
c'est  toujours  l'organisation  du  clan  qui  est  prise  pour 
modèle.  Les  tùatha  sont  hiérarchisées  en  une  tùath  patro- 
nale et  des  tùatha  clientes.  Le  roi  de  la  tribu  ou  de  l'agré- 
gation donne  des  subsides  au.\  rois  subordonnés  qui  jouent 
ainsi  envers  lui  le  rùle  àa  /làilhi'.  Grâce  au.\  mariages, 
les  familles  royales  finissent  par  être  réellement  parentes, 
comme  les  flàilhi  le  sont  des  rois. 

Le  système  de  la  division  numérique  qu'on  trouve  dans 
la  tùath  est  appliqué  au.\  provinces  et  aux  royaumes.  En 
théorie  chaque  roi  d'une  môr-tùath  règne  sur  trois  tùatha^ 
dont  la  sienne  propre.  Chaque  province  compte  cinq  môr- 
tùatha.  Enfin  le  roi  d'Irlande  est  le  suzerain  de  cinq  pro- 
vinces '. 

L'Irlande  entière  a  l'aspect  dune  immense  tribu  hiérar- 
chisée dont  la  tùath  est  l'élément  constitutif. 

Autres  formes  de  la  parenté.  —  Le  tableau  qu'on  vient 
de  tracer  de  l'organisation  genlilice  et  familiale  irlandaise 
serait  cependant  incomplet  si  l'on  n'y  ajoutait  pas  l'élude 
des  autres  formes  de  la  parenté. 

1.  Cf.  les  traités  généalogiques  cités,  publiés  par  O'Donovan. 

2.  Les  rai)ports  des  rois  entre  eux,  des  tùatha  chefs  (saer-clanda, 
saer  tùatlia)  avec  les  lûal/ia  vassales  (daer  tùatha),  font  l'objet  du 
Book  of  Rights  publie  par  O'Uonovan, 

3.  Crith  Gablach,  loc.  cit.,  p.  346,  Traité  delà  Succession  dans  Ancient 
Laws,  IV,  p.  380. 


254  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

L'une  de  ces  formes  est  la  parenté  utérine.  Nous  en 
trouvons  encore  une  autre  —  la  parenté  d'adoption. 

La  parenté  utérine.  Elle  n'est  pas  reconnue  par  le 
PLUS  ancien  droit  écrit.  —  Dans  les  recueils  de  droit  la 
parenté  en  ligne  maternelle  n'apparaît  que  dans  des  pas- 
sages relativement  récents. 

Il  y  est  dit  que  la  famille  de  la  mère  a  l'obligation  de 
venger  l'enfant  et  qu'elle  est  responsable  des  crimes  com- 
mis par  lui'.  Ce  sont  là  des  obligations  qui  sont  en  con- 
tradiction flagrante  avec  l'ensemble  du  droit  irlandais  qui 
accorde  aux  seuls  agnats  une  part  à  la  succession  familiale. 
Il  s'agit  donc  ici  certainement  d'une  innovation  tardive,  et 
encore  faut-il  sans  doute  y  voir  un  cas  exceptionnel,  celui 
où  la  famille  agnatique  est  éteinte  ou  bien  est  insolvable. 

Mais  il  existe  en  Irlande  des  traces  d'un  état  de  choses 
plus  ancien,  dans  lequel  la  parenté  utérine  jouait  un  rôle 
décisif  dans  la  succession  delà  tûath^  sinon  de  la  fine. 

Les  légendes  épiques  nous  montrent  des  cognats  se  prê- 
tant appui  dans  les  guerres,  même  contre  des  agnats.  Ainsi 
Ere,  fils  du  roi  suprême  Coirpre  Niafer  se  joint  à  l'armée 
de  son  grand-père  maternel  Conchobar,  bien  que  les  Ulates 
soient  les  ennemis  de  son  père,  et  que  celui-ci  ait  même 
été  tué  par  leur  héros  Ciichulainn.  Ere  en  est  quitte  pour 
venger  ce  meurtre  plus  tard^  Dans  le  cycle  épique  de 
Finn,  un  prétendant  au  trône  de  Munster,  Lugaidh  Mac 
Con,  trouve  appui  auprès  de  son  grand-père  maternel,  le 
roi  suprême  Conn  Cetcathach,  et  auprès  de  Finn,  auquel  il 
est  également  apparenté  par  sa  mère^. 

1.  Sencfius  Mnr  I,  p.  192  :  athgabail  lobiiir  ecuind  co  ro  gleitir  maithre 
ocux  ailhre  dus  céda  no  do  gella.  Cf.  plus  haut. 

2.  Tàin  Bu  Cùalnge,  et    Cùchulainn's  Dealh  dans  Revue  Celtique, 
III,  p.  170  ss. 

3.  Cath  Maighe  Léana,  p.  xii. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  255 

Certains  rois  sont  les  successeurs  non  pas  de  leurs  pères, 
mais  de  leurs  grand-pères  maternels.  Il  en  est  ainsi  préci- 
sément de  Lugaidli  Riab  derg.  De  même,  Lugaidh  Mac 
Con  fait  valoir  ses  droits  à  la  succession  de  Conn  Cetca- 
Ihach,  bien  que  celui-ci  ail  laissé  un  fils.  Lugaidh  le 
détrône  et  il  est  reconnu  comme  roi  légitime'. 

Le  fait  qui  est  peut-être  le  plus  démonstratif  nous  est 
fourni  par  l'histoire  légendaire  du  Munster.  Deux  dynasties 
royales,  les  Clanna  Derghtine  et  les  Clanna  Dairenne,  se 
marient  entre  elles  et  alternent  au  pouvoir  à  chaque  géné- 
ration*. C'est  là  un  système  de  succession  qu'on  retrouve 
tel  quel  dans  les  sociétés  à  filiation  utérine.  Les  membres 
de  deu.x  clans  qui  appartiennent  à  deux  phratries  se  marient 
toujours  les  uns  avec  les  autres  et,  comme  les  enfants 
appartiennent  au  clan  de  leur  mère  et  habitent  dans  celui 
de  leur  père,  les  clans  alternent  dans  leurs  territoires  à 
chaque  génération. 

On  voit  donc  que  pour  se  former  une  idée  complète  des 
rapports  de  parenté  en  Irlande  il  faut  tenir  compte  de  la 
parenté  utérine. 

La  société  IRLAND.AISE  A  ÉTÉ  FONDÉE  SUR  LA  PARENTÉ 
UTÉRINE  AVANT  DE  PASSER  AU  SYSTÈME  DE  PARENTÉ  AGN.ATIQUE. 

—  Mais  quelle  est  donc  sa  place  par  rapport  à  la  parenté 
agnatique  dans  le  système  général  des  représentations 
irlandaises  de  la  parenté  ?  Faut-il  y  voir  une  forme  secon- 
daire, quelque  chose  comme  une  parenté  surajoutée  à  la 
parenté  agnatique  .^ 

Sans  doute,  la  cognation  apparaît  avec  ce  caractère  dans 


1.  Calh  Muirjhe  Léana,   Introd.  et  App.  I:  table  généalogique  VI, 
p.  Wi. 

i.  La  question  est  étudiée  en  détail  avec  textes  à  l'appui  par  OCurry, 
Calh  Muighe  Léana,  Introd.  et  Appendices. 


256  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

le  droit  irlandais.  Mais  sa  reconnaissance  y  est  un  fait  tar- 
dif, dû  à  rinfluence  des  idées  chrétiennes,  et  encore  la  place 
que  ce  droit  lui  accorde  est-elle  si  restreinte,  qu'on  peut 
dire  que  l'idée  de  cognation  y  est  tolérée  plutôt  qu'admise. 
Or,  les  faits  qu'on  vient  de  citer  nous  font  entrevoir  un 
droit  dans  lequel  la  filiation  en  ligne  maternelle  était  consi- 
dérée comme  régulière,  parallèle  à  la  filiation  agnatique, 
sinon  exclusive  de  celle-ci.  Et  les  légendes  qui  nous  ont 
servi  de  sources  sont  entièrement  païennes. 

La  reconnaissance  de  la  parenté  en  ligne  utérine  est  donc 
un  fait  ancien  en  Irlande.  C'est  même  le  fait  le  plus  ancien, 
qui  a  précédé  la  reconnaissance  de  la  parenté  agnatique. 
En  effet,  c'est  le  système  de  filiation  utérine  qui  est  par- 
tout, où  on  en  relève  des  traces,  le  système  primitif. 

C'est  précisément  par  le  passage  du  système  de  filiation 
utérine  au  système  de  filiation  masculine  que  paraissent 
s'expliquer  les  particularités  qu'on  a  observées  dans 
l'organisation  de  la  tûath  et  de  la  fine. 

On  vient  de  voir  par  l'exemple  des  Clanna  Derghtine  et 
des  Clanna  Dairenne  qu'il  y  avait  en  Irlande  des  règles 
qui  ordonnaient  aux  membres  d'un  groupe  de  parenté  de 
prendre  femme  dans  un  autre  groupe  pareil  et  inversement. 

Nous  ne  savons  pas  ce  qu'étaient  au  juste  les  Clanna 
des  Derghtine  et  des  Dairenne.  Mais  le  groupement  des  fine 
deux  par  deux  chez  les  Erna  permet  de  supposer  que 
c'étaient  ces  groupes-ci  qui  avaient  entre  eux  le  cojiniibium. 
Or  les  subdivisions  de  la  fiiie  sont  en  nombre  pair  et  elles 
correspondent  précisément  à  des  générations.  Tous  ces 
faits  nous  font  penser  à  l'organisation  matrimoniale  des 
sociétés  où  domine  la  filiation  utérine  et  dont  l'élément 
primaire  est  un  groupe  qui  ressemble  au  clan  celtique. 

On  peut  considérer  désormais  comme  un  fait  acquis  que 
le  système  de  la  filiation  utérine  a  été  connu  dans  la  société 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  257 

irlandaise.  Par  là  môme  nous  avons  gagné  de  pouvoir  nous 
faire  une  idée  plus  comj)lèle  de  la  tûatli.  C'est  un  groupe 
qui  lient  ;\  la  fois  de  la  tribu  et  du  clan,  et  dont  le  système 
de  division  numérique,  ainsi  (jue  celui  de  ses  sous-groupes, 
est  le  résultat  du  passage  de  la  parenté  utérine  à  la  parenté 
masculine. 

La  parenté  ÉLECTIVE.  Comment  elle  s'établit.  —  La 
parenté  élective  s'établit  entre  l'enfant  et  ses  nourriciers. 

Les  enfants  ne  sont  pas  élevés  au  sein  de  leur  famille 
en  Irlande.  On  les  envoie  dès  leur  naissance  dans  une 
famille  étrangère,  où  il  restent  jusqu'à  leur  majorité.  Ce 
mode  d'éducation  est  une  institution.  On  la  nomme  altrain. 
C'est  le  fosterage. 

Valtram  a  pour  conséquence  de  donner  à  l'enfant  une 
famille  nouvelle,  encore  plus  étroitement  solidaire  que  sa 
famille  réelle. 

Les  pères  et  mères  nourriciers,  aite  et  nuiime,  et  le 
nourrisson,  dalla,  se  doivent  mutuellement  aide  et  protec- 
tion. Ils  sont  obligés  à  la  l'endetta.  Môme  lorsque  le  temps 
de  ïaltrani  était  Uni,  ces  obligations  persistaient  dans  toute 
leur  force.  Les  anciens  dalta  d'un  même  père  nourricier 
ne  peuvent  combattre  entre  eux.  Ils  doivent  entretenir 
leur  aite  tombé  dans  la  misère'. 

Giraldus  affirme  que  les  Irlandais  témoignaient  d'une 
tendresse  réelle  uniquement  à  leurs  frères  de  lait,  tandis 
qu'ils  n'en  ressentaient  aucune  envers  leurs  vrais  parents". 

1.  OCiirry,  Mann. and  Customs,  I,  p.  79s.  SeJichus Mot;  l,  p.  260  :  pas- 
sage cité.  Droits  et  obligations  mutuels  :  Senchus  Môr,  11,  p.  146, 
p.  358  ;  Ane,  Laws,  V,  p.  "J6  ;  A?ic.  Laivs,  IV,  p.  254  :  Digail  dalla  na  fine, 
o  vengeance  pour  le  i)upilie  de  la  famille  ». 

2.  Top.  Hibern.,  Ill,  c.  xxm  :  «  Va»  autem  fratribus  in  populo  bar- 
baro.  \x  et  cognatis.  Vivos  enim  ad  mortem  persequuntur  ;  mortuos 
et  abaliis  interemptos  ulciscunlur.  Solum  vero  alumniset  collactaneis. 
si  quid  habcnl  vel  amoris  vel  fidei  illud  habent  ».  Giraldus,  qui  n'aime 

CZARNOWSKI.  17 


258  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

L'usage  général  est  de  choisir  Yaite  dans  la  famille  de 
la  mère  '.  Ainsi  les  héritiers  présomptifs  des  Clanna  Dcrgh- 
linc  sont  élevés  par  les  Clann  Dairene".  A  une  époque 
plus  rapprochée,  Muircertach  mac  Erca  est  élevé  en  Ecosse 
chez  son  grand-père  matemeP. 

Mais  les  exceptions  à  cette  règle  sont  trop  nombreuses 
pour  qu'on  puisse  établir,  ce  qui  est  trop  tentant,  une  rela- 
tion entre  la  parenté  élective  et  la  parenté  utérine.  Au 
temps  qui  nous  occupe,  c'est-à-dire  à  l'époque  de  la  chris- 
tianisation  de  l'Irlande,  la  parenté  utérine  était  complète- 
ment tombée  en  désuétude,  tandis  que  Valtrain  continuait 
à  fleurir  et  qu'il  a  subsisté  jusqu'à  la  fin  du  Moyen  Age. 
C'est  une  institution  eulièrement  indépendante. 


pas  les  Irlandais,  est  emporté  trop  loin  par  son  zèle,  lorsqu'il  parle  de 
meurtres  et  de  crimes  entre  frères  et  parents.  Son  texte  sur  la  tendresse, 
qui  unit  les  pupilles  aux  maîtres  et  les  frères  de  lait  entre  eux,  n'en  est 
que  plus  probant.  Cette  tendresse  devait  être  bien  grande,  puisque 
Giraldus  lui-même  a  été  forcé  de  l'avouer.  —  Cf.  Cuchulainn's  Dealh, 
loc.  cit.,  p.  183:  Cùchulainn  et  Conall  Cernach,  deux  frères  de  lait,  se 
promettent  que  celui  des  deux  qui  survivrait  à  l'autre  vengerait 
sa  mort.  —  La  garde  du  corps  du  roi  Conn  Cetcathach  est  composée 
de  ses  cinquante  frères  de  lait.  Ils  protègent  Conn  contre  tout  dan- 
ger :  Cath  Muighe  Léana,  p.  86.  —  Le  lien  qui  unit  les  dalla  entre 
eux  se  rétrécit  encore  par  un  bloodcovenant  :  Tain  Bô  Cùalnge,  p.  591  : 
crô-cotaiç].  M.  "Windisch  traduit  Gehage  des  Bundes,  cf.  crô  «  enclo- 
sure,  fence  »,  ibid.  p.  5'JO,  n.  1.  —  Mais  cru,  crô,  signifie  aussi  «  sang  ». 
Nous  croyons  plutôt  qu'il  s'agit  ici  d'un  lien  établi  par  un  bloodcove- 
nant. En  effet,  il  existait  un  rite  qui  consistait  à  mêler  le  sang  de  deux 
personnes  pour  établir  entre  elles  un  lien  de  parenté  :cf.  Ttie  Death  of 
Muircertach  mac  Erca,  loc.  cit.  «  Gehage  des  Bundes  »  fait  double 
emploi. 

1.  Senchus  Môr,  I  p.  260  :  selb  mailhrai  no  selb  allrama  :  ro  bi  co 
comraicet  huile  for  oen  «  la  parenté  de  la  mère  ou  la  parenté  de 
Valtram  :  il  arrive  qu'elles  n'en  font  qu'une  seule  ». 

2.  Cath  Muighe  Léana,  p.  2  :  agas  as  uime  a  deirthaoi  Mogh  Nua- 
dhad  ris,  urrudh  d'urradhaibh  Mumhan  ro  oil  é,  eadhon  Niiadha  Dearg 
mac  Dairine,  «  et  la  raison  pour  laquelle  il  (Eoghan  Môr)  était  nommé 
Mogh  Nuadat  était  la  suivante  :  un  homme  libre  d'entre  les  hommes 
libres  du  Munster  l'a  élevé  :  ce  fut  Nuada  Derg,  fils  de  Dairine  ».  — 
Cf.  tables  généalogiques  annexées  à  Cath  Muighe  Léana. 

3.  The  Death  of  Muircertach  mac  Bfca,  toc  cit.,  g  27.  Cf.  aussi  Gei- 
nealach  Corca  Laidhe,  p.  40. 


I 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    l'iRLANDE  259 

Formes  du  culte  {jii  correspondent  a  l'organisation 

SOCIALE  IRLANDAISE.  CULTE  DE  l'aNCÉTRE  ET  SA  RÉINCAR- 
NATION   DANS   LE   ROI.    La    DIVINISATION   DES    RATARDS.   

Si  l'on  se  demande  maintenant  quelle  forme  doit  prendre 
le  culte  dans  une  société  ainsi  organisée  on  pense  d'abord 
au  totémisme. 

Mais  les  données  du  folk-lore  qui  pourraient  y  faire 
penser  sont  si  peu  consistantes,  que  rhypothèse  d'un  toté- 
misme irlandais  ne  peut  être  pris  en  considération'. 

En  tous  cas,  ce  ne  peut  être  qu'un  culte  d'ancêtres  et 
de  parents.  Nous  en  avons  déjà  égrené  les  preuves  dans 
les  chapitres  précédents,  en  montrant  comment  les  dieux 
irlandais  prenaient  figures  de  héros  et  avec  quelle  facilité 
de  la  foule  des  morts  les  héros  pouvaient  surgir.  Mais  pla- 
çons-nous au  point  de  vue  de  la  tûath  et  demandons-nous 
comment  ses  membres  peuvent  se  représenter  leurs  liens 
religieux. 

Le  lien  qui  unit  les  membres  de  la  tûath  est  constitué 
parce  qu'ils  descendent  tous  d'un  ancêtre  putatif.  La  rela- 
tion religieuse  s'établit  à  l'image  de  la  relation  juridique. 

Cet  ancêtre  reçoit  un  culte.  Des  assemblées  périodiques 
ont  lieu  autour  du  tombeau  du  héros,  auquel  les  membres 
de  la  tûath  font  remonter  leurs  généalogies.  Ainsi  le  lieu 
où  se  tiennent  les  oenach  des  Hùi  Amalgada  est  la  plaine 
qui  entoure  le  carn  d'Amalgaidh,  leur  ancêtre  ■. 

L'ancêtre  est  réellement  présent  dans  la  tûath.  Chaque 
roi  est  sa  réincarnation. 

Le  roi  est  intronisé  sur  le  tombeau  même  de  l'ancêtre  : 
par  exemple  le  roi  des  Hùi  Amalgada  l'est  sur  le  carn 
d'Amalgaidh  '. 

1.  Cf.  Appendice  à  la  fin  de  ce  livre. 

2.  H  y  Fiachrach,  p.  100. 

3.  //j?  Fiachrach.  loc.  cit.  —   Sur  les  cérémonies  d'intronisatïon  Cf. 


260  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Le  nouveau  roi  est  placé  au  sommet  du  tumulus.  Il  est 
debout  sur  une  pierre  sur  laquelle  on  voit  généralement 
l'empreinlc  du  pied  de  rancélre,  et  son  pied  est  posé  dans 
celle  empreinle  '.  Ou  bien  il  s'appuie  au  menhir  funéraire. 
Les  rois  suprêmes  sont  intronisés  sur  une  pierre  qui  pro- 
vient du  pays  des  morls  ".  Le  roi  entre  ainsi  en  communi- 
cation avec  l'ancôtre  par  le  contact  des  objets  qui  sont 
intimement  liés  à  celui-ci.  Bien  plus,  il  s  y  identifie. 

En  effet,  que  signifie  donc  l'acte  de  poser  son  pied  dans 
la  trace  môme  de  l'ancêtre,  sinon  qu'on  le  représente, 
qu'on  en  est  en  quelque  sorte  un  substitut  ?  Le  fait  qu'on 
voit  une  empreinte  de  pied  sur  un  tombeau  indique  bien  que 
l'esprit  du  mort  est  supposé  être  là  debout,  du  moins  aux 
moments  où  son  tombeau  est  le  centre  d'une  solennité  reli- 
gieuse. Or  à  la  place  du  mort  c'est  le  roi  nouveau  qui  se 
dresse  sur  la  tombe. 

Il  en  est  de  même  quand  le  nouveau  roi  s'appuie  au 
menhir.  On  a  eu  déjà  l'occasion  de  démontrer  que  les 
menhirs  funéraires  représentent  les  morts.  Quant  à  la  pierre 
sur  laquelle  montent  les  rois  d'Irlande,  elle  représente  le 
pays  des  morts,  le  pays  môme  d'où  est  venu  le  premier 
ancêtre  des  Gôidels.  Le  roi  qui  en  descend  après  avoir  été 
intronisé  est  un  homme  qui,  pareil  à  Mile,  fils  de  Bile, 
passe  de  l'Autre  Monde  dans  celui  des  vivants. 

O'Donovan  H  y  Fiachrach,p.  42j  ss.  ;  Herbert-J.  Horedans  Ulster  Journal 
Arc/iaeol.,  V,  p.  216;  Keating.  éd.  Dinneen,  lî-ish  Texts  6oc  IX,  p.  10  s. 

\.  Spenser,  View  of  the  slale  of  Ireland,  cité  dans  Joyce,  Hocial  His- 
tory,  I,  p.  49  :  «  in  some  of  which  (stones)  I  hâve  seen  formed  and 
ingraved  a  foot,  which  they  say  was  Ihe  measure  of  Iheir  first  Cap- 
tain's  foot,  wliereon  hee  (the  new  Captain)  standing  receives  an  oath 
to  préserve  ail  the  ancient  former  customes  of  the  countrey  ». 

2.  La  pierre  Fàl  qui  «  rugissait  »  lorsqu'un  roi  légitime  montait  des- 
sus. Baile  an  Scail,  éd.  O'Curry,  dans  Mss.  Mal.  p.  387  s.,  app.  CXXVIII. 
—  La  légende  veut  que  cette  pierre  eût  été  emportée  en  Ecosse  où  elle 
servit  à  l'intronisation  des  rois  à  Scone.  Elle  continue  à  rendre  les 
mômes  services  aux  rois  d'Angleterre  dans  l'abbaye  de  Westminster 
où  elle  a  été  transportée  par  Edouard  l. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  261 

El  pour  bien  marquer  celle  idenlificalion  à  rancôlrc,  le 
roi  perd  l'usage  de  son  nom  propre.  On  proclame  seulement 
son  nom  de  famille,  qui  est  précisément  le  nom  de  l'ancôtre 
procédé  d'une  indication  de  filiation,  et  depuis,  le  prénom 
du  roi  est  ofTiciellement  oublié,  pour  ainsi  dire.  Pour  le 
désigner  on  dira  désormais  le  Mac  Garlhy  Môr,  le  Hiia 
Conchobuir,  le  Hi'ia  Briain. 

Le  roi  devient  ainsi  par  son  intronisation  solennelle  un 
ancêtre  vivant  auquel  l'ancétrc  mort  est  assimilé. 

Aussi  le  roi  remplit  les  mêmes  fonctions  divines  que 
l'ancôtre.  Il  est  responsable  des  récoltes,  du  croît  et,  en 
général,  de  la  prospérité  de  ses  sujets  Quand  les  vaches 
n'ont  pas  de  lait,  que  les  fruits  tombent  avant  de  mûrir  et 
que  le  blé  est  rare,  c'est  que  le  roi  n'est  pas  légitime'. 

C'est  par  l'assimilation  de  l'ancôtre  au  roi  vivant  que 
s'explique  la  facilité  avec  laquelle  le  culte  des  ancêtres  se 
détache  de  leurs  tombeaux  pour  passer  à  des  tombeaux 
nouveaux.  Une  tûathç\m  émigré  n'a  pas  besoin  d'emporter 
les  reliques  de  son  ancêtre.  11  l'accompagne  vivant  dans  la 
personne  du  roi,  et  quand  celui-ci  meurt,  son  tumulus 
remplace  pour  ses  successeurs  les  tombeaux  du  territoire 
abandonné.  On  ne  nous  dit  point,  par  exemple,  que  les 
Hui  Maine  aient  emporté  d'Ulslcr  des  reliques  de  Colla,  leur 
ancêtre.  Maine  Môr,  le  roi  qui  les  guida  d'Ulster  en  Con- 
naught,  a  été  substitué  à  ce  héros. 

Ainsi  le  culle  des  ancêtres  aboutit  dans  les  tûatha 
d'Irlande  au  culle  des  rois-dieux,  ce  qui  s'explique  par 
l'organisation  de  ce  groupe.  En  effet,  de  même  que  le 
culte  de  l'ancôtre  apparaît  comme  suite  nécessaire  de  la  divi- 
sion de  la/ï/te  agnatique  en  une  ligne  directe  dont  dépendent 


1.  Ane.  Laiis.  IV.  p.  lii.  Cf.  Annals  of  llie  Four  Masters,  s.  a.  14  : 
malheurs  et  calamités  publiques  qui  désolent  l'Irlande  pendant  le  règne 
d'un  usurpateur,  Coirpre  Cinncat. 


262  SAINT    PATRICK    ET    LK    CULTE    DES    HÉROS 

des  lignes  collatérales  —  l'assimilalion  do  cet  ancêtre  au 
roi  correspond  à  la  constitution  de  la  tùath  en  famille  de 
clients,  dont  le  roi  est  non  seulement  le  patron,  mais  le 
père. 

Gomme  c'est  le  roi  qui  est  soupçonné  d'être  le  père 
naturel  de  la  plupart  des  enfants  illégitimes,  la  bâtardise 
confère,  pour  ainsi  dire,  des  droits  particuliers  !\  la  divini- 
sation. En  effet,  les  plus  fameux  des  héros  et  des  rois  épi- 
ques sont  des  bâtards,  ou  bien  des  enfants  adultérins.  Il  en 
est  ainsi  de  Finn,  dont  la  mère  s'était  fait  enlever  par  un 
héros  et  avait  été  condamnée  au  bûcher  pour  ce  fait^  Con- 
chobar  est  l'enfant  adultérin  du  roi  F'achtna  Fathach-,  et 
Cuchulainn  est  né  de  l'union  incestueuse  du  roi  Conchobar 
avec  sa  sœur,  Dechtire^  Étant  donné  que  dans  des  légendes 
parallèles  la  naissance  de  ces  héros  est  représentée  comme 
l'incarnation  de  dieux,  nous  pouvons  conclure  qu'être 
bâtard,  surtout  bâtard  d'un  roi,  équivalait  à  être  demi-dieu. 

En  somme,  l'idée  de  la  parenté  des  dieux  et  des  groupes 
humains  domine  toute  la  reUgion  irlandaise. 

Traces  des  autres  formes  de  la  parenté  dans  le  culte  : 
déesses  mères  et  déesses-nourricières  de  dieux  ou  de 
HÉROS.  —  Les  autres  formes  de  la  parenté  ont  elles  aussi 
laissé  des  traces  dans  le  culte. 

Il  y  a  eu  en  Irlande  des  cultes  de  déesses-mères,  ainsi 
qu'on  l'a  vu  par  les  exemples  de  Mâcha  et  de  Carman. 

Lug,  qu'on  vénère  à  Tailtiu,  est  le  dalta  de  la  déesse 
locale  Tailtiu*.  Cuchulainn  qui,  est  le  héros  particulier 


1.  The  cauie  of  the  battle  of  Cnucha,  éd.  Hennessy  dans  Rev.  Cel- 
tique, II,  88  ss. 

2.  Naissance  et  règne  de  Conchobar,  dans  Épopée  celtique. 

3.  Compert  Conculainn,  dans  Irische  Texte,  I. 

4.  Calh  Maige  Tured,  §  55. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  263 

des  Conalli  Muirlhemni,  est  le  dalla  de  leur  roi  Amair- 
pcn  et  le  frère  de  lait  de  leur  héros  éponyme  Conall  Cer- 
nach  '. 

Les  dieux  irlandais  sont  des  héros.  —  Nous  pouvons 
donc  conclure  que  les  aspects  du  culte  de  la  tùath,  et  par 
suite,  de  l'Irlande  entière,  ont  leur  base  dans  les  repré- 
sentations de  la  parenté.  Les  dieux  de  la  tûath  sont  des 
ancêtres,  des  rois,  des  mères  et  des  parents  d'élection  des 
tùatha. 

De  plus,  ces  dieux  sont  des  héros.  Ils  le  sont  par  le  fait 
de  leur  présence  réelle  au  sein  du  groupe  qui  leur  rend  un 
culte.  Us  sont  en  communion  constante  avec  lui,  ils  le 
représentent  et  l'incarnent. 

Ce  qui  est  vrai  pour  les  dieux  de  la  tûath  l'est  aussi 
pour  ceux  des  groupes  plus  étendus.  Amalgaidh  est  l'an- 
cêtre de  toute  une  tribu,  qui  se  compose  d'un  grand  nombre 
de  tùatha.  La  déesse  d'une  des  plus  grandes  fêtes  du 
Leinster,  Carman,  est  une  déesse  mère,  de  même  que 
Mâcha,  la  déesse  d'Emain,  à  la  fête  de  laquelle  prend  part 
toute  la  province  d'Ulster.  Dans  les  mythes  des  fêtes  pan- 
gûidéliques  on  ne  voit  apparaître  que  des  rois,  comme 
Diarmaid  mac  Cerbhaill,  des  reines  qui  sont  en  même 
temps  des  mères,  comme  MongQnd,  des  muime  et  des 
dalla,  comme  Tailtiu  et  Lug. 

On  verra  que  les  mêmes  représentations  de  parenté  sont 
à  la  base  du  culte  des  saints  chrétiens. 

\.  Compert  Conculainn.  version  LU,  dans  Irische  Texte,  I,  p.  145.  La 
muime  de  Giichulainn  est  Finnchoem,  sœur  de  Conchobar,  et  par  con- 
séquent de  Dcchtire,  môre  du  héros.  Elle  est  femme  d'Amairgen  de 
Breth  en  Mag  Muirlhemne.  —  Cûchulainn  est  le  roi  «  particulier  »  des 
Conalli  Muirlhemni  :  Tàin  Bù  Ci'ialnge.  p.  823,  1.  5693  :  can  a  rig  n-aur- 
raindi...  can  Choinculaind  :  p.  82.J,  note  1,  version  du  Ms.  Stowe  :  «  ...  a 
righ  n-urdalla  ».  —  La  plus  grande  partie  de  la  Tàin,  la  Serglige 
Conculaind,  le  Meurtre  de  Cûchulainn  sont  localisés  en  Mag  Muir- 
themne,  le  pays  des  Conalli. 


264  saint  patrick  et  le  culte  des  héros 

L'Eglise  irlandaise  est  organisée  sur  le  modèle  de  la 
TUATH.  —  L'organisation  de  l'Eglise  irlandaise  a  pris  la 
tûath  pour  cadre  et  pour  modèle'. 

Les  territoires  des  diocèses  se  confondent  avec  ceux  des 
tùatha.  Dans  chacune  il  y  a  un  évoque  indépendant'"'. 

Le  clergé  est  monastique.  Dans  chaque  diocèse  il  y  a 
une  abbaye  principale  dont  dépendent  des  abbayes  locales. 
Le  chef  administratif  est  l'abbé.  Quant  à  l'évêque  son  rôle 
est  purement  liturgique 3,  à  moins  qu'il  soit  en  môme 
temps  évêque  et  abbé  *. 

La  communauté  monastique  a  un  caractère  familial. 

La  dignité  d'abbé  est  héréditaire  dans  la  famille  du  chef 
qui  a  légué  sa  terre  au  monastère  ^  ou  bien  dans  la 
famille  du  saint  fondateur  ^  A  défaut  d'un  candidat  qua- 
lifié dans  l'un  de  ces  deux  groupes,  l'abbé  est  nommé  par 
la  communauté  où  le  saint  patron   fut  élevé  et  instruit^, 

1.  Sur  l'organisation  de  l'Église  irlandaise,  cf.  Todd,  Saint-Patrick, 
p.  1  ss.,  Loofs,  op.  cit.  ;  Schoel.  op.  cit..  Héron,  The  Celtic  Churck  in 
Ireland;  Reeves,  Eccl.  Atitiquities,  append.  A. 

2.  Senchus  Môr,  I.  p.  54  :  il  y  a  dans  chaque  tùath  un  roi,  un  évêque 
et  un  homme  de  science  (ou  poète).  Extrait  du  Lebar  Brecc,  publ.  dans 
Tripart.  Life.  I,  Intr.,  p.  clxxxii  :  Le  testament  de  Patrick  (décrète) 
qu'il  doit  y  avoir  un  évêque  dans  chaque  tûath  d'Irlande.  —  Cf.  Bury, 
Saint  Patrick,  p.  375  ss.  —  Cf.  organisation  galloise,  dans  Haddan  and 
Stubbs,  Councils,  I,  p.  142  ss. 

3.  Héron,  op.  cit.,  p.  d67.  —  Cf.  Colgan,  Triadis  Thaumaturge... 
Acta^S.  Brigitae  Vita  Quarla,  cap.  xix  ;  Sainte  Brigit  nomme  l'évêque 
attaché  à  son  abbaye  de  Kildare.  Cf.  Bède,  Ilistoria  ecclesiastica,  1.  IH, 
c.  3,  4,  5  :  l'abbé  de  lona  est  un  prêtre.  U  a  des  évêques  sous  sa 
juridiction. 

4.  L'Eglise  fait  son  possible  pour  que  le  chef  administratif  du  diocèse 
soit  toujours  un  évêque.  La  loi  n'accorde  qu'une  indemnité  réduite  à 
l'abbaye  dont  le  chef  n'est  pas  un  évêque,  ou  un  docteur  en  droit  ca- 
non. Ane.  Lavjs  V,  p.  o4. 

5.  Cf.  Thésaurus  Palaeohibernicus,  IL  p.  238  s.  :  Coibse  Fétho  Fia.  — 
Senchus  Môr,  III,  p.  7G  s. 

6.  Eclats  fine  erluma  :  Senchus  Môr,  III,  p.  74,  p.  72.  —  La  famille  du 
donateur  et  celle  du  fondateur  peuvent  avoir  des  droits  égaux  à  la 
succession  de  l'abbaye.  Alors  l'abbé  est  élu  à  tour  de  rôle  dans  l'une 
et  dans  l'autre.  Ane.  Laivs,  IV,  p.  372  s. 

7.  Andoil  :  Senchus  Môr,  III,  p.  74. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  lULANDK  265 

celle  avec  laquelle  il  esl  lii'-  par  Yallram.  Les  commu- 
nautés subordonnées  viennent  ensuite  '. 

En  aucun  cas  l'abbé  n'est  élu  parmi  les  moines  d'une 
communauté  étran2;ère.  C'est  que  celle-ci  pourrait  acquérir 
des  droits  sur  l'abbaye.  On  nomme  en  désespoir  de  cause 
un  pèlerin  ■,  c'est-à-dire  un  vagabond,  un  homme  qui  n'a 
pas  de  famille'. 

La  dignité  d'évôque  se  transmet  pareillement  de  père  en 
fds*. 

Quant  aux  moines  de  la  communauté,  ils  sont  identiques 
aux  tenanciers  héréditaires  du  sol  ecclésiastique  ^  Ils  sont 
les  descendants  du  donateur  en  ligne  collatérale. 

A  côté  d'eux,  l'abbaye  a  des  serfs  et  des  métayers  ^ 
L'abbé  exerce  sur  tout  ce  monde  un  pouvoir  seigneuriale 

1.  Senchus  Môr,  II.  p.  72  s.,  glose.  L'ordre  des  ayants-droit  est 
variable  suivant  le  droit  particulier  de  chaque  abbaye.  Ainsi  la  glose 
citée  prévoit  l'ordre  suivant  :  1»  famille  du  fondateur  ;  2»  famille  du 
donateur  ;  3»  famille  des  tenanciers  de  la  terre  ecclésiastique  ;  4°  église 
Andoit  :  5»  église  dalla  (dont  le  fondateur  fut  élevé  dans  l'abbaye)  ;  6» 
église  compaii'che  (de  la  môme  paroisse  =  de  la  même  fine)  ;  1"  église 
voisine. 

i.  ma. 

3.  La  loi  ecclésiastique  s'efforce  de  mettre  un  frein  à  cet  accaparement 
des  abbayes  par  les  familles.  Le  Senchus  Môr,  III,  p.  78,  dit  qu'il  ne 
faut  pas  que  la  succession  dune  église  soit  dévolue  aux  branches  de  la 
fine  l'une  après  Tautre,  «  à  moins  que  Dieu  ne  l'ait  donnée  à  l'une  de 
ces  branches  en  propriété  ».  Mais  le  fait  même  que  ce  texte  ait  été 
rédigé  et  la  réserve  qui  y  est  formulée  démontre  qu'on  est  en  présence 
d'un  fait  général. 

4.  Par  exemple  à  Ros  en  Corcu  Laidhe  vingt-sept  évêques  se  succè- 
dent de  père  en  fils  :  Geinealach  Corca  Laidhe,  p.  46  s.  —  L'abbaye  et 
l'évèché  de  Killala  sont  le  patrimoine  des  Hùi  Mailfodmair  ;  fly  Fiachrach, 
p.  51,  cf.  p.  227. 

5.  Senchus  Mor,  III,  p.  78  :  cell  manuch,  et  glose,  ibid.  —  Cf.  manach, 
manchi,  Ane.  Laws,  VI,  glossaire.  Cf.  Senchus  Môr,  III,  p.  64  s.  texte 
et  glose  :  les  moines  peuvent  quitter  la  terre  de  léglise  s'ils  n'ont  pas 
assez  de  terre.  —  Cf.  ibid.,  p.  64  note  2  :  le  moine  quitte  l'abbaye  où  son 
état  ne  lui  esl  d'aucun  profit. 

6.  Senchus  Môr,  III,  p.  42. 

7.  Sfnchus Môr  \,  Inlrod.,  p.  50  s.  :  acht  na  cuic  cura  ata  laithmechla 
la  feine,  cia  ro  nasalar  :  cor  inoga  cen  a  flailh,  cor  manaig  cen  apaid, 
cor  meic  beo-alhar  cen  alhair  noca,  cor  druith  no  mire,  cor  mna  seck  a 


266  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

La  communauté  monastique  irlandaise  présente  ainsi 
l'aspect  d'une  fine  fldtha  dont  tous  les  membres  auraient 
pris  les  ordres. 

La  hiérarchie  des  églises  suit  celle  de  la  u'iath.  L'abbaye 
principale,  où  réside  l'évoque,  est  fondée  dans  une  terre 
donnée  par  le  roi  et  c'est  une  branche  de  la  famille  royale 
qui  a  droit  à  sa  succession*.  Les  abbayes  subordonnées 
appartiennent  aux  familles  de  fïdithi,  et  ainsi  de  suite.  On 
dit  de  ces  abbayes  quelles  sont  «  vassales  »  de  la  princi- 
pale ^ 

R\ppoRTS  DU  DIOCÈSE  AVEC  LA  TÙATH.  —  L'organisation 
du  diocèse  est  donc  exactement  conforme  à  celle  de  la  ti'iath. 

Bien  plus,  elle  est,  pourrait-on  dire,  émanée  de  l'orga- 
nisation de  la  tûath.  La  loi  oblige  chaque  couple  à  faire 
prendre  les  ordres  à  son  premier-né  \  Ainsi  le  clergé,  en 
tant  que  corps  constitué,  est  toujours  lié  à  chaque  famille  de 
la  tûath  par  les  liens  d'une  parenté  très  étroite,  liens  qui 
se  renouvellent  à  chaque  génération. 


cexli  —  «  il  y  a  cinq  contrats  qui  sont  annulés  par  les  féne,  même  après 
leur  conclusion  :  le  contrat  du  serviteur  sans  le  fldith  (sans  l'approba- 
tion du  flàilh)  ;  le  contrat  du  moine  sans  l'abbé  ;  le  contrat  du  fils  d'un 
père  vivant  sans  le  père  ;  le  contrat  d'un  fou  ou  d'un  incapable  ;  le 
contrat  d'une  femme  sans  le  mari.  »  —  La  position  de  l'article  qui  con- 
cerne les  contrats  du  moine  après  ceu.x  du  serviteur  du  flàilh  et  avant 
ceux  du  fils  est  digne  d'attention.  Il  fait  de  l'abbé  légal  du  seigneur  et 
du  père.  —  La  glose,  ibid.^  p.  52  explique  :  Cor  manaig.  i.  daermanaig 
«  contrat  d'un  moine  :  c'est-à-dire  d'un  moine  serf.  » 

1.  Thésaurus  Palseohib,  II,  p.  270.  Hae  sunt  oblationes  Fedelmedo 
filii  Loiguiri  sancto  Palricio  et  Lomnano  et  Foirtcherno,  id  est  Vadum 
Truimm  (Trim)  in  finibus  Loiguiri  Breg.  Imgae  in  finibus  Loiguiri 
Midi.  Hœc  est  autem  secclessiastica  progenies  Fedelmtheo  »...  (suivent 
huit  noms)...  «  hi  omnes  episcopi  fuerunt  et  principes  uenerantes  sanc- 
tum  Patricium  et  successores  eius.  —  Plebilis  autem  progenies  eius 
haec  est...  »  (suivent  les  noms  de  neuf  rois).  (Plebilis  signifie  ici 
«  laïque  »). 

2.  Senchus  Môr,  III,  p.  70,  glose.  Il  y  a  des  églises  «  nobles  »,  uasal. 
et  des  églises  «  roturières  »,  ailhech. 

3.  Senchus  Môr,  111,  p.  38. 


LA   CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  267 

On  peut  donc  dire  du  corps  du  clergé  diocésain  que 
c'est  la  tûalli  elle-même  constituée  en  groupe  cultuel. 

Les  saints  irlandais  sont  comme  les  héros  des  tùatha 
DKS  ancêtres  et  DES  PARENTS.  —  Cette  tùath  ecclésias- 
tique a  comme  l'autre  des  héros  patrons  qui  sont  des 
saints. 

Comme  le  saint  fondateur  de  la  communauté  monastique 
est  souvent  identique  au  donateur  de  la  terre,  on  a  d'abord 
des  saints  qui  sont  les  ancêtres  en  ligne  agnatique  des  fine 
de  la  tûalh  '. 

Mais,  conformément  à  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  d'autres 
saints  sont  parents  par  leurs  mères  des  tûatha  dont  ils 
sont  les  patrons". 

Enfin,  beaucoup  sont  liés  aux  ancêtres  des  abbe-s,  par  la 
parenté  de  Xaltram.  C'est  le  cas  des  saints  venus  du 
dehors  qui  ont  converti  la  tûath  et  y  ont  recruté  des  dis- 
ciples, qui  leur  ont  succédé.  A  Trim,  par  exemple,  il  y  a 
deux  patrons,  saint  Lomnan  et  saint  Foirtchern.  Foirtchern 
est  le  fils  du  chef  local,  Fedelmid  fils  de  Loegaire,  et  l'an- 
cêtre de  toute  une  lignée  d'évêques.  Or  il  avait  été  confié 
par  son  père  à  Lomnan  en  altram^. 

Le  CULTE  DES  SAINTS  EST  UN  CULTE  DE  CHEFS.  CeUX  QUI 
SONT    DES    ENFANTS    ILLÉGITIMES    SONT    ASSIMILÉS    AUX    HÉROS 

FILS  DE  DIEUX.  —  Par  suite  de  la  constitution  aristocra- 
tique de  l'Eglise  et  de  la  tûath  le  culte  des  saints  prend 
l'aspect  d'un  culte  de  chefs. 


1.  Cf.  Tlrechân.jooïsim.  —  Exemples  :  saints  Assicus  et  Biteus  patrons 
do  Corcu  Ochiand.  p.  313;  saint  Fergus  et  saint  Conall.  patrons  des 
Hùi  Amaigada,  ibid.,  p.  326,  Tripai-tite,  p.  80. 

2.  T irechùn,  passim.  —  T/iesaurus  PaUeohib.,  II,  p.  270. 

3.  Thésaurus  l'alseohib.,  II,  p.  270. 


268  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

On  pourrait  objecter  que  quelques-uns  sont  des  enfants 
illégitimes,  sainte  Brigit,  par  exemple'. 

Sans  doute,  la  multiplicité  des  saints  nés  hors  du  mariage 
s'explique  dans  une  certaine  mesure  par  le  fait  que  les 
enfants  illégitimes  étaient  exclus  de  l'héritage  de  la  fine  et 
que  beaucoup  devaient  par  conséquent  prendre  les 
ordres,  ne  pouvant  vivre  autrement  d'une  manière  hono- 
rable. 

Mais  alors  comment  expliquer  que  tant  d'eux  sont 
devenus  des  abbés  et  des  évoques?  Et  puis  leurs  pères 
naturels  sont  toujours  des  rois  puissants,  ou  bien  des 
druides,  c'est-à-dire  des  personnages  sacrés,  comme  les 
rois. 

En  réalité,  si  les  hagiographes  irlandais  ont  une  telle 
prédilection  pour  attribuer  une  naissance  illégitime  à  leurs 
saints,  c'est  qu'ils  croyaient  leur  donner  plus  de  lustre 
encore  qu'aux  simples  parents  des  rois.  La  sainteté  est  en 
Irlande  presque  une  prime  à  l'illégitimité.  Les  saints  deve- 
naient ainsi  des  personnages  parallèles  aux  héros  fils  de 
dieux. 

Tous  les  autres  grands  saints  sont  de  race  royale".  Le 
type  du  saint  plébéien,  si  répandu  dans  le  reste  de  la  chré- 
tienté, est  presque  inconnu  en  Irlande. 


1.  Betha  Brigte,  dans  les  Three  middle-Irish  Homilies  de  Whitley 
Stokes,  p.  186. 

2.  Coluracille,  par  exemple,  est  issu  de  la  maison  royale  de  Tircon- 
nell  :  Betha  Coluim-Chille,  1.  742  ss.  dans  Lives  of  SS.  from  the  Book  of 
Lismore.  Saint  Molaise  est  un  descendant  direct  en  ligne  paternelle 
d'Aengus,  fils  de  Nadfraoch,  et  dAiiill  Ollomh,  rois  de  Munster.  Sa  généa- 
logie est  tracée  jusqu'à  «  Adam  fils  du  Dieu  Vivant  ».  Sa  mère  est  Monoa, 
petite-fille  de  Fedelmid  Rechtmar,  roi  suprême  d'Irlande.  Il  unit  donc 
en  lui  le  sang  des  deux  plus  illuslres  dynasties  d'Irlande,  celle  de  Tara 
et  celle  de  Munster.  Dans  une  liste  des  saints  abbés  et  évêques  d'Ar- 
magh,  publiée  par  James  Ware,  De  prxsuUbus  Hibernise,  p.  1  ss.,  nous 
ne  relevons  que  des  noms  nobles  et  quelques  noms  appartenant  à  des 
rejetons  de  races  royales.  —  Cf.  aussi  Geinealach  Corca  Laidhe,  p.  56 
ss.,  et  p.  60  :  généalogie  des  trois  saints  Fothad. 


LA    CONSTITUTION    SOCIALE    DE    L  IRLANDE  269 

Les  saints  sont  des  patrons  aristocratiques.  —  Aussi 
les  saints  sont  les  patrons  plus  particuliers  des  maisons 
royales  et  de  haute  noblesse. 

Kcatinp^  a  réuni  une  liste  de  quelques-uns  de  ces  patrons. 
Saint  Gaemghin  de  Glcndalough  est  le  patron  des  O'TooIe 
et  des  O'Byrne  ;  saint  Maedog  de  Ferns  est  celui  des  O'Ken- 
shelagh  ;  saint  Moling  des  O'Gavanagh  Mac  Murrogh  ; 
saint  Fintan  de  Cluain-Aidnech  est  le  patron  des  O'Moore; 
saint  Cainnech  protège  les  Mac  Gilla  Patrick,  chefs  des 
Osraighi  ;  saint  Sedna  les  O'Brien  de  la  branche  d' Aharlow  ' . 

Gomme  les  autres  saints  irlandais  saint  Patrick  est 
UN  parent  de  ses  fidèles.  Il  l'est  en  qualité  de  père 
nourricier  spirituel.  —  A  première  vue  saint  Patrick 
échappe  à  ces  règles  générales.  Un  ne  pouvait  faire  de  lui 
un  enfant  illégitime,  ni  même  un  parent  d'une  dynastie 
royale  irlandaise.  Tout  au  plus  est-on  parvenu  à  lui  fabri- 
quer la  fameuse  généalogie  qui  remonte  au  roi  Brito". 

Mais  saint  Patrick  n'en  est  pas  moins  considéré  comme 
un  parent  de  ses  fidèles.  Il  est  le  père  nourricier  de  tous 
les  patrons  particuliers. 

Son  premier  acte  en  débarquant  en  Meath  a  été  de 
prendre  Benignus  pour  dalta  ^.  Benignus  a  succédé  à  saint 
Patrick  comme  évêque  d'Armagh  *. 

Partout  où  il  passe  les  rois  et  les  chefs  lui  confient  un 
enfant  en  bas-âge,  qu'il  élève  et  dont  il  fait  plus  tard  un 
évoque  ou  un  prôlre  **. 

Quant  aux  saints  étrangers  qui  ont  accompagné   saint 

1.  Kcaling,  éd.  Dinneen,  Irisli  Texls  Soc.  IX,  p.  112. 

2.  Cf.  plus  haut,  ch.  ii. 
o.  Tirechân,  p.  303. 

4.  Ware,  De  prœsulibus  Hiberniae.  p.  1. 

5.  Tirechân,  pp.  309.  3i2,  3io,  328,  329. 


270  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Patrick,  et  qui  ont  joué,  comme  saint  Lomnan,  le  rôle  d'aùe 
envers  les  patrons  de  clans,  ils  appartiennent  à  la  midnter, 
à  la  famille  ecclésiastique  de  Patrick,  sur  laquelle  il  a  un 
pouvoir  de  père.  De  plus  ils  sont  les  parents  de  l'apotre 
par  sa  mère  ' . 

L'expression  «  père  de  la  foi  des  Irlandais  »  appliquée 
à  Patrick,  n'est  donc  point  une  simple  figure  de  rhétorique 
Saint  Patrick  est  réellement  uni  aux  tùatha  d'Irlande  par 
un  lien  de  parenté  juridique.  Son  culte  est  celui  d'un  père 
adoptif,  pareil  à  celui  qu'on  rendait  à  certains  héros.  Mais 
si  ses  liens  avec  les  clans  et  les  familles  sont  moins  appa- 
rents que  ceux  d'autres  saints,  il  en  a  de  plus  forts  avec 
l'Irlande  entière.  Ce  n'est  pas  le  héros  d'une  province,  le 
saint  d'un  monastère.  C'est  le  héros  national. 

1.  Ware, op.  cit.,  p.  1  :  Secundinus...  sancti  Patricii  ex  sorore  nepos  ». 
Thésaurus  Palaeohib.,  II,  p.  270  :  «  progenies  autem  Lomnani  de  Britto- 
nibus,  id  est,  filius  Gollit,  germana  autem  Patricii  mater  eius.  Germani 
autem  Lomnani  hii  sunt  episcopi:  Munis  hi  Forgnidiula  Cuircniu  (qui 
est  en  Forgnide  de  Curcen)  ;  Broccaid  in  Imbliuch  Equorumapud  Ciar- 
raige  Connact,  Broccanus  im  Brechmig  apud  Nepotes  Dorthim.  Mu 
Genoc  hi  Cill  Dumi  Gluinn  in  deisciurt  Breg  (dans  l'église  de  Dune 
Gluin  dans  le  Sud  de  Breg). 


CHAPITRE  VII 

ROLE  DES  FILID  DANS  LA  FORMATION  DE  LA  LÉGENDE 
DE  SALNT  PATRICK.  SALNT  PATRICK  HÉROS  NATIONAL. 


Commenl  expliquer  que  la  légende  de  saint  Patrick 
ail  pris  Taspeel  d'un  mythe  héroïque  de  l'Irlande  entière? 

L'étude  des  institutions  auxquelles  était  confiée  la  garde 
de  la  tradition  nationale  fournira  la  réponse  à  la  ques- 
tion. 

Le  tableau  que  nous  avons  tracé  dans  le  précédent  cha- 
pitre n'est  pas  un  tableau  complet  des  groupements  des 
hommes  en  Irlande.  Au-dessus  des  familles,  des  clans  et 
des  royaumes,  on  y  trouvait  des  confréries  nationales. 

Ces  institutions  sont  les  deu.x  corporations  des  druides 
et  des  filid. 

Les  druides  sont  les  prêtres  de  l'irlande  p.\ien>e.  — 
Comme  leurs  confrères  gaulois  les  druides  irlandais  sont  les 
ministres  reconnus  de  la  religion  officielle'. 

Ils  président  aux  sacrifices.  Les  druides  interviennent 

1.  Sur  les  druides  en  général,  tant  en  Gaule  que  dans  les  Iles  Bri- 
tanniques, on  a  consulté  surtout  les  études  de  d'Arbois  de  Jubainville, 
dan»  Introduction  à  l'étude  de  la  littérature  celtique  {Cours  de  litlér. 
celtique,  I).  Paris  1880,  p.  135  ss.,  p.  148  ss.  et  passim,  et,  du  raôrae. 
Les  Druides  et  les  dieux  celtiques  à  formes  d'animaux,  Paris,  1906; 
Ale.xandrc  Bertrand,  Nos  origines.  Religion  des  Gaulois;  O'Curr^'.  Man- 
ners  and  Customs,  II,  passim;  Squirc,  op.  cit.;  Julius  Pokorny,  Der 
Ursprung  des  Uruidentums  dans  Mitteilungen  der  anlhropolog.  Gesell- 
schafl  in  Wien,  XXXVIII,  Vienne,  1908. 


272  SAINT    PATRICK    KT    LE    CULTE    DES    HÉROS 

dans  la  cérémonie  nommée  Tarifes  qu'on  célèbre  en  vue 
des  élections  royales  et  dont  le  rite  principal  est,  on  le  sait, 
l'immolation  d'un  taureau  blanc'.  Dans  l'histoire  de  la 
Cour  faite  à  Beciana  les  druides  ordonnent  un  sacrifice 
expiatoire  public  ;  ils  en  prescrivent  le  rituel  et  en  indiquent 
la  victime ^  Ce  sont  les  druides  qui  allument  les  feux  des 
fôles  et  qui  y  brûlent  les  offrandes  ^  Snivant  César  les 
druides  gaulois  s'occupaient  des  sacrifices  publics  et  pri- 
vés. Us  pouvaient  en  priver  le  peuple  en  guise  de  châti- 
ment*. 

Les  druides  irlandais  imposent  un  nom  aux  enfants  qui 
viennent  de  naître  ^ 

1.  Passage  de  Serglirje  Conchulainn,  éd.  Windisch,  Irische  Texte, 
I,  p.  213  :  ocits  6r  firindi  do  canlain  do  celhri  drudib  f'air,  et  une 
parole  de  vérité  est  chantée  sur  lui  (sur  Ihomme  qui  a  mangé  la  chair 
du  taureau  sacriflé)  par  quatre  druides  ». 

2.  O'Curry,  loc.  cit.  (Cf.  plus  haut,  chap.  m). 

3.  Feux  de  Beltaine  :  Sanas  Cor  maie,  elle  chap.  m.  Offrandes  brûlés 
par  les  druides  dans  le  feu  de  Samhain  :  Bataille  de  Crinna.  loc.  cit.. 
p.  3tj0  ;  Keating,  éd.  Dinneen,   Irish  Texls  Soc.  VIII,  p.  245. 

4.  De  bello  galtico,  VI,  13  :  «  lUi  rébus  divinis  intersunt,  sacrificia 
publica  ac  privata  procurant,  religiones  interpretantur...  Si  quis,  aut 
privatus,  aut  publions  eorum  decreto  non  stetit,  sacrificiis  interdicunt. 
Haec  pœna  apud  cos  est  gravissinia.  Quibus  ita  est  inlerdictum,  hi  nu- 
méro impiorum  ac  sceleratorumhabentur,  his  omnes  decedunt,  aditum 
sermonemque  defugiunt,  ne  quid  ex  contagione  incommodi  accipiant, 
neque  lis  petentibus  jus  redditur,  neque  honos  uUus  comunicatur  ». 
C'était  donc  une  véritable  excommunication. 

5.  Vie  Tripavlite,  éd.  Whitlcy  Stokes,  p.  160  s.  ;  Longes  mac  n-Usnig, 
éd.  Windisch,  §  5.  dans  Irische  Texte,  I,  p.  68.  —  Le  récit  Gein  Bra/i- 
duib  maie  Echach,  publ.  ])ar  M.  Kuno  Meyer  dans  Zfl.  fur  Celtische  Philo- 
logie, II,  p.  137.  parle  d'un  baptême  druidique  :  cf.  Voyage  of  the  sons 
of  O'Corra,  éd.  Whitley  Stokcs  dans  Rev.  Celtique,  XIV,  p.  28  ;  cf. 
baptême  païen  {baithis  geinllidhe)  du  héros  Conall  Cernach,  Côir 
Anmann,  éd.  Withley  Stokes,  loc.  cit.,  p.  393  ;  baptême  du  roi  Ailill 
Ollomh  «  dans  les  flots  druidiques  »  :  Cath  Miiighe  Léana,  p.  165. 
—  Mais  tous  ces  exemples  ne  permettent  pas  de  conclure  que  les 
druides  cités  aient  réellement  pratiqué  un  rite  pareil  au  baptême.  Les 
textes  ont  tous  été  rédigés  à  une  époque  où  le  christianisme  avait 
depuis  longtemps  pris  racine  en  Irlande,  et  où  ses  rites  étaient  bien 
entrés  dans  les  mœurs  du  peuple.  Il  est  possible  que  le  baptême  païen 
n'a  été  imaginé  que  parce  qu'on  ne  se  figurait  pas  qu'un  homme 
puisse  ne  pas  être  baptisé,  et  comme  d'autre  part  on  considérait  alors 
les  druides  comme  des  sorciers,  on   leur  a  attribué  la  pratique  d'un 


ROLE    DES    FILII)    DANS    L.\    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      273 

Ils  cultivent  la  science  du  calendrier.  Cathba,  druide  du 
roi  Conchobar,  enseigne  à  ses  disciples  comment  recon- 
naître les  jours  fastes  et  néfastes  ^  Le  druide  Nuca  indique 
à  Mael-Duin  le  jour  où  il  doit  se  mettre  en  voyage  *.  Les 
femmes  enceintes  s'eiïorcent  d'accoucher  le  jour  fixé  par  un 
druide  afin  que  l'enfant  devienne  un  personnage  illustre  \ 

Les  druides  s'occupent  de  divination.  Cathba  et  ses  con- 
frères scrutent  les  nuages  afin  d'apprendre  l'issue  d'une 
bataille  prochaine*.  Le  nom  du  druide  Mog  Ruith  vient, 
suivant  le  Coir  Anmann,  de  ce  qu'il  lisait  l'avenir  dans  le 
mouvement  des  roues,  rotha^ .  On  a  recours  aux  druides 
pour  interpréter  les  signes  de  toute  nature,  les  songes*. 
L'épopée  irlandaise  est  pleine  de  prophéties  druidiques  et 
il  y  en  a  jusque  dans  les  Vies  des  saints  ' . 

rite  qui  paraissait  être  la  contre-façon  diabolique  d'un  sacrement  chré- 
tien. Cf.  le  passage  cité  du  Voyape  of  the  Sons  of  O'Corra  :  les  fils 
d"0'Corra  sont  baptisés  par  les  druides  pour  qu'ils  soient  consacrés 
au  service  du  diable. 

1.  Tàin  Bô  Cùalnge,  1.  1070. 

2.  Imram  cuirech  Mael-Duin,  éd.  citée,  préface. 

3.  Navisance  de  Conchobar,  version  du  Ms.  Slowe  992  de  la  Royal 
Irish  Academy,  trad.  de  M.  Dottin  dans  Epopée  celtique,  p.  16  ;  légende 
de  la  naissance  de  Fiacha  Muillelhan,  Rev.  Celtique,  XI,  p.  43,  et  Silva 
Gadelica,  vol.  des  trad.,  p.  354. 

4.  Tâin  B6  Cùalnge,  version  du  Ms.  Stowe,  984,  1.  5482  ss.  et  5489  ss. 
de  l'édition  Windisch.  —  La  divination  d'après  les  éléments  était  aussi 
connue  des  Celtes  continentaux  :  Slrabon,  IV,  c.  iv  §  4.  Seulement  ce  ne 
sont  pas  les  druides,  mais  les  oùâTôtç  qui  la  pratiquent. 

3.  Côir  Anmann,  éd.  Whitley  Stokes,  loc.  cit.,  %  287  :  ar  is  a  rothaib 
donilk  a  taisceladh  druidechta.  Mog  Ruith  avait  une  fille  qui  partit 
pour  l'Orient  afin  d'y  apprendre  à  pratiquer  le  «  druidisme  »  d'après  une 
«  roue  d'annonciation  »  (roth  ramliach).  —  Ce  sont,  d'ailleurs,  les  seuls 
e.xemples  de  la  roue  divinatoire  en  Irlande,  et  ils  se  trouvent  tous  deux 
dans  un  texte  qui  n'est  pas  antérieur  au  xii«  siècle  et  qui  est  un  traité 
à  prétentions  savantes,  donc  suspect. 

6.  Dealh  of  Muircertach,  §  37  :  le  roi  a  un  songe  prophétique  que  le 
druide  Dub-dâ-rind  lui  explique;  Dinnsenchas  de  Loch  Garman  dans 
Dinns.  de  Rennes,  Rev.  Celtique.  XV,  p.  431  :  songe  du  roi  Cathair  Môr 
interprété  par  un  druide. 

7.  P.  ex.  dans  Longes  mac  n-Usnig,  loc.  cit.,  §  3  ss.  ;  dans  la  Nais- 
sance de  Conchobar,  version  et  lieu  cités,  p.  18  s.  ;  dans  Scél  Baili 
Binnberlaig,  éd.  Kuno  Meyer,  Rev.  Celtique,  XIII,  p.  222    l.  23  ss.  ;  chez 

CzARNOWSKI.  18 


274  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Les  druides  définissent  les  geasa  personnels  de  chacun, 
lis  peuvent  en  imposer  de  nouvelles  à  leur  gré*.  On 
demande  leur  conseil  sur  les  prescriptions  à  observer  en 
toute  occasion,  par  exemple  sur  le  nombre  des  compa- 
gnons qu'on  peut  emmener  en  voyage". 

Ils  sont  enfin  conjurateurs  et  thaumaturges.  Des  maux 
divers  accablent  par  leur  œuvre  les  armées  ennemies  % 
tandis  qu'une  barrière  magique  infranchissable  défend  celle 
que  protègent  les  druides'.  Ils  commandent  aux  éléments, 
au  froid  et  à  la  chaleur,  à  la  clarté  et  aux  ténèbres  ^  Leurs 

Muirchu,  p.  274  ;  dans  la  Vie  Triparlite,  éd.  Whitley  Stokes,  p.  34.  — 
Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction  à  Vétude  de  la  littérature 
celtique,  p.  131  ss.  :  on  attribuait  généralement  aux  druides  irlandais 
le  don  de  prédire  l'avenir. 

1.  Les  geasa  peuvent  être  des  interdictions  aussi  bien  que  des  obli- 
gations positives.  —  Cf.  Bruiden  Dà  Chocs,  loc.  cit.  :  cette  légende 
a  pour  sujet  la  violation  de  geasa  qui  avaient  été  imposées  au  héros 
du  récit  par  les  druides.  La  geis  est  une  incantation  qui  a  une  inter- 
diction magique  pour  objet.  —  Lemotg'eiss  =  gessis:=^ec?-<i-s  vient  dune 
racine  *ged,  'god,  dont  la  seconde  forme  se  retrouve  dans  le  substantif 
guide  z=  godia.  «  prière  »  et  dans  le  verbe  dénominatif  guidim  —  «  je 
prie  »  :  d'Arbois  de  Jubainville,  Épopée  Celtique,  préface,  p.  xxxi, 
note  1.  —  Il  y  avait  une  limite  aux  geasa.  Quiconque  s'en  était  vu  im- 
poser une  qui  était  impossible  à  observer,  avait  droit  à  une  réparation 
égale  à  un  septième  de  la  composition  qui  aurait  du  être  payée  en 
cas  de  meurtre  d'une  personne  de  son  rang. 

2.  Imram  cuirech  Mael-Duin,  loc.  cit.  :  c'est  le  druide  Nuca  qui  fixe 
le  nombre  des  compagnons  de  Mael-Duin.  Un  frère  du  voyageur  le 
rejoint  à  la  nage  et  l'implore  tant  qu'on  finit  par  le  prendre.  Alors  une 
tempête  fait  perdre  son  chemin  à  Mael-Duin,  et  plus  tard  son  frère 
périt. 

3.  Cath  Maighe  Tured,  loc.  cit.,  §  80  :  Lug  demande  au  druide  Figol 
fils  de  Mamos.  des  Tùatha  Dé  Danann,  ce  qu'il  fera  contre  les  Fomoré. 
n  Je  ferai  tomber  trois  pluies  de  feu  sur  le  visage  des  guerriers  Fo- 
moré »  —  dit  Figol  —  «  je  leur  ôterai  les  deux  tiers  de  leur  courage  et 
de  leur  valeur ,  j'enverrai  une  rétention  d'urine  à  leurs  hommes  et  à 
leurs  chevaux.  »  Cf.  §  113  :  les  druides  répèlent  en  corps  les  mêmes 
menaces. 

4.  A  la  bataille  de  Culdremne  le  druide  Fraechan  mac  Tenusan  élève 
autour  de  l'armée  du  roi  Diarmaid  une  barrière  magique  qu'aucun  des 
ennemis  ne  peut  franchir  sous  peine  de  mort.  D'Arbois  de  Jubainville, 
Introduction,  p.  1%  s.,  Silva  Gadelica.  II,  85  et  p.  516. 

5.  Les  meilleurs  exemples  du  pouvoir  des  druides  sur  la  nature  sont 
ceux  qu'on  a  cités,  et  qui  sont  fournis  par  la  légende  du  tournoi  ma- 
gique entre  saint  Patrick  et  les  druides.  Cf.  aussi  O'Curry,  Manners  and 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉC.ENDE     275 

exorcismes  cnrayont  les  calamités  publiques*.  Les  dieux 
sont  forcés  de  plier  devant  la  volonté  des  druides^. 

Le  druidisme,  driiidechl,  constitue  en  Irlande  l'essence 
môme  de  toute  puissance  divine  '\  Le  druide  est  ainsi  le 
maître  du  monde  spirituel  et  l'inlermédiaire  attitré  entre 
celui-ci  et  les  hommes. 

Situation  sociale  et  influence  politique  des  druides. 
—  Les  druides  sont  des  fonctionnaires  publics  attachés  aux 
cours  royales. 

Le  rang  qu'ils  y  occupent  correspond  à  leur  grande  auto- 
rité spirituelle.  Suivant  la  Tàin  Bô  Cûalnge  le  roi  d'Ulsier 
ne  pouvait  prendre  la  parole  en  public  avant  son  druide  ♦. 

Cusloms,  II,  p.  10  s.  :  Le  roi  Conn,  qui  était  aussi  un  druide  très  puis- 
sant, a  fait  une  fois  tomber  la  neige  sur  sa  province  entière. 

4.  Dinnsenchas  cités  de  Carman,  premier  récit  :  les  Tùatha  Dé  Danann 
envoient  contre  la  déesse  malfaisante  des  enchanteurs,  et  à  leur  tète, 
un  druide. 

2.  TocfimarcEtâine,  éd.  Windisch,  dans  Irische  Texte,  I,  p.  129,  §  18  : 
le  druide  Dalân  découvre  la  cachette  dans  laquelle  le  dieu  Mider  a  mis 
Etâin,  malgré  le  secret  dont  s'était  entouré  Mider.  Dalân  s'est  servi  de 
baguettes  (flesca),  sur  lesquelles  il  avait  inscrit  des  signes  en  ogham. 

3.  C'est  par  druidecht  =  «  druidisme»  qu'on  désigne  la  nature  même 
des  dieux  Tùatha  Dé  Dânann.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mylho- 
lof/ique,  p.  141  ;  Tùaîi  mac  Cairill.  loc.  cit.,  §  12  :  les  Tùatha  Dé  Da- 
nann sont  des  savants  {ar  pebas  a  n-éolais).  Or  les  druides  sont  des 
savants,  des  voyants.  Le  mo\.  druides  =  c/?'u-j/i</es  signifie  «  fortement 
voyant  ».  Dru  est  une  racine  indo-européenne  à  trois  formes  :  *doru 
qui  se  retrouve  dans  le  grec  oopv  =  «  lance  »  ;  *deru  qui  a  donné  le 
gaulois  (/erwo  «chêne  »,  en  gallois  de/'u',  en  breton  derv,  dero;  troi- 
sième forme  'dru  dans  l'irlandais  dron  =:  *dru-no  =  «  fort  »  et  dans  le 
grec  opôff  :=  «  chêne  »,  uid-es  vient  de  la  racine  '^eid,  *^oid,  '^id  = 
«  voir  »,  «  savoir  »  —  d"où  le  grec  cToov  =  «  j'ai  vu  »,  oToa=  «  je  sais  »  ; 
latin  uideo,  allemand  weiss  :  Thurncyscn  cité  chez  d'Arbois  de  Jubain- 
ville, Les  Druides  et  les  dieux  celtiques  à  formes  d'animaux,  p.  85,  cf. 
p.  1,  et  p.  11.  Les  druides  gaulois  étaient  de  même  des  savants.  Dio- 
dore  de  Sicile,  V,  38  dit  qu'on  nomme  druides  les  philosophes  :  <pt).(5(Toooî 
"À  Ttvèç  eiff'.  xa;  Oeo/ôyoi  Trep'.xTÔ);  Tt{jia»[jievoi,  o'jç  opoii(oaç  ovojjiiÇoudt. 

4.  Tàin  Bo  Cùalnfje,  1.  4723  ss.  :  Is  amlaid  ra  batar  Ulaid  :  geiss  d'Ul- 
taib  labrad  rena  rirj,  geis  don  rig  labrad  rena  druidib.  —  «  chez  les 
Ulales  il  était  ainsi  :  interdiction  aux  Ulatcs  de  parler  avant  leur  roi  ; 
interdiction  au  roi  de  parler  avant  ses  druides  ».  —  Cf.  Windisch, 
note  3  à  la  p.  672  de  la  Tàin  Bô  Cûalnge. 


276  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

La  place  des  druides  aux  banquets  est  à  côté  du  roi*.  Ils 
sont  tous  issus  de  la  plus  haute  noblesse. 

L'influence  des  druides  est  considérable.  Ils  sont  les 
conseillers  des  rois".  On  leur  confie  des  ambassades'.  Il 
en  est  de  même  en  Gaule,  où  les  druides  avaient  une  influence 
prépondérante  dans  toutes  les  affaires  publiques  *,  et  où  ils 
jouissaient  d'une  immunité,  pareille  à  celle  qui  constituait 
un  des  privilèges  les  plus  importants  du  clergé  au  Moyen 
Age^ 

Les  chefs  irlandais  confient  fréquemment  leurs  enfants 
aux  druides  comme  à  des  pères  adoptifs.  C'est  le  cas  des 
deux  filles  du  roi  Loegaire  et  de  Mogh  Nuadat,  fils  et  succes- 
seur d'un  roi  de  Munster^  Les  druides  sont  les  éducateurs 
attitrés  de  la  noblesse  gauloise  ' . 

Lesfilid.  Leurs  fonctions.  —  Quant  aux /^/<c?,  ce  sont  les 
ixày-t'.;,  les  devins  gaulois  de  Diodore  de  Sicile  *,  qui,  selon 

i.  O'Curry,  Manners  and  Customs.  II,  p.  49;  d'Arbois  de  Jubainville. 
Introduction,  p.  196  ss. 

2.  P.  ex.  Cathba  qui  est  le  conseiller  de  Conchobar  dans  tous  les 
récits  du  cycle  épiqa|  dUlster.  —  Cf.  Hennessy,  The  cause  of  the 
batlle  of  Cnucha,  dans  Rev.  Celtique,  II,  p.  88. 

3.  Cath  Muig/ie  Le'ana.  p,  18  s.  :  c'est  le  druide  Deargdanohsa  qui 
va  solliciter  une  trêve  après  une  bataille,  auprès  du  chef  de  l'armée 
victorieuse. 

4.  Chez  les  Héduens  les  magistrats  sont  autorisés  «  per  sacerdotes  », 
c'est-à-dire,  par  les  druides  :  César,  De  belle  qallico.  Vil,  33,  §  3.  — 
Diviciacus,  chef  du  parti  romain  en  Gaule  au  temps  de  César,  un 
homme  très  influent  et  qui  appartenait  à  la  plus  haute  noblesse,  était 
un  druide.  De  bello  gallico,  textes  réunis  dans  Holder,  Altceltischei' 
Sprachschatz,  I,  col.  1260-1262  ;  Cf-  Gicéron,  De  Divinatione,  1. 1,  cap.  41, 
§90. 

5.  César,  De  bello  gallico,  VI,  14,  §  1  :  «  Druides  a  bello  abesse  con- 
suerunt  neque  tributa  una  cum  reliquis  pendunt  ;  militiae  vacationem 
omniumque  rerum  habent  immunitatem  ». 

6.  Tirechân  p.  312  ss.  ;  Vie  Tripartite,  éd.  Whitley  Stokes,  p.  92. 
—  Cath  Muighe  Léana,  lac.  cit. 

7.  César.  De  bello  gallico.  VI,  14,  §§  2  ss.  —  Cf.  d'Arbois  de  Jubain- 
ville, Les  Druides  et  les  dieux,  p.  57  ss.  ;  Introduction,  p.  33. 

8.  Diodore  de  Sicile,  1.  V.  c.  31  :  ypîh-^'zii'.  oï  xaî  (lavTetJ'.v,  aTroScxT); 


ROLE    DES    FII.ID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      277 

Slrabon,  s'occupaient  de  sacrifices  et  étudiaient  la  nature. 
Sfrabon  les  nomme  oùaTî'-^',  ce  qui  est  probablement  la 
transcription  d'un  uâtïs  p^aulois,  identique  au  latin  uates. 
A  uât'is  répond  le  mol  irlandais  faith,  au  pluriel  fàthiy 
«  prophète  »".  Or,  les  filid  sont  nommes  aussi  fàthi  lors- 
qu'on a  en  vue  leur  pouvoir  divinatoire^. 

La  divination  est  une  fonction  essentielle  des  filid.  A  la 
suite  de  rites  particuliers,  ou  de  conjurations  faites  en  un 
lieu  et  à  une  date  convenables,  ils  obtiennent  la  révélation*. 
Ils  se  servent  aussi  de  baguettes  divinatoires,  /7e.sc  ftled^. 
Le  filé  accompli  est  un  inspiré  auquel  il  suffit  d'improviser 
un  poème  pour  dévoiler  les  choses  occultes*. 

Les/z/jrf  pratiquent  l'incantation  magique.  En  improvisant 
un  quatrain  approprié  ils  peuvent  provoquer  des  ulcères 
hideux  sur  la  face  de  la  personne  visée.  Ils  peuvent  aussi 

jjleY'^Xtj;  àç'.oùvjÊç  aùroôç'  ojtoi  ci  5ii  t£  xr^c,  oIojvoaxoTrtaç,  xal  O'.a 
Tf,ç  Ttuv  teosîoiv  ^••ji'.xc.  Ta  [ji£X).ovTa  rpoXÉYO^'-)  >'-3;î  ^àv  tÔ  T^^ï^^o<, 
£)^ou(Jiv  ij7:t(xoov. 

1 .  Strabon,  I.  IV,  c.  4,  §  4  :  oùaTeiç  oe  kpoTroiot  xal  ^yaiôXoyot. 

2.  D'Arbois  de  Jubainville,  Les  Druides  et  les  dieux,  p.  103. 

3.  Sur  l'équivalence  des  termes  fàilh  et  filé,  fili,  cf.  ibid.,  p.  106, 
note  1. 

4.  Il  y  avait  trois  procédés  de  divination  que  chaque  filé  était  tenu 
de  connaître,  Vimbas  forosnai,  le  leinm  laegda  et  le  dichelal  di  chen- 
naib  :  Livre  de  l'Ollamh,  cité  chez  O'Curry,  Manners  and  Customs,  II, 
p.  172.  —  Sur  Yimbas  forosnai  cf.  ci-dessus,  chap.  m.  —  Le  teinm  laegda 
consistait  à  toucher  avec  une  baguette  l'objet  sur  lequel  on  voulait  être 
renseigné  et  à  improviser  un  quatrain.  Dans  le  Dichelal  di  chennaib 
on  mettait  le  bout  de  son  doigt  dans  sa  bouche,  on  le  mordait  très 
fort  et  on  improvisait  un  quatrain  sur  la  question  posée.  Dans  les 
textes  les  deu.x  procédés  en  question  ne  se  distinguent  pas  bien  l'un 
de  l'autre  :  Sanas  Cormaic,  sub  Mogheime,  éd.  Kuno  Meyer,  Connac 
and  Finn,  dans  Silva  Gadelica,  p.  'J8  ;  cf.  Ludwig  Christian  Stern 
dans  Rev.  Celtique,  XIII.  p.  16  note,  et  O'Curry,  op.  cit..  Il,  p.  209  s.  ; 
H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction,  p.  249  ss.,  et  p.  256. 

5.  Sanas  Cormaic,  sub  Caire  Breccàin,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  28. 

6.  C'est-à-dire  en  pratiquant  le  dichelal  di  chennaib.  Un  filé  qui  pou- 
vait le  faire  portait  le  titre  de  sui,  sage,  et  marchait  sur  un  pied  d'éga- 
lité avec  les  rois  et  les  évèques  :  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction, 
p.  251  ;  Cf.  ci-dessous,  hiérarchie  et  privilèges  des  filid. 


278  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

la  combler,  au  contraire,  de  bienfaits'.  Ils  conjurent  les 
esprits-.  Us  sont  adjoints  en  qualité  d'exorcistes  aux 
druides  qui  luttent  contre  la  déesse  Carman  \ 

he  filé  est  un  savant,  vces'.  Il  est  tenu  de  fournir  une 

1.  Une  incantation  se  nommait  glam  dicend,  ou  bien,  d'une  manière 
plus  générale,  câ?n  (chant).  Ainsi  le  filé  Néde,  auquel  sa  maîtresse,  la 
femme  du  roi  Caier  avait  demandé  de  la  débarrasser  de  son  mari, 
improvise  un  glmn  dicend  contre  Caier  :  Mali  bare  gare  Caier,  cotmbeo 
[da)  tur  cealthru  cathœ  Caier.  Caier  diba,  Caier  dira,  Caier  furo,  fumara 
fochara  Caér.  —  «  Malheur,  mort,  vie  courte  pour  Caier,  que  les  lances 
blessent  dans  la  bataille  Caier,  Caier  diba  (?)  ...dirai?),  sous  terre 
Caier,  sous  les  remparts,  sous  les  pierres  Caier  !  »  A  la  suite  de  quoi 
Caier  «  trouva  sur  son  visage  trois  ulcères...  notamment  Souillure, 
Blâme  et  Laideur,  un  ulcère  rouge,  un  vert  et  un  blanc  ».  Publié  par 
Whitley  Stokes  dans  Three  Irish  Glossaries,  Inlroduciion,  p.  x.xxvii  ss. 

—  De  même  trois  càinte,  ou  faiseurs  d'incantations,  font  jaillir  trois 
ulcères  infamants  sur  le  visage  d'une  jeune  fille,  Luain,  qui  s'était 
refusée  à  leurs  désirs.  Luain  meurt  de  honte  :  Tochmarc  Luainejoc.  cit. 

—  Dans  un  morceau  qui  appartient  au  cycle  du  roi  Mongan,  publié  par 
M.  Kuno  Meyer,  dans  Voyage  of  Bran,  I,  p.  45  ss.,  le  filé  ForgoU  menace 
de  ses  incantations  Mongan  et  tous  ses  parents,  et  il  annonce  qu'il 
«  chantera  contre  leurs  eau.x,  de  sorte  que  plus  jamais  on  ne  prenne 
de  poissons  dans  leurs  estuaires;-  qu'il  chantera  contre  leurs  forêts, 
afin  que  celles-ci  ne  produisent  jamais  plus  de  fruits  et  contre  leurs 
plaines,  afin  qu'elles  soient  toujours  stériles  ».  —  Cf.  Sanas  Cormaic, 
éd.  Kuno  Meyer,  p.  20,  sub  càinte;  d'Arboisde  Jubainville,/n<?'od«c<jon, 
p.  239  à  p.  270;  Robinson,  article  résumé  dans  Rev.  Celtique,  XXXIV, 
p.  94  ss. 

2.  Par  exemple  ils  évoquent  les  morts.  Cf.  légende  de  la  découverte 
de  la  Tain  Bo  Cûalnge,  chez  Windisch,  Tâin,  préface,  p.  lui. 

3.  Dinnsenchûs  de  Rennes,  dans  Rev.  Celtique,  XV,  p.  311  s.  :  «  Ai  fils 
d'Ollam,  un  de  leurs  filid,  etCridenbél,  un  de  leurs  faiseurs  d'incanta- 
tions, et  Lugh  Laebach,  un  de  leurs  druides,  et  Bacuille,  une  de  leurs 
femmes  allèrent  jeter  des  charmes  »  contre  Carman.  Le  càinte  Criden- 
bél  est  lui  aussi  un  filé.  S'il  n'est  pas  nommé  comme  tel  avec  Ai,  c'est 
qu'on  a  voulu  faire  ressortir  que  celui-ci  était  avant  tout  un  poète.  Au 
XII»  siècle,  lorsque  les  Dinnsenchas  ont  été  recueillis,  le  titre  de  filé 
appartenait  plus  particulièrement  aux  poètes,  savants  et  historiens. 
Mais  chacun  d'eux  pouvait  à  l'occasion  devenir  un  càinte. 

4.  Sanas  Cormaic,  éd.  O'Donovan  et  Whitley  Stokes,  p.  49  sub 
Felmac  :  Fêle.  i.  écess  undc  dicitur  filidecht.  i.  écsi.  —  «  Fêle,  c'est-à-dire, 
science  ou  bien  savant,  inde  dicitur.  art  du  filé,  c'est-à-dire,  science  ». 

—  Glossaire  d'O'Davoren,  éd.  Whitley  Stokes,  dans  Archiv  fiiir  Cellische 
Lexikographie  II,  p.  344,  n»  877  :  Fêle.  i.  ecas  ».  —  Cf.  ibid.,  p.  378, 
n"  1042  :  Glen.  i.  tuir  né  foghlainn.  ut  est,  co  runaibk  atglentis.  i. 
tuirdis  ?iô  foglaindis  gu  sians.  —  «  glen  (rccte  :  glend),  c'est-à-dire 
chercher  ou  s'instruire,  ut  est,  «  c'est  aux  mystères  qu'ils  s'initient  (lit- 
téralement :  c'est  avec  les  mystères  qu'ils  s'instruisent)  »  »,  c'est-à-dire, 
ils  cherchent  ou  s'instruisent  avec  compréhension  ».  Il  s'agit  de  l'acqui- 


ROLE    UKS    FILII)    DANS    L.V    FORMATION    DE    LA    LÉGKNUE     279 

réponse  immédiate  à  toute  question  qu'on  lui  pose.  Ainsi 
Néde  et  Ferchertne,  deux  filid  rivaux,  se  provoquent  à  un 
tournoi  de  questions  difliciles,  formulées  en  un  langage 
mystérieux'.  Le  même  Néde  était  revenu  étudier  sept  ans 
auprès  de  son  ancien  maître,  lorsqu'il  se  fut  reconnu  inca- 
pable d'expliquer  le  nom  d'une  plante". 

Tous  les  professionnels  dont  l'art  exige  des  études  spé- 
ciales ou  qui  exploitent  une  invention  mystérieuse  sont 
assimilés  aux /î//t/.  Çla  sont  d'abord  les  artisans,  aes  dana, 
forgerons,  fondeurs,  architectes  ^  A  plus  forte  raison  le 
médecin,  qui  pratique  la  divination  comme  moyen  d'aus- 
cultation et  la  magie  comme  moyen  curatif ',  est  un  filé  spé- 


silion   de  la  science  par  les  filé  :  cf.  ibid.,  p.   376,  n»  1029  et  p.  382, 

noioei. 

1 .  Immacallam  in  dd  Thuarad.  ou  Conversation  entre  les  deux 
savants,  éd.  Whitley  Stokes,  Rev.  Celtique,  XXVI,  p.  10  ss. 

2.  Ibid..  p.  8. 

3.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction,  p.  260  ss.  —  Cf.  Com- 
mentaire au  Senchus  Mûr.  Ancient  Laws,  II,  p.  M8  :  ce  sont  les  arti- 
sans i)roprement  dits,  en  particulier  les  métallurgistes,  qu'on  y  entend 
par  aes  dana.  Or,  la  glose  d'un  autre  passage  du  môme  recueil,  où  il 
est  parlé  du  droit  qu'ont  les  aes  dana  de  disposer  de  leurs  terres,  (ibid. 
m,  p.  48)  explique  (p.  50),  qu'il  s'agit  de  terres  acquises  mad  etail 
bret/iemnasa,  nu  filideclita  no,  nach  dana  olcena.  —  «  par  l'exercice 
de  la  judicalure,  ou  bien  de  l'art  du  filé,  ou  d'un  autre  talent  quel- 
conque ».  —  C'est  sous  la  conduite  des  trois  filid  royaux  de  Conchobar 
que  les  aes  dana  de  l'Ulster  arrivent  sur  le  champ  de  bataille  :  Tàin  Bô 
Cùalnge,  version  des  Mss.  Stove  '.J84  et  Harleian  1,13.,  éd.  W^indiscli.  1. 
5466  ss.;  cf.  ibid.,  glossaire,  p.  954,  col.  2  :  aes  dana  désigne  aussi 
bien  les  artisans  i(ue  les  poètes,  les  devins  et  même,  parfois,  les 
druides.  —  Il  est  vrai  que  le  recueil  de  droit  intitulé  Uraicecht  Becc 
refuse  aux  artisans  et  aux  médecins  des  privilèges  égaux  h  ceux  des 
poètes  et  des  devins  :  Ancient  Laws,  V.  p.  94,  ^  2.  Mais  la  composition 
de  ce  recueil  ne  remonte  pas  plus  haut  que  le  xui»  siècle,  c'est-à-dire, 
qu'il  date  d'un  temps  où  l'on  n'entendait  plus  par  filid  que  les  gens  de 
lettres  qui  seuls  avaient  réussi  à  garder  un  reste  de  leur  ancienne 
splendeur.  Encore  VUraicecht  Becc  reconnaît  que  les  médecins  et  les 
artisans  eux-mêmes  peuvent  avoir  droit  au  titre  il'ollam/i,  ou  docteur, 
savant,  qui  est  un  titre  particulier  aux  filid.  Cf.  ci-dessous,  hiérarchie 
des  filid. 

4.  Ainsi  l'épithète  de  Fingin,  le  médecin  épique  du  cycle  d'Ulster, 
est-elle  f'àthliaii),  c'est-à-dire,  inédeciiv-devin,  médecin-prophète  :  Tain 
Bo  Cùalnge.  11.  42'JO  ss.  et  5506  s.  —  Cf.  ci-dessus,  p.  222,  les  signes 


280  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

cialisé  '.  Enfin  les  /il id  comprennent  les  musiciens  joueurs 
de  crotta,  la  harpe  irlandaise*,  qui  est  un  instrument 
magique  entre  leurs  mains  \ 

Une  catégorie  importante  des  filid  est  constituée  par  les 
jurisconsultes,  brethcmain.  Arbitres  des  contestations,  ils 
conservent  intacte  la  tradition  des  sentences  antiques,  qui 


auxquels  il  reconnaissait  la  nature  et  la  cause  des  maladies.  —  Sur 
les  méthodes  de  l'ancienne  médecine  irlandaise,  cf.  Joyce,  op.  cit.,  l, 
p.  624ss.  — Incantations  médicales  dans  le  Ms.  irlandais  de  Saint-Gall 
(viii«  siècle)  :  Thésaurus  P alaeohibernicus.  II,  p.  248.  Propriétés  cura- 
tives  des  herbes  et  en  général  des  diverses  matières  usitées  en  méde- 
cine, prescriptions  pour  leur  emploi  dans  Ancient  Irish  treatise  on 
Materia  Medica,  dans  Rev.  Celtique,  IX,  et  A  Celtic  Leechbook,  dans 
Zft.  fur  celtische  Philologie,  I,  p.  17  ss.,  tous  deux  publiés  par  Whitley 
Stokes.  —  Cf.  aussi  Silva  Gadelica,  p.  126.  et  p.  252  s. 

1.  Remarquons  que  dans  les  légendes  épiques  se  sont  les  Tùatha 
Dé  Danann ,  qui  sont  les  guérisseurs  attitrés  des  héros  :  Tdin  Bô 
Cùalnge,  1.  2478  s.  ;  Cath  Muighe  Léana,  p.  90.  —  Or  les  Tùatha  Dé 
Danann  sont  considérés  comme  étant  dans  une  alliance  étroite  avec 
les  filid.  —  Cf.  ci-dessous,  identité  de  la  déesse  tutélaire  des  médecins, 
Brigit,  avec  celle  des  filid  poètes  et  des  artisans. 

2.  Tous  \qs  filid  s'accompagnent  de  la  crotta  en  chantant  :  O'Curry, 
Manners  and  Customs,  chap.  x.\xii,  xxxni  et  passim  ;  cf.  d'Arbois  de 
Jubainville,  La  civilisation  des  Celtes,  p.  134.  —  Inversement,  seuls 
entre  les  musiciens,  les  joueurs  de  crotta  jouissent,  du  fait  même  de  leur 
profession,  de  privilèges  analogues  aux  autres  aes  dana.  Us  ont  droit 
aux  honneurs  dus  à  un  bô-aire  :  Ancient  Laws,  V,  p.  106.  Dans  les 
légendes  épiques  les  harpistes  sont  toujours  mentionnés  à  côté  des 
filid  poètes  des  plus  hauts  grades  et  comme  leurs  égaux.  Ainsi  les  deux 
pères  adoptifs  du  roi  légendaire  Labraidh  Loingsech  sont  le  filé  Fer- 
certne,  qui  est  un  poète,  et  le  harpiste  Craiftine  :  OCurry,  op.  cit.,  II, 
p.  51.  Le  Lebar  na  Gabala  raconte  que  lorsque  les  deux  fils  de  Mile 
partagèrent  entre  eux  l'Irlande  et  toutes  ses  richesses,  ils  tirèrent  au 
sort  pour  savoir  auquel  des  deux  appartiendrait  le  plus  renommé  des 
poètes  et  lequel  aurait  pour  sa  part  un  célèbre  joueur  de  crotta  :  texte 
publié  par  OCurry,  op.  cit..  II,  p.  4  s.  —  Les  deux  artistes  sont  donc 
bien  considérés  comme  égaux.  De  plus  tous  les  deux  sont  nommés 
«  instructeurs  »,  «  professeurs  des  doux  arts  ».  Leurs  deux  professions 
se  valent  donc  elles  aussi. 

3.  En  jouant  de  la  c>'o//a,  le  filé  provoque  un  sommeil  magique.  Ainsi 
le  harpiste  Craiftine  joue  avant  une  bataille  un  air  qui  endort  les 
ennemis,  tandis  que  ses  propres  compagnons  sont  obligés  de  se  bou- 
cher les  oreilles  pour  ne  pas  s'endormir  eux  aussi  :  Orgain  Dind-rig, 
The  Destruction  of  Dind-rig,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Zft.  fur  Celtische 
Philologie,  III,  p.  12,  §§  19  et  20.  Il  endort  pareillement  les  parents 
d'une  jeune  fille  pour  lui  permettre  de  rejoindre  son  amant  :  ibid., 
p.  11,  §13. 


J 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      281 

servent  de  précédents  à  la  jurisprudence  irlandaise  ^  Seule 
la  science  du  parfait  filé  est  assez  grande  pour  connaître 
toutes  ces  sentences  et  pour  en  interpréter  le  langage 
a^chaïque^  Et  tout  filé  est  obligé  d'avoir  l'érudition  d'un 
brethem,  môme  lorsqu'il  n'en  remplit  pas  régulièrement 
les  fonctions'. 

Tout  fîlè  est  enfin  historien  et  antiquaire,  sencha''. 
11  sait  par  cœur  les  Dinnsenchas,  recueils  de  légendes 
locales.  Il  veille  sur  les  généalogies  de  sa  tûath.  On  s'en 

1.  D'Arbois  de  Jubainville,  Orifjine  de  la  juridiction  des  druides  et 
des  filé,  dans  Rev.  Archéologique,  Mars,  1884;  le  même,  Résumé  d'un 
cours  de  droit  irlandais,  p.  11  ss.,  p.  103;  O'Curry,  Manners  and  Customs, 
II,  p.  20  s.  —  Senchus  Môr,  I,  p.  22,  p.  80,  p.  86.  —  L'exercice  de  la 
justice  est  un  privilège  des  filid  depuis  le  temps  reculé  où  les  fils  de 
Mile  débarquèrent  en  Irlande  et  y  soumirent  leur  premier  litige  à  la 
sentence  du  filé  Amairgen  :  O'Curry,  op.  cit..  Il,  p.  20  et  p.  188  ss.  — 
On  sait  qu'en  Gaule  c'étaient  au  contraire  les  druides  qui  étaient  juges 
des  procès  :  César,  De  bellico  gallico,  VI.  13,  §  5  et  §  6. 

2.  Comtholh  Loegairi  co  cretim,  éd.  Plummer,  loc.  cit.,  p.  165  ;  Senchus 
Môr,  Introduction,  dans  Ancient  Laws  I.  p.  4  :  le  roi  Loegaire  institue 
une  commission  pour  codifier  les  lois  irlandaises,  et  qui  se  compose 
en  partie  de  filid  «  savants  dans  la  langue  des  Féne  ».  M.  Thurneysen, 
Rev.  Celtique,  VII,  p.  369  ss.,  suppose  que  les  filid  et  bvethemain  se 
servaient  d'une  langue  secrète,  une  sorte  d'argot,  et  que  c'était  pré- 
cisément cette  langue  qu'on  nommait  ogham.  Cf.  plus  loin.  Mais  même 
écrites  en  irlandais,  les  sentences  du  Senchus  Môr  sont  extrêmement 
difficiles  à  interpréter. 

3.  L'étude  du  droit  irlandais  est  obligatoire  dans  les  écoles  de  filid 
dès  la  quatrième  année  d'étude  :  Joyce,  op.  cit.,  I,  p.  431. 

4.  Cf.  O'Curry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  50  s.  :  liste  des  historiens 
du  peuple  de  Mile  depuis  son  arrivée  en  Irlande,  d'après  le  Ms.  Livre 
de  Ballymote  ;  un  seul  est  druide,  tous  les  autres  sont  des  filid.  Encore 
ce  druide  est-il  Cathba,  c'est-à-dire,  un  personnage  presque  aussi 
célèbre  que  Cùchulainn  et  Coiichobar,  et  leur  compagnon.  On  l'a  nommé 
précisément  à  cause  de  sa  célébrité  et  parce  que  sa  qualité  de  druide 
en  faisait  un  savant  :  Cathbath,  ar  ba  fissid  side,  {Longes  mac  n-Usnig 
dans/risc/ic  Texte,  I,  p.  68).  Cf.  fissid  :=sophis ta.  cathus.  gnarus  :  Zeuss, 
éd.  Kbel,  772  ;  «  wissend.  wissender  »,  Windisch,  Irische  Texte.  I,  Wôr- 
lerbuch.  —  Sur  le  rok'  des  filid  comme  historiens  cf.  Windisch,  Einleitung 
•à  son  éd.  delà  Tain.  p.  li  :  l'histoire  de  l'Irlande  s'appuyant  surtout  sur 
des  récils  épiques  et  des  légendes,  les  filid  qui  avaient  pour  fonction  de 
réciter  ces  histoires  sont  devenus  tout  naturellement  des  historiens. 
Peu  à  peu  ils  ont  abandonné  toutes  leurs  autres  occupations  pour  se 
consacrer  exclusivement  au  travail  d'archivistes  et  de  compilateurs. 
Cf.  (»'  Donovan.  Tribes  and  Customs  of  Hy-Fiachrach,  p.  10  :  Clann 
Firbisigh.  i.  fUeadha.  Or  ce  sont  des  historiens. 


282  SAINT    PATRICK    EE    LE    CULTE    DES    HÉROS 

réfère  à  lui  pour  la  justification  des  privilèges  et  des 
droits'.  Aux  cérémonies  d'intronisation  le  sencha  remé- 
more les  us  et  coutumes  de  la  tribu  et  fait  prêter  au  roi  le 
serment  de  les  respecter".  Il  sert  d'archives  vivantes  aux 
tûatha  d'Irlande. 

Fonction  mythopoétique  des  filé.  —  Mais  avant  tout 
les  filid  sont  les  créateurs  et  les  gardiens  de  la  tradition 
mythique  et  épique. 

Ils  sont  poètes  et  narrateurs.  Le  filid  s'en  va  partout  où 
il  espère  trouver  un  auditoire,  chanter  les  gestes  des  dieux 
et  des  héros  ^.  Dans  les  cours  royales,  aux  banquets,  il  est 

1.  Les  Dinnsenchas  et  les  Bretha  Nemed  sont  matières  d'études  obli- 
gatoires dans  les  écoles  ûe  filid:  Joyce,  loc.  cit.  —  Dans  les  légendes 
épiques  à  chaque  moment  on  voit  les  filé  interrogés  sur  les  événements 
du  passé,  sur  les  généalogies,  sur  la  raison  des  particularités  d'un 
lieu,  d'un  nom,  d'un  état  de  droit.  Cf.  par  exemple  l'épisode  cité  de 
l'histoire  de  Mongan  ;  cf.  Immacallam  in  dà  Thuarad,  loc.  cit. 

2.  Keating,  éd.  Dinneen,  Irish  Texts  Soc,  IX,  p.  10  ss. 

3.  Cf.  Windisch,  Einleitung  à  son  éd.  de  Tâin  Bô  Cûalnge,  p.  xlv  ss.  ; 
d'Arbois  de  Jubainville,  hilroduction,  p.  49  ss.  ;  O'Gurry,  Manners  and 
Customs,  II,  ]).  48  ss.  C'est  par  le  mot  filé  qu'on  désigne  les  poètes  et 
les  conteurs  dans  toute  la  littérature  irlandaise.  Donn-bo,  par  exemple, 
est  un  filé  :  CathAlmaine,  loc.  cil.  Les  quelques  personnages  historiques 
qui  ont  laissé  des  œuvres  poétiques,  comme  Cinaed  hùa  Artacain, 
Cuan  hùa  Lochain,  étaient  des  filid.  Dans  le  morceau  Tochmarc  Ferbe. 
éd.  Windisch.  dans  Irische  Texte,  lll,  p.  518,  le  roi  Conchobar  revenant 
d'une  expédition  guerrière  raconte  ses  exploits  à  sa  femme  et  recom- 
mande à  son  filé  Fercertne  «  de  composer  bien  vile  un  poème  parfait 
afin  de  conserver  la  mémoire  de  cette  histoire  ».  —  Il  faut  distinguer 
le  filé,  en  tant  que  poète,  du  barde.  En  Irlande  le  mot  bàrd  désigne 
aussi  un  poète,  mais  un  poète  populaire,  qui  n'a  fait  «  aucune  étude 
obUgatoire  et  auquel  suffit  son  propre  esprit  »  :  Ancient  Laws.  IV,  p.  3G0. 
Sa  poésie  (bardne)  «  n'est  pas  composée  comme  il  faut  »  :  cf.  Thur- 
neysen  dans  Irische  Texte.  III,  p.  107  ;  «  Il  n'a  besoin  ni  de  savoir  lire, 
ni  de  savoir  ce  qu'est  le  pied  d'un  vers  ».  Aussi  est-il  un  homme  de 
peu  devant  la  loi.  Il  est  considéré  comme  insolvable,  ses  cautions 
ne  sont  pas  admises  et  il  n'est  pas  capable  de  faire  opérer  une  saisie. 
Avec  le  lethcerd,  «  demi-artisan  »,  c'est-à-dire  l'ouvrier  qui  sait  trop 
peu  de  chose  pour  entrer  dans  la  corporation,  avec  le  càinte  ou  sorcier 
vulgaire  et  le  muirchuirl  ou  le  naufragé,  le  bàrd  rentre  dans  la  catégorie 
des  deorad  qui  ne  peuvent  paraître  dans  l'assemblée  législative  et  poli- 
tique nommée  airecht  :  d'Arbois  de  Jubainville,  Résumé  d'un  cours  de 
droit  irlandais  (1"  semestre),  Paris,  1888.  p.  21  s^.  Cf.  du  même,  Intro- 


ROLE    I>KS    FILII)    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      28Î 

un  personnage  indispensable,  auquel  on  demande  des  his- 
teurs  toujours  nouvelles  sur  la  gloire  des  anciens  temps, 
et  dont  on  écoute  avec  complaisance  les  poèmes  adula- 
teurs ' .  Le  [ilé  est  tenu  de  fournir  un  récit  sur  tout 
sujet  qu'on  lui  impose,  même  lorsque  renchaînement  des 
faitsa  été  notoirement  oublié.  L'inspiration  et  les  révé- 
lations surnaturelles  viennent  toujours  en  aide  au  filé 
accompli". 

Comme  poète,  le  filé  a  une  place  réservée  dans  les  céré- 
monies du  culte.  Il  est  chargé  de  composer  le  panégyrique 
du  héros  mort^  et  ce  poème  est  répété  aux  anniversaires 
des  funérailles.  Aux  assemblées,  tandis  que  le  druide  s'oc- 
cupe du  sacrifice,  le  filé  commente  et  explique  la  cérémo- 
nie, lien  interprète  les  rites,  il  narre  les  mythes  et  légendes 
relatifs  à  son  institution,  sa  date  et  à  l'endroit  de  la  célé- 
bration ^ 


duction,  p.  G9  à  p.  73.  Au  contraire,  dans  le  pays  de  Galles,  c'est  un 
poète  officiel  qui  s'appelle  hardd.  Il  tient  ,1e  huitième  rang  parmi  les 
officiers  de  la  cour  royale,  il  a  une  place  réservée  à  la  table  du  roi,  on 
lui  octroyé  une  terre  libre  et  on  le  paye  :  Code  Vénédolien  dans  Ancient 
Laws  and  InstUutes  of  Wales,  p.  2.  p.  16.  —  11  y  avait  aussi  des  bardes 
en  Gaule,  mais  ils  paraissent  ne  pas  y  avoir  tenu  de  rang  social  élevé  : 
Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction,  p.  46  ss. 

1.  Cf.  Calli  Ahnaine,loc.  cil.  :  les  Ulates  ne  veulent  pas  se  mettre  en 
route  sans  le  filé  Donn-bô,  parce  qu'il  sait  chanter  aux  banquets 
comme  pas  un.  —  Cf.  aussi  F led  Bricrend,  éd.  Windisch,  p.  258,  §  13. 

2.  Cf.  la  légende  Imtlieachl  natromdhaimhe,  éd.  Owen  Conellandans 
Transactions  of  Ihe  Ossianic  Society,  V.  Dublin,  1860  ;  un  roi  exige  du  filé 
Senchan  Torpeist  de  lui  raconter  la  Tdin  Bu  Cùalnge.  Un  des  élèves  de 
Senchan  évoque  l'esprit  de  Fergus  et  se  fait  dicter  le  texte  perdu. 

3.  Exemples  :  Bruiden  Dà  Chocae,  loc.  cit.,  §  63  :  Mort  d'Oscar  et  de 
Coirpre.  éd.  Windisch.  Irische  Texte  I,  trad.  d'Arbois  do  Jubainville, 
Épopée  Celtique,  p.  3'Jl.  Ce  dernier  poème  surtout  est  ty[)ique.  La 
légende  attribue  sa  composition  au  filé  Oisin,  le  fameux  Ossian  de 
Macpherson. 

4.  Cf.  Aenach  Carmain,  loc.  cit.  :  strophes  a8  à  60  :  à  Carman  on  écoute 
les  récits  épiques,  les  maximes  des  anciens  et  les  poèmes  que  chantent 
les  filid.  L'assemblée  de  Druimm  Cela  en  Leinsler,  convoquée  à  Sa- 
mhain.  commence  par  un  morceau  chanté  en  cœur  par  les  filid  :  Amra 
Coluinib  Cille,  préface,  éd.  Whitlcy  Slokes  dans  Revue  Celtique  XX, 
p.  21.  Il  y  avait  un  rapport  entre  ces  récils  et  la  fête  elle-même.  Témoin 


284  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Les    FILID    ONT   PERSONNIFIÉ    LEUR    IDÉAL    PROPRE    DANS    LE 

TYPE  DU  HÉROS  IRLANDAIS.  —  AinsI  associés  aux  cérémonies 
religieuses,  les  filid  deviennent  les  protagonistes  naturels 
du  culte  héroïque. 

Ils  composent  leurs  poèmes  pour  une  aristocratie  belli- 
queuse et  avide  de  domination.  Ils  en  sont  issus  eux-mêmes  ^ 
Aussi  les  fdid  se  sont-ils  employés  à  développer  le  côté 
historique  et  dramatique  du  mythe  au  détriment  de  ses 
autres  aspects.  Ils  l'ont  rattaché  aux  légendes  généalo- 
giques. Cette  activité  aboutit  à  créer  le  type  général  des 
mythes  irlandais,  dans  lesquels  la  représentation  du  dieu 
se  confond  avec  celle  du  héros. 

L'orgueil  professionnel  des  filid  trouve  dans  cette  repré- 
sentation son  expression  intégrale.  Les  ^/^rf  jouent  toujours 
un  grand  rôle  dans  l'épopée,  et  souvent  le  héros  principal 
de  celle-ci,  Finn  par  exemple,  est  un  parfait  filé  '.  Les 
dieux  Tûatha  Dé  Danann  exercent  avec  maîtrise  tous  les 


le  récit  intitulé  ^irne  Fingein.  Ms.  Stowe,  D.  4.  2,  transcription  de  Miss 
A.  M.  Scarre  dans  Anecdola  from  Irish  Mnnuscripts.  II,  Halle,  1908, 
p.  1  ss.,  récit  qui  énumère  les  événements  mémorables  qui  se  sont 
passés  à  Samhain.  —  D'autre  part,  les  mythes  irlandais  ont  été  con- 
servés par  les  filid.  Beaucoup  sont  consignés  dans  les  Dinnsenchas, 
que  les  filid  devaient  savoir.  Nécessairement  ils  devaient  aussi  les 
raconter.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique,  p.  5  s. 

1.  Le  plus  ancien  des  filid  gôidéliques,  Amairgcn,  est  le  propre  fils  de 
Mile  et,  par  conséquent,  il  est  le  frère  des  deux  premiers  rois  d'Irlande, 
Eremon  et  Eber  Find  :  d'Arbois  de  Jubainville,  Cycle  Mythologique, 
p.  241.  —  Un  autre  Amairgon,  filé  du  cycle  épique  d'Ulster,  est  un  des- 
cendant de  Ross  Riiad,  fils  de  Rudraige,  qui  est  aussi  l'aïeul  du  roi 
Conchobar  (Tain  B6  Cùalnge,  1.  4638)  et  il  a  pour  femme  Findchoem,  la 
propre  sœur  de  celui-ci  :  Conception  de  Cùchulainn,  Epopée  Celtique, 
p.  31  ss.  —  Dans  les  temps  historiques  nous  voyons  toujours  que  les 
filid  appartiennent  à  la  haute  aristocratie,  tels  les  célèbres  Mac  Firbis, 
ou  Clann  Firbisigh,  chez  les  ilùi  Amalgada  :  O'Donovan,  Tribes  and 
Customs  of  Hy  Fiachrach    p.  10  et  p.  100. 

2.  Il  pratique  le  dicetal  di  chennaib  :  Silva  Gadelica,  p.  98.  — 
Oisin,  un  filé  renommé,  est  son  compagnon.  Tous  les  fianna  (guerriers 
de  Finn)  étaient  des  filid;  Keating,  éd.  DinncQn,  Ir.  Texts  Soc.  "VIII, 
p.  332.  Amairgen,^/ede  Conchobar,  prend  part  à  la  défense  del'Ulster 
dans  la  Tàin  B6  Cùalnge,  p.  661  ss.  {Oislige  Amargin  i  Taltin). 


ROLE    DES    FILM)    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      285 

arts  des  fiHd  et  ils  en  sont  les  protecteurs  attitrés  *.  Ainsi 
Dagda,  qui  porte  l'épilhète  de  Ruad  ro  fessa,  Seigneur 
de  Grande  Science",  est  un  habile  joueur  de  harpe  '.  Dian- 
cecht  est  médecin,  Goibniu  forgeron'  et  Lug  exerce  tous 
les  arts  avec  un  succès  égal.  Quant  à  Brigit,  la  «  femme 
savante  »,  fille  de  Dagda,  elle  est  la  patronne  particulière 
des  filid.  On  en  fit  trois  déesses  homonymes  dont  l'une  est 
invoquée  par  les  devins  et  les  poètes,  l'autre  par  les  méde- 
cins et  la  troisième  par  les  métallurgistes  ^ 

Le  héros  belliqueux  et  filé  devint  ainsi  en  Irlande  la  per- 
sonnification des  valeurs  morales  suprêmes*.  Et  comme 

1.  Les  filid  prétendaient  môme  en  descendre.  La  consonnance  de 
dan,  gén.  dana,  dans  aes  dana  =  «  gens  de  talent  »  avec  le  nom  de 
la  déesse  Danu,  dans  Tùatha  Ué  Danann  justifiait  cette  prétention  :  H. 
d'Arbois  de  Jubainviile,  Inlroduclion,  p.  :260. 

2.  Hanas  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  98,  s.  v.  ;  cl.  d'Arbois  de  Jubain- 
viile. Introduction,  p.  28a  et  Cycle  Mythologique,  p.  375.  —  Cf.  Introd., 
note  2  à  la  page  283  et  Cycle,  p.  145  :  Dagda  a  trois  fils  qui  ont  en 
commun  un  fils  unique,  dont  le  nom  estEené,  c'est-à-dire,  science,  poésie. 

3.  La  représentation  du  dieu  joueur  de  crotla  tient  même  dans  le 
mythe  de  Dagda  une  place  qui  peut  être  comparée  à  celle  du  citharède 
dans  la  représentation  d'Apollon.  C'est  dans  la  crotta  de  Dagda  que 
sont  enfermés  tous  les  airs  de  musique,  de  sorte  qu'ils  ne  peuvent 
se  faire  entendre  sans  l'ordre  du  dieu.  Toute  une  histoire  a  pour 
sujet  la  délivrance  de  la  crotta  que  les  Fomoraig  avaient  fait  prison- 
nière. Dagda  pénètre  dans  le  camp  des  dieux  ennemis  et  il  les  endort 
en  jouant  un  air  :  Cath  Maighe  TureU,  lac.  cit.,  §§  163  et  164.  —  Cf.  O'Curry , 
op.  cit.,  III,  p.  214. 

4.  Sur  ces  deu.x  dieux  cf.  d'Arbois  de  Jubainville,Cj/c/e  Mythologique, 
p.  307  ss. 

3.  Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  15,  au  mot  Brigit.  —  Cf. 
d'Arbois  de  Jubainviile,  Introduction,  p.  283  :  le  mari  de  Brigit,  le 
dieu  Bress,  est  fils  de  Science  et  de  Composition  Littéraire.  —  Sur  Brigit 
et  les  divinités  des  autres  peuples  celtiques  qu'on  peut  en  rapprocher 
cf.  d'Arbois  de  Jubainviile,  Cycle  Mythologique,  p.  146  ss. 

6.  Le  fait  est  qu'aucun  personnage  épique  n'incarne  au  même 
degré  l'idéal  héroïque  irlandais  que  les  trois  héros  filid  du  cycle  de 
Leinster,  Finn.  Oisin  et  Caoilte.  Ils  ont  même  rejeté  dans  l'ombre 
Ciichulainn  et  ses  compagnons.  Tandis  que  la  formation  de  nouvelles 
légendes  autour  de  ceux-ci  s'arrête  presque  entièrement  dès  le  xi»  siècle, 
le  nombre  des  récits  dont  Finn  est  le  héros  ne  fait  que  croître  durant 
tout  le  Moyen-Age  et  jusqu'à  nos  jours.  C'est  que  les  héros  du  cycle 
d'Ulster  n'ont  pas  l'avantage  d'être  des  filid.  De  plus,  les  druides,  qui 
étaient  les  adversaires  des  filid  (cf.  ci-dessous)  jouent  un  rôle  prépondé- 


286  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

l'œuvre  mythopoctique  des  filid  embrasse  loul  ce  que  le 
pays  a  produit  en  fait  de  mythes,  légende,  contes,  littéra- 
ture didactique  et  philosophique,  toute  manifestation  intel- 
lectuelle de  la  vie  irlandaise  est  forcée  de  se  conformer  h 
cet  idéal. 

L'idéal  des  filid  est  un  idéal  corporatif.  —  I.  Auto- 
nomie et  solidarité  de  la  confrérie  des  filid.  —  Aussi  bien 
les  ^//û?  sont-ils  animés  d'un  très  fort  esprit  de  corps. 

Ils  forment  une  confrérie  qui  jouit  d'une  autonomie  com- 
plète. Ses  affaires  sont  discutées  en  des  congrès  corporatifs, 
dont  le  plus  important  avait  lieu  pendant  l'assemblée  de 
Cruachan  en  Connaught'.  Les  filid  nomment  eux-mêmes 
leurs  chefs  et  les  rois  se  bornent  à  ratifier  leur  choix  ^. 

Les  membres  de  la  confrérie  sont  étroitement  solidaires. 
Lorsqu'un  fié  prononce  une  incantation  pour  se  venger 
d'un  mauvais  traitement,  il  se  fait  accompagner  par  six 
autres  flid,  un  de  chaque  grade,  qui  représentent  la  corpo- 
ration entière  offensée  dans  un  de  ses  membres  ^ 

La  solidarité  des  filid  résulte  de  leur  organisation  en 
une  hiérarchie  de  maîtres  et  de  disciples.  —  Cette  soli- 

rant  dans  le  cycle  en  question.  Aussi  les  héros  Ulates  nétaient  point 
des  personnages  aussi  «  sympathiques  »  peuples  filid  que  les  héros  du 
Leinster.  Sans  doute,  des  raisons  politiques  ont-elles  aussi  contribué  à 
l'exaltation  de  Finn,  avant  tout  la  prépondérance  des  provinces  méri- 
dionales dans  les  affaires  de  l'île  à  partir  du  xi«  siècle  (avènement  des 
O'Brien  au  trône  d'Irlande).  Il  n'en  est  pas  moins  remarquable  que 
lorsque  après  la  première  invasion  anglo-normande  l'Ulster  réussit 
seul  à  garder  son  indépendance,  les  héros  particuliers  de  cette  pro- 
vince ne  recouvrèrent  point  leur  ancienne  popularité. 

1.  Keating,  éd.  Dinneen,  Irish  Texts  Soc.  IX,  p.  42  s. 

2.  Cf.  O'Gurry  Lectures  on  the  Mss.  Materials,  p.  462.  —  L'investiture 
royale  était  nécessaire  pour  que  le  filé  entrât  en  fonction  :  uirdned  ar 
rig  lùath,  «  ordination  par  le  roi  de  la  tùalh  »,  Commentaire  au  Sen- 
chus  Môr  Ane.  Laws,  1,  p.  42.  Mais  ce  sont  les  filid  eux-méme  qui 
élisent  un  des  leurs,  Senchan  Torpeist^  pour  chef  suprême  :  Windisch, 
Einleitung  à  la  Tain  B6  Cûalnge,  p.  XLVII. 

3.  O'Curry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  216  ss.  ;  Cf.  Rev.  Celtique,  XII, 
p.  118. 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE     287 

darilé  est  la  conséquence  de  leur  organisation  intérieure. 

Ils  forment  une  corporation  fermée,  dont  les  membres 
sont  héréditaires  '  et  dont  les  grades  s'acquièrent  par  voie 
d'initiation. 

Il  y  a  sept  degrés  d'initiation  et  trois  de  préparation,  ce 
qui  correspond  à  douze  années  d'études".  Au  bout  de 
trois  ans  l'élève  a  atteint  le  grade  de  drissac  après  celui 
iVollaire  et  de  taman,  il  sait  réciter  par  cœur  vingt  contes, 
un  peu  de  grammaire  et  il  connaît  la  signification  de  cin- 
quante ogham^.  Les  trois  premières  années  d'initiation, 
pendant  lesquelles  le  candidat  s'appelle  successivement 
fochluc,  mac  fuirmid,  doss,  cana  et  cli  sont  consacrées 
à  apprendre  de  nouveaux  contes  et  poèmes,  les  ogham,  la 


1.  Joyce,  op.  cit.,  I,  p.  44i.  —  Cf.  O'Donovan,  Tribes  and  Customs  of 
Uy-Fiachrach.  p.  10  et  p.  100  s.  :  les  Mac  Firbis  sont  les  fileadha 
héréditaires  L'a  Amalgaidh  agus  Cloinne  Fiachrach. 

2.  O'Curry.  Manners  and  Customs,  II,  p.  171  s.  —  Cf.  tableau  des 
grades  des  filid  dans  Joyce,  op.  cit.,  I,  p.  430  ss.  ;  cf.  Thurneysen, 
dans  Irishe  Texte.  III,  p.  113  ss.  — Le  fait  qu'il  ne  s'agissait  pas  simple- 
ment détudes  et  de  titres  qu'on  pourrait  appeler  universitaires,  mais 
bien  d'une  initiation,  ressort  d'abord  de  ce  que  les  filid  sont  repré- 
sentés comme  puisant  à  la  Fontaine  d'Inspiration  {Echtra  Cormaic, 
p.  213  ss.  ;  cf.  ci-dessus,  chap.  iv  ;  note  d'O'Donavan  au  mot  Caill 
crithmon  dans  Cormacs  Translation)  ou  bien  comme  inspirés  par  les 
puissances  de  la  nature,  le  bruit  de  la  mer  [Immacallam  in  dà  Thuarad, 
toc.  cit,  p.  8),  a  le  soleil  ou  la  Boyne  w,  sui  imbhuis  gréinne  nô  Boinne, 
(O'Davoren's  Glossary,  éd.  Whitley  Stokes  dans  Arcliiv  filr  Cellische 
J.exikûgraphie,  II,  p.  345,  n*  882).  Il  ressort  avant  tout  de  ce  que  les 
trois  procédés  de  divination  devaient  être  connus  de  tout  filé  qui  bri- 
guait le  grade  suprême,  au  moins  jusqu'à  la  seconde  moitié  du  x«  siècle  : 
O'Curry,  op.  cit  ,  II,  p.  135.  Le  i^atias  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  64, 
sub  imbass  forosnae.  affirme  même  que  le  dicetal  di  chennaib  est  per- 
mis par  l'Eglise.  Cf.  Tripartile  Life.  II,  p.  571. 

3.  On  ne  sait  pas  ce  qu'étaient  ces  ogham.  Il  ne  s'agit  certainement 
pas  seulement  des  signes  graphiques  ainsi  nommés.  Ceux-ci  corres- 
pondent aux  sons  du  vieux-irlandais  et  ne  sont  qu'au  nombre  de 
vingt.  Peut-être  faut-il  entendre  ^tar  ogham  les  propriétés  magiques  des 
incisions  sur  des  baguettes,  incisions  qu'on  nommait  ogham.  et  qui 
n'étaient  pas  nécessairement  identiques  aux  signes  graphiques  du 
même  nom.  Cf.  Tochmarc  Elàine,  loc.  cit.,  p.  l±J.  §  18  :  c'est  en  ins- 
crivant des  ogham  sur  quatre  baguettes  que  le  druide  Dalan  force  le  dieu 
Mider  à  lui  découvrir  la  cachette  d'Etâin.  Cl.  aussi  l'hypothèse  de 
M.  Thurneysen,  cité  plus  haut,  p.  281,  note  2. 


288  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

grammaire,  la  philosophie,  les  lois  et  privilèges  de  la  no- 
blesse et  enfin  la  langue  secrète  des  filid.  Trois  nouvelles 
années  sont  nécessaires  pour  devenir  un  anruth^  lequel  sait 
réciter  cent  soixante  quinze  contes  et  de  nombreux  poèmes, 
qui  a  appris  à  comprendre  le  langage  des  formules  juridi- 
ques et  autres,  qui  connaît  les  Dinnsenchas,  les  Brosnacha, 
recueil  de  maximes  et  de  formules  savantes,  et  qui  est  initié 
aux  trois  rites  de  divination  pratiqués  par  les  filid.  Uannith 
attend  trois  ans  encore  avant  de  devenir  ollamh  et  d'atteindre 
ainsi  le  grade  suprême.  Uollamh  sait  trois  cent  cinquante 
histoires,  cent  poèmes  de  la  catégorie  ajiamuin  qui  est  ré- 
servée à  son  grade,  cent  vingt  invocations  et  incantations. 
Il  a  étudié  les  «  quatre  arts  de  la  poésie  des  filid  »  et  manie 
la  prosodie  avec  une  aisance  suffisante  pour  improviser 
un  quatrain  sur  un  sujet  donné.  La  science  de  V ollamh 
n'a  pas  de  lacune. 

On  est  filé  à  partir  du  grade  fochluc^.  Dès  ce  moment 
l'initié  a  droit  de  porter  un  rameau  magique  qui  repré- 
sente le  rameau  de  l'Arbre  de  Science,  et  qui  est  de 
bronze  pour  les  grades  inférieurs,  d'argent  pour  ïanruth 
et  d'or  pour  Volla?nh~.  Il  jouit  des  prérogatives  réservées 
aux  filid.  Elève  lui-même,  il  a  le  droit  d'initier  à  son  grade 
un  certain  nombre  de  candidats  ^ 

Ceux-ci  sont  en  même  temps  ses  administrés.  Non  seu- 
lement il  s'en  fait  suivre  dans  ses  tournées,  mais  il  peut  les 

1.  Uraicecht  Becc,  Ancient  Lav.-s,  V,  p.  29  et  57.  —  Cf.  Sanas  Cor- 
maie,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  35,  sub  Dos. 

2.  hnmacallam  in  dâ  Thuarad,  loc.  cit.,  p.  10  et  p.  12:  un  craeb 
airgdide  est  porté  par  les  anrulh,  craeb  oir  immorro  uasna  ollamnaib, 
craeb  umai  uasna  filedaib  archena.  —  Cf.  O'Curry,  Manners  and  Cus. 
loms,  III,  p.  316.  —  Les  filé  avaient  encore  droit  à  un  manteau  d'hon. 
neur,  nommé  lugen  :  Sanas  Cormaic,  p.  107. 

3.  Uraicecht  Becc,  loc.  cit..  et  Sanas  Cormaic,  sub  Dos  :  Le  doss  a 
déjà  droit  à  une  suite  de  quatre  personnes,  c'est-à-dire  de  quatre 
élèves,  car  les  serviteurs  et  les  esclaves  ne  sont  jamais  comptés  comme 
suite  dans  les  textes  irlandais. 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      289 

envoyer  où  il  veut,  pour  débiter  sa  poésie.  C'est  lui  qui  a 
droit  au  salaire  qu'ils  reçoivent  '. 

La  hiérarchie  des  /iiid  esi  ainsi  une  hiérarchie  de  maîtres 
et  d'élèves.  Or,  nous  savons  quels  liens  étroits  les  unissent 
les  uns  aux  autres  en  Irlande.  La  confrérie  des /ilid  a  donc 
l'aspect  d'une  immense  famille  à  base  de  parenté  spiri- 
tuelle. 

Constitution  d'une  tradition  nationale  irlandaise.  — 
La  pénétration  mutuelle  des  traditions  fut  une  conséquence 
de  cette  organisation. 

En  effet,  les  juridictions  des  divers  /ilid  s'enchevêtraient 
de  manière  à  dépasser  les  limites  des  tûatha.  Leurs  dis- 
ciples et  administrés  venaient  parfois  de  fort  loin  selon  la 
célébrité  personnelle  du  maître-.  Les  grands  ollamhain  en 
avaient  des  multitudes,  qui  plus  tard  rapportaient  dans  leurs 
provinces  les  fruits  d'un  enseignement  reçu  à  l'autre  extré- 
mité de  l'Irlande,  parfois  môme  en  Ecosse.  Ainsi  un  filé 
originaire  du  Connaught,  Néde,  fils  et  successeur  du 
grand  ollamh  Adnse,  est  allé  s'initier  en  ce  pays^. 

C'est  un  va-et-vient  incessant  de  disciples  et  même  de 
filid  accomplis  qui  cherchent  à  enrichir  leur  savoir.  Le 
poète  Senchan  Torpeist  va  visiter  l'Ile  de  Man  avec  un 
cortège  de  cinquante  filid  et  de  nombreux  élèves.  Plusieurs 
centaines  des  uns  et  des  autres  composent  sa  cour  après 
son  élection  à  la  dignité  d' ollamh  suprême*.  Le  filé  Dal- 
lan  Forgaill  dirige  chaque  jour  les  études  de  cent  cinquante 


1.  O'Curry,  Manners  and  Cusloms,  II,  p.  79  ;  cf.  ibid.,  p.  78  et  poème 
attribué  à  Senchan  Torpeisf,  ibid.,  p.  85. 

2.  Exemples  chez  O'Curry,  op.  cit.,  II,  chap.  viii. 

3.  Immacallam  in  dà  Thuarad,  loc.  cit.,  p.  8. 

4.  Imtheacht  na  Tromdhaimhe,  éd.  citée;  cf.  d'Arbois  de  Jubainville, 
Senchan  Torpeist,  dans  Bibliothèque  de  l'École  des  Charles,  XL. 

CZARSOWSKI.  19 


Î90  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 

élèves'.  Il  faut  faire  sans  doute  une  large  part  j\  l'exagéra- 
tion dans  ces  chifïres  que  nous  fournissent  les  légendes  et 
les  poèmes.  On  conviendra  néanmoins  que  les  cours  des 
grands  filid  étaient  des  foyers  où  le  contact  de  nombreux 
disciples,  joint  à  l'influence  du  maître,  amenait  la  fusion  des 
traditions  les  plus  diverses  et  contradictoires. 

La  création  d'une  tradition  générale  irlandaise  n'était 
plus  qu'une  question  de  temps.  Les  tournées  des  filid  qui 
favorisaient  la  diffusion  des  traditions  diverses  dans  les 
mêmes  lieux,  et  les  concours  publics  où  les  chefs  d'écoles 
se  trouvaient  en  présence  firent  le  reste  '.  Ils  amenèrent  la 
constitution  des  grands  cycles  épiques  et  mythologiques, 
où  les  éléments  locaux  sont  fondus  jusqu'à  les  rendre 
presque  méconnaissables,  et  qui  sont  de  vrais  mythes  et 
légendes  nationaux. 

Les  filid  ont  jeté  le  germe  du  sentiment  national 
IRLANDAIS.  —  Mais  les  filid  ont  fait  plus  que  de  faire  parti- 
ciper rirlande  entière  à  la  même  vie  imaginative.  Ce  sont 
eux  qui  ont  le  plus  contribué  à  y  répandre  la  notion  d'unité 
organique. 

Eux-mêmes  forment  une  confrérie  nationale.  Dans  chaque 
tûath  les  flid  oni  un  chef  qui  est  en  principe  un  ollamh^. 
Celui-ci  obéit  à  Xollamh  de  la  province*.  Enfin  un  chef 


1.  Poème  attribué  à  Scnchan  Torpeist,  chez  O'Curry,  loc.  cit. 

2.  C'est  un  concours  pareil  entre  Néde  et  Fercertne  qui  est  le  sujet 
de  la  légende  Immacallam  in  dd  Thuarad.  loc.  cit.  —  Fercertne  avait 
été  élu  chef  de  tous  les  filid  d'Irlande,  et  >"éde  voulait  le  forcer  à  lui 
céder  la  place.  Le  concours  a  lieu  en  public,  en  présence  du  roi 
suprême  et  des  filid  réunis,  qui  se  prononcent  après  pour  Nède. 

3.  Le  Senchus  Môr,  Ancient  Latcs,  I,  p.  54,  dit  :  «  il  y  a  quatre 
dignitaires  dans  la  tùath  qui  peuvent  être  déposés  :  un  roi  qui  pro- 
nonce des  sentences  injustes,  un  évoque  qui  commet  un  adultère,  un 
filé  escroc  »,  etc.  —  Cf.  U.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction. 

4.  Par  exemple,  Fercertne  et  Athirne  sont  l'un  après  l'autre  des  ard- . 


ROLE    DES    FILIb    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE       291 

suprômc,  Vard-filé  hErvnn,  ou  ard-ollamh  commande  à 
toute  la  corporation'. 

Et  ce  ne  sont  pas  seulement  les  fdid  professionnels  qui 
y  sont  afTiIics  :  c'est  toute  la  noblesse  irlandaise.  En  efïet, 
les  fiiid  ont  rivalisé  avec  les  druides  dans  le  domaine  de 
l'enseignement  et  ils  ont  fini  par  le  monopoliser  entière- 
ment. La  loi  les  reconnaît  comme  éducateurs  profession- 
nels et  fixe  les  salaires  auxquels  ils  ont  droit'.  En  574 
rassemblée  de  Druimm  Ceta  chargea  les  fdid  d'entretenir 
et  de  diriger  des  écoles  publiques  dans  chaque  tûath  et 
dans  chaque  province\ 

Dans  ces  écoles  les  jeunes  nobles  suivaient  l'enseigne- 
ment préparatoire  aux  grades  inférieurs  de  la  confrérie.  On 
leur  faisait  apprendre  le  droit,  les  généalogies,  l'histoire 
et  beaucoup  de  vers*.  Un  certain  nombre  de  ces  élèves 
ont  môme  atteint  les  degrés  supérieurs  d'intiation,  comme 
Cormac  roi  de  Cork,  qui  fut  un  grand  filé  du  x°  siècle*, 
sans  compter  les  rois  et  les  guerriers  filid  de  la  légende. 

Les  classes  dirigeantes  du  paj's  entier  sont  donc  orga- 
niquement rattachées  à  la  confrérie  des  filid.  Ces  liens  sont 
d'autant  plus  intimes,  que  la  parenté  spirituelle  entre  les 
élèves  et  leur  père  nourricier  est  considérée  comme  parti- 

filid  de  IL'lsler  :  Tdin  Dô  Cùalnge,  Index  ;  Cf.  Talland  Elair,  éd.  Whit- 
ley  Slokos.  Rev.  Celtique,  VIII,  p.  48. 

1.  Cf.  H.  d'Arboisde  Jubainville.  Introduction,  p.  322  ss.  ;  cf.  Ancient 
Laws,  IV,  p.  358.  —  Adnac.  N6de,  et  Fercerine  ont  élu  ardollamhain 
d'Irlande  dans  les  temps  légendaires  ;  Immacallam  in  dà  Thuarad.  loc. 
cit.,  p.  8.  —  Dallan  Forgaill  et  Scnchan  Torpcisl,  pour  ne  citer  que  les 
plus  fameux,  l'ont  été  au  vu»  siècle  de  notre  ère  :  cf.  d'Arbois  de 
Jubainville,  Senchan  Torpeisl,  loc.  cit.,  p.  145  ss. 

2.  Senchus  Mnr,  Ancient  Laws,  II,  p.  146  ss.  ;  cf.  Ancient  Laws,  V 
p.  96. 

3.  Kcating,  Histoire  d'Irlande,  éd.  O'Mahony.  p.  455. 

4.  OCurry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  77  ss.  et  chap.  iv,  passim. 
Exemple  d'école  dirigée  par  des  filid  dans  O'Donovan,  Hy  Fiachrach 
p.  79  et  167. 

5.  Kealing,  éd.  Dinneen,  Irish  Texts  Soc.  IX,  p.  78  et  p.  92  s. 


292  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉIVOS 

culièrement  proche  si  celui-ci  est  un  filé.  La  loi  la  pro- 
clame sacrée  entre  toutes'. 

Ainsi  constituée,  la  corporation  des  filid  a  su  s'imposer 
partout  comme  une  institution  qui  n'est  pas  nationale  seule- 
ment en  théorie.  Le  filé  est  un  fonctionnaire  public  de  sa 
tûath.  Mais  lorsqu'il  la  quitte,  son  caractère  ofTiciel  demeure 
intact.  Il  jouit  d'une  immunité  complète,  même  en  pays 
ennemi  et  en  temps  de  guerre.  Chaque  filé  a  le  droit  de 
faire  des  tournées,  cuairt^k  travers  l'Irlande,  afin  de  débiter 
ses  récits  où  bon  lui  semble,  et  il  peut  exiger  partout  un 
salaire.  Où  qu'il  aille,  lui  et  sa  suite  vivent  à  la  charge  de 
la  population. 

Ce  sont  là  des  privilèges  qui  devaient  grever  lourdement 
celle-ci,  puisqu'un  filé  pouvait  emmener,  suivant  son  rang, 
de  deux  à  vingt-quatre  hommes  de  suite,  sans  compter  les 
serviteurs  et  les  esclaves'.  Ils  n'en  démontrent  que  mieux 
que  la  corporation  qui  se  les  était  fait  octroyer  et  les  a 
maintenus  pendant  plusieurs  siècles,  avait  réellement 
réussi  à  s'aiïirmer  comme  institution  nationale  inviolable. 
Elle  a  brisé  les  tendances  centrifuges  des  tûatha,  sur 
lesquelles  les  rois  suprêmes  les  plus  puissants  n'ont  jamais 
remporté  que  des  victoires  éphémères. 

C'est  donc  dans  l'unité  et  dans  les  privilèges  des/?/îrfque 
l'unité  nationale  de  l'Irlande  a  son  plus  puissant  appui,  de 

1.  Joyce,  op.  cit..  Il,  p.  18;  exemples  d'allrayn  pareil  dans  O'Curry, 
Manners  and  Customs,  II,  p.  175  ss. 

2.  Uraicecht  Becc,  Ancient  Laws,  V,  p.  56-70;  Ancienl  Laws,  IV, 
p.  354-360;  cf.  Sanas  Cormaic,  sub  Doss,  l.  c.  etsub  Olldam,  p.  85  s.  : 
Book  of  Rigfils,  éd.  O'Donovan,  p.  237.  —  Exemples  de  cuairt  dans 
OCurry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  99  s.,  p.  103,  p.  129;  Pétrie, 
op.  cit.,  p.  354;  Silva  Gadelica,  p.  420  s.;  Imlheacht  na  Tromdhaimhe , 
p.  11.  p.  15,  p.  113;  cf.  II.  d'Arbois  de  Jubainvilie,  Senchan  Torpeist, 
p.  145  et  p.  151.  C'est  pour  se  débarrasser  des  filid  que  le  roi  de  Con- 
naught  demande  à  Senchan  Torpeist  de  lui  raconter  la  Tain  Bô  Cùalnge 
que  tout  le  monde  a  oubliée.  Aucun  des  filid  ne  peut  satisfaire  au  désir 
du  roi.  et  comme  ils  se  sont  montrés  ignorants,  ils  ne  peuvent  plus  rien 
exiger.  —  Cf.  ci-dessous  p.  296. 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      293 

môme  qu'elle  trouve  sa  première  expression  idéale  dans 
leur  œuvre  myllio-poélique.  Ainsi  les  filid  ont  jeté  dans  la 
société  gôidélique  le  germe  dont  devait  se  développer  plus 
tard  le  sentiment  national  irlandais. 

Rivalité  des  druides  et  des  filid.  Alliance  de  ceux-ci 
AVEC  le  christianisme.  —  Les  druides  et  les  ^/erf  étaient 
deux  institutions  rivales. 

En  effet,  leurs  domaines  respectifs  empiétaient  l'un  sur 
l'autre.  Et  du  moment  surtout  où  les  filid  devinrent  les 
guides  moraux  du  pays,  ils  ne  pouvaient  voir  d'un  bon  œil 
que  les  druides  les  dominassent  de  leur  autorité  religieuse. 

Mais  pour  les  détrôner  il  leur  aurait  fallu  opposer  un 
pouvoir  de  même  nature  que  le  leur,  et  déclarer  à  ces 
prêtres  la  guerre  au  nom  d'une  religion  nouvelle.  Les  filid 
n'en  représentaient  aucune  par  eux-mêmes.  Ils  se  mirent 
au  service  du  christianisme'. 

Alliance  du  christianisme  et  des  filid.  Œuvre  person- 
nelle de  saint  Patrick.  —  L'initiative  de  l'alliance  en  ques- 
tion remonte  à  saint  Patrick  en  personne. 

Un  de  ses  premiers  soins  fut  de  se  concilier  partout  les 
brethemain,h  force  de  cadeaux.  L'apôtre  nous  le  dit  lui- 
même.  Les  sommes  que,  suivant  sa  Confession,  il  dépensa 
pour  le  bien  de  la  Foi  et  qui  égalaient  le  «  prix  de  quinze 
hommes  »  furent  distribués  «  à  ceux  qui  prononçaient  la 
justice  dans  toutes  les  contrées  »  de  l'Irlande". 

Le  résultat  fut  que  les  y^/it/ permirent  au  saint  de  se  faire 

1.  C'est  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  qui,  à  notre  connaissance,  a 
signalé  le  premier  le  fait  de  l'alliance  entre  les  filid  et  le  clergé  chré- 
tien, dans  son  article  Le  Druidisme  (extrait  de  la  Revue  Archéologique), 
p.  6.  Cf.   aussi,  du  même.  Introduction,  p.  158  ss. 

2.  Confessio.  p.  'ili.  Cf.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  De  l'antiquité 
des  compositions  pour  crime  en  Irlande,  Revue  Celtique.  VIII,  p.  159. 


294  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

passer  pour  un  des  leurs.  L'Evangile  qu'il  proche  est 
annoncée  sous  le  titre  de  su-scélia,  bon  récit,  comme  une 
narration,  scél,  défilé^.  Pareil  à  un  ollamhy  Patrick  se  fait 
suivre  de  province  en  province  par  une  suite  nombreuse 
de  disciples  que  les  familles  de  la  plus  haute  noblesse, 
séduites  par  la  gratuité  de  l'enseignement  et  des  grades, 
lui  ont  confiés  comme  à  un  père  nourricier-. 

Le  génie  politique  de  saint  Patrick  Ta  donc  incité  à 
adapter  sa  prédication  aux  modes  créés  par  les  fi/id.  Les 
vérités  chrétiennes  prenaient  ainsi  l'aspect  d'un  simple 
progrès  dans  l'enseignement  de  ceux-ci  et  perdaient  tout 
caractère  subversif  aux  yeux  des  Irlandais. 

Preuves  légendaires  de  l'alliance  entre  le  clergé  et 
LES  FiLiD.  —  Les  ^^/«é/ entrèrent  de  leur  côté  dans  les  vues 
de  l'apôtre.  Les  légendes  hagiographiques  en  témoignent, 
à  défaut  de  documents  directs. 

L'œuvre  de  saint  Patrick  trouva  d'abord  son  plus  ferme 
appui  en  Yard-ollamh  Dubthach  Maccu  Lugair.  Il  fut  le  pre- 
mier à  rendre  hommage  à  l'apôtre  en  se  levant  devant  lui 
dans  la  salle  de  festin  de  Tara,  et  il  fut  de  suite  baptisé^. 
Plus  tard  Dubthach  rendit  une  sentence  arbitrale  en  faveur 
de  saint  Patrick,  lorsque  celui-ci  réclama  une  réparation 
pour  le  meurtre  de  son  cocher*. 


1.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Le  Druidisme,  p.  5. 

2.  Epislola  Patricii.  loc.  cit.,  p.  378,  1.  8  s.,  Confessio,  loc.  cit., 
p.  369  :  (.  filii  Scottorum  et  filise  regulorum  monachi  et  uirgines  Chrisli 
esse  uidontur  ».  Cf.  ibid.,  p.  372  :  «  Intérim  premia  dabam  regibus, 
prseter  quod  dabam  mercedem  filiis  ipsorum  qui  mecum  ambulant...  o 
Cf.  chap.  I,  p.  52,  n.  1.  pour  ce  qui  concerne  la  gratuité  des  ordinations. 

3.  Muirchu,  p.  233;  Introduction  à  XHymne  de  Fiacc  (du  xi»  ou  xii» 
siècle,  cf.  Whitley  Stokes,  Goidelica,  2«  éd.,  p.  61)  dans  Thésaurus 
Palaeohibernicus,  II.  p.  307  s.  Il,  p.  402:  Additamenta  ad  Tirechànum, 
ibid.,  p.  344  ;  Whitley  Stokes,  Thres  middle-irish  Ilomilies,  p.  24. 

4.  Senchus  M6r,  Introduction,  dans  Ancient  Laws,  I,  p.  12.  Cf.  H.  d'Ar- 
bois de  Jubainville,  Druidisme,  p.  6. 


ROLE    DES    FILIU    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      295 

Les  filid  fournissent  au  clergé  de  nombreuses  recrues.  Le 
premier  l'V».V|uc  que  saint  Patrick  ordonne  en  Leinsler, 
Fiacc,  est  un  jeune  filé  que  Dublhach  a  choisi  entre  ses 
disciples  à  la  demande  de  l'apôtre  '.  Un  des  deux  saints 
Garan  est  fils  d'artisan,  7nacc  in-t  sair  -.  Saint  Goragan 
est  surnommé  tnac  dd  cerda  «  fils  de  deux  arts  »,  célébré 
parce  qu'historien  et  poète  profane  ^  Les  généalogies  indi- 
quent presque  toujours  des  saints  qui  fleurirent  à  l'époque 
de  la  christianisation  entre  les  ancêtres  des  familles  de 
filid  * . 


1.  Muirchu,  p.  283  :  «  Dubthach  maccu  Lugil  [sic  Ms.  recte  :  Lugir) 
poetam  optimum,  apud  quem  lune  lemporibus  erat  quidem  adolis- 
cens  poeta  nomine  Faec,  qui  postea  mirabilis  episcopus  fuit,  cuius 
reliquiœ  adoranlur  hi  Sleibti.  »  —  Additamenla  ad  Tirechnnum,  loc. 
cit.,  p.  344.  et  Thésaurus  Palœolnbernicus,  II,  p.  241  :  l'atricit  vient  en 
Leinster  chez  les  Hûi  Cennselich  ou  il  rencontre  son  ami,  Dubthach. 
Il  lui  demande  de  lui  indiquer  un  «  homme  capable  de  devenir  évéque 
parmi  les  disciples  du  poète,  originaires  du  Leinster,  c'est-à-dire,  un 
homme  libre,  de  bonne  race,  sans  tare,  sans  blâme,  qui  ne  soit  ni 
trop  pauvre,  ni  trop  riche  ;  je  désire  (dit  l'apôtre)  un  homme  qui  n'ait 
qu'une  femme,  et  qui  n'ait  qu'un  seul  enfant.  »  Dubthach  nomme  son  dis- 
ciple, Fiacc,  qui  précisément  est  en  cuairt  en  Connaught  (cf.  Vie  Tri- 
parlite,  éd.  Wliillcy  Stokes,  p.  190).  Quand  Fiacc  revient,  on  use  d'un 
subterfuge  pour  le  décider  à  entrer  dans  les  ordres  :  Patrick  fait  sem- 
blant de  lonsurer  Dubthach,  ce  que  voyant,  Fiacc  déplore  qu'un  aussi 
grand  poète  soit  perdu  pour  le  monde  et  offre  de  devenir  clerc  à  sa 
place.  —  Cf.  Introduction  à  l'Hymne  de  Fiacc,  du  Liber  Hymnorum  des 
Fransciscains,  H,  p.  402  ;  Vie  Tripartite,  loc.  cit. 

2.  C'est  saint  Ciaran,  ou  Cieran,  de  Clonmacnois.  Cf.  sa  Vie  dans  Lives 
ofSS.  ofthe  Book  of  Lismore  ;  cf.  Archiv  fur  Celtische  Lexikof/raphie,  Ilf, 
p.  2  s.  —  Un  autre  saint,  Assicus,  est  le  faber  sereris  de  saint  Patrick  : 
Tirechân,  p.  313.  Il  fabriqua  des  autels,  des  bibliothicas  quadratas 
(étuis  à  manuscrits?)    et  (rois  patinas  {patinas?}  que   Tirechân  a  vus. 

3.  Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno-Meycr.  p.  5.  sub  Ana  ;  cf.  Cormac's 
Translation,  p.  7,  note  d'O'Donovan  et  Joyce,  op.  cit.,  I,  p-  224. 

4.  Ainsi  Vard-filé  Dubthach  est  le  bisaïeul  maternel  de  six  saints  : 
Diarmaid,  évoque  d'Inis  Clolhrann  dans  le  Loch  Ribli  (Martyrolor/y  of 
Donerjal,  éd.  J.-ll.  Todd  et  William  Reeves,  Dublin,  1864.  p.  12,  au 
10  janvier);  Mainchin  (ibid.,  p.  14,  au  13  janvier)  ;  Feidlimidh  [ibid. 
p.  214,  au  9  aoat)  ;  Daigh,  évéquc  d'Inis  Caoin  Degha  [ibid.,  p,  222, 
au  19  août);  sainte  Feme,  vierge  et  martyre  [Und.,  p.  2û0,  au  17  oc- 
tobre), et  Caillin,  évoque  de  Fenagh  en  Magh  Rein  [ibib.^  p.  306,  au 
13  novembre).  Une  annotation  d'une  main  plus  récente  au  Ms.  du 
Martyrologe  de  Doneyal  ajoute  à  cette  liste  saint  Seanan  de  Laithrech 
Briuin,  dont  elle  fait  comme  des  précédents  un  fils  de  Dedi  ou  Deidi, 


296  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Enfin  pas  une  seule  légende  hagiographique  n'oppose 
les  filid  aux  saints,  comme  elles  leur  opposent  les  druides. 
Au  contraire  dès  que  le  clergé  se  trouve  en  présence  des 
filidW  fait  cause  commune  avec  eux. 

Ainsi  la  légende  qui  sert  d'introduction  au  Senchtis  Môr 
dit  que  ce  recueil  fut  compilé  par  une  commission,  dont 
faisaient  partie  trois  rois,  trois  saints  évoques  et  trois  /ilid^. 
Dans  une  autre  occasion  plusieurs  saints,  sollicités  par  les 
filid  qui  ont  oublié  la  Tdi?i  Bô  Cûalnge,  conjurent  l'esprit 
de  Fergus  mac  Roig  de  leur  narrer  cette  épopée  ^ 

Quand  les  filid  eurent  fini  par  provoquer  une  révolte 
générale  des  chefs  contre  leur  puissance  et  leurs  exactions 
croissantes,  ce  fut  saint  Columcille  qui  les  sauva  de  la 
proscription.  Il  obtint  du  roi  Aedh  et  des  nobles  qu'on  se 
bornât  à  limiter  les  privilèges  des  filid  et  qu'on  les  main- 
tînt dans  leurs  fonctions  ^. 

Faits  qui  corroborent  les  données  légendaires  tou- 
chant l'alliance  du  clergé  et  des  filid.  —  Ces  légendes 
reflètent  assurément  un  état  de  choses  réel.  Elles  sont  entiè- 
rement corroborées  par  les  conclusions  tirées  des  faits 
historiques. 

petite-fille  de  Dubthach  [ibid.,  p.  232,  au  2  septembre).  —  Remar- 
quons que  parmi  ces  saints  il  est  un  qui  s'est  rendu  fameux  comme 
ouvrier  en  bronze,  notamment  saint  Daigh,  mort  en  586  (cf.  ibid., 
p.  222). 

i.  Introduction  au  Senchus  Môr,  Ancient  Laws,  I,  p.  4;  cf.  Corn- 
thoth  Loegairi  co  cretim.  éd.  Plummer,  Revue  Celtique,  VI, p.  164  ss. 
Cf.  Neilson  Hancock,  préface  au  vol.  I"  des  Ancient  Larvs  of  Ireland. 

2.  Do  fallsigud  Tàna  Bô  Cùalnge.  Suivant  la  version  du  Ms.  Egerton 
1872,  publiée  par  M.  Kuno  Mcyer,  Archiv  filr  Celtische  Lexikographie, 
III,  p.  2  s.,  c'est  saint  Marban  qui  seconde  les  filé  dans  leur  recherche. 
Suivant  la  version  du  Ms.  Stowe  D.  4.  2  de  l'Académie  Royale  d'Irlande, 
publiée,  ibid.,  p.  4  s.,  c'est  saint  Ciaran  mac  in  t-sair  de  Clonmacnois. 
—  Le  même  saint  Ciaran  a  sauvé  Vard-filé  Senchan  Torpeist,  qu'un 
dragon  molestait  :  Imtheacht,  p.  81,  ss. 

3.  Keating,  éd.  Dinneen.  Ir.  Texts  Soc,  IX,  p.  92  s  ;  Amra  Choluimb- 
cille  »,  éd.  Whitley  Stokes,  Revue  Celtique,  XX,  p.  42  ss. 


nOLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE     297 

Tandis  que  les  progrès  de  la  christianisalion  font  perdre 
aux  druides  toute  leur  influence*,  les  filid  conservent  la 
leur  intacte.  Les  lois,  qui  ont  été  codifiées  à  Tépoque  chré- 
tienne, leur  garantissent  la  plénitude  de  leurs  droits  et 
l'exercice  de  leur  fonctions.  Uollamh  est  situé  au  faite  de 
l'échelle  sociale.  La  composition  qui  lui  est  due  en  cas 
d'oiïense  est  égale  à  celle  du  roi  et  de  l'évoque  ^ 

Le    clergé    IRLANDAIS    EST   RECRUTÉ    PARMI    LES    FILID.    — 

S'il  en  est  ainsi  c'est  que  le  clergé  et  les  filid  sont  unis 
par  des  liens  organiques. 

On  le  constate  à  première  vue  en  considérant  l'orga- 
nisation de  l'enseignement  en  Irlande.  Comme  tout  clergé 
chrétien,  les  moines  irlandais  en  firent  un  de  leurs  soucis 
principaux. 

Or  les  écoles  dirigées  par  les  filid  continuèrent  à  fonc- 
tionner officiellement  sans  que  le  clergé  s'en  inquiétât. 
Ainsi  à  Lecan  les  Mac  Firbis  formaient  encore  des  fiild  au 
xiv*  siècle  '.  Jusqu'à  la  conquête  normande  les  chefs  con- 
fient leurs  fils  à  des  pères  nourriciers  qui  sont  des  filid  ^. 
L'Eglise  eût-elle  toléré  un  tel  état  de  choses  s'il  ne  se  fût 
pas  agi  d'alliés  très  sûrs  ? 

Le  clergé  s'adjoignit  même  les  filid  comme  collaborateurs 

1.  Cf.  O'Curry,  Manners  and  Custoyns,  II,  p.  49;  H.  d'Arbois  de 
Jubainville,  Introduction,  p.  34  et  p.  196  ss.  :  c'est  la  défaite  du  roi 
Diarmaid  mac  Cerbhaill  à  Culdremne  (en  o60  ou  561)  qui  paraît  avoir 
entraîné  la  décadence  finale  des  druides.  Diarmaid  est  le  dernier  des 
rois  suprêmes  cfui  s'entoure  de  druides  et  qui,  notamment  à  Culdremne, 
invoque  leur  aide. 

2.  Senchus  M6r,  Ancient  Laws,  I,  p.  40,  p.  48,  cf.  p.  54  et  p.  58. 
Les  titulaires  des  autres  grades  de  la  hiérarchie  des  ^/td  sont  assimilés 
aux  divers  chefs  de  la  tùalh  :  Ancient  Laws,  V,  p.  102;  Pétrie,  On  the 
hislory  and  antiquities  of  Tara-Uill,  Dublin,  1839,  p.  208,  note  3. 

3.  O'Donovan,  Hy  Fiachrach,  p.  79  et  p.  167. 

4.  O'Curry,  Lectures  on  the  Mss.  Materials,  p.  5.  On  continua  après 
la  conquête,  et  la  noblesse  anglo-normande  elle-même  imita  souvent 
les  vaincus  à  cet  égard  :  idib.,  p.  6. 


298  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

dans  SCS  propres  écoles.  Ainsi  à  Monasterboice  et  à  Tom- 
regan  l'enseignement  des  disciplines  profanes  est  confié  à 
des  lecteurs  laïques*. 

Ces  écoles  sont  d'ailleurs  du  môme  type  que  celles  des 
fîlid.  La  littérature  gôidélique,  l'art  de  faire  des  vers,  l'his- 
toire du  pays,  le  droit  coutumier  occupent  toujours  une 
place  d'honneur  dans  leur  enseignement'.  On  s'est  borné 
à  éliminer  de  leur  programme  quelques  objets  d'études 
qui  sentaient  par  trop  le  paganisme  *  et  on  y  fit  entrer  la 
science  des  canons  sacrés.  Le  but  de  ces  écoles  est  aussi 
bien  de  former  des  clercs  que  des  chefs,  des  brethemain 
ou  des  poètes.  A  Tomregan  par  exemple  on  pouvait  se 
consacrer  à  une  des  quatre  spécialités  suivantes  :  l'étude 
des  Ecritures  et  des  canons  sacrés,  la  littérature  classique, 
la  jurisprudence  des  brethemain  et  la  littérature  et  l'his- 
toire de  l'Irlande*. 

L'ordre  des  études  ecclésiastiques  est  le  même  que  dans 
dans  l'enseignement  des  filid,  et  les  grades  correspondent 
exactement  aux  degrés  d'initiation. 

Il  y  a  sept  grades  ou  «  ordres  de  science  »  dans  les 
écoles  destinées  aux  clercs.  Le  premier  est  celui  de  felmac^ 
«  pupille  »,  ou  de  caogdach,  qui  sait  chanter  trois  fois  cin- 

1.  O'Curry,  Manners  and  Customs,  IF,  p.  92;  Lectures  on  the  Mss. 
Materials,  p.  oO  ;  Joyce,  op.  cit.,  1,  p.  416,  s.,  §  Fer-leginn.  Cf.  O'Curry, 
hlanners  and  Customs,  II,  p.  78. 

2.  Healy,  Ireland's  ancient  Schools  and  Scholars,  1890,  passim; 
Lanigan.  Ecclesiaslical  hislory  of  Ireland,  Dublin,  1822,  1,  p.  402  s., 
464  s.  ;  m,  p.  223.  On  trouvera  dans  ces  deux  ouvrages  des  renseigne- 
ments sur  les  diverses  écoles  ecclésiastiques. 

3.  Notamment  Vimbas  forosnai  et  le  teinm  laegda  qui  furent,  dit  le 
Sanas  Cormaic,  éd.  Kuno  Meyer,  p.  64.  sub  imbass,  interdits  par  saint 
Patrick.  L'apôtre  toléra  le  dicetal  di  chennaib,  parce  qu'en  le  prati- 
quant il  n'était  pas  nécessaire  de  faire  une  offrande  aux  «  démons  ». 
—  Mais  il  est  certain  que  tous  les  procédés  de  divination  étaient  encore 
officiellement  reconnus  en  Irlande  au  temps  du  roi  Domnall  Hua 
Néill,  qui  est  mort  en  978  :  O'Curry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  135. 

4.  O'Curry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  92  :  cf.  ibid.,  p,  72,  sa. 


ROLE   DES    FILID    DANS    L\.   FORMATION    DE    I.A    LÉGENDE     299 

quante  psaumes.  Vient  ensuite  le  freisneided,  «  interroga- 
teur »,  ou  foglainlide,  qui  a  étudié  certains  des  livres  qui 
contiennent  la  Iradilion  nationale  et  qu'on  nomme  Fochair 
Le  fw'sainte,  a  illuminaleur  »,  ou  desgiôal,  «  disciple  » 
connaît  fi   fond  les  douze  livres   Fochair.  Le   staruide 
«  historien  »,  est  expert  dans  les  disputes  et  c'est  pourquoi 
on  le  nomme  aussi  sruth  do  aill,  «  torrent  contre  pierre  » 
tant  son  argumentation  est  entraînante.  Le  sai,  «  savant  » 
est  capable  d'expliquer  les  canons  aux  disciples.  Le  forcet 
laid  ou  anruth  connaît  le  calcul,  l'astronomie,  la  gram- 
maire et  la  littérature  irlandaise,  et,  comme  l  anruth  laïc, 
il  sait  appliquer  les  lois  de  la  prosodie.  Enfm  celui  qui 
atteint  le  suprême  degré  de  science  porte  le  titre  de  sai 
litre,  «  savant  en  Ecriture  Sainte  »,  sui  canoine,  «  cano- 
niste  »,  ou  ro-sai,  a  grand  savant  »*. 

Les  dignités  ecclésiastiques  forment  une  hiérarchie 
parallèle  aux  m  sept  ordres  de  science».  Ce  sont  :  le  lec- 
teur, liachtreoir,  le  portier  et  sonneur,  aistreoic^  l'exor- 
ciste, exarcisiid,  le  sous-diacre,  suib-deochain,  le  diacre, 
deochain,  le  prêtre,  sacarf^  et  l'évêque,  escop.  En  prin- 
cipe ses  dignités  ne  sont  conférées  qu'aux  possesseurs  des 
litres  scientifiques  correspondants".  L'évoque,  par  exemple, 
est  traité  par  la  loi  en  égal  au  sui  canoine  '. 


1.  Cf.  tableau  des  études  dans  les  écoles  ecclésiastiques  chez  Joyce, 
I,  p.  430  ss.  et  OGurry,  Manners  and  Customs,  II,  p.  84  ;  Mss.  Materials. 
p.  31  et  p.  494. 

i.  Uraicechl  Becc,  dans  Ancient  1011:$,^^,  p.  22.  —  Cf.  lleptads,  ibid., 
p.  236. 

3.  Ancient  Laws,  V,  p.  54,  §  4  :  «  une  église  qui  a  droit  au  pnx 
d'honneur  (dommages-intérêts  en  sus  de  la  composition  due  à  tout 
homme  libre)  entier,  c'est  (l'église)  dont  Verenacli  (héritier)  est  un  évèque 
ou  un  docteur  en  droit  (canon)  ».  —  Introduction  au  Senchus  Môr,  An- 
cient Laus,  l,  p.  48,  glose  :  le  roi,  révoque,  et  le  sui  ont  des  privilèges 
égaux  dans  les  hôtelleries  publiques.  Sui  désigne  ici  aussi  bien  un 
savant  versé  dans  les  Écritures,  qu'un  ollamh  laïque.  Cf.  Senchus  M6r, 
ibid.,  p.  40.  —  Cf.  encore  Comthoth  Loegairi  co  crelim,  éd.  Plummcr 
loc.  cit.,  p.  165  ;  «  le  poète,  le  juge  ni  le  fwseur  de  satires  ne  peuvent 


300  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Ainsi  les  clercs  ne  sont  que  des  filid  devenus  moines. 
Les  uns  et  les  autres  ne  forment  qu'un  seul  ordre  à  double 
hiérarchie,  l'une  sacerdotale  et  qui  comprend  les  habitants 
du  monastère,  l'autre  laïque,  composée  de  ceux  qui  vivent 
hors  de  l'abbaye*. 

Les  filid  devenus  clercs  continuent  leur  oeuvre  mytho- 
POÉTIQUE  ancienne.  —  Aussi  trouvons  nous  les  filid  et  le 
clergé  unis  dans  une  seule  œuvre  mythopoétique. 

Les  communautés  monastiques  témoignent  d'un  profond 
attachement  à  la  langue  et  à  la  littérature  irlandaise.  Elles 
ont  fait  leur  possible  pour  en  conserver  les  monuments. 
C'est  à  Clonmacnois,  la  grande  abbaye  fondée  par  saint 
Ciaran  de  Saighir,  qu'une  des  versions  de  la  Tciin  B6 
Cûalnge  fut  consignée  par  écrit  ^  Si  l'on  connaît  encore 
environ  six  cents  narrations  épiques  et  poèmes  des  filid, 
on  le  doit  pour  une  très  grande  part  aux  moines  irlandais'. 

prendre  la  parole  avant  1'  «  homme  des  canons  sacrés  »,  fer  inna  canoni 
nàvni.  Celui-ci  a  donc  une  position  analogue  à  celle  du  druide  dans 
la  hiérarchie  païenne  (Cf.  ci-dessus).  Or  c'est  l'évèque  qui  dans  la 
tùalh  chrétienne  est  logiquement  le  successeur  du  druide.  Cf. 
H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Introduction,  p.  34. 

1.  Nous  n'admettons  donc  pas  la  théorie  du  Rév.  Healy,  The  ancient 
Irish  Church,  Londres,  1892,  p.  42,  que  les  communautés  monastiques 
irlandaises  sont  d'anciennes  communautés  de  druides  convertis,  théorie 
qui  a  été  émise  aussi  en  France  par  Alexandre  Bertrand,  Nos  origines. 
La  religion  des  Gaulois,  p.  279  ss.  —  On  ne  trouve  en  Irlande  aucune 
trace  de  communautés  de  druides  pareilles  à  des  monastères.  Les 
druides  irlandais  sont  attachés  à  la  cour  des  rois  en  qualité  de  cha- 
pelains. On  ne  sait  presque  rien  sur  les  liens  qui  les  unissaient  entre 
eux.  Cf.  H.  d'Arbois  de  Jubainville,  Les  Druides,  p.  109  ss.  — De  plus, 
dans  toutes  les  légendes  chrétiennes  le  druide  est  toujours  l'ennemi, 
le  suppôt  du  démon.  Cf.  Prière  de  Ninine,  Thés.  Palaeohib,  II,  p.   322. 

2.  Windisch,  Einleitung  à  la  Tàin  Bô  Cûalnge,  p.  LVII  s. 

3.  C'est  un  moine  de  Clonmacnois,  Maelmuire,  mort  en  1106,  qui  a 
compilé  le  plus  ancien  des  Mss.  irlandais  connus  qui  contienne  des 
récils  épiques,  le  Leabhar  na  hUidhre  :  Windisch,  loc.  cit.,  p.  LVIII. 
—  Le  Livre  de  Leinster  a  été  de  même  compilé  vers  lloO  par  un  clerc, 
Aed  mac  Crimthaind,  abbé  de  Terryglas  en  Tipperary,  que  l'évèque 
Finn  de  Kildare  célèbre  dans  une  annotation  du  môme  Ms.  comme 
premier  sencha  du  Leinster  et  fer  leigind,  ou  lecteur,  du  roi  du  sud 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE     301 

Les  clercs  ont  aussi  cultivé  avec  amour  la  poésie  et  l'art 
de  la  narration  en  langue  vulgaire.  Nous  ne  citerons  comme 
exemples  que  le  recueil  do  poèmes  intitulé  Saltair  na  Rann 
et  qui  est  un  monument  d'une  langue  encore  archaïque  \  les 
hymnes  du  Liber  H i/mnorum  et  les  martyrologes  rimes 
d'Oengus  le  Guidé  et  de  Hiia  Gormain.  La  construction  et 
le  ton  général  de  ces  œuvres  les  feraient  prendre  pour  des 
poésies  de  fïlid  laïques,   n'était  leur  caractère  religieux. 

Un  grand  nombre  d'œuvres  profanes  sont  aussi  attri- 
buées à  tort  ou  à  raison  à  des  clercs.  Saint  Moling  entre 
autres  passe  pour  être  l'auteur  de  poèmes  généalogiques". 
Saint  Golumcille  a  composé  des  quatrains  épigramma- 
tiques\  Ces  attributions  sont  sans  doute  fort  douteuses. 
Elles  n'en  témoignent  pas  moins  que  l'art  de  la  filidecht 
était  considéré  comme  digne  des  clercs  les  plus  éminents. 

Les /?/^/ laïques  travaillent  de  leur  côte  à  enrichir  les  tra- 
ditions hagiographiques.  Ils  ont  môle  les  saints  aux  per- 
sonnages de  leurs  récits,  aux  légendes  généalogiques  et 

de  rirlande  :  Windisch,  note  2,  à  la  page  910  de  son  éd.  de  la  Tàin 
B'J  Cùalnge. —  D'autres  Mss..  comme  le  Le  bar  Brecc,  le  Livre  Jaune 
de  Lecan  sont  l'œuvre  de  senchaid  laïques.  Le  premier  a  été  compilé 
par  les  Mac  Egan,  une  famille  de  filid  qui  dirigeait  une  école  ài 
Dunir>-,  près  Portumna.  en  Galway,  et  l'autre  est  l'œuvre  des  Mac 
Firbis  de  Lecan.  les  filid  des  Hùi  Fiachrach  :  cf.  les  fac-similé  de 
ces  deux  Mss.  publiés  par  l'Académie  Royale  d'Irlande,  Contents  de 
chacun.  —  En  ce  qui  concerne  leur  contenu  ils  ne  se  distinguent 
guère  de  ceux  qui  sont  l'œuvre  de  moines.  Les  uns  comme  les  autres 
contiennent  dos  matières  sacrées  et  des  matières  profanes  dans  des 
proportions  égales. 

1.  Éd.  Whitley  Stokes,  dans  Anecdota  Oxoniensia  [Mediaeval  and 
moderu  Séries). 

2.  Poems  adscrihed  lo  Saint  Molinq,  publiés  par  M.  Whitley  Stokes, 
d'après  un  Ms.  de  la  Bibliothèque  Royale  de  Bruxelles  dans  Anecdota 
from  Irish  Mss.,  vol.  II,  Halle  a.  S.,  1908,  p.  20  ss.  —  On  attribue 
à  l'évêque  Finn  de  Kildare  trois  versets  ajoutés  au  poème  de  Cinaed 
hiia  Artacain  sur  la  mort  des  anciens  héros  :  On  Ihe  Death  of  some 
Irish  Ileroes,  éd.  Whitley  Stokes,  Reu.  Celtique,  XXIII,  p.  312,  ver- 
sels  37  à  39. 

3.  Par  exemple  un  quatrain  sur  le  savant  ecclésiastique  Gucuimne 
publié  par  Todd  dans  The  Book  of  Hymns,  p.  143  s. 


302  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

topographiques  et  ajouté  ainsi  des  chapitres  entiers  aux 
Actes  des  saints  V  Les  filid  entreprennent  même  parfois 
de  rédiger  des  Vies,  Ainsi  une  Vie  de  saint  Columcille 
est  attribuée  b.  un  filé'-. 

La  littérature  des  filés  et  celle  des  clercs  ont  le 
MÊME  caractère.  —  Le  résultat  de  cette  collaboration  fut 
de  créer  ce  type  général  de  saints  héros  dont  nous  avons 
déjà  vu  quelques  caractères,  qui  personnifient  les  aspira- 
tions communes  des  clercs  et  de  leurs  confrères  laïques, 
les  filid. 

Les  saints  unissent  la  magie  des  filid  aux  pratiques 
pieuses.  Saint  Cairnech  pour  se  venger  de  Muircertach 
mac  Erca  creuse  un  tombeau  et  profère  au-dessus  des  con- 
jurations en  agitant  sa  sonnette  dans  la  direction  du 
château  ro^'al^  Les  malédictions  qui  accompagnent  le  jeûne 
magique  des  clercs  sont  modelées  sur  les  incantations  malé- 
ficiaires  anciennes*.  Les  bâtons  des  saints  sont  autant  de 
flescfiled^. 

Pareils  à  deux  ollaynhain  rivaux,  saint  Cummian  et  saint 
Comgan  se  provoquent  à  un    tournoi   de  questions  insi- 

1.  Ainsi  dans  VAcallamh  na  Senorach,  (Silva  Gadelica,  I,  p.  04  ss., 
trad.  II,  p.  101  ss.),  saint  Patrick  parcourt  l'Irlande  en  compagnie  de 
Caoilte,  un  héros  de  Finn,  qui  lui  raconte  l'histoire  des  lieux  où  ils 
passent  et  des  hommes  dont  ils  viennent  à  parler. 

2.  h'Amra  Choluimb-Cille,  publiée  par  Whitley  Stokes,  dans  Revue 
Celtique,  XX,  qui  passe  pour  avoir  été  composée  par  Vard-filé  Dallan 
Forgaill. 

3.  Tfie  Dealk  of  Muircertach  mac  Erca,  §§  10  et  11,  loc.  cit.,  p.  402  B. 

4.  Voir  par  exemple  Cath  CairnConaill.  éd.  Whitley  Stokes,  dans  Zft. 
fur  Cellische  Philologie,  lll,  p.  209.  —  Comp.  la  malédiction  que  saint 
Cairnech  prononce  contre  Muircertach,  loc.  ct/.,§  10,  strophe  2,  avec 
les  menaces  que  le  filé  Forgoll  profère  contre  le  roi  Mongan,  dans 
Voyage  of  Bran,  I,  p.  46,  1.  'J  s.  —  Cf.  invocation  de  Columcille  pen- 
dant la  bataille  de  Guldremne  :  Armais  of  Jigernach,  éd.  Whitley 
Stokes  dans  Rev.  Celtique,  XVII,  p.  143  et  143  ;  cf.  William  Reeves,  The 
life  of  saint  Columba,  p.  247  ss. 

5.  Voir  ci-dessus,  p.  193  ss.,  p.  224. 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE    LA    LÉGENDE      303 

dieuses.  Il  s'op^il  de  compléter  un  quatrain  dont  l'inlerlo- 
culeur  a  cité  ou  improvisé  les  deux  premiers  vers,  de 
manière  à  formuler  une  sentence  savante'.  Saint  Golum- 
cille  a  soutenu  un  combat  pareil  contre  le  diable  déguisé 
en  savant.  Après  avoir  prouve  sa  connaissance  parfaite  des 
AÏeilles  sentences  oubliées,  il  a  mis  en  déroute  le  Malin  en 
lui  citant  les  premiers  vers  d'un  poème  religieux"-. 

Les  légendes  des  saints  reflètent  les  tendances  politiques 
des /ilid  en  même  temps  que  leur  idéal  professionnel.  L'évo- 
lution des  mj'thes  vers  la  constitution  de  grands  cycles 
nationaux  se  poursuit  dans  Thagiographie. 

Toute  la  production  mylhopoétique  se  concentre  autour 
de  quelques  grands  saints  nationaux.  Saint  Columcille, 
sainte  Brigit,  saint  Patrick  sont  les  héros  de  légendes  ecclé- 
siastiques et  profanes,  de  contes,  de  poèmes,  d'anecdotes'. 
Ils  occupent  dans  l'hagiographie  exactement  la  même 
place  que  Finn,  Conchobar  ou  Ciichulainn  dans  l'épopée 
païenne. 

La  fin  logique  de  cette  concentration  légendaire  est  la 
constitution  d'un  seul  héros  suprême  qui  domine  les  autres. 
En  effets  il  y  a  une  tendance  marquée  en  Irlande  à  envi- 
sager les  trois  saints  patrons  comme  les  personnages  d'un 

1.  J.-H.  Todd,  The  Book  of  Hymns,  p.  90. 

2.  ODonovan,  note  à  la  page  138  de  Cormac's  Translation. 

3.  Columcille,  par  exemple,  est  représenté  comme  causant  avec 
Mongan,  l'incarnation  de  Manannan  mac  Lir  (cf.  ci-dessus,  chapitre  iv) 
qui  donne  au  saint  des  renseignements  sur  l'Elysée  irlandais  :  poèmes 
publiés  par  M.  Kuno  Meyer  dans  Voyage  of  Bran,  1,  p.  87  et  p.  88,  et 
CoUoquy  of  Colum-Cille  and  Ike  Youtli  at  Carn  Eorlaig,  même  édi- 
teur, dans  Zfl.  fur  Cellische  Philolofjie,  II,  p.  316  s.  Columcille  est  mêlé 
aux  événements  qui  sont  racontés  dans  le  cycle  éjjique  du  roi  Diarmaid 
mac  Cerbhaill  :  cf.  Silva  Gadelica,  p.  85  et  William  Rceves,  Adamjian's 
Life  of  saint  Columba,  p.  319;  cf.  aussi  Hilva  Gadelica,  p.  416.  — 
Pour  Brigit  cf.  Félire  Oenf/usso,  éd,  de  1880,  p.  72  et  73,  et  la  légende  de 
r.\mra  Plea,  loc.  cit.  —  Les  Vies  des  deux  personnages  abondent  en 
thèmes  de  contes  populaires  :  cf.  Colgan,  Triadis  Tkaumalurgae  Acta  ; 
Whitley  Stokes,  Three  middle-lrish  Homilies,  et  Lives  of  SS.  from  Ihe 
Book  of  Lismore. 


304  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

seul  grand  drame  religieux  qui  serait  divisé  en  trois  actes. 
Ils  sont  bien  tous  les  trois  les  champions  du  môme  ordre  de 
choses,  ils  ont  les  mêmes  adversaires,  les  druides,  et  si 
l'on  ne  pouvait  en  faire  les  acteurs  d'une  légende  unique, 
leurs  Vies  ayant  été  élaborées  dans  trois  centres  différents  et 
rivaux  jusqu'à  un  certain  point,  Armagh,  lona  et  Kildare, 
du  moins  a-t-on  fait  accomplir  à  Brigit  quelques  miracles 
en  présence  de  Patrick',  et  a-t-on  fait  prédire  à  celui-ci  la 
gloire  de  Columcille  ".  On  a  môme  assigné  aux  trois 
grands  patrons  un  tombeau  commun,  à  Down^. 

Les  trois  grands  saints  étant  ainsi  réunis  dans  la  môme 
adoration*,  il  était  naturel  que  l'un  d'eux  devienne  le  per- 
sonnage principal  de  la  triade  et  par  conséquent  le  symbole 
même  de  la  nationalité  irlandaise. 


1.  Belha  Brighdi  dans  Lives  of  SS.  from  the  Book  of  Lismore,  éd. 
Whitley  Stokes,  p.  43  ss. 

2.  Tirechân,  p.  332,  et  presque  toutes  les  Vies  de  Patrick  posté- 
rieures à  celle  de  Muirchu. 

3.  Co\gan,  Sanctae  Bi'igidae  Fî7a/Fa,  dans  Triadis  Thaumaturgae  Acta, 
p.  562,  col.  2  et  p.  563,  col.  1  ;  Marlyrology  of  Donegal,  p.  36,  au 
I"  février  :  «  et  elle  (Brigit)  a  été  enterrée  â  Down,  dans  la  tombe 
même  de  Patrick,  là  où  Columcille  fut  enterré  plus  tard  ».  —  Une  autre 
tradition,  assurément  plus  conforme  à  la  réalité  voulait  que  le  tom- 
beau de  saint  Columcille  fût  situé  dans  l'île  de  lona  :  Golgan,  Sancti 
Columbœ  Vital^,  loc.  cit.,  p.  323,  col.  2  ;  ejusdem  Vitaell",  ibid.,p.  330, 
col.  2  ;  ///",  ibid.,  p.  335,  col.  2  ;  IV  (Adamnano  auctore),  lib.  III, 
cap.  23,  ibid.,  p.  370,  col.  1.  —  La  Vita  F»,  cap.  78.  concilie  les  deux 
traditions.  Columcille  aurait  été  enterré  d'abord  dans  son  monastère 
de  lona,  et  plus  tard  ses  reliques  auraient  été  transportées  à  Down, 
dans  le  tombeau  où  reposaient  déjà  Patrick  et  Brigit,  ibid.  p.  446, 
col.  1.  —  Tirechân  dit  aussi,  p.  332,  1.  12  à  1.  18,  que  le  corps  de  saint 
Columcille  a  été  transporté  de  Bretagne  en  Irlande  et  déposé  dans  le 
tombeau  de  Patrick.  Seulement  il  situe  celui-ci  à  Saul  (Sabul  Patricii). 
—  En  fin  de  compte  la  tradition  de  la  sépulture  commune  a  prévalu.  En 
1185  les  reliques  des  trois  patrons  irlandais  furent  inventées  à  Down 
et  ces  très  nobiles  thesauri  furent  solennellement  transférés  à  Dublin  : 
Giraldus  Cambrensis,  Topographia  Hibernica,  distinctio  III,  cap.  17, 
éd.  Dimock,  p.  163  s.  ;  Expugnatio  Hibernica,  par  le  même,  lib.  II, 
cap.  35,  édit.  Dimock,  p.  387. 

4.  Cf.  aussi  l'hymne  publié  parTodd  dans  Book  of  llymns,  p.  132  s.  : 
les  saints  Patrick,  Brigit  et  Columcille  y  sont  invoqués  ensemble, 
comme  les  patrons  de  l'Irlande. 


role  des  fi1.id  dans  la  formation  de  la  légende     305 
Les   sentiments   patriotiques   irlandais  tendent  a   se 

CONCENTRER  AUTOUR   DU   CULTE    DE    SAINT  PaTRICK.    Entre 

tous  les  saints  Patrick  était  le  plus  qualifié  pour  devenir 
ce  héros. 

Les  filid  vénèrent  en  lui  leur  patron  particulier,  l'auteur 
de  leur  alliance  avec  TEglise.  11  est  le  protecteur  de  leur 
puissance.  C'est  lui  qui  a  institué  leur  hiérarchie  et  qui  les 
a  confirmés  dans  leurs  droits*. 

D'autre  part  l'Eg-lise  voit  dans  le  culte  de  saint  Patrick 
l'expression  de  son  unité  et  de  sa  hiérarchie.  Les  évêques 
d'Armagh,  successeurs  directs  de  l'apôtre  %  voyaient  dans 
la  diiïusion  de  ce  culte  le  meilleur  moyen  d'étendre  leur 
juridiction  sur  toutes  les  communautés  de  l'Irlande,  qui 
vénéraient  d'autres  saints  fondateurs,  de  sorte  qu'une  bonne 
part  des  Vies  et  des  actes  de  l'apôtre  se  révèlent  à  l'examen 
comme  étant  de  véritables  plaidoyers  en  faveur  d'Armagh. 
Telle  est,  par  exemple,  la  Vie  Tripartite  eisurloui  le  Liber 
Angueli^.  Tirechàn  affirme  lui  aussi  que  toutes  les  com- 
munautés anciennes  de  l'Irlande  ont  été  fondées  par  saint 
Patrick  et  doivent  par  conséquent  rentrer  dans  l'obédience 
de  son  héritier*.  Le  fait  est  que  la  constitution  définitive  de 


1.  Glose  au  Senchus  Môr,  Ancient  Laws,  I,  p.  44. 

2.  Ils  s'intitulaient  comharba  de  l'apôtre,  en  latin  haeres  Patricii.  Cf.  les 
quatre  listes  des  successeurs  de  Patrick  qu'a  publiées  J.-H.  Todd,  Saint 
Patrick,  p.  174  ss. 

3.  Cf.  Mac  Carthv,  The  Tripartite  Life  of  St.  Patrick,  dans  Transactions 
ofthe  Roy.  JrishÀcad.,  XXIX,  Part  VI,  Dublin,  1889.—  Quant  au  Ltber 
Angueli,  c'est  une  simple  énuméralion  des  privilèges  d'Armagh,  soi- 
disant  révélés  à  Patrick  par  un  ange.  Publié  dans  Tripartite  Life,  II, 
p.  352  ss. 

4.  Tlrechân,  p.  311,  dernière  ligne,  et  p.  312  :  cor  autem  meum  cogitât 
in  me  de  Patricii  dileclione,  quia  uideo  desertores  et  archiclocos  et 
milites  Hibernia;  quod  odio  habent  paruchiam  Patricii,  quia  substra.xe- 
runt  ab  eo  quod  ipsius  erat,  limentque  quoniam  si  quaereret  hères 
Patricii  paruchiam  illius,  potest  pêne  totam  insolam  sibi  reddere  in 
paruchiam,  quia  Deus  dédit  illi  totam  insolam  per  anguelum  Domini 
(Cf.  Liber  Anfjueli],  et  legem  Domini  docuit  illis  (se.  Patricius)  et  bap- 
tismo  Dei  bapUzauil  illos,  et  crucem  Christi  indicauit,  et  resurrectionem 

Cz.VB.NOWSKI.  20 


306  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

la  î''gcncio  (le  saint  Patrick  coïncide  avec  la  reconnaissance 
d'Armagh  comme  métropole  au  vu"  siècle. 

Les  vicissitudes  de  TEglise  dlrlande  rehaussèrent  encore 
le  prestige  de  Patrick.  Pendant  tout  le  vu*  siècle  cette 
Église  dut  soutenir  une  lutte  très  Apre  contre  le  clergé 
romain  pour  son  autonomie  administrative  et  pour  la 
défense  de  ses  particularités  liturgiques.  Il  s'en  fallut  de  peu 
qu'un  schisme  ne  séparât  pour  toujours  l'Irlande  du  reste 
delà  chrétienté'.  Le  clergé  irlandais  se  groupa  autour  du 


eius  nuntiauit.  Sed  farailiam  eius  non  dilegunt  quod  non  licet  iurare 
contra  eum,  et  super  eum,  et  de  eo,  et  non  lignum  licet  contra  euni 
mitti  (c'est-à-dire,  un  cartel,  un  défi.  Cf.  Tirechân,  p.  320  :  entre  deux 
hommes  qui  se  battent  en  duel  est  posé  un  lignum  conteslationis)  quia 
eius  sunt  omnes  primitiuse  ecclesise  Iliberniaî,  sed  iuratur  a  se  omne 
quod  iuratur». 

1.  Cf.  Lelièvre,  L'Église  celtique  indépendante  de  Rome  (Thèse)  Cahors, 
1899;  William  Hunf,  The  English  Church  frotn  ils  foundation  lo  the  Nor- 
man conquesl,  Londres,  1899.  Le  livre  de  J.-H.  Todd,  The  Church  of  SI. 
Patrick,  Londres,  1844,  est  encore  utile  malgré  sa  date  déjà  ancienne 
et  bien  que  son  auteur  ait  eu  tendance  à  exagérer  l'esprit  d'indépen- 
dance de  l'Église  celtique,  dans  un  sens  qu'on  pourrait  appeler  pro 
testant.  —  Les  chrétiens  bretons  et  irlandais  sont  toujours  demeurés  en 
communion  avec  le  reste  de  l'tglise  au  point  de  vue  des  dogmes.  Ce 
qui  divisait  les  deux  partis,  c'était  des  traditions  liturgiques,  un  mode 
différent  de  calculer  la  date  de  Pâques  (cf.  Mac  Carthy,  Introduction 
au  vol.  IV  des  Annals  of  Ulster;  Haddan  etStubbs,  Councils  and  eccle- 
siastical  documents  relating  to  Great-Britain  and  Ireland,  II,  p.  115  et 
p.  292  s.  ;  Bède  le  Vénérable,  Historia  ecclesiastica  gentis  Anglorum, 
1.  II.  c.  2)  et  une  forme  particulière  de  la  tonsure  des  clercs  celtiques 
(Haddan  et  Slnbbs,  op.  cit..  II,  p.  114;  Wasserschleben,  Die  irische 
Kanonensammlung,  II»  éd.,  1883,  1.  LU,  cap.  6  et  7).  Mais  il  s'agis- 
sait avant  tout  d'un  conflit  entre  deux  organisations  cléricales,  dont 
l'une,  le  clergé  celtique,  était  habituée  à  l'indépendance,  et  l'autre,  les 
missionnaires  envoyés  par  Rome  en  Angleterre,  avec  saint  Augustin  de 
Cantorbéry,  en  601,  prétendait  exercer  la  juridiction  sur  toutes  les  Iles 
Britanniques  (cf.  Bédc,  1.  I,  c  27).  Saint  .\ugustin  et  ses  successeurs 
s'étant  olïiciellement  alliés  aux  conquérants  Anglais  et  Saxons,  le 
conllit  en  question  devint  tout  de  suite  une  affaire  d'indépendance  natio- 
nale pour  les  Bretons  et  les  Irlandais.  Rome  n'avait  ménagé  ni  ses 
bénédictions,  ni  son  appui  à  tous  les  rois  barbares,  qui  voulaient  bien 
se  convertir  (Bède,  1.  I,  c.  32,  c.  33, 11,  c.  10,  à  c  14  ;  cf.  Lelièvre,  p.  146  ; 
Hunt,  chap.  i  et  n).  Or  le  clergé  breton  avait  les  conquérants  en  telle 
haine,  qu'il  ne  voulait  même  pas  leur  prêcher  l'Évangile,  pour  ne  pas 
contribuer  ainsi  à  leur  salut  (Hunt,  p.  14).  Aussi  les  tentatives  de  con- 
ciliation entre  les  deux  partis  échouèrent-elles  (Bède,  1.  II,  c.  2j  ;  et  bien- 
tôt on  arriva  à  se  considérer  mutuellement  comme  schismatiques  cl 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION   DE   LA    LÉGENDE       307 

culte  de  saint  Patrick,  dans  1  autorité  duquel  il  voyait  la 
sauvegarde  de  son  indépendance,  tandis  que  Rome  se  récla- 
mait du  même  saint  et  de  son  union  avérée  avec  les  Eglises 
du  continent'.  Et  lorsque  l'Irlande  se  fut  enfin  soumise-, 
une  des  conditions  fut  la  reconnaissance  en  bloc  de  tous 
les  saints  indigènes  par  la  curie  romaine,  en  premier  lieu  de 
saint  Patrick  ^ 

Enfin  les  invasions  Scandinaves  qui  désolèrent  longtemps 
l'Irlande  et  réussirent  même  t\  y  fonder  un  empire  éphémère, 
eurent  pour  résultat  l'exaltation  de  saint  Patrick.  L'Eglise 
seule  demeura  debout  sur  les  ruines  du  pouvoir  politique. 
Elle  devint  le  refuge  des  espérances  nationales  dans  la  lutte 
contre  les  barbares  païens.  Le  patriotisme  irlandais  s'est 
confondu  avec  la  Foi,  et  saint  Patrick  vit  ainsi  son  culte 
fortifié  de  toute  l'exaspération  des  vaincus*. 

Saim  Patrick  est  le  héros  national  de  l'Irlande.  — 
Aussi  saint  Patrick  est-il  devenu  le  héros  national  suprême 
de  l'Irlande. 


impurs  :  Bède,  1.  II,  c.  4,  et,  du  même,  Vita  Sancli  Cuthberli,  cap.  29; 
Haddan  and  Stubbs,  loc.  cit.  et  I,  p.  126,  p.  202  ;  Wasserschleben,  loc. 
eii. 

1.  Cf.  lettre  de  saint  Cummicin  à  Segene,  abbé  de  lona,  dans  Migne, 
Palrologia  Latina  LXXXVII.  p.  969  :  «  illum  (cyclum)  quem  sanctus 
Patricius,  papa  noster  tulit  et  fecit  ». 

2.  On  ne  connaît  pas  toutes  les  étapes  de  la  lutte.  11  dut  y  avoir  pen- 
dant tout  le  vu*  siècle  des  conciles  auxquels  diverses  communautés 
déclaraient  se  conformer  à  la  liturgie  romaine  :  cf.  Bury,  op.  cil  ,  p.  239. 
Officiellement  la  tonsure  à  la  mode  romaine  et  la  computation  romaine 
de  Pâques  furent  adoptées  en  Irlande  en  697  au  synode  de  Birr  :  Annals. 
of  i'isler,  s.  a  ,  mais  le  sud  de  l'Ile  parait  s'être  soumis  dès  C34  envi~- 
ron.  lona  conserva  ses  anciens  usages  jusqu'en  716  ou  717  :  Haddarti 
et  Stubbs,  Councils.  II,  p.  114  s.  —  Mais  l'autonomie  de  l't/glise  irlan-^ 
daise  subsiste  jusqu'au  xii*  siècle.  Ce  ne  fut  qu'en  1152  qu'au  concili> 
de  Kells  (ou  de  Mellifons),  réuni  sous  la  présidence  du  cardinal  Paparo, 
légat  du  pape,  les  affaires  de  l'Église  d'Irlande  furent  définitivement 
réglées  suivant  les  désirs  de  Rome  :  Lclièvre,  op.  cil.,  p.  8. 

3.  Au  concile  de  Kells  :  Lelièvrc,  op.  cil.,  p.  11. 

4.  Cf.  ci-dessous,  p.  311  s. 


308  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Les  textes  religieux  le  nomment  «  patron  des  patrons, 
saint  en  chef»  de  l'île.  lien  est  le  roi  reconnu,  qui  «  régnera 
jusqu'en  l'éternité  »  *  au-dessus  des  chefs  temporels. 

C'est  l'autorité  de  saint  Patrick  qui  légitime  toutes  les 
institutions  centrales,  dans  lesquelles  s'exprime  Tunité  poli- 
tique de  l'Irlande.  Les  lieux  où  se  tiennent  les  assemblées 
pangôidéliques  ont  été  bénis  par  lui  et  la  dynastie  des 
rois  suprêmes,  les  Hùi  Néill,  a  été  confirmée  par  l'apôtre 
dans  ses  droits. 

Saint  Patrick  ne  se  bornera  pas  à  protéger  les  Irlandais 
au  Jugement  Dernier,  ni  à  les  faire  sortir  de  l'Enfer.  Grâce 
à  son  intercession,  la  mer  engloutira  l'Irlande  sept  ans  avant 
la  fin  du  monde  et  la  persécution  de  l'Antéchrist  épargnera 
ainsi  ses  habitants  ^ 

Un  lien  personnel  direct  unit  enfin  beaucoup  d'Irlandais 
à  leur  patron.  On  sait  la  fréquence  du  nom  Patrick  parmi 
eux.  Le  sobriquet  Paddy  désigne  un  Irlandais  en  Angle- 
terre, et  il  en  était  déjà  ainsi  au  moins  dès  le  xvii*  siècle  \ 

L'autorité  de  saint  Patrick  décide  en  toutes  matières  en 
Irlande. 

Les  mœurs  et  coutumes  dont  l'ensemble  constitue  la  vie 
nationale  dans  sa  particularité  ont  toutes  été  approuvées  ou 
bénies  par  saint  Patrick.  Il  a  surveillé  en  personne  la  rédac- 
tion du  Senchus  M6r'\  On  lui  a  conté  les  généalogies  et  il 


1.  Muirchu,  p.  275  :  «  regnabit  in  aeternum  ». 

2.  Additamenla  ad  Tirechanum,  dans  Tripartile  Life,  II,  p.  331. 

3.  Cf.  par  exemple  A  Discourse  or  Parly  contmued  betwixt  Partricius 
(sic)  and  Perer/rine  iipon  their  landing  in  France  touching  the  civill  (sic) 
Wars  of  England  and  Ireland,  dialogue  anonyme  paru  en  1643,  dans 
lequel  Patricius  désigne  l'interlocuteur  irlandais. 

4.  Introduction  au  Senchus  Môr,  loc.  cit.,  p.  4  :  la  commission  char- 
gée de  codifier  le  Droit  irlandais  et  qui  a  compilé  le  Senchus  Môr  se 
composait  des  rois  :  Loegaire,  Corc  et  Daire,  des  évoques  :  Patrick, 
Benen  (Benignus)  et  Cairnech,  et  des  filid  :  Rosa,  Dubthach  et  Fer- 
gus.  — Cf.  Senchus  Môr,  G\ose,  dans  Ancient  Laws,l,  p.  208,  etComthoth 
Loegairi  co  creLim,  éd.   Plummer,  p.  104  ss.  —  C'est  de  la  légende 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION  DE  LA    LÉGENDE       309 

les  a  reconnues  exactes'.  Il  a  été  un  grand  amateur  de 
contes  et  de  légendes  locales*.  Il  n'y  a  pas  jusqu'au 
whisky  dont  l'apùtre  n'ait  fait  son  breuvage  de  prédilec- 
tion \ 

En  matière  de  foi,  l'autorité  de  Patrick  prime  même  l'en- 
seignement oiïiciel  de  l'Eglise.  L'Irlandais  est  catholique 
parce  que  saint  Patrick  l'était,  mais  il  est  capable  de  passer 
à  une  confession  différente,  lorqu'on  lui  démontre  qu'elle  se 
rapproche  le  plus  des  doctrines  professées  par  l'apôtre. 
Aussi  catholiques  et  presbytériens  s'arrachent-ils  mutuel- 
lement le   patron   de  l'Irlande  \  Les  baptistes   américains 

pure  ;  cf.  d'Arbois  de  Jiibainville,  Résumé  d'un  cours  de  droit  irlandais, 
Paris.  1888,  p.  8.  Si,  comme  le  veut  M.  Biiry,  op.  cit.,  p.  356  s.,  saint 
Patrick  avait  réellement  collaboré  au  Senchus  Môr,  la  langue  de  ce 
recueil  aurait  certainement  conservé  des  formes  beaucoup  plus 
anciennes,  que  ne  le  sont  celles  qu'on  rencontre  dans  le  texte,  vu  le 
caractère  éminemment  conservateur  de  la  langue  du  droit.  Le  seul 
argument  de  M.  Bury  est  que  les  collaborateurs  de  saint  Patrick,  qui 
font  partie  de  la  commission  ne  sont  pas  tous  des  personnages  qui 
jouent  un  rôle  dans  la  légende  de  l'apôtre.  Leurs  noms  doivent  donc 
avoir  été  suggérés  au.\  rédacteurs  de  la  légende  par  la  réalité  histo- 
rique. Cet  argument  est  insuffisant,  puisque  ces  noms  peuvent  très 
bien  avoir  été  empruntés  à  une  légende  indépendante  du  cycle  légen- 
daire de  saint  Patrick. 

1.  Cf.  poème  du  Ms.  irlandais  de  Giessen,  fol.  52  verso,  publié  par 
M.  Ludwig  Christian  Stern  dans  la  Rev.  Celtique,  XVI,  p.  25,  —  Cf.  Gœt- 
lingische  gelehrle  Anzeifjen,  1887,  p,  172. 

2.  Cf.  Accalamh  na  Senorach,  cité  p.  302  n.  1. 

3.  Selmar  Eckleben,  Die  dltesle  Schilderung  vom  Fegefeuer  des  hei- 
ligen  Patricius,  p.  11. 

4.  Loin  de  vouloir  établir  ici  une  bibliographie  des  écrits  apologé- 
tiques qui  se  réclament  de  1  autorité  de  saint  Patrick  nous  citons  au 
hasard  des  rencontres  dans  les  bibliothèques  ;  The  Catholic  Religion  of 
saint  Patrick,  and  saint  Columb-Kill  and  the  other  ancient  Saints  of 
Ireland  truley  set  from  roman-catholic  liistorians,  traditions,  of  the 
countrg  records  and  authentic  documents  (anonyme),  printcd  by 
M.  Goodwin,  Dublin,  1822.  L'autour,  qui  est  un  presbytérien,  loue  d'abord 
les  Irlandais  de  ce  qu'ils  vénèrent  leurs  saints  et  pose  la  thèse  sui- 
vante :  a  you  will  ail  with  one  accord  allow,  that  whatever  those 
holy  men  taught  your  ancestors  to  bclieve,  must  be  the  true  faith  for 
you  to  receive  »  (p.  5).  Bien  entendu,  ce  que  saint  Patrick  et  ses  suc- 
cesseurs ont  enseigné  était  la  plus  pure  doctrine  de  l'église  presbyté- 
rienne. —  Hugh  Joseph  O'Donnell,  un  catholique,  nous  apprend  que  les 
membres  des  Bible  Societies  s'efforcent  de  démontrer  que  «  the  Bible 


310  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

publient  de  savantes  études  où  lesémigranls  irlandais  sont 
exhortes    au   nom  de  leur  attachement  à  saint  Patrick    à 

and  your  old  Saints  were  muoh  against  notes  and  traditions  »,  c'est-à- 
dire,  contraires  aux  commentaires  de  l'Église  aux  Écritures,  et  il  s'élfeve 
contre  «  cet  amas  de  mensonges  w  dans  son  opuscule  The  Touc/istone 
of  (lie  Bible  Societies  ;  or  the  unansuerable  argicmenls  of  a  roman-catholic 
layman  to  a  protestant  clerf/yman  against  a  pamphlet  entitled  :  a  Opi- 
nions of  saint  Patrick,  saint  Columkill  and  other  ancient  Saints  of  Ire- 
land  rcspecling  the  reading  of  the  Scriptures  by  the  people  »,  m  which 
the  Bible  Societies  are  eternally  sileiiced,  Dublin,  \V.-J.  Battersby  and 
B.  Fitzsimons,  1823.  —  Mais  les  protestants  ne  se  reconnaissent  pas 
pour  vaincus.  Le  Rév.  W.-P.  Walsh,  curé  (anglican)  de  Rathdrum, 
démontre  dans  sa  brochure  Saint  Patrick  and  the  holy  CathoUc  Churck 
in  Ireland,  Dublin,  1849,  p.  35,  que  l'Église  protestante  est  la  repro- 
duction exacte  de  l'Église  fondée  par  saint  Patrick,  tant  au  point  de 
vue  des  doctrines  que  de  son  organisation.  «  Protestants,  dit-il.  com- 
bien vous  pouvez  vous  réjouir  d'appartenir  à  une  bglise  aussi  honorée 
par  son  ancienneté  et  honorant  si  bien  Dieu...  avec  quelle  gratitude 
vous  reconnaîtrez  cette  protection  providentielle  qui  a  veillé  si  long- 
temps sur  l'bglise  de  vos  pères  »,  c'est-à-dire  sur  l'Église  môme  de 
saint  Patrick.  —  Daniel  de  Vinné,  The  irish  primilioe  Church  together 
wilhe  the  life  of  saint  Patrick,  New-York,  1870,  démontre  dans  son 
chap.  III  que  la  doctrine  de  l'Église  irlandaise  primitive  était  «  founded 
on  the  holy  Scriptures  only  »,  qu'elle  était  donc  en  opposition  avec  la 
doctrine  de  Rome,  qui  est  fondée  sur  les  Écritures  et  la  tradition.  Tout 
ce  qu'il  y  a  d'essentiel  dans  la  Réforme  était  déjà  dans  l'Église  irlan- 
daise (chap.  IV).  La  romanisation  de  l'Irlande  par  la  papauté  a  été  un 
attentat  contre  l'Évangile  et  contre  l'indépendance  nationale.  —  Ce 
sont  encore  les  mêmes  idées  qu'on  trouve  développées  chez  Héron,  The 
Cellic  Church  in  Ireland  ;  le  Rév.  Joseph  Sanderson,  The  Story  of  saint 
Patrick,  New-York,  s.  d.,  et  ^hvdiVÙ,  Die  iroschottische  Missionskirche, 
1872  :  les  dcnix  premiers  ont  de  plus  découvert,  que  saint  Patrick  n'at- 
tribuait aucun  mérite  aux  bonnes  actions  (Héron,  p.  123;  Sanderson, 
p.  188),  mais  que  la  Grâce  divine  seule  est  la  source  du  bien.  Sanderson, 
p.  188,  dit  encore,  que  suivant  l'apôtre  de  l'Irlande  la  Foi  seule  peut 
mener  au  salut,  et  Ebrard  veut  démontrer,  que  le  culte  des  saints  était 
inconnu  de  l'ancienne  t^glise  irlandaise.  Aussi  Héron  adjure,  p.  124-, 
les  Irlandais  de  secouer  le  joug  de  l'oppression  catholique  «  de  se 
libérer  d'un  système...  qui  n'appartenait  pas  à  l'Église  fondée  par 
Patrick  mais  qui  a  été  importé  plus  tard  d'Italie  et  qui  a  été  imposé 
par  des  étrangers  ».  On  remarquera  le  ton  nationaliste  de  cet  appel.  — 
De  leur  côté  les  écrivains  catholiques  se  servent  de  saint  Patrick  pour 
faire  l'apologie,  non  pas  de  la  catholicité,  telle  qu'on  la  comprenait  au 
V»  siècle,  mais  de  l'Église  Romaine  telle  qu'elle  est  actuellement.  Cf.  par 
exemple  Denis  Gargan,  The  ancient  Church  of  Ireland,  Dublin,  1864: 
l'auteur  critique  la  théorie  de  Todd,  exposée  dans  Memoir  on  the  Life 
and  Mission  of  saint  Patrick  aposlle  of  Ireland,  suivant  laquelle  l'Eglise 
de  saint  Patrick  aurait  été  indépendante  de  Rome.  C'est  une  théorie 
imaginée  par  les  protestants  dans  le  but  de  détacher  les  Irlandais  du 
catholicisme.  Mais  saint  Patrick  a  toujours  reconnu  la  suprématie  du 
pape.   Cf.  Robert-John  Gainsford,   The  Religion  of  saint  Patrick.  — 


ROLE    DES    FILID    DANS    l.A    FORMATION    DE   LA   LÉGENDE       311 

revenir  î\  la  seule  Église  qui  ait  conservé  intacte  sa  doc- 
trine, et  qui  est  évidemment  rÉglise  baptiste*. 

Le  culte  de  saint  Patrick  est  enfin  la  source  où  se 
retrempe  le  nationalisme  irlandais  de  tous  temps.  Dans  le 
Livre  d'Armagh,  il  est  dit,  que  jamais  Saxons  ni  autres 
étrangers  ne  pourront  réduire  en  servitude  les  hommes 
d'Erinn,  ni  par  force  ni  par  ruse,  tant  que  lapôtre  habitera 
le  Paradis*.  Et  plus  tard  les  soulèvements  répétés  contre 

D'autre  part,  le  clergé  catholique  voit  dans  le  culte  de  saint  Patrick  la 
garantie  la  plus  sûre  de  rattachement  des  Irlandais  à  la  Foi  Romaine. 
Aussi  exalte-t-il  autant  qu'il  peut  le  saint  patron.  Celui-ci  a  converti  l'Ir- 
lande tout  seul,  il  en  est  apiMre  unique  :  cf.  par  exemple  le  Père  Ottavio 
Barsanti.  Franciscain.  Saint  Patricks  Aposlleship  (A  Lecture  delivered 
to  Ihe  rnembers  of  saint  Patricks  Christian  Doctrine  Society,  Melbourne), 
Melbourne.  Impr.  Catholique.  1871  ;  VV.-B.  Morris,  de  l'Oratoire.  The 
Apostle  of  Ireland  and  his  modem  critics,  Londres,  1881  ;  Thos. 
J.  Shahan,  prof.  ;\  l'Université  Catholique  de  Washington,  Saint  Patrick 
in  histoty,  Londres  et  Bombay,  l'J04  ;  le  Rév.  Chanoine  B.-D.  Pooler, 
Saint  Patrick  in  Co  Doicn.  A  reply  to  Professor  Zimmer  (An  Adress  deli- 
vered in  saint  Patricks  Cathedral,  Dublin,  on  saint  Palrick's  Day.  1004), 
Dublin,  iy04.  (Le  dernier  de  ces  auteurs  revendique  l'autorité  de  Muir- 
chu).  Le  Rév.  Albert  Barry  traduit  Muirchii  à  l'usage  des  fidèles  :  Life 
of  saint  Patrick  by  Muirchu  Maccu  Mactheni,  Dublin,  18'Jd.  Mais,  comme 
si  l'œuvre  du  vieil  hagiographe  n'était  pas  suffisamment  louangeuse 
pour  l'apôtre,  on  écrit  des  biographies  nouvelles  de  saint  Patrick,  dans 
lesquelles  on  fait  passer  tout,  ce  que  les  Vies  plus  récentes  contiennent 
de  merveilleux  et  les  miracles  les  plus  extravagants  :  cf.  par  exemple 
Monsignor  Gradwell,  Sxiccat.  Ihe  Slory  of  sixty  years  of  the  life  of 
saint  Patrick,  Londres  et  New-York,  s.  d.  (Le  premier  chapitre,  relatif 
à  l'enfance  de  l'aprttre,  a  été  publié  précédemment  et  à  part,  sous  le 
litre  :  The  Life  and  limes  of  saint  Patrick,  Apostle  of  Ireland,  Londres 
et  Dublin,  Preston.  188G)  ;  le  Rév.  Doyen  Kinane,  i'aiH/  Patrick,  his  life, 
hisheroic  virlues,  his  labours  and  the  fruilsof  his  labours,  S^éd.,  Londres, 
R.  Washbourne,  1897  (œuvre  populaire  qui  suit  surtout  la  Vie  Tripar- 
aie}  ;  le  Rév.  Chanoine  William  Fleming,  The  Life  of  saint  Patrick 
Apostle  of  Ireland,  Londres,  l'JOo.  —  Cf.  aussi  Sliearmann,  S.  J..  Loca 
Patriciana,  éd.  de  1882  :  l'auteur  admet  pour  vraies  presque  toutes  les 
légendes  qui  se  sont  formées  autour  de  saint  Patrick.  Seulement, 
comme  il  y  en  a  trop,  il  reprend  à  son  compte  l'ancienne  théorie  de 
Colgan,  qui  distingue  trois  saints  Patrick. 

1.  William  Cathcart,  The  ancient  Brilish  and  Irish  Churches  {Ame- 
rican Baptist  Publication  Society},  Philadelphie,  1894,  un  fort  volume 
de  3*0  pages  avec  notes  à  l'appui. 

2.  Dans  Tripartite  Life,  II,  p.  381.  —  Comme  la  partie  du  Livre  d'Ar- 
ma()h,  o(j  est  notée  cette  prédiction,  a  été  écrite  en  807  au  plus  tard, 
l'origine  de  celle-ci  ne  peut  être  dans  les  invasions  Scandinaves. 
M.  Bury,  op.  cit.,  p.  320,  suppose  que  des  invasions  de  Saxons  établis 


312  SAINT    PATiUCK    ET    LF.    CUI.TK    DES    HÉROS 

la  domination  anglaise  invoquent  le  patronage  de  saint 
Patrick.  Son  nom  sert  aux  conjurés  de  ralliement  et  il  figure 
dans  leurs  formules  de  serment*. 

On  sait  que  le  jour  de  la  Saint-Patrick  est  la  fôte  natio- 
nale qui  unit  une  fois  par  an  les  Irlandais  du  monde  entier 
dans  une  môme  pensée.  Partout  où  existe  une  colonie 
d'émigrés,  l'Église  s'associe  par  une  messe  solennelle  et  un 
sermon  à  cette  fête.  Et,  encore  une  fois,  le  but  de  ces  ser- 
mons est  de  rallumer  la  foi  des  auditeurs,  en  exaltant  leur 
attachement  patriotique  à  saint  Patrick  ^ 

Ainsi  saint  Patrick  incarne  l'unité  nationale  des  Irlandais 
à  travers  les  vicissitudes  de  l'histoire  et  malgré  la  disper- 
sion de  ses  fidèles.  Ce  n'est  pas  l'Irlande,  en  tant  que  terri- 
toire ou  qu'unité  politique,  qui  jouit  de  sa  protection  :  c'est 
la  nation.  Il  est  le  gage  de  sa  durée  éternelle  et  le  symbole 
de  toutes  ses  aspirations. 

Nous  cro3'ons  avoir  désormais  établi  que  la  représenta- 

en  Grande-Bretagne  ont  peut-être  donné  lieu  à  la  prédiction  en  ques- 
tion. —  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  hors  de  doute  qu'elle  fit  beaucoup  pour 
raviver  le  courage  des  Irlandais  lors  de  la  lutte  pour  l'indépendance 
qu'ils  soutinrent  contre  les  Danois  et  les  Normands. 

1.  Cf.  par  exemple  Letters  b)j  Sydney,  author  of  the  Letlers  signed  «  a 
Protestant  of  Ireland  »,  Cork,  John  Bolster,  1823,  p.  319  s.  :  le  5  avril 
1822,  on  arrêta  dans  les  environs  de  Roscrea  un  certain  M.  Denis  Egan 
sur  lequel  il  fut  trouvé  un  document,  établissant  l'existence  d'une 
société  secrète,  qui  avait  pour  but  de  délivrer  l'Irlande  et  d'écraser  le 
protestantisme.  Les  affiliés  se  nommaient  Chevaliers  de  saint  Patrick, 
ils  prêtaient  serment  sur  une  baguette  (rod  of  correction)  garnie  d'acier 
à  un  bout  et  enflammée  à  l'autre,  qui  avait  été  coupée  dans  la  forêt 
d'Orléans  en  France,  et  qui  avait  exactement  la  longueur  de  la  croix 
de  Saint  Patrick.  Les  conjurés  se  reconnaissaient  en  s'interpellant  :  «  d'où 
venez-vous  »,  à  quoi  il  fallait  répondre  :  «  de  l'école  de  Saint  Patrick  ». 
—  On  ne  peut  certes  pas  garantir  l'exactitude  de  tout  ceci.  Mais  même 
s'il  s'agissait  d'une  calomnie  échafaudée  par  un  délateur,  il  est  certain 
que  l'idée  d'introduire  le  nom  de  saint  Patrick  dans  cette  histoire  a  été 
suggérée  par  la  dévotion  réelle  des  insurgés  à  leur  patron  national. 

2.  Cf.  par  exemple,  le  Rév.  J.  S.  Mac  Corry,  A  Panegyric  on  Saiiit-Pa- 
trick.  Patron  of  Ireland,  delivered  in  Saint  Patrick's  Calholic  Church, 
Edinburgh,  on  occasion  of  the  solemn  célébration  of  his  Feast,  March 
17,  1S5i,  Edimbourg.  18al  ;  le  sermon  a  été  prononcé  après  une  messe 
que  l'évêque  lui-même  avait  célébrée.  —  Cf.  aussi  Pooler,  cité  p.  311. 


ROLE    DES    FILID    DANS    LA    FORMATION    DE  LA    LÉGENDE       313 

tion  de  saint  Patrick  est  celle  d'un  héros,  et  qu'elle  est  la 
clef  de  voûte  d'un  système  de  notions,  qui  est  bien  irlan- 
dais, ou  plutôt  d'un  système,  dont  les  racines  plongent  pro- 
fondément dans  l'organisation  môme  de  la  société  gôidé- 
iique. 

Saint  Patrick,  les  saints  et  les  héros.  —  Il  reste  à 
déterminer  la  place  de  ce  saint  héros  parmi  les  saints  ses 
pareils  '. 

A  première  vue,  très  peu  parmi  les  types  de  saints,  que 
représente  l'hagiographie  en  dehors  de  l'Irlande,  paraissent 
comparables  à  saint  Patrick. 

En  particulier  les  saints  des  anciennes  provinces  ro- 
maines ne  sont  pas,  pour  la  plupart,  au  même  titre  que  le 
patron  de  l'Irlande,  des  héros  dont  les  traits  aient  été 
légués  par  la  tradition  épique  ou  légendaire . 

Bien  entendu,  cette  assertion  n'implique  en  rien  que  le 
culte  des  saints,  pris  dans  son  ensemble,  ne  soit  issu  pour 
une  bonne  part  des  cultes  héroïques  de  l'antiquité  païenne. 
Au  contraire,  il  est  certain  que  l'un  a  hérité  des  autres  un 
grand  nombre  d'éléments*.  La  représentation  même  de 
saint,  champion  glorifié  de  la  Foi,  intercesseur  et  patron, 
tient  dans  le  cadre  formel  de  celle  de  héros.  Ce  que  nous 
voulons  dire,  est  que  l'idéal  humain  glorifié  par  la  plus 
grande  partie  des  légendes  hagiographiques  ressort  d'un 
système  de  valeurs  sociales  qui  n'a  rien  de  commun  avec 
celui  dont  dépend  l'idéal  héroïque  des  récits  païens. 

1.  Dans  les  pages  qui  suivent  on  a  profité  surtout  de  Lucius,  Die 
Anfdnge  der  Heiligenkullus  ;  Bornouilli,  Die  Heiligen  der  Merowinger, 
Tùbingen,  1900  ;  P.  Saintyves,  Les  Hainls  successeurs  des  dieux,  Paris, 
1907  ;  Delehaye,  Les  Légendes  hagiographiques,  2«  éd.,  Paris-Bruxelles, 
1906  ;  Bulliot,  La  mission  el  le  culte  de  saint  Martin,  Autun,  1892. 

2.  Cf.  Lucius,  op.  cit.,  livre  I"  et  Saintyves,  op.  cit.,  i"  partie,  qui 
se  sont  attachés  à  faire  ressortir  les  traces  des  cultes  païens  dans 
ceux  des  saints. 


314 


SAINT  PATRICK  ET  LE  CULTE  DES  HÉROS 


Non  que  les  hagiographcs  n'aient  fait  bon  accueil  aux 
motifs  tirés  des  épopées  et  de  la  mythologie  païennes. 
Telles  légendes  de  saints  sont  du  pur  conte  populaire, 
comme  celle  des  Sept  Saints  Dormants*.  Le  mythe  est  à 
peine  déguisé  dans  celle  de  saint  Georges,  vainqueur  du 
dragon  et  libérateur  de  la  princesse  ^  Mais,  d'une  manière 
générale,  les  motifs  en  question  ont  seulement  le  caractère 
d'emprunts  littéraires.  La  physionomie  du  saint  n'en  est 
pas  affectée  dans  ses  traits  essentiels. 

La  source  des  légendes  hagiographiques  est  avant  tout 
cette  masse  de  thèmes  qui  circulent  sans  cesse  chez  les  peu- 
ples les  plus  divers  et  qui  ne  sont  caractéristiques  d'aucune 
floraison  épique  particulière.  Telle  est  par  exemple  la 
légende  de  saint  Christophe  qu'on  retrouve  dans  des  contes 
orientaux,  dans  l'épopée  irlandaise  et  dans  le  folklore 
germanique.  Le  combat  contre  un  dragon,  si  fréquent 
dans  les  légendes  de  saints,  est  lui  aussi  un  de  ces  thèmes 
répandus  partout.  Il  en  est  de  même  des  histoires  où  l'on 
voit  des  hommes  changés  en  pierres,  en  animaux,  des 
bêtes  qui  parlent,  des  trésors  cachés,  des  magiciens  qui 
volent  dans  les  airs  ^. 

D'autres  thèmes  ont  été  emprunté  par  les  hagiographes  à 
la  Uttérature  courante  et  très  souvent  à  des  œuvres  litté- 
raires étrangères.  Ainsi  l'histoire  du  martyr,  qu'on  enduit 
de  miel  pour  l'exposer  aux  piqûres  des  insectes,  est  chea 
saint  Jérôme  une  réminiscence  de  la  littérature  classique. 
Elle  est  racontée  entre  autres  par  Apulée  '.  L'anneau  de 
Polycrate  reparaît  dans  plusieurs  Vies  de  saints  de  l'Occi- 


1.  Cf.  Usener,  Die  Siebenschlâfer,  Freiburg  i.  B.,  1911. 

2.  Légende  Dorée,  au  23  avril  ;  cf.  Acta  US.  Aprilis,  III,  p.  104  s. 

3.  Delehaye.  Légendes  hagiographiques,  p.  31  ss.,  p.  57  ss. 

4.  Apulée,  Métamorphoses  ou  Ane  d'Or,  livre  VIII,  22  ;  saint  Jérôme 
VitaPauli,û.ans  Migne,  Patrologia  Latina,    XXIÎI,  p.  19. 


CONCLUSION  315 

dent'.  Le  plus  bel  exemple  d'adaptation  d'un  thème  litté- 
raire étranger  est  certainement  la  vie  des  saints  Barlaam 
et  Joasaph,  qui  est  entièrement  tirée  de  la  tradition  boud- 
dhique '. 

Quand  ces  thèmes  légendaires  entrent  dans  la  composi- 
tion des  légendes  hagiographiques  ils  n'ont  plus  rien  des 
représentations  particulières  à  certaines  sociétés,  qui  se 
sont  exprimées  dans  les  types  divers  de  héros  épiques. 

Au  surplus,  il  est  un  grand  nombre  de  récits  hagiogra- 
phiques dans  lesquels  ces  sortes  de  thèmes  ne  jouent  même 
qu'un  rôle  accessoire  ou  bien  font  entièrement  défaut.  Les 
passions  des  martyrs  rentrent  pour  la  plupart  dans  cette 
dernière  catégorie.  L'hagiographe  s'y  borne  à  raconter 
les  circonstances  du  procès  et  la  suite  des  tourments 
infligés  au  saint.  De  môme  aucun  élément  légendaire  tra- 
ditionnel n'apparaît  dans  les  Actes  de  très  nombreux  ascètes, 
moines  et  vierges  chrétiennes.  Dans  beaucoup  de  Vies 
l'élément  mythique  de  caractère  païen  n'apparaît  qu'à  la 
suite  de  remaniements  tardifs,  telle  l'iiistoire  du  dragon 
dans  la  Vie  de  saint  Georges,  histoire  que  ses  plus  anciennes 
Vies  grecques  ne  mentionnent  pas,  ou  dont  elles  ne  par- 
lent que  dans  un  épisode  secondaire  ^ 

Il  y  a  môme  toute  une  séries  de  Vies  dont  la  sincérité 
historique  est  indiscutable.  Des  œuvres  comme  celle  de 
Sulpice  Sévère  sur  saint  Martin,  comme  la  Vie  de  saint 
Sévérin  du  Norique  parEugipius,  la  T^'e  de  saint  Epiphane 
par  Ennodius,  celle  de  sainte  Radegonde  par  Fortunat,  ont 
été  rédigées  de  cisu  ou  bien  d'après  des  témoignages 
authentiques  par  des  hommes,  dont  la  probité  était  servie 


1.  Delchayc,  Légendes  hagiographiques,  p.  38. 

2.  Cf.  Krnst  Kuhn,  Barlaam  und  Joasaph,  MQnchen.  1897. 

3.  Cf.   les    Vies  grecques   de    sainl    Georges   publiées   par  le    Père 
Deleha3re  dans  ses  Saints  Militaires,  Paris,  1909. 


316  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

par  une  haute  culture  intellectuelle.  Ils  ont  tracé  de  véri- 
tables portraits,  que  toute  la  floraison  légendaire  ultérieure 
n'a  pas  réussi  à  altérera 

Or  le  type  de  saint  dont  la  Vie  appartient  à  l'une  des 
deux  dernières  catégories  est  tout  à  fait  général  dans  l'ha- 
giographie la  plus  ancienne.  Et,  qui  plus  est,  les  traits 
caractéristiques  de  ce  type  remportent  sur  ceux  du  type 
héroïque  traditionnel  chez  les  saints  mêmes,  qui  doivent 
aux  héros  une  partie  de  leur  légende. 

Est-ce  à  dire  que  les  saints  ne  sont  des  héros  qu'en 
Irlande  ?  On  verra  seulement  qu'ils  sont  des  héros  à 
caractère  théologique  et  moral.  Ils  représentent  la  tradition 
de  TEglise  en  opposition  avec  la  tradition  populaire  épique. 

Les  saints  sont  des  héros  dont  la  représentation  a 
UNE  BASE  théologique  ET  MORALE.  —  L'œuvre  dos  hagio- 
graphes  est  tout  entière  conçue  dans  un  esprit  d'apologie 
et  d'édification. 

En  effet,  il  s'agit  pour  eux  avant  tout  de  démontrer  la 
supériorité  des  valeurs  religieuses  et  morales  chrétiennes 
par  l'exemple  vivant  du  saint.  Il  faut  par  conséquent  que 
celui-ci  soit  un  représentant  typique  des  valeurs  en  ques- 
tion. 

Les  Vies  authentiques  elles-mêmes  ne  font  pas  exception 
à  la  règle.  Pour  mériter  l'entière  confiance  de  l'historien, 
elles  n'en  sont  pas  moins  des  panégyriques,  des  écrits 
laudatifs,  dont  le  héros  est  présenté  comme  modèle. 

Presque  toujours  l'auteur  commence  par  s'excuser  de 
l'audace  qui  le  pousse  à  attaquer  un  sujet  au-dessus  de  son 
entendement.  Mais  il  espère  contribuer  à  l'édification  de  son 
prochain  et  bien  mériter  de  Dieu  et  du  saint  en   préser- 

1.  Analyse  dans  Bernouilli,  Die  Heiligen  der  Merowinger,  1. 1, 1"  partie. 


CONCLUSION  317 

vant  de  l'oubli  les  faits  qu'ils  connaît.  Après  quoi  il  dispose 
son  œuvre  comme  pour  la  démonstration  d'une  thèse,  de 
manière  à  bien  mettre  en  évidence  la  grandeur  insigne  de 
son  saint.  Ainsi,  dans  la  Vie  de  saint  Martin  par  Sulpice 
Sévère,  un  modèle  du  genre,  les  faits  sont  réunis  dans  des 
rubriques  spéciales,  dont  chacune  illustre  les  vertus  et  les 
mérites  du  saint  dans  un  domaine  de  son  activité  bienfai- 
sante. Eugipius  s'efforce  surtout  de  glorifier  les  facultés 
prophétiques  de  saint  Sévérin.  Dans  sa  Vie  anonyme  saint 
Fulgence  de  Ruspe  n'est  qu'un  ascète  et  un  défenseur 
obstiné  delà  foi  contre  la  persécution  arienne ^ 

Quand  aux  causes  et  aux  effets  moraux  des  actes,  à 
leur  origine  profonde,  à  la  chronologie,  en  un  mot  quant  à 
la  recherche  de  tout  ce  qui  constitue  la  vérité  historique, 
les  auteurs  des  Vies  en  question  n'en  ont  aucun  souci. 
Leurs  personnages  se  meuvent  dans  une  atmosphère  à 
part.  Ils  n'ont  ni  faiblesses^  ni  défaillances,  ou  plutôt,  s'ils 
en  ont  parfois,  ce  n'est  que  pour  en  triompher  et  grandir 
d'autant  en  vertu.  Leur  attitude  est  toujours  et  partout 
celle  de  grands  hommes  qui  accomplissent  des  actions 
d'éclat. 

C'est  donc  parmi  les  héros  historiques  qu'il  faut  classer 
ces  saints.  Leurs  Vies  méritent  sans  doute  le  titre  de  bio- 
graphies, mais  seulement  de  biographies  de  «  grands 
hommes  »,  dans  le  genre  de  Plutarque.  Ce  sont  des  œuvres 
qui  tiennent  de  la  littérature  héroïque  au  moins  autant  que 
de  l'histoire. 

Les  saints  sont  des  héros  littéraires.  —  Quant  aux 
saints  dont  les  Vies  sont  fictives  en  partie  ou  en  totalité,  ils 
sont  de  purs  héros  de  romans  édifiants. 

i.  Cf.  Bernouilli,  op.  cit.,  p.  6  ss.,  p.  27  ss.,  p.  47  ss.  ;  Delehaye, 
Légendes  hagiographiques,  p.  68  ss.,  p.  77  s. 


318 


SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HEROS 


Leur  unique  raison  d'ôlre  est  d'accomplir  des  actions 
dont  l'éclat  ajoute  au  prestige  de  la  Foi  et  rejette  dans 
l'ombre  tous  les  héros  anciens  et  môme  les  autres  saints. 
Dans  leurs  Vies  ce  ne  sont  que  tourments  atroces,  mortifi- 
cations invraisemblables,  tentations  continuelles.  Deux  mar- 
tyrs sont  torturés  pendant  sept  ans  de  suite,  sans  répit  ' .  Saint 
Siméon  vit  sur  le  faîte  d'une  colonne^  Les  vierges  défendent 
leur  chasteté  contre  les  attaques  les  plus  brutales  et  contre 
des  embûches  réellement  diaboliques ^  Les  ennemis  des 
saints  sont  eux-mêmes  touchés  par  tant  de  constance  et  ils 
se  convertissent,  sinon  ils  meurent  victimes  de  leur  propre 
obstination. 

Le  but  évident  de  toute  cette  littérature  est  l'édification. 
Et  comme  il  s'agit  d'un  grand  public,  en  majorité  popu- 
lau-e,  l'hagiographie  use  des  mêmes  procédés  que  la  litté- 
rature populaire  de  tous  les  temps.  L'auteur  n'a  pas  besoin 
de  se  mettre  en  mal  d'invention  :  son  plus  sûr  moyen  de 
succès  est  de  surenchérir  sur  ces  prédécesseurs.  Aussi  les 
situations  outrées,  la  répétition  des  épisodes  à  effet,  la 
peinture  sommaire  des  caractères  sont  des  traits  communs 
à  toutes  ces  Vies  de  saints.  Pour  le  reste,  celles-ci  se 
réduisent  à  une  suite  d'incidents  thématiques,  pillés  un  peu 
partout,  dans  les  Vies  antérieures  des  autres  saints  *,  dans 
la  littérature  classique.  Dans  ce  cadre  se  meuvent  les  saints 
qui  se  ressemblent  tous,  autant  qu'ils  ressemblent  peu  à 
des  hommes  vivants.  Ils  ne  sont  que  des  valeurs  incarnées. 

Ainsi  l'hagiographie  a  fini  par  prendre  dans  la  vie  intel- 


1.  Acla  s.  démentis  Ancyrani  dans  Acta  SS.  lanuarii.  Il,  p.  460  ss. 

2.  Acta  SS.  Jan.,  I,  p.  263  s.  ;  Maii,  V,  p.  322  s.  ;  Julii,  VI,  p.  310. 

3.  Cf.  Acla  SS.  Apr.,  III,  p,  574;  Maii,  l,  p.  381  ;  Ambroise  dans 
Migne  PL.,  XVI,  p.  2H  s. 

4.  Ainsi  les  Vies  latines  de  saint  Procope  reproduisent  Ihistoire  de 
la  conversion  de  saint  Paul  sur  le  chemin  de  Damas,  Acta  SS.  Julii, 
II,  p.  Jo6  s.  Autres  exemples  dans  Delehaye,  op.  cit.,  p.  103  ss.,  114  s. 


CONCLUSION  319 

lecluelle  des  sociétés  chrétiennes  une  place  analogue  à  celle 
qui  revenait  autrefois  h  l'épopée.  L'analogie  est  même  plus 
étroite:  rhagiogra[)hic  a  comme  l'épopée  une  tendance  à 
la  formation  do  cycles.  Seultmenl,   tandis    que   la  poésie 
épique  est  l'expression  immédiate  d'une  certaine  société, 
l'hagiographie    a    un    caractère     universaliste.     Œuvre 
d'hommes  d'Eghse,  surtout  de  moines,  qui   vivent  d'une 
vie  diiïércntc  de  celle  du  commun  des  fidèles,  elle  n'a  pas 
subi  le  contre-coup  des  variations  de  rimaginalion  collec- 
tives au  môme  degré  que  la  production  épique.  Dès  l'ori- 
gine elle  est  une  littérature  écrite,  et  ses  schémas  sont 
fixés  non  par  la  tradilion  d'un  groupe  donné,  mais  par  la 
tradition    de   rÉglisc   universelle.    C'est  que  les    hagio- 
graphes  ne  visent  pas  seulement  à  l'édification  des  fidèles 
d'un   certain   saint.   Ils  se   préoccupent  aussi  de  justifier 
son  culte  aux  yeux  de  l'Eglise  universelle  et  de  le  pro- 
pager V  Leurs  œuvres  ne  s'adressent  pas  à  des  auditeurs 
connus  de  l'auteur.   Elles  sont  destinées  à  être   lues  et 
expliquées  devant  un  public   souvent  lointain.  Les  modi- 
fications  qui  y   sont    introduites,    ne  dépendent  pas  de 
l'approbation  ou  de  la  désapprobation  de  l'auditoire,  mais 
du  développement  de  la  littérature  ecclésiastique  univer- 
selle. En  un  mot  l'hagiographe,  le  caractère  sacré  de  son 
œuvre  mis  à  pari,  ressemble  plus  à  l'homme  de  lettres 
actuel  qui  écrit  pour  le  peuple,  qu'au  poète  épique,  ou  au 
conteur  issu  du  peuple.  Les  Vies  de  saints  ne  sont  pas  les 
chansons  de  gestes  de  la  chrétienté  antique.  Elles  en  sont 
le  roman  feuilleton. 

Le  caractère  héroiuue  des  saints  est  déterminé  par 

LES   CONDITIONS   SOCIALES  DANS   LESQUELLES  s'eST  DÉVELOPPÉE 

i.  C'est  ce  qu'a  très  bien  vu   M.  van  Gennep,  La  Formation  des 
légendes,  Paris,  s.  d.,  p.  128. 


320  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

LEUR  LÉGENDE.  —  Il  ii'eii  pouvail  êtrft  autrement  étant 
donné    Tétat    social    général    du    monde    gréco-romain. 

L'épopée  y  était  depuis  longtemps  une  chose  morte,  au 
moins  en  tant  qu'expression  immédiate  des  classes  repré- 
sentatives de  la  société.  Ce  n'étaient  plus  que  récits  cano- 
niques sur  lesquels  s'exerçaient  les  commentateurs  et 
qu'on  enseignait  à  la  jeunesse,  mais  que  l'activité  imagina- 
tive  de  la  société  avait  abandonnés.  Aux  profondes  modi- 
fications qu'avaient  subies  les  sociétés  antiques  répondait 
une  littérature  nouvelle,  qui  d'abord,  dans  les  villes 
grecques,  avait  mis  au  premier  rang  de  ses  préoccupations 
l'homme  individualisé,  ses  passions  et  son  caractère,  les 
grands  problèmes  philosophiques,  moraux  et  sociaux.  Puis, 
en  même  temps  que  s'élargit  le  cercle  des  relations  sociales 
possibles  de  l'individu,  qui  finissent  par  embrasser  tout  le 
monde  antique,  à  mesure  que  la  civilisation  hellénique, 
puis  gréco-romaine  devient  une  civilisation  par  excellence 
internationale,  des  genres  nouveaux  arrivent  à  leur  plein 
développement.  D'une  part  la  littérature  religieuse,  inspirée 
par  la  vie  des  sectes  et  le  foisonnement  des  cultes,  de 
de  l'autre  le  roman  populaire,  surtout  le  roman  d'aven- 
tures. Un  bon  exemple  de  cette  littérature,  ce  sont  les 
Métamorphoses  d'Apulée  —  ce  livre  imité  d'un  original 
grec  par  un  Latin  d'Afrique,  dont  l'action  se  déroule  en 
Thessalie  à  travers  une  série  d'aventures  extraordinaires 
pour  finir  en  un  édifiant  récit  d'initiation  aux  mystères  d'Isis. 

C'est  de  cette  littérature  que  procède  l'hagiographie 
chrétienne. 

Seul  l'internationalisme  de  la  culture  httéraire  classique 
a  rendu  possible  l'éclosion  de  ces  écrits  dépourvus  de  toute 
couleur  ethnique. 

Les  prototypes  des  œuvres  hagiographiques  abondent 
dans  les  littératures  classiques.  Nous  avons  déjà  parlé  de 


CONCLUSION  321 

Plutarque  ù  propos  de  certaines  Vies  de  saints.  L'Empire 
a  été  très  fertile  en  sectes  de  toute  sorte,  philosophiques  et 
mystiques,  sectes  qui  avaient  leurs  héros  et  qui  leur  ont 
consacré  nombre  d'écrits  apologétiques.  On  peut  citer  les 
récils  relatifs  à  Apollonius  de  Tyane  comme  exemple.  Le 
christianisme  n'était  au  début  qu'une  de  ces  sectes,  pareille 
aux  autres  et  non  la  plus  ancienne  * .  Il  leur  a  emprunté 
leurs  modes  de  polémique  et  de  propagande. 

Enfin  la  forme  des  écrits  hagiographiques,  les  procédés 
de  leurs  auteurs,  sont  déterminés  par  la  littérature  clas- 
sique. Les  hagiographes  sont  élèves  des  rhéteurs.  Ils  leurs 
ont  emprunté  leurs  métaphores,  leurs  artifices  de  st^de. 
La  préoccupation  constante  des  hagiographes  est  un  beau 
style,  digne  du  sujet  traité.  S'ils  déclarent  souvent  que 
celui-ci  dépasse  leur  entendement,  c'est  qu'ils  ne  se  croient 
pas  assez  bons  stylistes. 

Ainsi  le  côté  esthétique  des  plus  anciennes  œuvres  hagio- 
graphiques est  conforme  aux  traditions  littéraires  du  public 
auquel  elles  étaient  destinées.  On  peut  en  dire  autant  des 
valeurs  morales  et  sociales  que  réalisent  les  saints. 

Les  lecteurs  des  légendes  hagiographiques  se  recrutent 
avant  tout  dans  la  population  urbaine,  la  première  qui  eût 
été  christianisée.  Cette  population  s'oppose  par  ses 
croyances  religieuses  aux  pagani,  et,  par  ses  tendances 
à  une  autonomie  municipale  plus  grande,  elle  s'oppose  aux 
velléités  centralisatrices  de  l'Etat.  On  sait,  en  effet,  que 
l'Empire  à  son  déclin  faisait  très  peu  pour  les  villes  auto- 
nomes, qu'il  était  toujours  prêt  à  les  sacrifier  à  sa  haute  poli- 
tique, tandis  qu'il  augmentait  continuellement  leurs  charges. 

D'autre  part,  la  population  des  villes  représentait  la  civi- 
lisation classique  en  face  des  envahisseurs  barbares  et  la 

1.  Cf.  cl  ce  sujet  Cumont,  Les  Religions  orientales,  Paris,  1909,  p.  x, 
p.  128. 

CZARNOWSKI,  21 


322  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

lutte  entre  les  deux  cultures  remplit  toute  l'histoire  des 
invasions. 

Aussi  voyons-nous  apparaître  dans  les  légendes  hagio- 
graphiques un  type  de  saint  qui  est  un  héros  de  la  popula- 
tion urbaine  romaine.  Ce  saint  est,  en  règle  générale,  un 
des  premiers  évêques  de  la  ville.  11  lutte  Aprement  contrôle 
paganisme  des  populations  rurales.  11  est  tourmenté  par 
elles  et  finit  par  les  convertir.  Nous  le  voyons  en  instances 
auprès  du  préfet  pour  les  intérêts  de  sa  ville.  Il  sollicite 
l'aide  de  l'Etat,  il  demande  des  garnisons,  il  obtient  des 
remises  d'impôts.  Souvent  il  les  paye  sur  les  ressources  de 
l'Église.  Et  lorsque  le  comte  barbare  a  remplacé  le  fonc- 
tionnaire impérial,  c'est  encore  l'évéque  qui  s'interpose 
entre  lui  et  la  population,  et  qui  défend  avec  courage  la 
cause  de  la  civilisation  romaine  contre  les  menaces  conti- 
nuelles d'anéantissement.  Les  évoques  ont  été  réellement 
les  protecteurs  et  les  défenseurs  des  cités,  et  leurs  repré- 
sentants attitrés.  Aussi  les  cités  en  ont-elles  fait  leurs 
saints  préférés  \ 

Ainsi,  comme  en  Irlande,  les  saints  de  la  Gaule  et  d'ail- 
leurs sont  des  héros  dont  la  représentation  dérive  direc- 
tement des  conditions  sociales  dans  lesquelles  a  fleuri  leur 
légende. 

Les   TYPES    DES    HÉROS    ET  DES    SAINTS  REFLÈTENT  UN  ÉTAT 

SOCIAL  DÉTERMINÉ.  —  La  notiou  théologiquc,  sur  laquelle 
est  fondé  le  culte  des  saints,  est  elle-même  déterminée  par 
le  caractère  qu'ont  eu  les  premières  communautés  chré- 
tiennes, en  tant  que  groupes  sociaux. 

La  notion  en  question  est  celle  d'un  homme  par  l'inter- 
médiaire duquel  se  réalise  la  communion  du  Christ  triom- 

1.  Tels  sont,  par  exemple,  les  saints  Martin  de  Tours,  Épiphanc, 
Ambroise  de  Milao,  Césaire  d'Arles,  Germain  l'Auxerrois. 


CONCLUSION  323 

phant  et  de  l'Eglise,  d'un  homme  qui  règne  idia  ciim 
ChrislOy  tout  en  restant  membre  de  sa  communauté.  11  est 
un  de  ceux,  sur  lesquels  le  Seigneur  fonde  son  Royaume 
prochain. 

Or,  les  premières  communautés  chrétiennes  sont  de  petits 
groupes  d'exaltés,  groupes  à  peu  près  amorphes,  mais  très 
unis  dans  un  même  effort,  qui  est  justement  la  réalisation 
du  Royaume  de  Dieu.  Ces  communautés  sont  noyées  dans 
un  milieu  hostile  ou  qui  les  ignore.  La  proclamation 
publique  de  l'idéal  commun  apparaît  dans  ces  conditions 
comme  un  pas  vers  sa  réahsation,  et  l'homme  qui  a  eu 
le  courage  de  faire  cette  proclamation  devient  nécessaire- 
ment un  triomphateur. 

La  chose  est  si  vraie  que  nous  observons  le  même  phé- 
nomène dans  tous  les  groupements  analogues,  qu'ils  soient 
ou  non  mystiques  et  religieux,  pourvu  qu'ils  soient  peu 
nombreux,  en  opposition  morale  avec  leur  milieu  et 
dominés  par  l'idée  d'un  nouvel  ordre  social  à  établir  à  bref 
délai.  Les  anarchistes  qui  glorifient  la  mémoire  des  fauteurs 
d'attentats  contre  la  sécurité  publique  ne  se  réjouissent  pas 
seulement  de  la  destruction  de  quelques  bourgeois.  Ils 
vénèrent  l'homme  qui  a  rendu  un  témoignage  éclatant 
de  sa  foi  sociale  et  politique. 

Aussi  le  culte  des  saints  a-t-il  commencé  par  celui  des 
martyrs,  qui  sont  des  témoins.  Pour  conquérir  la  palme  du 
martyre  point  n'est  nécessaire  de  mourir,  ni  même  de 
souffrir  pour  le  Christ.  Il  suffit  d'avoir  été  appelé  au  tri- 
bunal et  d'y  affirmer  sa  foi  avec  courage  \ 

Le  culte  rendu  aux  martyrs  s'est  étendu  plus  tard  aux: 
vierges,  aux  ascètes  et  aux  moines.  C'est  que,  à  mesure 
que  le  christianisme  se  répandait,  la  communauté  primitive 

1.  Cf.  Lucius,  op.  cil.,  p.  63  s. 


324  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

perdait  de  son  caractère  de  secte,  vivant  uniquement  pour 
la  réalisation  d'un  rêve  mystique.  Le  christianisme,  étant 
devenu  la  religion  de  la  société  entière,  s'était  forcément 
adapté  aux  nécessités  de  la  vie  sociale  —  il  s'était  sécu- 
larisé, pour  ainsi  dire.  Mais  le  contre-coup  de  cette  sécula- 
risation fut  une  réaction  des  éléments  plus  exaltés  parmi 
les  chrétiens,  de  ceux  qui  voulaient  garder  la  tradition 
intacte  et  travailler  comme  autrefois  à  réaliser  le  Royaume 
de  Dieu.  Ne  pouvant  le  faire  au  sein  de  la  société  chré- 
tienne, ils  le  firent  en  dehors  d'elle.  C'est  ainsi  que  naquit 
la  doctrine  de  la  sainteté  par  renoncement  au  monde, 
même  au  monde  chrétien,  et  par  la  retraite  dans  la  paix 
du  Seigneur,  doctrine  qui  eut  pour  suite  l'éclosion  de 
l'ascétisme  et  du  monachisme. 

D'autre  part  Textension  de  la  communauté  chrétienne  eut 
pour  résultat  l'éclosion  du  culte  des  évêques  qui  n'est  autre 
chose  qu'un  culte  de  magistrats  sacrés,  représentants  de  la 
cité  chrétienne. 

Les  divers  types  de  saints  reflètent  donc  autant  d'états 
sociaux  divers.  Ils  incarnent  l'idéal  qui  répond  à  chacun 
de  ceux-ci. 

Nous  pouvons  sans  nous  tromper  étendre  cette  conclu- 
sion à  tous  les  héros.  En  effet,  malgré  l'inconnu  qui 
entoure  dans  la  plupart  des  cas  l'éclosion  de  leurs  cultes 
et  de  leurs  légendes,  nous  pouvons  facilement  constater  que 
le  type  aristocratique  et  guerrier  du  héros  homérique,  par 
exemple,  répond  logiquement  à  la  société  de  l'IUade, 
société  composée  de  petits  groupes  presque  entièrement 
indépendants,  guidés  par  une  puissante  aristocratie  belli- 
queuse. L'Odyssée  nous  laisse  entrevoir  les  débuts  de  la 
thalassocratie  grecque,  en  même  temps  qu'elle  glorifie 
Ulysse,  le  héros  navigateur,  pirate  et  menteur,  cet  idéal  des 
négociants  maritimes  antiques.  Pareillement  la  société  féo- 


CONCLUSION  325 

dale  avec  sa  chevalerie  constituée  a  seule  pu  donner  nais- 
sance au  type  du  preux,  tel  que  le  célèbre  l'épopée  carolin- 
gienne. 

Certes,  le  type  du  héros  n'est  pas  toujours  adéquat 
à  l'état  social  du  groupe,  au  moment  même  où  celui-ci  ins- 
titue son  culte.  Les  cités  grecques  de  l'époque  historique 
élèvent  des  sanctuaires  aux  héros  de  l'âge  épique,  les  chré- 
tiens actuels  vont  choisir  les  patrons  de  leurs  nouvelles 
églises  parmi  les  martyrs,  et  les  bienheureux  nouveaux 
sont  classés  dans  une  des  anciennes  rubriques  du  martyro- 
loge, parmi  les  martyrs,  les  confesseurs  ou  les  vierges. 
Mais  ce  sont  là  des  phénomènes,  qui  s'expliquent  aisément, 
par  le  fait,  qu'une  certaine  représentation  une  fois  élaborée, 
devient  classique  et  tend  à  se  perpétuer  indépendamment 
des  vicissitudes  de  l'histoire.  La  raison  des  variétés  entre 
les  types  héroïques  n'en  est  pas  moins  dans  le  caractère 
des  groupes  qui  les  ont  conçus  à  l'origine. 

La  représentation  du  héros  d'un  groupe  social  reflète 

LE    LIEN   constitutif    DE   CE   GROUPE.  I.    LcS   hévOS   iiatio- 

naux.  —  Quant  à  la  représentation  du  héros  particulier  à 
un  certain  groupe,  elle  reflète  immédiatement  le  sentiment 
qu'a  celui-ci  de  son  lien  social  fondamental. 

Nous  avons  défini  saint  Patrick  comme  héros  national 
irlandais.  Aucun  héros  de  l'antiquité,  aucun  autre  saint  du 
haut  moyen-âge  ne  présente  le  même  caractère  au  même 
degré  d'intensité.  Le  culte  national  de  saint  Georges  en 
Angleterre  est  postérieur  aux  Croisades.  En  France  la 
série  des  héros  nationaux  commence  par  saint  Michel, 
défenseur  du  Mont  contre  les  Anglais,  mais  dont  le  culte 
ne  parvient  pas  à  devenir  vraiment  général.  La  vénération 
de  Jeanne  d'Arc  n'a  atteint  son  plein  développement  qu'au 
XIX*  siècle.  En  général,  c'est  seulement  aux  temps  modernes 


326  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

que  commence  la  glorilication  des  héros  qui  sont  de  purs 
héros  nationaux,  comme  ceux  d'Ilahe,  des  guerres  pour 
l'indcpendance  allemande,  des  patriotes  américains,  polo- 
nais ou  hongrois,  tels  que  Korncr,  Bismarck,  Garibaldi, 
Lincoln  ou  Kosciuszko. 

C'est  que  la  formation  des  nations  dans  le  sens  actuel  du 
mot  est  un  phénomène  récent.  C'est  seulement  aux  temps 
modernes,  que  surgit  dans  les  masses  la  notion  d'un  hen, 
qui  les  unit  et  qui  est  qualitativement  diiïérent  de  l'Etat,  des 
liens  dynastiques,  même  des  liens  territoriaux  ou  linguis- 
tiques. Le  lien  qui  unit  les  membres  d'une  nation  peut 
trouver  son  expression  dans  la  communauté  de  langue, 
comme  c'est  le  cas  pour  les  nationalités  slaves  actuelles, 
de  territoire,  comme  en  Amérique,  d'institutions  poli- 
tiques, comme  en  Suisse,  ou  bien  de  religion,  comme 
chez  les  Juifs.  Il  ne  s'y  identifie  pas  en  dernière  analyse. 
Ce  ne  sont  que  des  facteurs  du  développement  national  — 
encore  faut-il  qu'ils  agissent  longtemps  pour  transformer  en 
nation  un  ensemble  de  groupes  territoriaux  ou  familiaux. 
Le  processus  qui  devait  y  aboutir  ne  commence  dans  la 
plupart  des  pays  d'Europe  que  vers  la  fin  du  Moyen-Age 
et  n'atteint  son  plein  développement  qu'à  partir  de  la 
Révolution  française.  L'Irlande  a  devancé  sous  ce  rapport 
de  plusieurs  siècles  le  reste  de  l'Europe. 

II.  Les  héros  des  États.  —  C'est  un  lien  politique,  celui 
de  l'Etat,  qui  apparaût  à  la  place  du  lien  national  avant  la 
formation  de  celui-ci. 

Aussi  toute  une  série  de  héros  sont-ils  des  patrons 
d'Etats,  des  personnifications  de  l'idée  d'État.  Les  exemples 
de  rois  canonisés  et  vénérés  comme  patrons  sont  innom- 
brables. Beaucoup  ont  été  les  fondateurs  ou  les  principaux 
ouvriers  de  la  puissance  politique  de  leurs  peuples,  comme 
saint  Etienne  patron  de  la  Hongrie,  saint  Edouard  le  Con- 


CONCLUSION  327 

fesseur,  saint  Olnf  de  Norvège,  saint  Vladimir,  duc  de 
Kiev.  Dans  l'antiquité  païenne  nous  avons  des  héros  par- 
ticuliers fi  chaque  formation  politique,  depuis  les  cités  et 
leurs  colonies,  jusqu'à  l'Empire,  personnifié  par  les  empe- 
reurs divinisés. 

Sous  le  régime  féodal,  dans  lequel  le  lien  de  dépendance 
politique  vis-à-vis  de  l'Etat  a  la  forme  d'un  lien  d'interdé- 
pendance personnelle  entre  les  vassaux  et  le  suzerain,  c'est 
le  patron  de  celui-ci  qui  devient  le  patron  de  l'Etat.  Il  est 
en  quelque  sorte  un  suzerain  spirituel.  Le  serment  de 
vassalité  envers  la  compagnie  suzeraine  de  Gènes  com- 
portait au  XII*  siècle  une  promesse  de  fidélité  envers  saint 
Sirus,  patron  de  la  ville.  En  France,  saint  Denis,  patron 
de  rile-de-France,  c'est-à-dire  du  domaine  royal,  est 
devenu  le  saint  tutélaire  de  l'État  capétien,  celui  dont  l'ori- 
flamme menait  au  combat  les  troupes  de  vassaux  groupées 
autour  du  roi. 

III.  Les  héros  territoriaux  et  locaux.  —  Mais  le  type 
de  héros-patron  le  plus  répandu  depuis  les  temps  classiques 
est  celui  du  héros  territorial,  c'est-à-dire,  dont  la  puis- 
sance s'étend  sur  un  territoire  déterminé. 

Dans  l'Attiquc,  chaque  dême  avait  son  héros  tutélaire, 
qui  avait  commencé,  il  est  vrai,  par  être  vénéré  comme 
Tancêtre  d'une  tribu,  mais  avait  fini  par  n'être  que  le 
patron  d'un  district.  Les  cités  romaines  ont  pareillement 
leurs  héros  et  plus  tard,  lorsqu'elles  deviennent  des 
diocèses,  leur  évoques  patrons,  dont  la  protection  s'étend  à 
tous  les  habitants  du  territoire. 

Le  culte  de  saint  Dié  dans  les  Vosges,  de  saint  Séverin 
en  Aquitaine  est  un  culte  qui  n'appartient  en  propre  à 
aucun  corps  politique,  ni  à  aucune  race.  Sa  base  est  uni- 
quement territoriale.  Saint  Martin  de  Tours  est  également 
vénéré  par  tous  les  habitants  de  la  Gaule,  qu'ils  soient 


328  SAINT    PATRICK    ET    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Gaulois,  Romains  ou  Francs,  indépendamment  des  divi- 
sions politiques  et  des  races.  Il  n'est  le  patron  ni  des 
Gaulois,  ni  des  royaumes  Francs,  mais  de  la  Gaule,  en 
tant  que  territoire'. 

C'est  que  les  sociétés  antiques  et  celles  qui  se  sont 
développées  dans  les  anciennes  provinces  romaines  sont 
des  sociétés  à  base  territoriale.  Certes  le  lien  territorial 
n'était  pas  encore  devenu  le  lien  social  fondamental  dans 
toute  la  Gaule  à  l'époque  de  sa  christianisation.  Mais  il 
tendait  à  le  devenir  irrésistiblement. 

Partout  où  l'organisation  sociale  est  à  base  de  villes 
et  de  villages  le  type  général  du  héros  est  le  héros  local. 
Il  suffit  de  citer  comme  exemple  les  héros  grecs  de  l'âge 
classique.  Les  héros  des  plus  grands  territoires  ne  sont 
eu.\-mêmes  qu'une  variété  des  héros  locaux.  En  effet, 
si  leur  protection  embrasse  une  grande  étendue  de  pa^'s 
elle  est  plus  efficace  aux  alentours  de  leur  sanctuaire. 
Ainsi  la  puissance  de  saint  Martin  s'exerce  dans  la  Gaule 
entière,  mais  il  est  un  lieu  oîi  le  saint  est  toujours  présent 
et  vraiment  tout-puissant.  C'est  son  sanctuaire  de  Tours ^ 

Par  contre,  là  où  la  société  est  h  base  de  clans  et  de 
familles,  comme  en  Irlande,  et  là  où  elle  vit  disséminée  en 
ne  prenant  contact  qu'à  des  moments  déterminés  de  Tannée, 
le  héros  de  fête  prend  le  premier  rang.  Sans  doute  l'Irlande 
connaît  la  notion  de  héros  local.  Les  mêmes  fêles  patro- 
nales y  sont,  comme  ailleurs,  célébrées  dans  les  mêmes 
lieux  sacrés.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai,  que  dans  la  repré- 
sentation du  héros  irlandais  l'idée  de  temps  sacré  l'emporte 
sur  celle  de  lieu  sacré,  dans  une  mesure  que  nous  n'obser- 


1.  Bernouilli,  op.  cit.,  2»  partie.  Pour  la  localisation  du  culte  de  saint 
Martin  dans  les  pays  de  la  Loire,  cf.  Bulliot,  op.  cit. 

2.  Cf.  Bernouilli,  op.  cit.,  chap.  Das  Beichsheiligtum,   p.  223  ss.    Cf. 
Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  1,  II,  14. 


CONCLUSION  329 

vons  dans  aucune  des  sociétés  à  base  territoriale.  La  my- 
tholop^ie,  l'épopée  et  les  légendes  des  saints  irlandais 
s'ordonnent  sur  les  fôles.  La  localisation  y  est  chose 
secondaire.  C'est  que  la  fête  est  le  seul  moment  où  la  société 
prend  conscience  de  son  existence  en  tant  que  groupe,  et 
avec  autant  et  plus  d'intensité,  que  le  contact  entre  ses 
membres  est  moindre  dans  les  intervalles. 

Conclusion.  —  Nous  sommes  arrivés  à  un  point  où  il 
est  possible  de  préciser  ce  qui  a  été  dit  de  la  notion  de 
héros  au  début  de  ce  livre. 

Il  demeure  acquis  que  le  héros  est  le  représentant  élu 
d'un  groupe  ou  dune  chose.  On  vient  de  voir  qu'il  l'est 
dans  un  certain  sens.  Il  incarne  le  principe  même  de  la 
constitution  du  groupe.  Autant  dire  que  par  lui  le  groupe 
s'affirme  en  tant  que  collectivité  humaine,  en  môme  temps 
que  le  héros  représente  le  droit  du  groupe  sur  la  chose, 
dans  laquelle  celui-ci  voit  la  garantie  de  sa  stabilité.  La 
notion  de  héros  est  la  résultante  d'une  suite  de  jugements 
synthétiques  qui  portent  d'une  part  sur  la  perception  qu'a 
le  groupe  de  sa  propre  existence  en  tant  que  collectivité 
humaine,  de  l'autre  sur  lexpérience  de  ce  qui  constitue 
pour  lui  la  valeur  sociale  fondamentale. 

En  disant  de  saint  Patrick  qu'il  est  un  héros  national 
nous  avons  établi  un  principe  de  classification  des  héros. 
En  eiîet,  les  héros  doivent  être  distingués  les  uns  des 
autres  suivant  la  nature  du  lien  qui  unit  les  membres  du 
groupe. 


APPENDICE 
LA  QUESTION  DU  TOTÉMISME  IRLANDAIS 


L'hypothèse  d'un  lotémisme  celtique,  et  plus  particu- 
lièrement goidélique,  a  été  émise,  et  le  fait  est  que  l'orga- 
nisation de  la  société  irlandaise  y  fait  penser.  En  effet,  le 
totémisme  est  une  religion  de  clans.  Il  consiste  dans  le 
culte  d'espèces  animales  déterminées,  que  ces  clans  consi- 
dèrent comme  parentes  et  dont  ils  portent  le  nom,  ou  bien 
en  emploient  l'effigie  comme  blason  ^ 

A  première  vue,  cette  hypothèse  paraît  corroborée  par 
les  faits. 

Ce  sont  d'abord  deux  passages  des  légendes  épiques. 
L'un  dit  qu'il  était  interdit  à  Cùchulainn  de  manger  du 
chien,  c'est-à-dire,  de  manger  un  animal  qui  est  son 
homonyme,  en  irlandais  cû  ^  Dans  l'autre  le  jeune   roi 

1.  Cf.  Salomon  Reinach  dans  Rev.  celtique.  XXI,  Les  survivances  du 
totémisme  chez  les  anciens  Celtes.  W'hitley  Stokes,  qui  a  publié  les 
deux  textes  épiques  cités  plus  loin,  les  signale  comme  dénonçant 
lexistence  de  cultes  totémiqucs.  —  M.  Conrady,  Geschichie  der  Clan- 
vervassuag  in  den  schottischen  Hoc/ilanden.  Leipzig,  1898,  signale  les 
tatouages  des  guerriers  irlandais  qui  envahissaient  la  Bretagne  romaine. 
Le  nom  des  Pietés,  dit-il  encore,  veut  dire  peints  ou  bien  tatoués.  Les 
clans  écossais  portent  des  figurations  d'animaux  comme  emblèmes  dans 
leurs  blasons  et  quelques-uns  ont  des  noms  gentilices  qui  sont  formés  à 
l'aide  de  noms  d'espèces  animales.  L'auleurcroit  pouvoir  en  conclure  à 
l'existence  du  totémisme  chez  les  Gftidels.  Cf.  plus  loin,  p.  333  n. 

2.  Cùchulainn's  Death,  éd.  "Whitley  Stokes,  dans  Rev.  Celtique,  III, 
p.  176.  —  Le  nom  Cù-chulainn  signifie  «  chien  de  Culann  i).  C'est  un 
surnom  :  le  héros  s'appelait  en  réalité  Selanla.  Enfant  encore  il  mit  en 
pièces  un  chien  très  féroce  qui  appartenait  au  forgeron  épique  Culann, 


332  SAINT    PATRICK    RT    LE    CULTE    DES    HÉROS 

Conaire  Mor  se  voit  interdire  de  donner  la  chasse  à  une 
bande  d'oiseaux,  dont  le  chef  révèle  au  héros  qu'il  est  son 
père  ' . 

Mais  Cùchulainn  est  un  héros  exceptionnel.  C'est  le  fils 
d'un  dieu,  presque  un  dieu  lui-môme.  Les  interdictions 
qui  pèsent  sur  lui  ne  peuvent  être  considérées  comme 
normales.  Quant  au  second  texte  il  suffit  d'observer  qu'il 
s'agit  d'oiseaux  des  sidli^  tels  qu'on  en  rencontre  un  peu 
partout  dans  les  contes  irlandais,  et,  bien  que  leur  roi 
soit  le  grand-père  de  Conaire,  rien  ne  permet  d'afïîrmer 
que  ces  oiseaux  aient  été  d'une  espèce  particulière  appa- 
rentée au  clan  du  héros. 

Il  y  a  bien  un  fait  plus  démonstratif  que  ceux-ci.  Les 
Clann  Coneely  du  lar-Gonnaught  ont  un  nom  qui  signifie 
«  phoque  »  [coneely).  Ils  ne  peuvent  pas  manger  de  la 
viande  de  phoques,  parce  que  leurs  ancêtres  ont  été  jadis 
métamorphosés  en  phoques,  de  sorte  qu'en  en  mangeant 
les  membres  de  cette  famille  risqueraient  de  manger  leurs 
propres  aïeux-. 

Le  totémisme  survit  même  dans  le  culte  des  saints,  dans 
la  môme  région.  Les  habitants  du  village  de  Claddagh,  en 
Galway,  qui  sont  tous  parents,  connaissent  un  tabou  du 
renard.  S'ils  en  voient  un,  ils  ne  peuvent  aller  à  la  pêche. 
Or,  leur  patron,  saint  Mac  Dara,  a  pour  prénom  Sinach^ 
c'est-à  dire,  renarde 

Mais  d'abord  on  ne  sait  pas  si  ces  faits  sont  anciens  ou 

et  comme  ce  chien  valait  une  armée,  le  héros  dédommagea  Culann  en 
lui  promettant  de  le  défendre,  comme  le  faisait  le  chien.  C'est  pourquoi 
ou  appela  Setanta  Cùchulainn.  Cf.  Tàin  Bô  Cûalnge,  Macgnimrada, 
p.  125  s.,  192  s. 

1.  Togail  Bruidne  Dd  Derga  or  The  Destruction  of  Dâ  Derga's  Hoslel. 
loc.  cit.,  p.  20  et  p.  24. 

2.  O'Flaherty,  lar-Connacht,  éd.  James  Hardiman  [Irish  Archaeologi' 
cal  isociety)  Dublin,  p.  27  et  p.  95.  Cf.  Gomme,  Folk-Lore  as  a  historical 
science,  p.  280  ss, 

3.  Gomme,  op.  cit.,  p.  279  s. 


APPENDICE  333 

bien  s'il  ne  s'agit  que  de  phénomènes  secondaires,  car  l'un 
est  consigné  dans  une  description  du  lar-Connaught,  qui  a 
été  composée  au  xvii"  siècle  on  ne  sait  d'après  quelles 
sources,  et  l'autre  n'est  connu  que  par  les  recherches  des 
folkloristes  modernes.  Et,  môme  s'il  s'agit  ici  réellement 
d'un  totémisme  primitif,  on  ne  saurait  tirer  de  ce  fait  une 
conclusion  générale,  car  la  population  duConnaught  paraît 
être  en  grande  partie  d'une  autre  origine  ethnique  que  le 
reste  de  l'Irlande.  C'est  dans  cette  province  que  survé- 
curent les  descendants  des  races  qui  avaient  occupé  l'île 
avant  la  venue  des  Gùidels. 

En  somme  il  peut  y  avoir  eu  des  totems  en  Irlande.  11 
n'en  subsiste  point  de  traces  certaines'. 

1.  Les  exemples  d'emblèmes  animau.x,  que  signale  M.  Gonrady  dans 
les  blasons  des  clans  écossais,  ne  sont  pas  plus  probants.  On  ne  sait 
rien  ni  de  leur  antiquité,  ni  de  leur  origine  soi-disant  totémique.  Le 
Clan  Campbell,  par  exemple,  a  un  sanglier  dans  son  blason.  Suivant  la 
légende,  l'ancêtre  des  Campbell,  Diarmaid  hua  Duibhne,  a  été  déchiré 
par  un  sanglier,  qui  était  lui-même  l'incarnation  d'un  héros  (ou  d'un 
dieu)  tué  par  Diarmaid.  Ce  n'est  pas  là  une  légende  totémique.  A  ce 
compte  on  pourrait  voir  des  survivances  du  totémisme  dans  les  armoi- 
ries de  plus  d'une  famille  noble  du  Continent.  —  Quant  aux  noms  des 
clans,  ils  ne  signifient  pas  non  plus  grandchose  par  eux-mêmes.  Les 
Mac  Malhfjamain  (act.  Mac-Malion)  d'Irlande  sont  par  exemple  les  Fils 
de  l'Ourson.  Les  Djœrnson  de  Norvège  sont  Fils  de  l'Ours.  Prétendra- 
l-on  que  les  uns  et  les  autres  sont  issus  de  clans  totémiqucs  de  l'ours  '? 
De  toutes  les  hypothèses,  qui  ont  été  émises  et  qui  concernent  l'exis- 
tence du  totémisme  celtique,  une  seule  parait  solidement  étayéc.  C'est 
celle,  que  M.  Salomon  Reinach  a  formulée  au  sujet  de  l'ours  de  Berne. 
Cf.  Survivances  du  totémisme,  loc.  cit.,  p.  288  ss. 


INDEX   ALPHABÉTIQUE 

(Les  chiffres  en  caractères  gras  reoToient  aux  notes  des  pages.  Les  noms  propres 
topographiques  sont  précédés  d'un  astérisque.) 


Abbés  irlandais,  264  s. 

Abc  lard,  6. 

Aborigènes,  102. 

Abraham,  4 

*Achad  Abla,  210  ;  —  Fobuir58,  228. 

Achille,  21,  22. 

Actéon,  22. 

Adamnan.  113,  121. 

Admission  au  culte,  11. 

Adnae.  289,  291. 

Adoption,  11. 

Adraste,  19.  23. 

Adultère,  ses  sanctions  en  Irlande, 

122. 
Aedh,  fils  de  Dagda,  166;   —  Mac 

Crimthainn,  300;  — Rdad,  180,213; 

—  Slcïine,  236,  sa  conception  171  ; 

—  de  Slebte  67. 

Aengus  mac  Nathfraeich,  roi  de 
Cashel.|60, 116,  268  ;  —mac  in  —  t. 
Oc,  121,  166 

Aes  dana,  cf.  «  Artisans  ». 

♦Afrique,  320. 

à-^di'i  è-'.Tio'.o;,  22.  188. 

Ai,  fils  dOliamh,  278. 

Aibell,  216. 

*Aidhne,  bataille  d  — ,  116. 

*Aiglo,  cf.  "  Mont  ». 

Ailbe.  saint,  22i,  229. 

*Ailech,  116,  214  ;  fête  d-  168. 

Ailech,  divinité  éponyme.  168. 

Ailill  mac  Maga,  roi  de  Connaughf, 
136,  232  ;  —  mac  Mata  (le  même) 
167:  —  Molt,  116;  —  OUomh. 
136,  268,  272, 

Ailinn,  211. 

Aill  adrada  =  Pierre  d'adoration. 
211,  cf.  «  Pierres  sacrées  ». 


Aine,  136. 

Aînesse,  (droit  d'— ),247. 

Aire  =  chef  ;  —  desa,  246  ;  —  ectUy 
220  ;  tuisx.  247. 

•Airthir,  63.  204. 

Aislreoic  =r  portier,  299. 

Aile  =  père  nourricier,  257. 

Ajax,  fils  d'Odéus,  26. 

*Alcluith,  55,  cf.  «  Rock  of  Clyde  ». 

Alexandre  Sévère,  4. 

Alfred  le  Grand,  199. 

"Allen  ou  Almain,  batailles  d'— ,  116, 
127  s. 

•Âlmu,  214. 

•Alpes,  217. 

•Altoir  Phadruig,  228. 

•Altis  dOlympie,  21. 

Altram  =  «  foslerage  »,237  :  dans  a 
famille  de  la  mère,  258;  par  des 
druides,  276  ;  des  filid.  291  s., 
297  ;  des  saints,  147,  267,  294. 

Amairgen.  file  des  fils  de  Mile,  102, 
281.  284  ;  —  file  d'Ulster,  188, 
238,  263,  284. 

Amalgaidh,  238,  259,263. 

•Amathonte,  21. 

Ambroise  de  Milan,  saint,  322. 

Ame  :  et  nom,  178  ;  liée  aux  reliques, 
23  s.,  189,  au  tombeau,  178  ;  âmes 
désincarnées  et  non  incarnées, 
172  ss.,  193.  209  ;  confondues 
avec  les  génies,  156  ss.  ;  sous 
forme  d'oiseaux,  193  ;  âmes  libé- 
rées de  l'Enfer.  193  ;  —  des  saints, 
150,  192. 

'Amérique,  fondement  de  la  natio- 
nalité en  —,  326. 

Amra  Plea,  201. 


336 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Amvclcs,  culte  d'Hvakinthos  l'i  —, 
19,' 20.  24. 

*Anagyrc,  23. 

*Anaxarche,  4. 

Ancôtres  :  héroïsés,  7  ;  saints,  267  ; 
réincarnation  des  — ,  259  s.  ;  —  et 
génies,  160;  reviennent  aux  fêtes, 
20<J  ;  culte  des  —,  209,  259,  263  :  — 
sous  forme  d'oiseaux,  160,  332. 

Ange  pariant  à  Patrick,  36,  76,  83  : 
veillée  des  anges,  61  ;  —  présents 
dans  une  fontaine  sacrée.  228. 

♦Angleterre,  conversion  de  1' — ,  306. 

Anglo-Saxons,  30. 

Année  irlandaise  :  106  ss.  ;  cycle  de 
r— ,  62,  91,  92;  152;  sa  représen- 
tation mythologique,  138,  163. 

Anniversaires  des  héros,  22. 

Anrulh,  grade  des  filid,  288  ;  grade 
scolaire,  299. 

Antéchrist,  105,  308. 

Apollonius  de  Tyane,  4,  321. 

Apôtres,  les  douze  —  d'Irlande, 
108  ;  cf.  «  Saints  ». 

Apulée,  314,  320. 

♦Aquitaine,  327. 

Arbitrage,  101,  102,  109.  280,  281. 

Arbres  sacrés,  174,  211,  226;  Arbre 
de  vie.  173  ss..  184;  —  de  Medb, 
211. 

Arcas,  24. 

Archémoros,  22. 

Ard-file  tiErenn  291  :  —  ollamh,  291, 

*Arda  Ciannachta,  235. 

*Ardbraccan,  66. 

*Ardmacha,  cf.  «  *Armagh  ». 

Ardgall  mac  Conaill  Crimthainne 
maie  Néill,  116. 

Aristomène,  24. 

*Armacha,  227;  cf.  «  'Armagh». 

"Armagh,  53  s.,  147,  162,  269,  304; 
récit  de  sa  fondation,  57,  58,  62, 
227  ;  tombeau  de  saint  Patrick  et 
de  Sen  Patraic  à  —,  203  ;  fête  d'— 
125,  132,  139,  161;  rôle  d'— 
dans  l'exaltation  du  culte  de  saint 
Patrick,  68,  305. 

Artisans  irlandais,  situation  sociale, 
279. 

Ascètes  :  sont  des  héros,  4;  assimilés 
aux  initiés,  15  ;  champions,  17, 
324. 

Asclépios  et  les  Asclépiades,  4,  5. 


•Assaroe,  180.  213. 

Assemblées  périodiques  en  Irlande, 

109    ss.  ;    —    partioilières     des 

tùatha,ii'às.  ;  — nationales,  110s., 

159  :  rôle  social  dos  — 109  s.,  139. 

153  s.  ;  cf.  «  Fêles  ». 
Assicus,  saint,  267.  295. 
•Alh  Sighe.  bataille  d'— ,  116. 
•Athènes  7,  25,  124,  132. 
Athirne,  290. 

Atrachta,    sainte  :  sa  fontaine,  226. 
Attelage  funéraire  errant  63  s.  204  : 

—  fantôme,  63  s. 
Attentat   et    meurtre,   équivalence, 

145. 
Augustin,  saint,  44:  —  de  Cantor- 

béry,  306. 
Auxence    de    Chypre,   63  ;    —    de 

Milan,  son  symbole  de  foi,  42. 
•Auxerre,  43,  44,  47,  72,  80. 

Bacuille,  278. 

Baculus  Jesu,  195:  cf.  Bâton. 

Baguettes  magiques,  275,  277. 

Bailo  Binnberlach,  2U. 

liaile  =  hameau,  245,  249  ;  habité 
par  une  fine,  246. 

Bain  funéraire,  185;  lustral  et  régé- 
nérateur, 185,  186;  médical  186; 
sacrificiel  d'intronisation,  186  ; 
calmant  l'ardeur  des  héros,  222. 

Balor,  101,  103. 

'Ballygaddy  en  Galway.  228. 

Bandéa  =  déesse,  118,  122. 

Dansidhaig  —  fée;  séductrice.  117s.; 
mariée  à  un  héros,  122,  158  s.,  161 , 
162  ;  morte,  161,  162  ;  commémorée 
aux  fêtes,  161.167,  168:  interdic- 
tion de  prononcer  son  nom,  117, 
119. 

'Bannauem  Taberniae  (Bannaucnta 
Berniœ  '?);47. 

Banquet,  cf.  o  Festin  ». 

Baptême  druidique,  272. 

Barde,  en  Irlande,  282  ;  en  Gaule 
et  au  pays  de  Galles,  283. 

Barlaam  et  Joasaph,  roman  de  — , 
315. 

Barrière  magique,  274. 

'Barrow.  ri\iére,  174. 

Batailles  mythiques,  98  à  102,  105, 
118.  133,  135  ;  cf.  'Mag  «  Tured  », 
((  *TaiUiu  ». 


INDEX    ALPHABETIQUE 


337 


Bâtards,  glorifiés  en  Irlande,  iGi, 
i6%  s. 

Bateau  des  morts  brisé,  187  ;  —  de 
bronze  ou  de  verre,  182. 

Bâton  :  de  Palricli.  77,  80,  96,  103, 
l'J5  s.  ;  —  des  saints  irlandais, 
196,  m  s.,  30i  ;  serments  prêtés 
sur  les  bâtons  des  saints,  224. 

Batlos,  son  culte  à  Gyrène,  15. 

Becuma,  lii  s.,  lii. 

Bède  le  Vénérable,  30,  39. 

Bel.  98.  103,  lli,  loG. 

'Belach  Conglaiss,  caverne,  il3. 

Beltaine.  fêle  de  — .  93,  94.  98,  99, 
100,  107  s..  110,  m.  ll.ï,  141,  149, 
lo3  :  feu  de  — ,  115  ;  sacrifice,  1--  ; 
mythes,  119. 

Benen,  cf.  Benignus. 

Benignus.  saint,  308  ;  fils  adoptif 
de  Patrick,  147,  son  substitut,  144, 
147  ;  ordalie  de  —,  144. 

Bernard,  saint.  5. 

*Berne,  les  ours  de  — .  333. 

*Birr,  synode  de  — ,  307. 

Bismarck,  3i6. 

Bjœrnson,  les  — ,  333. 

Bodmael,  146. 

*Boyne,  rivière,  92. 

Bran  mac  Febail,  15,  157,  175,  182, 
200. 

Brasidas,  i-1. 

Brechmag,  270. 

•Breg  :  Plaine  de  —,  57,  91.  98,  266, 
270:  hommes  de  —,  98. 

•Breg-Léth,  sidh  de  —,  158  s. 

Bregon,  101,  157  ;  cf.  «  Tour  ». 

Brenan.  saint,  196. 

Bress,  285  ;  —  fils d'Eocho  Fedhlech, 
167. 

Bresal  Brecc,  clan  de  — .  216. 

'Bretagne  roniaine,  45  ;  patrie  de 
Patrick,  47  ;  relations  avec  l'Ir- 
lande, 48. 

•Breth  en  Mag  Muirthemne,  263. 

Brelhem,  plur.  brelhemain  =:  juge, 
51,  105,  109,  280  s.,  293. 

Brigit.sainte.  de  Kildare,  67,  77.201, 
224,  268  ;  assimilée  à  Marie,  77  : 
patronne  nationale,  303,  304  ;  sa 
fête,  107,  108;  ses  Vies,  67,  77  ; 
la  déesse  —,  285. 

Brito,  78,  269. 

Broccaid,  saint,  270. 

Cz.\R.>OV.SKI. 


Broccan,  saint,  270. 
Dron-lrogaijt.  107,  124  ;  cf.  Lugna- 

sad. 
Brosnacha,  les  — ,  titre  dun  recueil, 

288. 
•Brugh  na  Boinne,  98,  157, 165, 168. 
Buisson  ardent,  76. 

Cadmus,  63. 

Gaemgin,    saint,  269. 

'Cahircorncy,  fête  de  la  Saint-Jean 
à—,  115. 

Caier,  278. 

Caillin,  saint,  de  Fenagh,  225,295. 

Cainnech,  saint,  269. 

Cdinle  =  faiseur  d'incantations, 
278. 

Cairel,  170. 

Gairnech,  saint,  117.  118,  188,  302. 

Calendrier  irlandais,  cf.  «  Année  ». 

Calendrier  de  Luxeuil,  86. 

Calpornus,  diacre,  père  de  saint 
Patrick,  47. 

•Calraide.  248. 

Camelacus,  son  Hymne.  30. 

Cana,  grade  des  filid,  287. 

Canonisation  :  et  héroisation,  9  ;  — 
des  ascètes  et  moines,  15  ;  des 
désignés  pour  le  martyre,  15  :  des 
martyrs,  cf.  «  Martyr  »  ;  des  papes 
et  évoques,  16.  Cf.  «  Héroïsation.  » 

Canlaredus,  division  territoriale,  cf. 
tricha  cet. 

Caogdac/i,  grade  scolaire,  298. 

Gaoilte,  135,  285,  302. 

Carême,  91,  150. 

•Garman,  109;  fête  de —,  109,  111, 
124  s.,  placée  sous  le  patronage 
des  saints,  1 40  ;  courses  de  —,  126, 
188;  cimetière  de  — ,  166;  culte 
des  morts  à  —  176  s.  ;  mythes  de 
la  fête,  124,  125  ;  divinité  éponyme 
de  —,  124,  132.  262,  263,  278;"  ses 
fils,  124,  son  tombeau,  124, 

Carn  ^=  monument   funéraire,  177 
situation  des — ,214;  hantés,  213  s. 
offrandes  déposées  sur  les — ,  208 
dédiés  aux  saints,  226;  à  Patrick, 
227,  228. 

•Carn  Amalgaidh,  214,  259  ;  —  na 
Laech,  177;  —  Oc  Triallaig.  210; 
—  Slanga,  226  ;  —  Tigherna,  177. 

Carolingienne,  épopée,  7,  325. 

22 


338 


INltEX    ALPHABETIQUE 


Carprc.  fils  d'Elan.  166  ;  cl.  «  Coir- 
pre  ». 

'CtTrrigcleena.  213. 

'CarUiage,  concile  de  —,  10. 

•Cashel,  00,  82,  113. 

Cassien  de  Marseille.  44. 

Calhach  ou  prœliator,  palladium  des 
ODonnell,  iio. 

Calhair  Môr,  166,  273. 

Cathal  mac  Feradaich.  188  ;  — 
Maguire,  212. 

Cathasach  mac  Robartaig  hûi  Moi- 
naich,  235. 

Cathba  le  druide,  273,  276,  281. 

Celle,  236  ;  cf.  «  tenancier  ». 

Céleslin  1",  pape,  37,  39,  80. 

*Gell  Fargland,  194. 

Cenan  Brecc,  saint  ;  sa  fête,  108. 

Cenél  =  race,  234. 

Cenél  Domaingen,  248  ;  —  Eogain, 
235  ;  —  Fergna.  248  :  —  Fiach- 
rach,  235  ;  —  GeighiK—  Luchta,  — 
Rechta.  —  Trena,  248. 

Cenn  Crùaich,  146,  196,  2i2,  cf. 
(<  Cromm  Crùaich  »,  «  *Mag  Slecht  »; 
*—  Eich,  bataille  de—,  116. 

Cenngecân,  roi  de  Cashel,  82. 

Cerf,  aspect  habituel  des  génies,  135  ; 
Patrick  sous  forme  de  — ,  60, 149  ; 
une  des  métamorphoses  de  Tùan 
mac  Cairill,  170  ;  guide  des  saints, 
22o,  227. 

Germait,  fils  de  Dagda,  166. 

Cermand  Gestach,  idole,  212. 

César,  chanson  de  ses  soldats.  30. 

Césaired"Arles,  saint,  322. 

Celsoman,  187;  cf.  Beltaine. 

Cham,  132. 

Champion  du  clan  en  Irlande,  220  ; 
ses  privilèges,  221  ; 

Chandeleur,  la  —  113. 

Char,  139,  143  ;  à  fau.-?,  137  ;  funé- 
raire, 187,  de  Patrick,  63,  204. 

Chaudron  offert  à  Patrick,  62  ;  Pa- 
trick vendu  pour  un  — ,  77. 

Chefs  irlandais,  cf.  Aire,  Flaith. 
«  Roi  »  :  —  convertis  par  Patrick, 
bl  ;  postérité  des  chefs  maudits 
privée  du  pouvoir,  59. 

Cheval  ressuscité,  62  ;  sacrifié,  186. 

Chevalerie  :  idéal  de  la  —  person- 
nifié dans  les  héros  épiques,  325. 

Chien     sacrifié,    128  ;    interdiction 


pesant  sur  Cùchulainn  de  manger 
du—,  331  s. 

Christ,  le  —  vénéré  corame  héros, 
4  ;  «  le  —  des  Dames  Blanches  »  de 
Tirlemont,  63. 

Christianisme  en  Irlande  antérieur 
à  Patrick,  37,  49  ;  organisé  par 
lui.  50  s.  ;  cf.  «  Église  ». 

Christophe,  saint,  314. 

Ciannan,  saint,  77. 

Ciaran,  saint,  mac  in  —  t  sair,  de 
Clonmacnois.  131.195,  20,),  296; 
—  deSaighir,95,194;  sa  fontaine, 
226  :  leurs  fêtes.  108. 

Ciarrichi.  les  —,  234,  270. 

Cichol  Gricenchos,  133. 

'Cill  Dumi  Gluinn,270;  —  Osnaigh, 
bataille  de  —,  116. 

Cimetières,  les  principaux  —  d'Ir- 
lande, 164  ss.  ;  sont  des  lieux  d'as- 
semblée. 163  ss.  :  orientation  des 
—,  187:  situation  au  bord  de  lacs 
ou  de  rivières,  187. 

Cimon,  24. 

Cinel  ConHcU,  iHtronisation  des  rois 
de  — 186. 

•Claddagh,  332. 

Claide,  163;  cf.  «  Tombeaux  ». 

Clans  irlandais,  153,  cf.  Tùath  ; 
dieux  du  —,  215  ;  —  écossais,  232. 

Clann,  plur.  clanna  =  postérité,  234. 

Claiin  Campbell,  333;  —  Chernaig, 
235  ;  —  Goneelv,  332  ;  —  Degaidh, 
Clanna  Degadh,  164,  166,  235; 
Clanna  Dairenne  et  —  Derghtine, 
leur  alternance  au  pouvoir,  255, 
250  ;  Clann  Echdach,  235  ;  —  Fiach- 
rach,  287:  —  Firbisigh,  281. 
284,  cf.  «  Mac  Firbis  »  :  Clanna 
Itudraige,  164  ;  Clann  Suibni,235. 

Clergé  irlandais,  monachisme,  50, 
264  ;  recrutement,  264,  266  ;  hié- 
rarchie, 299;  le  — et  les^Zif/,293  s'. 

'Cletech,  117  s. 

eu,  grade  des  filid,  287. 

*CIiach  =  Dublin,  116. 

Clidna,  210,  213. 

Clientèle  patronale  en  Irlande,  orga- 
nisation, 236  s . ,  247  :  —  et  organi- 
sation des  royaumes,  253. 

Clisthène.  23. 

Cloch  na  labraidhe  =  «  pierres  des 
paroles  »,  cf.  «  Pierres  ». 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


339 


Clochan.  ciibaneen  pierres,  187. 

•Clogher,  i\i. 

*Cloiiburrei).  58. 

*Clonniaenois,  58.  300. 

Clothni,  lillo  (lEocho  Fedhlech . 
167 

Cluichi  cdinlecfi  :=  jeux  funéraires. 
188  ;  cf.  u  Courses  »,  «  Jeux  ». 

Cluiiv,  bas-relief  du  musée  de  — , 
iié. 

•Cnoc  Aine.  138. 

Cobhlach  Coelbregh,167. 

Cocher  de  saint  Patriclc,  GO,  143  ;  les 
—  épiques,  146  ;  épargnés  par  Cû- 
chulain,  ±il. 

«  Cochon  de  saint  Patrick  »,  le  — 
146;  cf.  «  Porc  »,  Samliain. 

Coenachair,  abbé  de  Slane,  81. 

Cogitosus.  67. 

Coirpre  Cinncal,  261  :  —  Nfafer  244. 

Coirpritic  mac  Néill,  141. 

Coilhrigi  =  Patricius,  32. 

•Colchide,  15. 

Colgan ,  sa  compilation  hagiogra- 
phique, 81, cf.  «  Patrick»,  «  Vieso. 

Colla  Criach,238,  261. 

Colomban.  saint,  32. 

Columcille,  saint,  30,  32,  77,  268  : 
et  les  filid,  i'J6,  301,  302,  303  ;  per- 
sonnage favori  de  la  littérature 
profane,  303  ;  patron  :  des  Hûi 
Néill,  i24,  des  ODonnell,  ±23: 
héros  national,  303  :  —  et  saint 
Patrick,  304;  sa  fête,  108  ;  bataille 
mythique  a  cette  date,  100. 

Comarba,  'j.'!,  305. 

Combat  singulier,  179,  220,  221  ; 
morts  en  —  héroïsés,  25,  179. 

Comgall,  saint,  224  ;  fête  de  ses  filles, 
108. 

Comgan.  saint,  ou  Mac  dâ  cerda, 
293,  302. 

Commemoralio  laborum,  44. 

Complaintes  funéraires,  183,  187. 

Composition  pour  crimes,  293. 

Conaire  Carpraige,  163  ;  —  Môr, 
138.  165,  332. 

Conall  Cernach,  219,  220,  238.  258. 
263.  272:  sa  conception,  171  ;  ses 
reliques,  219;—  fils  dEnda,  saint. 
68.  267. 

Conalli  Muirthcmni.  234,  238.  249, 
263. 


Conann,  99,  133;  cf.  «  Tour  ». 

Conception  miraculeuse,  170,  171. 

Conehobar  mac  Nessa,  110,  133, 
102,  165,  237,  2.54,  262.  273,  279, 
282.  284:  sa  conception,  171. 

Concrilhir,  130. 

Condiri,  2.U. 

Confession  de  saint  Patrick,  33  ss.  ; 
son  authenticité,  34  ss.  ;  but  dans 
lequel  elle  a  été  composée,  35  ; 
citations  bibliques  dans  la  — ,  40, 
47;  déclaration  de  foi  dans  la  — , 
40  ss.  ;  —  connue  des  hagio- 
graphes,  34,  71  ;  point  de  départ 
de  développement  légendaire,  94; 
citée  39,  43,  43,  47.  48,  49,  50, 
51,  52,  53,  54,  293.  294. 

Conlae  mac  Coilboth,  235. 

Conmaicne,  les — ,  223. 

Conn  Cetcathach,  94, 110,  234,  258, 
275  :  —  et  les  arbres  sacrés  174  ; 
«  'Moitié  de  Conn  »  =  Irlande  sep- 
tentrionale, 208. 

Connacân  fils  de  Colman,  82. 

Connaught,  69,  90,  133,  170,  219, 
220,  289,  332  ;  assemblées  et  cime- 
tières du    —    167  ;   légendes    du 

—  relatives  à  saint  Patrick,  36, 
68. 

Connia,  173,  182,  183. 

Connor,  diocèse  de  — ,  234. 

Contes,  motifs  de  contes  dans  les 
légendes  hagiographiques,  314  ; 
dans  celle  de  saint  Patrick,  62  ss. 

Corbeaux,  une  des  métamorphoses 
de  Deux  Porchers,  170. 

Corc,  roi,  sa  collaboration  â  la  com- 
position du  Senchus  Mor,  308. 

Corcu  =  a  gens  »,  233. 

Corcu  Chonluaind,  235,  —  Laidhe, 
265  ;  —  Ochland,  233  ;  —  Sai, 
235;  Corcomrûadh,  233. 

Cormac  mac  AirI,  166,  175,  182, 
184  ;  —  mac  Conchobair,  179, 
188  ;  —  hùa  Liathain,  199  ;  —  roi 
de   Corc,  219,  291  ;   Glossaire  de 

—  cf.  Sanas  Cormaic. 
Cornelii,  234. 
'Cornouailles,  199. 
Coroticus,  33,  43.  34,  55,  71. 
Cosme  et  Damien,  saints,  8. 
Colhirtiacue  =  Patricius,  32. 
Cothraige  =  Patricius.  32. 


340 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


Courses  de  fêles,  HO,  125.  4i(5,  130. 
139,  141,  143;  funéraires,  li.>  s., 
188,  190  ;  —  de  femmes,  126,  188  ; 
d'une  femme  contre  des  chevaux, 
125. 

Craebh  ou  craobh  =  rameau. 

Craobh  Dailhe,  174  ;  —  Mugna, 
174  ;_  Uisnigh,  211. 

'Craglea,  216. 

Craifline,  280. 

Cravache,  130. 

Crebriu,  194. 

Credne,  ilO. 

Créiche,  saint.  134 

Crépin  et  Crépinien,  saints,  8. 

Crésus,  148. 

Cridenbél,  278. 

Crimthann  Nia  Nair,  165,  167.  180  : 
—  mac  Enna  Cennselach,  116. 

•Groagh  Patrick,  228;  cf.  «  'Mont 
Aigle  ». 

Croix:  tombale,  62;  hautes  — irlan- 
daises, 223  ;  —  but  d'une  course, 
139. 

Cromm  Conaill,  134  ;  —  Crùaich,  112, 
123,  133  s.,  212. 

Cruachan,  69  ;  assemblée  de  —, 
167,  286  ;  cimetière  de  —,  167  ; 
sidh.  de  —,  133,  138,  168. 

Cuairt  =  tonrnée  poétique,  292. 

•Cûalnge,  170,234. 

*Cuan,  Forêt  de  —,  125. 

Cùchulainn,  148,  212,  219.  220,  254, 
258,  263  ;  type  du  héros  irlandais, 
221,  222;  assimilé  à  un  génie  de 
l'extermination.  138;  ses  transfor- 
mations, 137,  222;  sa  maladie, 
121  ;  ses  voyages,  182, 197  ;  incar- 
nation de  Lug,  171,  172;  ne  doit 
pas  manger  de  chien,  331,  332  ; 
son  cocher,  146. 

Cucuimne,  301. 

Cùglass,  213. 

Cuil,  femme  deNechtan,  167. 

Cuimmin  Foda,  saint,  187. 

Culann  le  forgeron.  331  s. 

'Culdremne.    bataille   de    — ,  274, 

297.  302. 
Cumal  =  femme  esclave,  unité  de 

valetir,  127. 
Cummian,  saint,  302,  307. 
Curathmir.  part  du  héros  dans  les 
festin,  221. 


Cyniques,  les  — ,  17. 

Cyrille  de  Gortyne,  saint.  63. 

Dagda,  121.  129,  285. 

Daigh,  saint,  295. 

Daire,  62,  308. 

•Dal-Riada,  2:i4. 

Dalân,  le  druide.  275,  287. 

Dallan  Forgaill,  289.  291,  302. 

Dalla  =:  pupille,  257. 

Damien,  saint,  cf.  «  Cosme  ». 

Danois  en  Irlande,  188. 

Danu,  la  déesse.  100. 

Dartraige,  les  — .  248. 

Dathi,  180,  217.  218. 

Décapité  vivant.  127,  129,  !31. 

Dechtiré,  135,  262. 

Declan,  saint,  224,  229. 

Déclaration  de  foi  de  saint  Patrick, 
41  s. 

Dedi,  295. 

DéQ  à  tout  venant,  220. 

Déisi,  les  —,  224,  229. 

Deisiol,  143. 

Démetrius,  saint,  10. 

Demi-dieux,  16. 

Denis,  saint,  324. 

Deochain  =  diacre,  299. 

Derbfine  —,  240  à  244. 

Desgibal  =  disciple,  grade  scolaire, 
299. 

*Desmond,  166. 

*Detna,  bataille  de  —,  116. 

Devins  irlandais,  cf.  «  Druides  », 
File,  Fdilh  ;  —  gaulois,  276  ;  femme 
devin,  124. 

Dharna,  jeune  hindou,  194. 

Diancecht,  dieu  médecin,  186,  285. 

Diarmaid  mac  Cerbhaill.  119,  131, 
162,  195,  263,  274,  297  ;  cycle 
épique  de  — ,  303  ;  saint  —  d'I- 
nis  Clothrann.  295. 

Dicetal  di  chennaib,  277,  298. 

Dicta  Patricii,  leur  authenticité,  43  ; 
source  des  hagiographes,  70,  71. 

Didon,  26. 

Dié,  saint,  327. 

Dieux  et  héros,  27  ;  les  —  irlandais 
de  la  mort,  136  ;  subissant  la  mort, 
124  ss.,  207  ;  vénérés  comme  morts, 
207  s.,  209,  216:  renaissants,  127, 
130,  131  ;  sacrifiés,  124;  sont  des 
héros,  161,  217  s.  ;  —  locaux,  213  ; 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


34i 


territoriaux,  216  ;  lermes,  213,  218  : 
—  des  clans  et  tribus,  ilo,  i3i, 
263. 

•Dinas  Kmris,  123. 

•Dinn-rlK'.  il4 

Dispater,  consitliTé  par  les  Gaulois 
comme  anriHre,  100. 

Diviciacus,  276. 

Divina(ion  en  Irlande.  273,  277,  287. 
288;  aijrt-s  l'introduction  du  chris- 
tianisme 298;  —en  (jaule,  27»); 
cf.  Dicetaldi chennaib,Imbas  foros- 
nai. 

Duine^  gens  étrangers  à  la  famille, 
241. 

Domnall  hua  Neill,  298. 

Domnu,  la  déesse,  'J'J,  228. 

Domongart,  saint,  226. 

Donateur,  droit  de  ses  descendants 
à  la  succession  des  abbayes,  264. 

Donation  aux  églises.  265,  266, 
267;  —  d'Armagh  à  saint  Patrick 
62. 

•Donegal,  feux  de  fête  dans  le 
comté,  115. 

Donn  fds  de  Mile,  213,  216. 

Donn,  le  taureau  épitiue,  170;  —  bô. 
le  poète,  127  ss  ,  282.  283. 

Doss,  grade  des  filid.  i67. 

*Do\vn,  tombeau  de  saint  Patrick  à 
— ,  193,  204;  tombeau  des  trois 
grands  saints  de  l'Irlande,  304. 

Dragon,  combat  contre  un  —  dans 
les  légendes  hagiographiques,  314. 

Drcbriu,  fille  d'Iiocho  Fedhlech, 
167. 

Drissac,  grade  des  filid,  287. 

Drithlinn  le  druide,  168. 

Droit  des  gens,  234  ;  —  de  jambage 
en  Irlande,  237  s. 

*Dro\ves,  rivière,  64. 

Druides  irlandais  :  prêtres,  112,  114. 
128,271  ss.  ;  devins,  05,  119,  121, 
273;  thaumaturges  et  exorcistes, 
58  s.,  124,  159,  274  s.  ;  savants, 
273  ;  éducateurs,  276  ;  leur  situation 
sociale,  27.i  s.,  2'j7,  300  ;  héroisés, 
168;  vaincus  par  saint  Patrick, 
58  s..  142  ss.  :  —  gaulois,  272,  276. 

«  Druidisme  »,  synonyme  de  puis- 
sance sacrée,  273. 

*Druimm  Bregh,  116  ;  —  Cet,  as- 
semblée de  —,  291. 


Duach  Tengumha,  117. 
Duaibsech,  211. 
*Uiib,  rivière,  64. 
•Dubdà-rind,  le  druide,  273. 
Uubthach  Maccu  Lugair,  294,  295, 

308. 
Duel,  cf.  «  Combat  singulier  ». 
*l)uff,  rivière,  cf.  «  *Dub  ». 
Duma  =  tuniulus,  177. 
*l)uma  Slainge,  214. 
*Uim  Sobairche.  229. 
Duncan  Ollartigan,  134. 
Dunirv.  301. 

Dunlang  le  fils  de  —,  210,  217,  218. 
•Dunseverick.  cf  «  *Dùn  Sobairche  »• 
'Dunshaughlin,  32. 

Eber  Find,  284. 

•Lbhlin,  bataille  d'  -,  116. 

Éces  =  savant,  278. 

Echepolis,  19. 

lîcné,  génie  de  la  poésie,  285. 

bcoles  des  filid,  291,  297  ;—  ecclé- 
siastiques 298  s.  • 

'Ecosse,  289. 

Edouard  l",  roi  d'Angleterre,  260; 
—  le  Confesseur,  326. 

Église  d'Irlande  :  organisation,  bO, 
264,  266;  autonomie,  o3,  306;  in- 
fluence gallicane,  31  ;  son  culte 
pour  saint  Patrick,  30o  s.;  —  cel- 
tique, 29  ;  —  bretonne,  42. 

Eithne,  la  fée,  187  ;  —  Ualach,  116. 

Ele,  fille  d'Eocho  Fedhlech,  167. 

Élie,  saint  Patrick  assimilé  au  pro- 
phète — ,  76. 

•Elis.  19,  20. 

•Elide,  21,  22. 

Elysée  irlandais,  156  s.,  173  s.  ; 
voyages  à  1'—,  182;  cf.  «  Emain 
Abhia  »,  «  Mag  Mell  »,  «  Tir  in- 
na  niBeo  ». 

•Emain  201 .  —  Abhla,  173,  —  Mâcha, 
135,  21  i;  légende  d'  —,  130; 
fèie  —,  110,  12a,  139,  161,  cf. 
«  'Armagh  ». 

Enchantements,  118  s.,  132. 

Ennodius,  313. 

Eochaidh  Muigniedon,  161, 

Eoghan  Bel.  168,  217,  218. 

Eo  Bosa,  174. 

Épidémie  mythique,  133;  (génie  de 
r— ,  133  s.,  134,  138. 


312 


INDEX.   ALPHABÉTIQUE 


Épipliano.  saint,  3ii  ;  sa  Vie  par 
Ennodiiip,  .'113. 

Épilapho,  177  s. 

•Kpirc.  21. 

Épiire  de  saint  Patrick,  33;  aulhen- 
ticilô,  34  ss.  ;  circonstances  de  sa 
composition,  54  s. 

Épopée  et  liagiofïraphie,  320,  324  s  , 
329  ;  groupement  des  motifs  épi- 
ques  autour    d'un   héros   li  ;  — 
_  irlandaise,  "JS,  116,  303. 

Équinoxe,  fête  de  1" — ,  150  s. 

Ere,  61  :  —  fils  de  Coirpre  Niafer, 
2a4. 

Erdalhe,  le  jour  —,  18'.). 

Eremon,  211,  213.  284. 

Ermite  insulaire.  200. 

Erna,  les  —,  234,  248,  256. 

Erracht  =  printemps.  150. 

*Erythres,21. 

Esclaves.  265. 

Escop  =  évéque,  299. 

*Espagne  97,  99,  101,  103,  183,  210: 
localisation  du  pays  des  morts  en 
—,  157. 

Esprits  circulant  aux  fêtes,  134  s.  ; 
leur  aspect,  118,  132,  133  :  iden- 
tiques aux  génies  des  invasions. 
134  ss.  ;  —  des  morts,  156  ;  cf. 
0  Ames  »,  «  Morts  ». 

Etàin,  275;  ses  incarnations  succes- 
sives, 138  s.,  171. 

Etan,  166. 

Efar,  mère  d'Etâin,  171. 

Elline,  la  Blanche,  69. 

Etienne  de  Hongrie,  saint,  326. 

Élole,  fils  d'Oxylos,  20. 

Eugipius,  315,  317. 

'Euonia  =  Emain,  201. 

Évèques  :  irlandais,  297,299  ;  dignité 
héréditaire,  265;  et  abbés,  264;  — 
des  villes  romaines,  leur  rôle  so- 
cial et  leur  glorification  au  déclin 
de  l'Empire,  322,  324. 

Evhémerisme  irlandais,  166. 

Evocation  des  morts,  178. 

Exarcktid  =  exorciste,  299. 

Exil,  condamnation  â  l'— ,  en 
Irlande,  122. 

Exorcismes,  134. 

Expiation,  123. 

Fabii  les  —,234. 


Fachina  Fathach,  262. 

Fae/fi  fiada,  hymne  dit  —  attribué 

il  saint  Patrick,  39.  72,  149. 
Faiblesse  saisonnière,  119.  120  s. 
Failli  =:  voyant,  277  ;  —  Uaifi,  mé- 
decin voyant,  279. 
Fâl,    pierre    d'intronisation,     201, 

260. 
*Falias,  ville  divine,  201. 
Fanlùmcs.  118,  120,  132. 
Fastidius,  40. 
Faustus  de  Riez,  44,  46. 
Fé,  gaule  à  mesurer  les  cadavres, 

208. 
Feber,   sainte,  son   oratoire  et  sa 

fontaine,  225. 
Fedelm  la  Rousse,  69. 
Fedelmid,   fils  de    Loogaire,    266, 

267  ;  —  Rechtmar,  268. 
Fées  sous  forme  d'oiseaux,  135. 
Féis  na  Temrach,  fête  de  Tara,  HO  ; 

cf.  «  "Tara  ». 
Félire    Oengusso,    86  ;    annotations 

au  — ,   87;  —  hûi  Gonnain,  86. 

Cf.  Martyrologe. 
Felmac,    pupille,    grade    scolaire, 

298. 
Fomc,  sainte,  295. 
*Femen.  sidh  de  —,  170. 
*Fenagh,  225,  295. 
Fer  =  homme,  pi.  fir;  fer-mara  = 

homme  de  la  mer,  137.  Cf.  Fir. 
Fercertne,    un  file,    279,    290  ;  — 

file  du  roi  Conchobar.  282:  — fils 

de  Labraidh  Loingsech,  280. 
Ferchu  Longsech,  212. 
Ferdiad,  102. 
Ferdomnach,    ses    Additamenia    k 

l'écrit  dcTirechân,  83. 
Fergus,  saint,  267  ;  —  le  poète,  308  ; 

—  mac  Roig,  113,  163,  178, 
233.  283,  296. 

Ferta  =  tombe,  142,  163. 
*Ferta-fer-Féicc,  142,  143,  145,  148, 

149;  —  Pat  raie,  228. 
Festin,:  de  fête,  109,  112,  113,  127; 

—  funéraire,  188,  190  ;  —  sacrifi- 
ciel, 112  s.  :  —  magique,  118;  — 
des  dieux,  114. 

Fêtes  irlandaises  :  dates,  109  s.  ; 
emi)lacemcnt,  163  s.  ;  rôle  social, 
cf.  «  Assemblées  »  ;  représenta- 
tions,  129  ss.,   134   ss.,  136  ss.  ; 


INDEX   ALPHABETIQUE 


343 


rites,  111  s.,  115,  13'J.  cf.  «  Cour- 
ses ».  «  Festin  «,  u  Fou  »,  «  Jeux  », 
«Offrandes  u.  «Sacrifice  «  :  mythes, 
11H  9S  ,  iii  ss..  m  ss.,  li'.t  ss., 
13t'.,  138  ;  riMc  dans  la  mythologie 
et  lépopee.  91.  9i  s.,  137  ss.  ;  — 
saisonniîres,  138  ;  agraires,  139  ; 
solaires,  139,  1  jU  s.  ;  funéraires, 
188,  190;  commcmoratives,  1^4, 
lio,  l'JO:  patronales.  33.  107, 
108, 115,  cf.  aux  noms  des  saints. 
Prospérité  assurée  par  la  célébra- 
tion des  — ,  li3  s. 

Féth  fiada,  charme  assurant  l'invi- 
sibilité, 134. 

Fethjjna  ou  Seignech  mac  Nectain, 
235 

Feu  sacré,  59,  14i  s.  ;  sacrilège, 
iki;  de  fête,  39,  114  s.,  iii  s., 
140  ss.  ;  nouveau,  114,  140  ;  sacri- 
ficiel. Ho,  m,  li4;  lustral,  115; 
pénal,  \ii\  mort  dans  le — ,  ll'J. 
144  ;  offrandes  brûlées  dans  le  — , 
\±i  ;  but  dune  course,  143  ;  allumé 
sur  un  t^imbeau,  14i  ;  au  moyen 
d'incantations,  114. 

Fiacc  de  Siéble,  saint.  29b  ;  Hymne 
de  —,  84. 

Fiacha,   190  ;  —  Muillethan,  273. 

Fiathra,  168. 

Fidhemna.  les  trois  — .  fils  d'Eocho 
Fedhlech,  167. 

Figol,  fils  de  Mamos,274. 

File,  pi.  filid,  il\  ;  devins,  magi- 
ciens, savants,  124,  277  à  281, 
287  s.;  éducateurs,  2yl,  297  s.; 
initiation,  287  s.  ;  organisation, 
iî8t)  s?  .  290;  situation  sociale, 
286.  288.  291,  292,  297;  institu- 
tion nationale,  291  s.  ;  rivaux  dts 
druides,  293;  alliés  du  clergf. 
293  ss.,  298,  3U0  ss.  ;  leur  fonction 
mythopoétique,  iéi  s.,  292  s.  ; 
constitution  d'une  tradition  natio- 
nale par  les  — ,  289  s.,  293  ;  éla- 
boration du  type  de  héros,  284, 
et  de  saint  irlandais,  302  ss.  ;  — 
et  le  culte  de  saint  Patrick,  305. 

Find,  cf.  «  Finn  ». 

Findchoom,  sœur  de  Conchobar, 
263.  284. 

•Findmag,  fontaine  de  — ,  212. 

Fine  :  famille  agnatique,  239;  pa- 


renté de  ses  membres,  241  ;  cons- 
tituée en  cadres  immuables,  344  ; 
en  clientèle,  247  ;  lignes  directes 
et  collatérales,  239  s.,  244;  indivi- 
sion, 242,  240,  247  ;  solidarité, 
242  ;  dévolution  de?  biens,  243, 
245  ;  groupe  local.  244  à  246  ;  cor- 
respondance entre  les  divisions 
de  la  —  et  les  divisions  du  sol, 
i24G  ;  hiérarchie  des  — ,  2o0;  chef 
de  la  —,  239.  247  ;  fine  du  flâxlh, 
237,  251  :  et  tàaLh,  248.  2.i0. 

Finn  moc  Cumhail,  94,  134.  223. 
2b4,  284,  285,  286.  302,  313  ; 
—  de  Kildare,  évèque,  300,  301. 

Finnacha,  saint,  sa  conception, 
171. 

Finnbarr,  saint,  200. 

Finnbennach,  le  taureau,  170. 

Finnchua  de  Brigown,  saint,  224. 

Finnian  de  Magh  Bile,  saint,  224; 
sa  fête.  108.  127  s. 

Fintan  de  Cluain  Aiditech,  saint, 
209. 

Fir  =  hommes. 

Fir  Bolg,  99,  100,  131,  132,  214;  — 
Domnand.  99,  102,  228. 

Firsidhe,  135,  149  ;  cf.  «  Fées  », 
«  Génies  ». 

Fith,  saint,  32. 

Flàith  =  noble  propriétaire  foncier, 
2oO,  240,  247,  250  s.  ;  sa  fine  de 
clients,  230  s.  ;  chef  de  la  gel  fine, 
247. 

Flann,  (ils  de  Dima,  119,  120,  122, 
162;-  roi  d'Irlande  219. 

*Foal,  lie  mythique,  201. 

Fochair,  les  livres,  dits  —,  299. 

FochlHC,  grade  des  fiUd,  287,  288. 

'Fochlut,  forêt  de  —,  36,  48,  52, 
80. 

Forjlaintide,  grade  scolaire.  299. 

Foires,  10',»,  cf.  «  Assemblées  ». 

Foirtchern.  saint,  266.  267. 

Fomore,  pi.  Fomoraig.  98,  99,  103, 
112,  132,  133,  130,  172,  210,  274. 
285  ;  leur  aspect,  98,  132.  137  ; 
ancêtres  des  hommes,  100  ;  pirates, 
137. 

Fontaines  sacrées,  212  s.,  225  s.. 
228  ;  —  hantées,  216  ;  curatives. 
210;  de  régénération,  170;  mira- 
culeuses,  79;  jaillics    de    tora- 


344 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


beaux,  ilO  ;  Fontaine  de  Science 
et  d'Inspiration.  183,  287;  do 
Connla,  183;  de  Mag  Meil.  :2i7: 
des  trois  Patrick,  197;  —  dédiées 
aux  saints,  -:!G  s.  ;  à  saint  Patricii, 
2i8.  Offrandes  aux  — .  iMi. 

Forcetlaid,  grade  scolaire,  299. 

Forgoll,  un  file,  278,  302. 

Forgnide  de  Curcen,  270. 

Forrach  =  ciiamp  de  foire  et  d'as- 
semblée, 168. 

Forteresses  royales,  21o;  bénies  par 
saint  Patrick,  229  ;  —  des  morts, 
lOo;  —  des  dieux  prise  d'assaut 
par  les  hommes,  135,136. 

Fortunat,  31o. 

Fothad,  les  trois  saints  —,  268. 

Fraechan  mac  Tenusan,  druide  du 
roi  Diarmaid  mac  Cerbhail,  274. 

François  d'Assise,  saint,  5. 

Francesca  di  Rimini,  7. 

Fraternité  du  sang,  197,  258. 

Freùneided,  grade  scolaire,  299. 

Frères  de  lait,  257. 

Friuch  le  porcher,  170. 

Fudir  =  serf,  236. 

Fulgence  de  Ruspe,  saint,  sa  Vie 
anonyme,  317. 

Funérailles  irlandaises  :  provisoires, 
185  s.  ;  définitives,  187  s.  ;  —  de 
saint  Patrick,  63  s.,  204;  des  chefs 

'    gaulois,  190. 

Funéraires,  rites  :  double  série 
de  —,  185. 

Fursainte,  grade  scolaire,  299. 

Galilée,  5. 

Galiôin,  les  —,  99,  102,  249. 

Gamanrad,  les  —  d'Irros  Dom- 
nand,  164. 

Garibaldi,  héros  national,  o,  326. 

Garman,  198  ;  Sen  —,  125. 

*Gaule  :  influence  de  la  —  dans  les 
Iles  Britanniques,  42,  45,  47  ; 
Patrick  en  —,  42  ss.  ;  culte  de 
saint  Martin  en  —,  327. 

*Gavr'inis,  allée  couverte  de—,  157. 

Géant,  77,  129,  137. 

Geiss,  pi.  geasa  =  interdiction  ri- 
tuelle, cf.  «  Interdiction  ». 

Gelfine,  cf.  fine. 

*Gênes,  culte  de  saint  Sirus  à  — . 
325. 


Génies  des  invasions  et  ceux  des 
fêtes,  132  s.,  136;  retour  des  —, 
136;  les  —  et  les  morts.  156  s.  ; 
et  les  ancêtres,  160;  incarnation 
et  désincarnalion  des  — ,  158  ss., 
169  ss.  ;  ils  sont  des  Puissances 
de  Vie,  173  à  176. 

Georges,  saint,  3ti;  ses  Fies  an- 
ciennes, 315  ;  héros  national,  325. 

Germain  l'.Vuxerrois,  saint,  44,  45  s., 
80.  195,  11'8,  322;  habitant  les 
parages  de  la  Mer  Tvrrhénienne, 
198. 

♦Glandore,  210. 

*Glastonbury,  tombeau  de  saint 
Patrick  à  —,  203. 

Glossaire  de  Cormac,  87. 

Goibniu,  dieu  forgeron,  285. 

Gôidels,  invasion  des  —  en  Irlande, 
101  s. 

Gollit,  sœur  de  saint  Patrick,  270. 

Goriot,  le  Père  — ,  7. 

Gortigern,  123,  195. 

Gosacht,  61. 

"Graine,  bataille  de  — ,  116. 

Gréco-romaine,  civilisation  :  son 
internationalisme,  320. 

Grellan,  saint,  225. 

Guérisseurs,  dieux  et  héros,  5,  8, 
210. 

Ilagiographe,  sa  fonction  sociale, 
31  il. 

Hagiographiques,  légendes  :  leurs 
sources,    313    s.  ;   éléments    reli- 
gieux païens  pénétrant  dans  les 
— ,    313.   315    s.  ;    emprunts    aux 
contes,  314  ;  à  la  littérature  cou- 
rante, 315,  320  ;  —  et  épopée,  319 
320  ;  et  roman,  320  ;  et  littérature 
édifiante  des  sectes  rivales,  321 
et  l'histoire  biographique,  315  s. 
types  représentés  par  les — ,  313 
schématisme   des  — ,    317;    leur 
caractère  édifiant,  316  s.  ;    apolo- 
gétique,  317;   romanesque,    317. 
Elaboration  ecclésiastique  des — , 

319.  Les  —  et  le  milieu  social, 

320,  321. 
Hamilcar,  26. 

Harpe  de   Dagda,  285  ;  joueurs  de 

—  en  Irlande,  280. 
Hector,  24. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


Hélène.  23. 

*Héracléo,  13.  19. 

Héraclès.  4,  1.).  17.  i\. 

Herbes  ciuiilives,  leur  origine  my- 
thique, 210. 

Hérolnts.ldnibcau.x  d' —  en  Irlande, 
167.  168 

Héroïque,  légende  — ,  élaboration 
12.  316.  318.  Les  trois  races  — 
d'Irlande,  cf.  Laech  aicine. 

Héroïsation  :  et  canonisation,  9  ;  — 
prononcée  à  la  suite  dune  révé- 
lation, 9  s.,  10;  —  de  sacrifiés, 
26  ;  de  morts  pour  la  patrie,  :i5  ; 
de  guerriers  tués  en  combat,  2o, 
IT'J  :  de  suicidés,  2ti  ;  de  foudroyés, 
26.  180;  de  noyés,  180;  de  morts 
d'une  mort  inexplicable,  subite 
ou  violente,  20,  180;  de  morts 
qui  reposent  en  un  lieu  sacré,  26; 
de  morts  d'épidémie.  20,  179  ;  de 
morts  d'amour,  180;  des  initiés, 
Ib  ;  d'athlètes  vainqueurs,  2o  ;  de 
magistrats,  8,  10,  10;  de  rois,  16; 
cf.  «  Canonisation  ». 

Héros  :  acception  du  mot,  1  s.  ;  dé- 
finition, 27,  32'J  ;  classifica- 
cation  des  —,  321)  ss.,  329. 

—  incarnation     de    valeur,     3 

idéal   collectif.    5,    12,   324 
idéal  moral.  4.221  s.,313ss. 
héros  révolté,  0  ;  criminel,  6 
guerrier,  4.  17.  221  :  profes- 
sionnel, i)  ;  champion  et  té- 
moin, 6  s.,   2a,   217,   218  à 
220,  323,  cf.  «  Martyr  »  ;  pa- 
tron et  avocat,  18,  224,  cf. 
n  Saints  ». 

—  représentant   d'un  groupe  ou 

dune  chose,  11  s.;  220  s., 

324  ;  reconnaissance  sociale 
du  — ,  7  ss.  ;  —  reflète  un 
état  social,  324,  325  ss.  ;  — 
gentilices,  7  s.,  21o  s.,  260  à 
203,  267  ;  féodaux  et  dynas- 
tiques, 269.  324  ;  —  des  ci- 
tés, 8,  10.  :J22s.,  327  :  arché- 
gètcs,  8  ;  des  États,  320  s.  ; 
locaux,  214,  327  s.  ;  territo- 
riaux, 327  s.  ;    nationaux, 

325  s.  ;  des  corporations,  8, 
9,  11  ;  des  sectes,  323  ;  — 
des  choses  210  ss.  ;  guéris- 


345 

types 


scurs  5.   8.  210. 
littéraires,  7  s.,  316  s. 
Héros  :  homme,  13;  participe  à  la  na- 
ture des  dieux,  16  ;  incar- 
nation d'un  dieu   170,   172  ; 
conquérant  du  mana,  16  s. 

—  morts,  13  ss.,  177  ss.  ;  culte 

funéraire  des — ,  14  s.,  18  ss.  ; 
portée  sociale  de  leur  mort, 
25  s.,  179  ss.  ;  persistance 
de    la    personnalité  du  — , 

21  s.,  23  s.,  18'J  s,  ;  puis- 
sance posthume  des  — ,  13, 

22  s.,  24  ;  —  entrés  vivants 
dans  l'Autre  Monde,  15,  181 
à  185,  194  à  202. 

—  protagonistes  du  drame  festi- 

val, 116  s.,  127  s.,  162  s.; 
représentants  du  cycle  de 
l'année,  163. 

—  culte   des  — ,  14  s.,    18   ss., 

23  ;  et  celui  des  dieux  20, 
22. 

—  et  dieux,  27  ;  et  saints,  27  s., 

324. 

—  grecs,  327  ;  et  héros  irlandais, 

223. 

Hespérides,  jardins  des  — ,  15. 

Hésiode,  reliques  d'  — ,  24. 

Hilaire  d'Arles,  saint,  44.  46  ;  — 
de  Poitiers,  saint  :  son  Hymne 
30  ;  sa  traduction  du  Symbole 
de  Philippopolis,  42. 

Hippodamie,  translation  des  re- 
liques d'  — ,  24. 

Homère  vénéré  comme  héros,  4. 

Hommes  bleus,  118,  132,  133  ;  — 
sans  têtes,  118,  133  ;  —  à  tètes 
de  chèvres,  132  ;  —  à  une  seule 
main  et  un    seul  pied,  132. 

Honorât  de  Lérins,  saint,  44. 

Hua,  pi.  hùi  =  petit-fils,  préfixe 
patronymique. 

Hiia  Conchobuir,  le  —,  261. 

Hugues  de  Lacy,  181. 

Hùi  n-AilelIa,  :>«  ;  —  Amalgada.  68, 
194,  238,  246,  287,  leurs  assem- 
blées, 2.)9;   —  (Jennselich,  295; 

—  Degaidh,  235  ;  Dorlhini,  270; 

—  Fiarhrach,  253,  301  ;  —  Find, 
248  ;  —  Mailfodmair,  265  ;  — 
Maine,  224,  238.  248,  253,  leur 
émigration,   238,   201,   pays  des 


346 


INDEX   ALPHABÉTIQUE 


—,   ii&  :  —  Néill.  116.  21fi,  224; 

—  Niullaiu,  58. 

Uyakinlhus.  son  cuKe  à  Amycles, 

19,  iO. 
Hymnes  lalins  dos  iv»  et  v«  siècles. 

mètre  des    — .    30  ;  Hymne    de 

Fiacc,  64. 

lago,  7. 

*far  Gonnaught,  332,  333. 
larfine,  :J40  h  244  ;  cf.  Fine. 
Ignace  de  Loyola,  saint,  5. 
Iles  merveilleuses,  79.  96,  182,  196  s. 
Iliade,  324. 

Imbas  forosnai.  procédé  de  divina- 
tion, 128,  277,  298. 
Imbleogan  =  frère  de  lait,  234. 
•Imbliucli  Eqiiorwm,  270. 
Imbulc,  fôte.  93.  107,  108,  121.150. 
*lmgae,  266. 
lnbher=  estuaire. 
'Inbher  Boinne,   96  ;   —  Dee,   57  ; 

—  Scène,  101. 

Incantations,  277,  278,  286  ;  —  mé- 
dicales, 280  ;  prononcées  par  les 
saints  irlandais,  302;  cf,  «  Drui- 
des »,  File. 

Incarnation  et  désincarnation,  158  s  ; 
169  à  172. 

Mndedhnen,  81. 

Indftne,  240  à  244  ;  cf.  Fine. 

Inis  =  lie. 

*Inis  Caoin  Degha,  295  ;  —  Gloth- 
rann,  295. 

Mnishmurray,  295. 

Initiation  en  Irlande,  183  s.  ;  ses 
degrés  chez  les  filid,  287  s.  ;  — 
des  héros  irlandais,  197;  de  Pa- 
trick, 196  s. 

Initiatrice,  déesse,  en  Irlande,  197. 

Initiés  :   héroïsés,  15  ;  —  irlandais, 

183  s.    ;  visitent   l'Autre    Monde, 

184  ;  des  pays  merveilleux,   197. 

Inondation  miraculeuse,  63,  106. 

Institutions  politiques  et  lien  natio- 
nal, 326. 

Interdictions  rituelles,  114,  140, 
142  s.,  332;  —  de  prononcer  un 
nom,  117,  119,  121  ;  violation 
d'une  —,  menant  â  la  dignité  de 
héros,  15,  179. 

Intersignes,  119. 

Intronisation  en   Irlande,  260,282; 


—   des    rois    de    Cinel    Connell, 
186. 

Inus,  21. 

Invasions  :  mythiques  de  l'Irlande, 
94,  97  ;  pays  d'où  viennent  les 
envahisseurs,  103  s.,  cf.  a  Espa- 
gne »  ;  leur  itinéraire,  101  s., 
comparé  à  celui  de  Patrick,  104  ; 
date  des  —,  98,  99,  100.  101  ; 
thème  général  des  mythes  d'  — , 
102  s..  136;  —  Scandinaves,  307. 

*lona,  abbaye  de  —,  30,  304  ; 
tombeau  de  Columcille  à  — .  304. 

Irlandaise,  nationalité,  326  ;  sa  for- 
mation, 305  ss. 

'Irros  Domnand,  164. 

Iserninus,  saint,  32,  54. 

Isocrate,  8,  23. 

Isthmiques,  jeux,  22. 

Ith,  fils  de  Bregon,  101. 

Jean  de  Courcv,  181  ;  —  sans  Terre, 
249. 

Jean,  la  fête  de  saint  —  Baptiste. 
115,  loi. 

Jeanne  d'Arc,  héroïne  nationale, 
325. 

Jérôme,  saint.  314  ;  —  de  Rhodes, 
23. 

•Jérusalem,  78. 

Jésus-Christ,  75,  77. 

Jeune  :  76  ;  précède  chaque  méta- 
morphose de  Tùan  mac  Cairill, 
170  :  —  moyen  de  coercition  ma- 
gique en  Irlande,  194  ;  pratiqué 
par  les  clercs,  194,  302  ;  par  saint 
Patrick,  65,  195. 

Jeunesse  éternelle.  96. 

Jeux  :  des  fêtes  grecques  célébrées 
en  l'honneur  des  héros.  22  :  — 
de  fête  en  Irlande,  109  ;  —  funé- 
raires, 188,  190, 

Joasaph,  ci'.  «  Barlaam  ». 

Jocelin  de  Furness,  sa  Vie  de  saint 
Patrick,  85  s. 

•Josaphat.  vallée  de  — ,  106. 

Joseph  :  Patrick  assimilé  à  — . 
vendu  par  ses  frères.  77  ;  — 
évêque  d'Armagh,  82. 

Josué,  miracle  de  — ,  dans  la  lé- 
gende de  saint  Patrick,  77,  151. 

Juges  irlandais  inspirés  par  le 
Saint-Esprit,  222. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


347 


Jugement  Dernier,  76,   105  s.,  183, 

189  ;   Patrick  juge  des   Irlandais 

au  —,  ltf3.  o08. 
Julien    d'Eclanum  déclaration 

de  foi,  42. 
Juifs,  natiun  fondée  s      la  religion, 

M6. 
Jus  primse  noctis  en  Irlande,  237. 

•Relis,  ii6  ;  concile  de  —,  307. 

Keramos,  patron  des  potiers,  o. 

Keraon,  patron  des  cuisiniers.  5. 

•Kildare.  300,  301,  303,  cf.  «  Bri- 
git  »  ;  fite  de  — ,  cf.  «  Oenach 
Life  »  ;  légende  de  saint  Patrick 
localisée  dans  les  parages  de  — , 
67.  68. 

'Killala,  évèché  de  — ,  patrimoine 
des  liai  Maiifodmair,  265. 

•Kilialoe,  216. 

'Kiliarney,  177. 

•Rillgiass,  lac  de  —,  58. 

•Kiilosy.  32. 

Kilmurchun,  67. 

Kôrner,  héros  national,  326. 

Koré.  13. 

Koroïbos,  son  tombeau,  20. 

Koeciuszko,  héros  national,  326 

Labraidh  Loingsech,  roi  d'Irlande, 
167,  280. 

Lac  :  de  Jouvence,  174  ;  saints  pa- 
trons des  — ,  226  s.  ;  —  de  Kill- 
glass,  58. 

Laech  aicme  =  races  héroïques,  les 
trois  —  d'Irlande,  164. 

Laeg,  cocher  de  Cùchulainn,  146. 
233. 

•Laithrech  Briiiin,  295. 

Lamnas,  fête.  107  ;  cf.  Lugnasad. 

Langue,  lien  national,  326. 

Laurent,  saint  ;  ses  reliques  en 
Irlande.  33. 

Leaba  =  lit. 

•Leaba  Mologa,  226. 

Leacht,  pi.  leachta  =  monument  fu- 
néraire en  pierres. 

•Leacht  Bcnain,  228  ;  Leachta  Pha- 
druig.  228. 

Lear,  le  rui  — ,  7. 

Lebar  =  livre. 

Lebar  Brecc  :  compilé  par  les  Mac 
Egan,    301  ;    Homélie    du 


— ,80.141.144,  146.  193. 
228;  annotations  au  Féiire 
Oengusso,  87. 
Lebar  Brecc  :  na  Gabala,  cf.  «  Textes 
irlandais  ». 

—  na    hUidhre,  87,   132,     164, 

165,  166.  300. 
*LecaIe,  o4.  57,  i)8. 
•Lecan,  2'J7,  301  ;  Livre  de  —,   cf. 

Livre. 
Légende,  cf.  «  Hagiographique   », 

«  Héroïque  »;  —  explicatives  des 

propriétés  des   choses,  64  ;    de 

proverbes,  73. 
•Leinster.  29,   53,   109,  116,  124, 

127   ;    assemblées   du    — ,    Hl , 

126,  166  ;  sépulture  des  rois  de 
—,  166  ;  cycle  épique  de  —,  93. 
116,  286  ;  saints  patrons  du  140, 
224  ;  saint  Patrick  dans  le  —, 
58,  68,  29o. 

*Lei.\  :  hommes  du  —,  préposés  à 
la  garde  des  joyaux  des  femmes 
qui  prennent  part  à  la  course  de 
Carman,  126. 

Léon  le  Grand,  pape.  46. 

Léonard  de  Vinci,  o. 

Léonidas,  son  culte,  22,  25. 

Lépreux,  127. 

•Lérins.  43  s.,  44,  46,  47,  72,  96. 

Lesru,  194. 

Liachtreolr  =  lecteur,  299. 

Liber  Angueli,  83,  305;  Libri  Hym- 
norwm  irlandais,  30,  87,  203.  301. 

Libération  thème  de  la  —  dans 
les  mythes  irlandais,  95,  105  s.  ; 

—  de  Patrick,  1U6. 
•Limcrick,  188;  plaine  de  —,  216. 
Lincoln,  héros  national,  326. 

Lir,  132. 

Littérature  ecclésiastique  et  littéra- 
ture laïque  dans  le  monde  gréco- 
romain.  320. 

Livingstone,  6. 

Livre  d'Armagh.  33,  67.  70,  82  ss., 
146  ;  —  de  nalhjmolc,  112,  281  ; 

—  de  Fenarjh,  225;  —  de  Fermoy, 

127,  134;  —  de  Leinster,  110, 
122,  132.  135.  210,  248  ;  — 
de  Lisinore  :  Vies  des  saints 
du  — .  225,  303.  304  ;  Vie  de 
saint  Patrick   du   même   ms.  85  ; 

—  jaune    de   Lecan,    116,   127, 


348 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


compilé  par  Mac  Firbis.  301  ;  — 
de  rOUamh,  277.  Cf.  Lebar,  Li- 
ber. 

Livre  sacré,  palladium  d'une  armée, 
225. 

Loarn.  roi  d"Écosse,  père  d'Erca. 
133. 

Loch  =  lac,  cf.  Loucjh. 

"Loch  Gilh\  168  :  cf.  «  'Oenach  »; 

—  Ribh,  295. 

Loegaire  mac  Crimthainn,  157;  — 
mac  Noill,  roi  d'Irlande  :  son 
conflit  avec  Patrick,  140, 143  ss., 
145  ;  légende  de  sa  conversion, 
69  ;  demeure  païen,  51,  52  ;  com- 
paré à  Nabuchodonosor,  76;  sa 
descendance  écartée  du  trône, 
60  ;  ordonne  la  compilation  du 
Senchus  Mùr,  281  ;  sa  mort,  179; 
enterré  debout,  18'J  ;  champion 
des  Hùi  Néill,  i'î6,  217,  218. 

Lomnan,  saint,  53,  266,  267  ;  pa- 
rent de  saint  Patrick,  270. 

Lorica  Palricii,  hymne  dit  — ,  39, 
87. 

Lolhor,  Gis  d'Eocho  Fedhlech,  167. 

•Lough  Bofin,  58  ;  —  Corrib,  213  ; 

—  Derg  du  Shannon.  213  ;  — 
Erne  Lower,  168  :  —  Neagh, 
52;  Strangford  — ,  52. 

*Loughadrine,  213. 

"Loughcrew,  168. 

Loup  de  Troyes,  saint,  45,  46. 

"Luachra  Degadh,  108  ;  cf.  «  Temair 
Luachra  ». 

Luain,  278. 

Lug,  lui,  103,  131,  133,  135,  138, 
226,  262,  274,  285;  mac  Ethlend, 
138;  et  Lugnasad,  130;  son  ma- 
riage, 130  ;  fondateur  de  la  fête 
de  Tailtiu,  125  ;  inventeur  des 
jeux,  130  ;  enterré  à  Brugh,  166; 
s'incarne  en  Cùchulainn,  171, 
172.  —  Laebach,  druide,  278. 

Lugaidh,  125,  cf.  o  Lug  »  ;  —  mac 
Con,  254,  255;  —  Riabderg,  110, 
167,  255. 

*Lug-mag,  130. 

Lugjiasad,  fête,  107  s.,  109,  110,  111, 
123,  124,  153  ;  mythes,  124,  125, 
130  s.;  rites,  115,  126,  130;  re- 
présentations, 131  ;  fête  de  Lug, 
130  ;  assimilée  à  Pâques,  141. 


*Lugu-dunum,  'Lugu-uallum,  130. 
Lupait,    sœur  de  Patrick,  147  ;  —, 
porc  de  la  Saint-Martin,  ibid. 

Mac  =  fils  ;  —  fuirmid,  grade  des 
filkl,  287. 

Mac  Carthy  Môr,  261  ;  les  —  Crunn- 
luachra,  248  ;  —  Cuill,  roi  des 
Tùalha  Dé  Danann,  201  ;  —  dâ 
creta,  saint,  cf.  «  Finnacha  »  ;  — 
Dara,  saint,  332;  les  —  Eachach, 
235  ;  —  Egan,  301  ;  —  Firbis 
(Duald),  203,  les  —  Firbis,  284, 
287,  297,  301,  cf.  «  Clann  Firbi- 
sigh  »  ;  les  —  Fhlandchaidli,  248; 
les  —  Gilla  Patrick.  269  :  les  — 
Mahon  ou  —  Mathgamain,  333  ; 
les  —  Nechla,  219,  '220  ;  les  — 
Néil,2i6,  cf.  a  Hûi  Néill». 

Maccuil  Maccu  Grege.  199,  200; 
poème  irlandais  sur  lui,  70. 

Mâcha,  125,  130,  132.  161,  162,  227, 
262,  263  ;  —  Mongruad,  femme  de 
Némed,  125  ;  doublet  de  la  pre- 
mière, 161  s. ;  —  déesse  des  car- 
nages, 132. 

Machaon,  5. 

Machthene,  67,  cf.  «  Cogitosus  ». 

Macpherson,  283. 

Maedog  de  Ferns,  saint,  269. 

Mael  Duin,  273  ;  son  voyage  mer- 
veilleu.x,  174,  182,  200, '202,  274  ; 

—  Poil,  évêque,  81. 
Maelmuire,  165,  300. 
Mag  =^  plaine. 

*Mag  Ai,  58;  bataille  de  —  Ailbhe, 
116  :  —  cet  ne,  99;  —  Domnon, 
58;  —  Fea,  116;  —  Mell,  173, 
175,  185,  voyages  en  —,  182  s., 
200  s.,  202,    fontaine  de  —,  227; 

—  môr,  131;  —  Mnirthemne,  135, 
massacre  de  —,  137  s.  ;  —  Rein, 
295;  —  Slecht,  58,  112,  148,  212, 
228  ;  bataille  de  —  Tured,  100, 
103,  131,  138,  156,  situation,  210, 

"Maghera  en  Down,  célébration  de 

Bcltaine  et  de  la  Saint-Jean,  115; 

de  la  fête  de  saint  Patrick  à  —, 

150. 
Magie,    pratiquée   par    les    saints 

irlandais,  302. 
Magistrats,  culte  des  —,  8,  15,  16, 

324. 


INDEX   ALPHABETIQUE 


349 


Mai.  Jour  (k\  107,  115. 

'Mainalos,  24. 

Mainchin,  siiiiit,  295. 

Maine  Mor,  2.18,  iûi. 

Maison  incendiée,  mort  rituelle  dans 

une  — .  119,  14i,  147  s. 
•Maistiu,  217. 
Malédiction    de  chefs  par  Patrick, 

59  ;  de  choses,  64  ;  rites  observés 

pendant  la  — ,  3u2. 
Maléfices.  124,  143. 
•Man,  Ile  de  —,  201,  289. 
Mana,  10;  conquête  du  —   par   le 

héros,  10,  17. 
Manannan  mac  Lir,  132,  157,  175, 

201;  son  incarnation  en  Mongan, 

171  :  dieu  psychopompe,  182, 184, 

200. 
ManghoM,  saint.  201. 
*Manister    prés    Cromm,    167,   cf. 

n  Oenach  Clochair  ». 
MivTî'.s  gaulois,  277. 
.Mantinée,  24. 

'Marathon,  culte  des  guerriers  tom- 
bés à  —,  25. 
Marban,  saint,  296. 
'Mare  Terrenum,  44,  cf.  «  *Tyrrhé- 

niennt;  ». 
Mariage   annuel    en    Irlande,    109, 

130  ;  —  d'un  héros  avec  une  fée, 

117  s  ,  121,  122  ;  de  Mai,  11b,  liM  ; 

de  Lug,  130. 
Marianus  Scolus,  saint,  51. 
Marie    :    mention   de    —  dans   les 

svmboles,    42  ;    Brigit   assimilée 

à"—,  77. 
Marseillais,    communauté    des  — , 

44. 
'Marseille,  44. 
Martin  de  Tours,  saint,  322;  sa  Vie 

par  Sulpice  Sévère,  31o,  317  ;  son 

culte  en  Gaule,  327,  à  Tours,  328  ; 

sa  fête,    33,   146  ;   sa  conne.tion 

avec  saint  l'atrick,  78,  80. 
Marlifrolor/e   de    Donegal,    31,    86, 

200,   295,   304  :  —  de  Luxeuil, 

d'Oengus    et    de   Maelmuire    hua 

Gormàin,  86. 
Martyr,  4,  .o,  8  ;  témoin,  6  s.,  323  ; 

champion,  323  :  triomphateur,  17; 

culte    des  — ,    14;    —  héros    de 

secte,    323  ;    —   dévoré    par    les 

insectes,  314. 


Massacres  mythiques,  99,  118,  133, 

137,  148. 
Matrimoniales,  règles,  2o5,  256. 
Matlon,  patron   des  boulangers,  5. 
Maxime  de  Riuz,  44. 
May  Day,  cf.  «  Mai  ». 
'Mealh,  52;  assemblées  du  — ,  110, 

164  :  localisation  de  la  légende  de 

saint  Patrick  en  — ,  52,  68. 
Medb.  fille  d'Eocho  Fedhlnch,  reine 

de  Connaughl,  157,  168,  232. 
Médecine,    traités  irlandais  de  — , 

280. 
Médecins  irlandais,  279  ;  héros  — , 

m. 

•Mégare,  19,  21. 

Mélanippe,  23. 

Mélicerte,  22. 

Menas  l'Kgyptien,  saint,  63. 

Menhir,  cf.  «  Pierre  levée  ». 

Monippe,  10,  23. 

*Mer  Tyrrhénienne,  cf.  «  Tyrrhé- 
nienne  »;  —  de  l'Ouest,  129. 

Mères,  déesses  — ,  124,  12o,  262. 

Merlin  l'Enchanteur,  123. 

Mesc,  125. 

'Messène,  24. 

Messianisme  dans  la  légende  de 
saint  Patrick,  75  s.,  95. 

Miach,  fils  de  Diancecht,  210,  .222. 

Michel,  saint,  76;  héros  national, 
325  ;  sa  fôte,  33. 

Midbolh  =  roturier,  237. 

Mide,  115. 

'Mide,  266.  cf.  «  'Meath  ». 

'Midée  en  Argolide,  24. 

Mider,  1^8  .^.,  275,  287. 

.Miichu,  son  suicide,  60,  147. 

Mile,  fils  de  Bile,  101  s.  :  les  fils 
de  —,  loi  s.,  104,  201,  213, 
280,  opposés  aux  Tùatha  Dé 
Danann,  134. 

Miltiade,  son  culte,  22. 

Miracles,  50  ss.,  63  s.,  79,  cf.  «Jésus- 
Christ  »,  «  Josué  »  ;  absence  de 
—  dans  les  écrits  de  Patrick, 
36  s. 

Mochoa,  146. 

Mogh  =  serviteur. 

'Moenmagh,  1.35,  136. 

Mogh  Néit,  187  ;  —  Nuadat,  258, 
276:  —  Ruith,273. 

Moines,  champions  du  Royaume  de 


350 


INDEX   ALPHABÉTIQUE 


Dieu,  323  s.;  héros  chrétiens,  15, 
323  ;  —  en  Irlande  :  tenanciers, 
2Go  ;  serfs,  266. 

Moïse,  Patrick  assimile  à  —,  "6,  81. 

Molaise,  saint,  171,  194,  268. 

Moling,  saint,  196,  2(3'.);  son  ermi- 
tage, :^26;  sa  fête,  108;  poèmes 
attribués  à—,  301.  Dirfh  and  Life 
of  saint  Moling,  cité,  196. 

Mologa,  saint,  avatar  de  Lug,  226. 

Monachisme  gaulois,  4i;  irlandais, 
50,  cf.  «  Moines.  » 

"Monasteiboice,  298. 

Monesan  la  Saxonne,  60. 

Mongan,  278,  282,  302,  303: 
incarnation  de  Manannan  mac 
Lir,  171. 

Mongfind,  161,  263,  cf.  Samhain. 

Monnine,  sainte,  195. 

Monoa,  mère  de  saint  Molaise,  268. 

Monstre  gardien  d'une  fontaine, 
197  ;  monstres  combattus  par  les 
héros  irlandais,  197  :  —  lacustres 
vaincus  par  saint  Patrick,  228. 

•Mont  Aigle,  58,  65,  92,  146,  140, 
192-195  ;  —  Hermon,  80  ;  —  Man- 
gerton,  177  ;  —  Miss  en  Antrim, 
57  ;  —  Miss  en  Munster,  101  ;  — 
Sinal,  104. 

Môr-tùaih  =  grande  iûath,  252, 
233. 

Morann,  juge  de l'Autre-Monde,  2C9  ; 
son  collier,  ibid. 

Morhûlt  d'Irlande,  137. 

Morrigu,  132. 

Mort  physique  et  mort  rituelle,  14  s., 
181,  184  ;  —  sacrificielle,  119, 120, 
127  ss.  ;  héroïque,  25  s.,  179  s.  ; 
collective,  133,  145,  148  ;  des 
acteurs  mythiques  des  fêtes  irlan- 
daises, 119,  121  s.,  124  s.,  127  ss.  ; 
—  et  résurrection,  127 ss.,  120 ss.; 
et  renaissance,  125,  130,  169  s.  ; 
représentation  de  la  mort  en 
Irlande,  169  ss.,  175  s.  ;  —  de 
saint  Patrick,  63. 

Morts  :  cf.  «  Héros  »;  —  pour  la 
patrie,  héroïsés  à  Athènes,  25  ;  en 
Irlande  :  le  pays  des  morts,  157; 
—  confondus  avec  les  génies, 
157  s.,  176,  191  ;  —  anonymes, 
176  ;  —  nommés,  177  s.,  178,  189 
S.  ;  leurs  monuments,   177  ;    de- 


meurent actifs,  217;  protagonistes 
du  drame  festival,  101  ;  héros, 
217. 

Mouton,  offrande  d'un  —  en  au- 
tomne, 113. 

Mu  Genoc,  saint,  270. 

Miigain,  fille  d'Eocho  Fedhlech, 
167. 

Muiine  =  mère  adoptive,  257. 

"Muir  Torann,  103,  cf.  «  Tyrrhé- 
nienne  »  ;  —  Torinaig,  103. 

Muircertach  mac  Erca,  114,  132, 
133,  258,  302  ;  histoire  de  sa  mort, 
116  à  122. 

Muirchu  Maccu  Machténi,  67  s.  ;  sa 
Vie  de  saint  Patrick,  68  s.,  com- 
parée à  la  Vie  par  Tlrcchân,  69  ; 
sa  connaissance  des  sources,  79  ; 
légende  des  voyages  de  saint 
Patrick  dans  — ,  79;  sa  version 
des  incidents  de  Tara,  140  à  144. 
Cité:  185,  189.  199,  201,  203. 
204,227,  274,  294,  295. 

'Muiresc  Aigli,  146. 

'Muirthemme,  cf.  «  *Mag  Muir- 
themne  », 

•MuUaghshee,  213. 

Munis,  saint,  270. 

'Munster,  134  ;   assemblées  du  — , 

166  s.  ;  sépultures  royales  de  — , 

167  ;  dynasties,  255  s.,  268  ;  saints 
patrons  du  —,  224,  220.  Le  — 
dans  l'itinéraire  légendaire  de 
Patrick,  58. 

Muresc,  fille  d'Eocho  Fedhlech, 
167. 

Murgen,  un  file,  178. 

Musiciens,  280;  cf.  «  Harpe  ». 

Musique  provoquant  un  sommeil 
magique,  285. 

Musolino,  6. 

•Mycènes,  19,  24. 

Mygdon,  son  tombeau,  20. 

Mythologie  irlandaise  :  trame  chro- 
nologique, 92  s.  ;  représentation 
du  cycle  de  l'année,  138  ;  cf. 
«  Année  »,  «  Invasions  »,  «  Fêtes  ». 

Nabuchodonosor  :  le  roi  Loegaire 
comparé  à  — ,  76. 

Namnètes,  prétresses  des  —  arra- 
chant le  toit  de  leur  sanctuaire, 

127. 


INDEX    ALPHABETIQUE 


351 


Nar.  fllsd'Eocho  Fedhlech.  167. 

Nations,  formai  ion  dos,  3iti. 

Naufragés,  réduits  en  esclavage  en 
Irlande.  181. 

Naiilochos.  10. 

Navigateurs  partis  sans  rame  ni 
gouvernail  en  Irlande  :  voués  à 
la  mort,  182;  guidés  par  un  dieu, 
18i;  visitant  Map  .Mell,  18i;  et 
des  lies  merveilleuses,  iOl  s.  ; 
Héros  navigateurs,  182,  :200;  clercs 

—  199  8.,  deviennent  des  saints, 
iuO. 

Navigation  errante  en  Irlande  :  rite 
pénal,  181,  199;  expiation,  200; 
conséquence  d'un  vœu,  199,  200; 

—  de  saint  Patrick,  198,  20-'; 
cf.  «  Bran  mac  Febail  »,  «  Mael- 
Duin  »,  «  Manannan  )>,  <>  Patrick  h, 
«  Tagd  fils  de  Cian  ». 

Néde.  le  file,  278,  279.  289,  290, 
291. 

Neige  changée  en  lait,  79. 

Nemed,  98  s.;  les  fils  de  —,  99, 
103,  112,  157. 

Néméens,  jeux  — ,  22. 

*Nenagh,  167  ;  cf.  «  "OenachUrmu- 
mhan  ». 

Ncnnius  :  Ilisloria  Britonum,  attri- 
buée à  —,  38,  54,  85,  97,  123, 
214. 

Ness,  mère  du  roi  Concliobar,  170. 

'iNewgrange,  cf.  «  *Brugh  na 
Boinne  ». 

Niall  aux  Neuf  Otages,  189. 

?<icée,  Symbole  de  — ,  41. 

Sinine,  Prière  de  —,  87,  229,  300. 

Noblesse  en  Irlande,  cf.  Flàilh. 

Noël,  113. 

Nom  :  et  âme,  178;  inscrit  sur  la 
tombe,  177;  —  d'une  fée,  inter- 
diction de  le  prononcer,  117,  119, 
121.  Noms  genlilices  en  Irlande, 
234  s.  ;  patronymiques  des  clans, 
23o  ;  dérivés  des  noms  des  rois, 
238. 

Nombres  conventionnels  :  dans  la 
mythologie  et  répo|)ée  irlandaise, 
92  s.,  121  ;  dans  la  légende  de 
saint  Patrick,  72,  76,  90  s.  Cf. 
«  Année  ». 

Nourriciers,  parents  — ,  en  Irlande, 
2b7,  cf.  Aile,  Muime  ;  choisis  dans 


la  famille  delà  mère,  258  ;  culte 
des  —,  262  s. 

Nouvel  An,  113. 

Noyé  :  héros  —  dans  un  bassin, 
117,  119;  noyés  héroïsés,  180, 
il3,  216. 

Nuada  Derg,  fils  de  Dairine,  258. 

Nuca,  druide,  273,  274. 

Nuit,  Alfred  :  sa  théorie  des  fêtes 
irlandaises,  138  ;  son  élude  sur 
la  conception  miraculeuse  en 
Irlande,  171  ;  la  représentation 
irlandaise  de  la  mort  suivant  —, 
176. 

O'Brien,  261  ;  les  —,  216,  269,  286. 

OByrne,  les  —,  269. 

O'Cavanagh  Mac  Murrogh,  les  —, 
269. 

•Ocha,  bataille  d— ,  116. 

Ochall  Ochne,  170. 

O'Gorra,  les  fils  d'— ,  273. 

Oc  Trial,  Oc  Triallach,  210. 

O'Davoren,  Glossaire  d' — ,  113,  147, 
278,  287. 

Odiàsus,  prêtre,  aïeul  de  saint  Pa- 
trick, 47. 

ODonnell  :  le  livre  sacré,  palladium 
des  —,  225. 

Odrân,  saint,  cocher  de  saint  Pa- 
trick, 146, 20o  ;  le  druide  —,  146. 

Odyssée,  324. 

Ce,  fils  d'Ollamh  :  son  tombeau, 
166. 

Œdipe,  26. 

Oenach  =  assemblée  périodique, 
par  extension  :  lieu  de  réunion 
de  l'assemblée,  164;  cf.  «  Assem- 
blées »,  «  Fêtes  »,  «  Cimetières  ».  — 
n-guba  =  assemblée  funéraire, 
124,191. 

•Oenach  Ailbhe,  166;  —  Glochair 
ou  —  Culi.  167;  —  Colmain,  126; 
Cruachna,  cf.  «  'Cruachan  »  ;  — 
Drilhlenn,  168  ;  —  Feci,  165;  — 
Life,  166,  cf.  —  Colmain  ;  —  Locha 
Gille,  168;  —  Mâcha,  139;  — 
Maighe  Adhair,  174:  —  Reil, 
174.  211  ;  —  Tailten,  140  ;  —  tête 
ou  —  Urmumhan.  167. 

Oengus,  cf.  Félire,  Martyrologe. 

OKnomaos,  22. 

Offrandes,    112,   113,   146;    brûlées 


352 


INDEX    ALPHABETIQUE 


dans  le  feu  de  Samhain,  Iti  ;  — 

aux  tombeaux,  208. 
O'Flaherty,  199. 
Ogham,  caraclôres  irlandais  incisés, 

168,  177,  180,  281,  :287. 
Ogma  :  son  tombeau,  166. 
Oimelc  =  ImbuLc,  107. 
"Oing,  rivière,  64. 
•Oirbsen,    lac,    tiZ  :  cf.    «    "Lough 

Corrib  ». 
Oiseaux  des  sidh,  13o  ;  —  diaboli- 
ques, loO  ;  âmes  sous  forme  d' — , 

150,  193. 
Oissin,  283,  284,  285. 
O'Kenshelagh,  les  — ,  :269. 
Olaf,  saint,  patron   de  la  Norvège, 

327. 
Ollaire,  grade  des  filid,  287. 
Ollamh,   grade  suprême  des  filid, 

279,    288,    289,   290  ;    ard-ollamh, 

291  ;    prérogatives    de    1'—,    292, 

297,  299. 
Ollamh  Fodhla  :  son  tombeau,  165. 
*01ympie,  19. 
Olympiens,  dieux  — ,    le  rituel  de 

leur   culte   différent  de    celui  du 

culte  héroïque,  14. 
Olympiques,  jeux,  19. 
O'Rloore,  les  -  ,  269. 
Onésile,  21. 
Oracle  de  Delphes  :  intervention  de 

r  — ,  dans  l'institution  des  cultes 

héroïques,  9,  23,  24. 
*Orcades,  lies  —,  199. 
*Orchomène,  22. 
Ordalie,  59,  144,  179,209. 
Oreste,  translation  de  ses  reliques, 

24 
Oronte,    héros,    invention    de    ses 

reliques,  24. 
Orphée  ;  héros    d'une  secte,   4,   o, 

15  ;  mort  de  1'—  Thrace,  27. 
Osraighi,  les  —,  253,  269. 
Ossian.  283. 
Otello,  7. 

O'Toole,  les  —,  269. 
Ouest,   direction  dans   laquelle    se 

trouve  le  pays  des  dieux  et  des 

morts,  103. 
Ours  :  hypothèses  sur  1'  —,  totem 

en   Irlande,   333  ;  —   de    Berne, 

ibid. 
Oxylos,  20. 


Paddij,  diminutif  de  «  Patrick  », 
32 

Palladius,  29.  37  ss.,  72  :  et  Patrick, 
39  ;  et  saint  Germain  l'Auxerrois, 
45; ordonné évêqueparCélestin  I", 
39  ;  sa  mission,  38,  son  échec,  38. 

Paolo,  7. 

Paparo,  le  cardinal,  légat  en  Irlande, 
307. 

Palraic  =  Patrick,  32. 

Pâques  :  supputation  de  — ,  par- 
ticulière à  l'Église  d'Irlande,  50, 
63,  306,  307  ;  importance  de 
— ,  dans  la  légende  de  saint 
Patrick,  91,  92,  93,  149  s.  ;  — 
et  Samhain,  équivalence  dans  la 
légende  de  saint  Patrick,  141  ;  la 
semaine  de  — ,  passée  par  Patrick 
à  Tara,  141    ss.  ;  feu  de  —,   141. 

Paradis:  terrestre,  104;  voyage  au 
202  ;  cf.  «  Elysée  »,  «  Mag  Mell  ». 

Parenté  en  Irlande  :  groupes  de 
— ,  cf.  Fine  Tùath  ; —  agnatique, 
239,  degrés  de  la  —,  239  s.  ;  — 
utérine,  251,  254  s.  ;  élective, 
251,  237  s.  ;  —  principe  de  l'orga- 
nisation ecclésiastique  en  Irlande, 
264  s.  ;  —  et  formes  du  culte, 
259  ss.,  262  s..  267. 

Paris,  7. 

Parjure,  131. 

Parricide  mythique  :  97,101,  103. 

Partholon,  97,  98,  103,  170,  213. 

Pascal,  cycle,  50  ;  —  trame  chrono- 
logique de  la  légende  de  saint 
Patrick,  91  s. 

Pasteur,  o. 

Patrick  :  existence,  29  ss.  ;  nom, 
31  s.,  39  ;  ses  écrits,  33  ss.,  cf. 
Confesssion ,  Épitre,  Dicta  ;  son 
origine,  39,  46,  47;  sa  captivité, 
48  ;  sa  préparation,  43  ss.  ;  —  à 
Lérins,  43  s.  ;  à  Auxerre,  45  s.  ; 
n'est  pas  allé  à  Rome,  31,  39  s.  ; 
sa  déclaration  de  foi,  40  s.,  46  ; 
son  orthodoxie,  42,  46;  ses  vertus, 
35,  48;  son  caractère,  47  s.;  ses 
visions,  36,  48.  Ordination  épis- 
copale  de  — ,  34,  35,  44  ;  mission 
de  — ,  49  ss.  ;  —  et  Palladius, 
37  s.  ;  sa  politique,  51  ;  son  alliance 
avec  les  filid,  51,  293  s.  ;  —  orga- 
nisation de  l'Église  d'Irlande,  50, 


INDEX    ALPHABETIQUE 


353 


53  s.  :  ses  ennemis,  3o  ;  —  et  Coro- 

ticus,  o4  ;  sa  mort,  J4. 
Patrick,  Vies  de  —  :  34,  65  ss  ,  cf. 
«  Muirchu  w,  «  Tlrechàn  », 
Fiacr  ;  los  Vies  du  recueil 
de  Colgan  :  Vitu  ii»,  84;  m», 
81,  85;  IV».  84  ;  v«,  81,  cf. 
0  Probus  >)  ;  vi»,  83  s.  ;  vu'», 
81,  cf.  Vie  Triparlite.  Les 
actes  antérieurs  à  Muirchu  et 
Tirechan,  70  :  les  plus  an- 
ciennes riesconntios.  66  ss.  : 
sources  des  iiagiograpiies, 
71  ss.  ;  leur  méthode,  li  ss., 
70  ;  leur  travail  d'amplifica- 
tion, 78  ss.;  les  Vies  types, 
81  s.,  leurs  sources,  82  s.  : 
textes  isolés  et  fragmen- 
taires, 82  s.,  87  s.  ;  ia  Vie 
Triparlite.  81:  s.  Vies  posté- 
rieures à  la  IVe  r»'ipa/7i/e,  85. 

—  légende  :  localisation  57  s.. 
1311  s.  :  trame  chronolo- 
gique, 00  s.  :  caractère 
mythique,  oi,  140  ss.  :  élé- 
ments épiques,  74  ;  thèmes 
de  contes  pieux,  60  s  .  de 
conles  populaires,  62  s.. 
cf.  (I  Thèmes  a.  Généalogie 
de  — ,  78  ;  légendes  d'en- 
fance, 7'J  ;  captivité,  100: 
libération.  106  ;  voyages, 
80.  '.&:  Patrick  à  Tara,  91, 
96,  liO  s.,  141  s.,  144  ss.  ; 
à  Tailtiu,  91.  141  ;  sur  le 
Mont  Aigle,  loO,  1"J2  à  lO.ï  ; 
à  Uisnech,  141  ;  les  luttes 
contre  les  dénions,  59,  104, 
105,  l'Jo,  196  ;  contre  les 
druides,  58  s..  90,  104  s., 
lOfi.  142.  14i;  conflits  avtc 
le  roi  et  les  chefs,  59.  14.^, 
148  s.  ;  altentals  contre  la 
vie  de  —,  60,  145;  —  chns- 
sant  les  reptiles,  59,  105. 
195  :  légende  de  la  donation 
dArrnîigh,  62  ;  légende  de 
la  mort  et  des  funérailles  de 
Patrick,  61  s.,  63.  203  s.  : 
tombeau  de  —,  63.  76.  304. 
—  et  Urigit,  304;  et  Colum- 
cille.  304  ;  et  saint  Martin  de 
Tours.  78. 80,  cf.  «  Miracles  » . 

CZVRXOWSKI. 


Patrick  :  personnage  mythique  :  assi- 
milé aux  héros  bibliques. 
74,  76  s.,  aux  héros  épiques, 
74  ;  acteur  du  drame  festi- 
val, 141  SS-,  149  ;  son  carac- 
tère printanier,  130.  lumi- 
neux, 151  s.  ;  assimilé  aux 
génies  envahisseurs,  94  ss., 
104  ss..  à  un  Tùalha  Dé 
Uanann,  143  ;  ses  substituts 
sacrifiés,  144,  145,  146;  — 
sous  forme  de  cerf,  li9.  — 
attendu,  95  ;  cf.  «  Messia- 
nisme »  ;  libérateur,  105  s.  ; 
fondateur  d'un  Règne  Nou- 
veau, 95,  142,  148  ;  cham- 
pion et  prolecteur.  307,  310; 
juge  des  Irlandais  au  Juge- 
ment Dernier,  3(i8  :  institu- 
tions et  mœurs  placés  sous 
son  patronage,  139  s..  308, 
309  ;  patron  des  filid,  305  ;  ^ 
apôtre  unique  de  l'Irlande, 
305,  patron  suprême.  302ss., 
305  ss.,  309  ;  héros  national, 
308  ss.,  311  ss.  Sa  fètc. 
108,  150  s.,  312. 

—  fréquence  de  ce  nom  en   Ir- 

lande, 32,  308. 

—  Iles  des  trois  — .  197,  202. 
Patricks  Islaiid,  96. 
Patriotisme   irlandais    et    culte    de 

Patrick,  307,  311  s. 

Patrons  en  Irlande,  héros  et  saints: 
genliliccs,  218,  224,  2*9;  des  tïta- 
t/ia  267  :  dynastiques,  209  :  de 
royaumes,  218.  224,  229  ;  des 
choses,  209  ss.,  226  s.,  locaux, 
213  s  ,  225  s.,  territoriaux,  216. 
Saint  Patrick,  patron,  227  ss. 

Paul,  saint  —  et  Pierre,  reli«iues  en 
Irlande,  33  :  saint  —  Aurélien. 
64. 

Paulinus.  81. 

Pélagianisme  en  Bretagne,  45  s., 
46;  symboles  pélagiens,  42. 

Pélopides.  26. 

Pélops  :  tombeau,  19  ;  relique.'?,  24: 
culte,  22. 

Pentecôte,  91,  02. 

Père  :  le  roi  en  Irlande,  père  juri- 
dique de  la  tûalli,  238  ;  —  et  mère 
nourriciers,  obligations,  110,  237; 

23 


354 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


Pères  lies  Murailles  et  des  Fossés 

en  Chine.  »,  10. 
Philios  do  Salamine,  10. 
Philippopolis,  Si/mbole   de   — ,  42. 
l'hocéens     morts     à     Ag\lla,    leur 

culle.  2-2. 
Phœbadius  d'Agen,  sa  déclaratiom 

de  foi,  4i. 
uvXxt  athéniennes,  leur  héros,  7. 
Pietés,  38,  54. 
Pierre,     saint    —,    sa  lutte    contre 

Simon  le  Magicien,  50  ;  cf.  «  Paul  ». 
Pierres  :  sacrées,  210,  211  s..  218  ; 

dédiées au.x  saints, 226:  funéraires, 

177,  212.  21&;  jetées  sur  des  carn, 

2^  ;    d'intronisation,    201,    260  ; 

Pierre  de  Scone,  260,  cf.  Fâl  ;  — 

levées;  177.  2»S,  —  changées  en 

horanies,    118.    132  ;   maudites, 

64  ;  —  chauffe-bains,  64. 
Platon,    7,    vénéré    comme    héros, 

4. 
Plèbe  en  Irlande  :  répartie  entre  les 

clientèles  patronales,  250. 
Plutarque,  iJlS. 
Podalirios,  5. 
Poètes  irlandais,  cf.  File. 
Poison,  60,  79. 
Polémocrate,  5 
Polycrate,     anneau     de     — ,     cf. 

«  Thèmes  ». 
Pommes    de   Mag  Mell,    17^,    175; 

pommier,   173,    cf.    «    Arbre    de 

Vie  ». 
Porcs  :  tués  à  Samhain,  113;  offerts 

aux  fêtes.  il3,  146  ;  sacrifiés,  128  ; 

renaissant  après  leur  mort,  114, 

118;    consacrés    à    Patrick,    140. 

147;  rencontrés  par  miracle,  37. 
Porchers  irlandais,  113. 
Polilus,  grand-père  de  Patrick,  47. 
Prémices,  offrandes  de  — ,  112. 
Préséance  dans  les  banquets  revient 

au  meilleur  champion  en  Irlande, 

221. 
•Prièue,  10. 
Printemps  :  légende  de  saint  Patrick 

une  légende  de  —,  149,  150  ;  fête 

de  saint  Patrick  au  milieu  du  — , 

150. 
«  Prix  de  quinze  hommes  »y  h\,  i93. 
Probus,    Vie  de   saint  Patrick  par 

—,  SI. 


Procédure  irlandaise,  cf.  «  Saisie  », 
«  Jeûne  ». 

Prorope,  saint,  ses  Vies,  318. 

Professionnels  groupes  — ,  leurs 
héros,  8. 

Promet  h ée,  15. 

Prophéties  sur  la  venue  de  Patrick 
en  Irlande,  93. 

Propriété  foncière  en  Irlande  :  col- 
lective, 233,  242  ;  partage  de  la 
— .  entre  familles.  236,  entre  indi- 
vidus, 243  ;  —  des  subdivisions 
de  la  fine.  245  :  —  éminente  de  la 
fine,  243,  252. 

Prosper  dWquitaine,  37. 

Province,  la  —,  en  Irlande,  253. 

Psyché,  63. 

Puissiinces  de  Vie,  cf.  «  Génies  », 
(t  Mort  »,  «  Vie  ». 

Purgatoire  de  samt  Halrick,  192, 
1%. 

Pythagore.  vénéré  comme  héros,  4. 

Pythiqucs.  jeux  —,  22. 

Python.  22. 

Quadriga  =  Patrick,  32. 
Quotirche  =  Patrick,  32. 

Rabelais,  129. 

Rachat  de  Patrick,  106. 

Radegonde,  sainte,  sa  Vie  par  For- 
tunat,  315. 

Rameau  :  du  pays  des  génies,  gage 
de  retour  des  âmes  incarnées,  175  ; 
—  mélodieux,  184  ;  —  des  filid, 
184,  288. 

Rappel  des  âmes,  175. 

Mth  =  rempart  circulaire.  Monu- 
ment funéraire.  168. 

•R.'ith  Caelchon  à  Tara,  214. 

Règne  Nouveau,  75.  95,  142,  148. 

Religion,  —  lien  national,  326. 

Reliques  des  héros  et  des  saints  : 
23  s.  ;  invention  des  —,  9,  10. 
24,  26;  —  triomphent  desennemis, 
218  s.,  224  ss.  ;—  des  saints  irlan- 
dais, 224. 

Réincarnation,  130,  131,  cf.  «  Incar- 
nation M. 

Renoncement  au  monde  :  prépare 
le  rétablissement  du  Moyaume  de 
Dieu,  324. 

Résurrection  :  opérée  par  Patrick, 


INDEX    ALPIlABliTIQUE 


35Î 


62,  77  ;  du  dieu  de  la  fêle,  \i9  ss. 

Révélation  :  des  héros,  10;  «  par  le 
soleil  ou  la  Boyne  »,  287;  par  le 
bruit  des  values,  i/jid. 

Revenants, i;>T,  158. 187, cf. «  Morts». 

Révolution  française:  les  nationa- 
lités après  la  — ,  326. 

•Rhodes,  22. 

Ri  =  roi  ;  ri  aentùailhe,  i49,  cf. 
«  Rois  D. 

Rites  et  mythes,  correspondance, 
136,  139. 

Riviîres  :  maudites  et  bénies  par 
Patrick,  G4  ;  viennenldeMagMell, 
185. 

Ro-sai  —  grand  savant,  titre  scien- 
lifi(pie,  i'J9. 

Robin  Hood.  7. 

•Rock  of  CIvde,  55  :  —  of  Cashel, 
114. 

Rois  :  de  Sparte  iioroïscs,  15.  Irlan- 
dais :  de  la  tunlh,  215.  23i,  £iG, 
2W,  264  ;  hiérarchie  des  —, 
253;  apanage,  2:J6  ;  élection,  110, 
inlrunisalion.  186,  2;)9s.,  destitu- 
ti'ii).232:  roi.  mari  de  toutes  les 
femmes.  2o7  s.,  père  de  la  lûath. 
238,  substitut  de  Jancétre.  iOO  s., 
responsable  de  la  prospérité  maté- 
rielle. 1^3,261,  divinisé,  261,  mou- 
rant au.x  fêtes.  121. 

Roman  populaire,  319,  320  ;  —  édi- 
fiant, 317  s. 

Rome    et   TtgUse  d'Irlande,  3o7  s. 

Roméo  et  Juliette.  0. 

Ronde  des  anges,  113  :  des  génies, 
114 

•Ros  en  Corco-Laidhe,  265  ;  — 
Delà  (Kosdalla).  tombeau  de 
Patrick  a  — .  203. 

Rosa,  308. 

•Roscrea,  33. 

•Rosdalla.  203. 

Ross  Kiiad.  fils   de  Radraige,  284. 

•Rossnaree,  166. 

Roue  de  divination,  2.Ti. 

Royaume  de  Uien,  fonde  par  les 
martyrs,  les  moines  el  les  ascètes, 
15,  75,  32:t,  324. 

Rùad  ro  fhe.ssa,  285. 

Ruadan,  saint,  sa  fête,  lOS. 

*Rûu3  na  Righ  (Rossnaree),  166. 

Rucht,  170. 


Sacart  =  prêtre.  299. 

Sachell,  saint,  80. 

Sacrifice  en  Irlande  :  d'un  roi-dieu, 
121  ;  d'un  fils  de  vierge,  123; 
humain.  122,  144,  190;  animal, 
112  s.,  substitué  pour  —  humain, 
123  ;  victime  du  —,  brûlée  et 
noyée,  119:  brûlée  dans  une  mai- 
son incendiée,  119,  144.  147.  — 
festival,  112  ss  ,  120  s.,  122  s.,  124, 
129  s.,  146  ;  —  agraire,  123  ;  de 
fondation,  123.  214  ;  d'intronisa- 
tion, 186  ;  funéraire.  188,  190  ; 
expiatoire,  123  ;  de  divination 
128. 

Sacrifice  :  mort  des  héros  pareille  h 
un  —,  26. 

Sacrilège,  114,  140,  112. 

Sacrovir,  147. 

Sai-lilre,  savant  en  Ecritures,  299. 

*Saingel,  188. 

Saints  :  culte  des  —,  9,  15,  17,  32; 

—  intercesseurs,  313  ;  cham- 
pions et  prolecteurs,  17, 
223  s., 321  3.,. 324-,  cf.  «Mar- 
tyr ))  ;  —  glorifies,  323.  Re- 
présentation du  saint,  313  ; 
323  ;  catégorie  particulière 
de  héros  27  s.,  321  s.,  incar-'^ 
nent  un  idéal  coirectif,  32*/ à 
324.     —    héros   de   sectes, 

320  ;    —    héros    de    crfé«, 

321  ss.  ;  héros  littéraires. 
317. 

—  irlandais  :  et  culte  des  fêtes, 
140;  naviga'feurs,  200;  leur 
caractère  combatif,  223'  s. 
reliques,  2J4;  parents  des 
lùatha,  267  ;  leurs  généa- 
logies, 268  ;  descendance 
royale,  2G8;  illégitime,  ibid.; 

—  et  filid.  295  s.,  302  a.  ; 
«  les  douze  principaux 
saints  d'Irlande  «,  196  ;  les 
grands  saints  nationaux, 
303,  304,  cf.  «  Bri^çit  »,  «  Co- 
lumcille  »,  «  Patrick  ».  Le 
culte  des  —  reconnu  par 
Rome,  307. 

Saint  fondateur  en  Irlande  :  droit 
rie  sa  famille  à  la  ancceseion  de 
l'abbaye,  2«4. 

Sainteté    :    notion    tbéologique    et 


356 


INDEX    AI.PHABETIQt'E 


morale  de  la  —,  320  :  —  acquise 
par  renoncement  au  momie,  324. 

Saisie  dans  le  droit  irlandais,  i3o. 

Saisons  :  106  s.  ;  rythme  des  — , 
représentation  mythique,  94,  138. 

"Salaminc  :  héros  combattant  à  la 
bataille  de  —,  17. 

Saltair  lia  Rann.  88,  224.  301. 

Sam/iain,  fêle,  03.  94,  'JD.  100, 107  s., 
110  s..  112,  117,  121,  127,  134  à 
136, 153,  161, 162,  167:  cl  Pâques. 
141:  festin  de  — .  113,  114,  118: 
offrandes  à  —,  112:  feu,  114, 
140  :  sacrifice,  113,  121,  122,  129  ; 
mythes,  116  ss.,  120  ss.,  129. 
Héros  mort  à  — ,  117  ss.  Circu- 
lation des  esprits,  134  s. 

Samhuin  =  Samhain,  107. 

Sanction  d'une  infraction  riluelle, 
102,  MO,  114,  119,  121,  140.  179: 
de  l'adultère,  12{:  d'un  parjure, 
toi.  179:  d'un  faux  jugement, 
222. 

Sanglier,  170. 

'Saul  en  f^ecale,  lieu  présumé  de  la 
mort  de  Patrick,  54  :  son  tombeau 
à  — .  304. 

Saumon,  170. 

Schisme  celliquc.  30.  307. 

Screpall,  monnaie,  52. 

Scuilhin,  saint,  doublet  de  Manan- 
nanïniac  Lir,  200. 

*Scyros,  24,  25. 

Seanan,  saint,  de  Laithrech  Briuin, 
295. 

Sebald,  saint,  61. 

Sechnall,  saint,  32  ;  cf.  (<  Secundi- 
nus  ». 

Sectes  :  païennes  rivales  du  chris- 
tianisme, 320.  Héros  des  — ,  b, 
8,  323. 

Secundinus,  saint,  270  ;  son  Hymne, 
30  s.,  31.  32,  87  ;  connu  de  Muir- 
chu,  72. 

Sedna.  saint,  269. 

Segenc,  abbé  de  Jona,  307. 

'Scghais,  bataille  de  — ,  117. 

*Sele,  rivière,  64. 

Sert  =  ancien. 

Sen  Garman,  125  ;  Scn  Patraic  (Sen 
Patrick),  38,  203. 

*Sen-Glochair,  cf.  «  *Oenach  Clo- 
chair  »  ;  —  Mag,  98. 


Senan.  saint,  sa  fontaine,  226. 

Sénat  de  Rome,  inlervcnlion  du  —, 
dans  l'institution  des  cultes  hé- 
roïques, 9. 

Senc/ta,  historien,  2SI. 

Senchan  Torpeist,  283,  288,  289, 
290,  291.  292,  296 

Senchus  Môr  :  tradition  sur  la  col- 
laboration de  Patrick  à  la  compo- 
t^ilion  du  —,  87,  281,  296,  308:  — 
na  lielec.  164. 

Sept  saints  dormants,  légende  des 
—,  314. 

Sépulture  :  dans  un  sidh,  157  s., 
105, 168  ;  héroïque,  cf.  «  Tombeau  »  : 
—  de  Patrick,  193,  203  ;  cf.  o  Funé- 
railles ». 

Serfs  :  236,  237  ;  des  abbayes,  265. 

Serment  :  héros  et  saints  invoqués 
dans  le  — ,  18;  dieux  de  la  tùalh 
invoqués,  232  ;  —  prêté  sur  des 
pierres  sacrées,  210  ;  sur  les  son- 
nettes et  les  bâtons  des  saints 
irlandais,  224. 

Serpents  :  dieux  chthoniens  et  héros 
sous  forme  de  — ,  14. 

Scsrech,  mesure  du  sol,  249. 

Setanta,  nom  propre  de  Cûchulainn, 
331. 

Sévériii  du  Norique,  saint,  327;  sa 
Vie  par  Eugipius,  315,  317. 

Shamrock,  plante  consacrée  à  saint 
Patrick,  150. 

'Shannon,  fleuve,  58,  146. 

Sibylle,  la  —,  4. 

Sicron,  22. 

'Sicyone,  19,  23. 

Sid/i,  demeure  souterraine  des 
génies,  102,  118,  135;  — ouverts 
à  Samhain,  13i  ss.  ;  sépultures 
dans  les  — ,  157  ;  dieux  des  — , 
158,  170,  213  ;  saints  patrons  des 
— .  225  s. 

•Sldh  Oruimm,  114. 

Sigebert  de  Gembloux  :  mention  de 
Paiiadius,  38. 

Siméon  le  Slylite,  saint,  317. 

Simon  le  Magicien,  59. 

Sin,  fée,  concubine  de  .Muircertach 
mac  Lrca,  117  ss.,  132. 

Sinach,  saint,  autre  nom  de  saint 
Mac  Dura,  332. 

*6inai,  cf.  «  Mont  Sinal  ». 


INDEX    ALPHABETIQUE 


3"J7 


Sinis.  22. 

Sirus,  saint,  patron  ilo  Gt'-nop.  3i4. 

"SkeiTies,  lli's.  ^T. 

Slan,  fontaine  —,  210. 

•Slane,  81,  142. 

Slanga,  son    tombeau   :  à  Dinnrfg, 

il4;  an  Siiab  Slanga,  i-'ti. 
•Slébte,  53,  Ô8.  07. 
'Sletty.  cf.  «  Siobtc  ». 
Sliab  =  montagne. 
'Sliab    Domongairt.    -iC>  :   —  Fiiait, 

tiQ  ;  —  Moduirn,  214.  —  Slanga 

(ancien  nom  du  Sliab  Domongairt), 

iit).  Cf.  «  Mont  ». 
*Snam-da-én  (Uadum  duoriim  auiiim) 

58. 
Soglian,  ks  — ,  J4S. 
Solaires,  fêtes,  IjO  s. 
Soleil  :  arrêté,  cf.  «  Josué  ». 
Sommeil  magi(iuo,  280. 
Songe  :  pro|)hotiqiie,  11',',  IsJl  ;  héros 

se  révélant  par  le  moyen  des  — , 

10. 
Sonnette  :  des  saints  irlan<lais.  i±i, 

30-,  cf.  «  Serment  ».  «  Reli(iiit'S  »  ; 

—  de  saint  Patrick,  lu,*,  224. 
Sorbier  de  Science  et  d'Inspiration, 

183  s. 
"Sparte,  culte  héroïque  à  — ,  .">,  l.>, 

Spenser,  sa  description  de  la  céré- 
monie d'intronisation  en  Irlande, 
260. 

Squiru  :  interprétation  des  mythes 
d'invasions,  102  ;  théorie  des 
fêtes  irlandaises,  139. 

Slavuide,  grade  scolaire,  299. 

Slésichure.  iJ. 

Stoïciens  :  mythe  d'Héraclès  inter- 
prété par  les  —  17. 

*Strangford  Lough,  '■'>:i. 

iStrofuis,  couverture  du  mort,  18j, 
189. 

Succession  :  en  ligne  agnatique, 
239;  dévolution  des  biens  entre 
les  branches  de  la  fine,  243;  — 
des  abbayes,  264  ;  —  du  trône 
de  Munster.  2.5o. 

Sui,  savant.  277  ;  —  canoine,  doc- 
teur en  droit  canonique,  299. 

Snib-deochain   =   sous-diacre,   2'J9. 

Suicide  :  de  Milchu,  00,  106,  147  ; 
de  Sacrovir.  147. 


'Suisse,  nationalité  en  —,  326. 

Sulpice  Sévère,  31  o,  317. 

Symboles  de  foi  orientaux  et  occi- 
dentaux comparés  à  la  déclara- 
lion  de  foi  de  Patrick,  41  s. 

Symbolisme  naturel  dans  les  rites, 
144. 

Tadg.  filsde  Cian,  voyage  de — ,182. 

Tailliii,  fille  de  Magmôr,  101,  125, 
130.  131,  202;  tombeau  de— ,  lOii. 

•Tailliu  :  fêle  de  —,  98,  109,  110, 
111,  112,  12;i.  130,  l.il.  140,  153, 
202  ;  courses  de  —,  126,  141,  165  ; 
mythes  de  —,  125.  i:io,  131  ;  ba- 
taille de  —,  102,  104  ;  cimetière, 
164  s.,  167.  Patrick  à  —,  57,  91, 
141,  153. 

Tàin  Bô  Cùalnge  :  découverte  de  la 
— ,  296;  copiée  à  Clonmacnois, 
300  ;  cf.  «  Textes  irlandais  ». 

Tallhybios,  18. 

Taman,  grade  des  filid,  287. 

Tamlaclita,  tombeau  de  morts  d'épi- 
démie, 179. 

Tanaiste  =  héritier  présomptif,  241. 

•Tara  :  102,  142,  143,  1 19,  215, 
217,  268;  fête  de  —,  98,  110  s., 
129,  140,  153;  salle  des  festins  à 
233  ;  cimetière,  16i.  Patrick  à  —, 
57,  58,  68,  91,  96,  104,  140,  144, 
153,  294. 

Tarbfes  =  «  tète  du  taureau  » 
(sacrifice  du  taureau),  128,  129, 
272. 

Tarvos  Trigaranus,  128. 

Taureau  divin,  127  s.,  170;  sacrifice 
du  — ,  128,  cf.  «  Tarbfes  ». 

Taurcrec,  subside  du  suzerain  à 
ses  vassaux,  236. 

Tea.  213. 

•Tech  Laissrenn,  228. 

Teinin  laeqda,  procédé  de  divina- 
tion. 277,  298. 

Tellach  Curnain,  filid  héréditaires 
de  Darlraige,  248. 

•Temair  Luachra,  166,  cf.  «  Lua- 
chra  ». 

Tempête  magique,  102,  216. 

Tenanciers  irlandais  :  catégories, 
236  ;  —  plébéiens,  250  ;  les  —  font 
partie  de  la  fuie  du  flâilh,  251  ; 
de  la  fine  ecclésiasiique,  265. 


358 


INDEX   ALPHABKTIQUE 


TenuFR  en  Irlande  :  libre,  iHd:  fa- 

jnili;il.<.  iZl,  m. 
Téri'i.'.  et  Inus.  :il. 

Territoire,  basi- de  la  nationalité,  3:26. 
'Terryglas.  abbaye  de—,  300. 
*Tethbae,  les  deux  — ,  o7. 
Telhra,  dieu  des  morts,  loG.  160. 

Textes  littéraires  Irlandais 
analysés. 

Acallamh   na    Senorach.    94,    134, 

167.  178,  302. 
Aenach   Carmain,  109,  111,  124. 

126,  liO,  160,  163,  166.  177,  208, 

233,  283. 

—  Tnillen,  125,  126,  165. 
Aided  Conchoôair.  221. 
Aime  Fiiigehi.  284. 

Ainra  ColuimbCille,  283,  296,  302. 
Aventures  de    Tadg.    fils  de  Cian, 

157,  173,  174,  182  s. 
Baile  on  Scail.  201.  260. 
The  Bat/le  ofCrinna,  112,  272. 

—  of  Murj  Ratk,  224.  225. 

Belha  {Viei,  cf.  aux  noms  des  saints. 

—  Bfujhle    du   Livre   de  Lismore, 

304. 

—  Cellaiy,  168. 

—  Ciarain,  '.lo,  194  ;  —  du  Livre  de 

Lismore,  295. 

—  Coluim-Cille  du    Livre  de   Lis- 

more, 268. 

—  Molaisi,  171,  194. 

Birlh   of   Aed/i  Sidine.   110,    111, 
171. 

—  and  Life  of  saint  Molinç),  196. 
Boromn  (le  Tribut).  109.  135. 
Boyish  Exploits  of  Finn.  134. 
Bruiden  Dd  Chocae.  179.  185,  188, 

274,  283. 

Cath    Alm'iine,  108,    126  ss.,   208, 
282  183. 

—  Cairn  Conaill.  195,  302. 

—  Finnlraga.  130,  188. 

—  Maiqlie  Mitcramha.  136. 

—  Maiçjhe  Tured,  100.    101,   125, 

130, 132. 1 86, 210. 262, 274, 
285. 

—  Muiqhe    Léana,   93,    94,    110, 

116,    174    185,    187,  258, 
272.  276,  280. 


Cath  Huis  na  Rig  for  Boinn,  94. 
T/ie  Cause  of  tlie  Hat /le  of  Cnucha, 

122,  215,  262,  276 
Ceniiuck  ii'C  liù<innili>,  129 
Ci)ir  Anmann,  171,  201,218.  272, 

m. 

Colloquy    of   Colum-Cille    and    the 

Youlh  al  Carn  Eorlaig,  303. 
Comperl  Conchobair,  171,  273. 

—  Concidaind,  171.236,262,263, 
284. 

Comtoth   Loegairi   co   cretim,   145, 

17J,  281,  299. 
Cormac  et  les  Blaireau.v,  146. 
Cour  faite  à  Becnma,  \É:i. 
Càcfiulainns  Deal/t,  146.  d-A.  258, 

263,  3;J1  s. 

Death  of  Crimlliann.  161,  168,  180, 
188,  190 

—  of  sonie  Irisli  Heroes.  116.  301. 

—  of  King  Dermot,  109,  110,  119, 

162." 

—  of  Muircertach  mac  Erca,  53. 

113,    116    ss..    120    s-,    132, 
1H;!,  \\^r^,  188.  211.  224,  258, 
273,  302 
Dintisenchas  (les  — ),  112. 

de  Carman,  124,  172,  278. 

d'iiss  Aeda,  2i:;. 

de  Mâcha,  126,  161. 

de  Mide,  115. 

de  Moennuigh.  1^5  s. 

de  Sinann,  183.  184. 

de  Tailtiu.  12.). 

de  Tara,  126.  164,  216,  217. 

de  Tonn  Clidiia.  175,  210. 

de  Tuag  Inbir,  17J,  182. 

—  métriqut'S  : 

d'Achall,  188. 

de  .Mag  Sleiht.  112,  123,  133. 

148,  211    212. 
de  Tailtiu,  112.  140. 
de  Temair,  215. 

Echtra  Condla.  lofi,  Î60,    17?!,  182. 

—  Coi-maic,  17,^,  183,  209. 

—  Nerai.  127,  1%,  208. 

Do  F/illsigud  Tàna  B6  Cùalnge,  1T8, 
278,  2%. 

Fled  Bricrend,  129,  221. 
De  gabail  int  sida,  121,  135. 


INDKX    ALPHABi:TI(jUE 


359 


Gein  liranduib  niaic  Echach.   272. 
Génération  îles  Deux  Porcheis,  114, 

170. 
Goire     Conaill     Chernaif/    i    Criia- 

chain,  H'i. 
Thedreek  Kmperor's  Daiighler,  1Z2. 

Immacallam  in  dà  Thuarad,  279, 
isi.  287,  288.  is».  290. 

Imraiii  lirnin  tmiic  Ff/uiil.  K.T,  172. 
173.  184.  200,201. 

—  cuirecfi     M.iel-Duiii .     174,    iOO, 

273.  274. 

—  cuirech  Slael-Duxn,  version  du 

Livre  Jaune  de   Ltcatt,  235. 
ImUieacItl  na    l'roindhainihe,    194, 
283,  28J,  292. 

Lebar  na  Gabala,  97  ss.,  125,  loû, 

135. 
Longes    mac    ii-Vstiig,    185,    273. 

281 

Mort  d'Oscar  et  de  Coirpre,  283. 

Naissance   et   Rèf/ne  de  Conchobar, 

110,  113,  1(.;.  221,  262. 
Neuvaine  des    L  laies,  93,   1-0.  12.j, 

131.  161.  16i. 

Orgain  Dindrig.  280. 

The  l'ursuil  oflhe  Oilla  Decair,  94. 

Scél  Raili  Binnberlaig,  180,  ill, 
273. 

—  Mticci  Maic-Dalho,  113.  219. 
220.  233. 

Serr/lif/eConchulaind.  93,  104. 110. 

111.  121,  128,  129.  135.  182. 
263,  272 

Storyof  King's  Eocfiaid's  Sons.  168. 

Tàin  fi<>  Cti*iliiqe,  '.K^,  98,  102. 
104.  121.  I-'S.  134.  i:t7  s  ,  143, 
iTi»,  185,  ISii.  188,  l'.i7.  198, 
211,  212.  214.  21  t,  22(1,  2il, 
222.  232.  234.  238,  254, 
258  263.  273.  27o,  279, 
280,   284.  332. 

—  Bo  Hidnis.  165. 
Tallaud  Etiiir,  291. 
Tochmarc  Emire.  98,  112. 

—  Etftine,  158  s.,   171,  190,  275, 

287. 


Tochmarc  Fei'be,  loii,  282. 

—  Luaine,  213,  278. 

Togail  Ihuidtte  Uà  Derga  160,  331,  s. 

—  Trot,  188. 

ïiian  )nac  C/tirill,  Histoire  de — ,97, 

170,275. 
Tucait  indarba  r.a  n-Déisi,  232. 

Voyage  of  Ihe  Sons  of  OC  orra,  872. 
♦Thôbcs,  2.]. 


Thèmes  légendaires. 

Adultère  :  femme  —  exilée,  122. 
Anges  :  veillée  des  — ,  61. 
Angélique,  visite  — ,  61,  loO. 
Aninwi,     guide    et    ami,    63,    2ià, 
227  ;    dompté   par    un  saint, 
79,  cf.    Monstre;   saint    i>oui- 
suivi    par  des  ennemis  leur 
échappanlsous  forme  d'un  — . 
59,  149. 
Arbre  Ueuri,    173;   arbres  poussés 
sur  les  tombes  de  deux  amants 
211. 
Attelage  fantôme,  204;  —  funéraire 

errant,  63,  2t>4. 
Altental  déjoué  par  miracle,  60,  79, 
14a. 

Baptême  suivi  de  mort,  62,  69, 
Bâton  miraculeux. 

Chœur  des  esprits,  113. 

Combat  d'un  saint  contre  des  dé- 
mons, 59,  105,  224,  cf.  Dragon, 
Lutte. 

Course,  1*3  ;  mort  du  vainqueur 
dune  — .  125. 

Criminel  faisant  fondre  des  maux 
sur  le  pays  qui  l'accueille,  122  s. 

Croi.v  érigée  par  erreur  sur  une 
tombe  païenne  demeure  inaper- 
çue d'un  saint,  62. 

Deca;)i/e  vivant,  12'.i;  revenant  avec 
sa  tète  sur  ses  épaules,  129. 

Dimanche  travail  du  — ,  puni,  64. 

Dispute  pour  la  possession  des  re- 
liques, 63. 

Doigts  lumineux,  61,  loi. 

Dragon  combat  contre  un  —,  313. 


;i60 


INDEX    ALPHABKTIQUE 


Eau  changée  en  feu,  79. 
Enchantements,  118,  121. 
Enlèvement  dune  fée,  175. 
Ermite  |)unition   d'une  offense  faite 

à  un  —,  127. 
Étincelles  sortant  de  la  bouche.  61. 

loi. 
Exil,  punition  d'un  crime,  199.  cf. 

adultère. 

Fée,  maltresse  d'un  homme,  117  ss.  ; 
défense  de  prononcer  son  nom, 
117. 

Frère  et  sœur  se  retrouvant  au  mo- 
ment où  Ton  allait  les  marier,  79. 

L'homme  fort,  313. 

Iles  mei-veilleuses,  79,  9G,  18^,  198  s. 
Interdiction    violée    entraînant    la 

mort.  118  s.,  179. 
Intersigne  :  songe  — ,  119. 

Jalousie  :  attentat   contre  la    mère 

d'un  saint  commis  par — ,  79. 
Jeunesse  éternelle,  96. 

Libération,  lOo. 

Lutte  spiriluello,  58  s.,  140  s.,  148. 

Magicien  enlevé   par  les   démons. 

58  s..  104. 
Monstre  gardien  dompté,  197. 
Mort,  dans  une  maison  assiégée  et 

incendiée,  119  ;  —  de  honte,  125; 

—  d'amour,  211. 

Navigation  errante,  182  s.,   196  ss. 
Neige  changée  en  lait,  79. 
Nom,  interdiction  de  le  prononcer, 
cf.  Fée. 

Ordalie,  14  i. 

Paradis  terrestre  :  vovage  au  — , 

96.  202. 
Pluie   :  elle  évite    de    mouiller   le 

saint,  61. 
Polycrate,  anneau  de  — ,  314. 
Pommes  du  pays  des  génies,  173  s. 

Rachat,  106. 

Rameau  du  pays  divin  :  rappel  des 
âmes  par  le  — ,  175. 


Sept  Dormants  les  — ,  313. 

Servitude  du  héros,  77,  10.)  s. 

Simulation  de  la  mort  amène  la 
mort,  63. 

Soleil  arrêté  da7is  sa  course,  61  s.. 
75,  77. 

Songe  prophétique,  cf.  Intersigne. 

Substitution,  79. 

Supplice  par  t.xposition  aux  piqû- 
res des  insectes.  314. 

Vaisseau  errant,  porteur  de  reliques, 
63. 

Ville  engloutie,  201. 

Thémistocle,  17. 

Thésée,  9  ;  invention  de  ses  reli- 
ques, 24  s. 

•Thessalie,  320. 

*Thessalonique,  10 

'Thomond  :  cimetières  et  lieux  de 
fête,  167  ;  dieux  du  —,  216;  loca- 
lisation de  la  légende  de  saint 
Patrick  dans  le  — ,  68. 

Thyeste  tombeau  de  — ,  19. 

Tigernmas,  133.  148,  156,  211. 

27»-  =  terre,  pays. 

*Tir  Amalgaiilh,  58.  cf.  «  Hûi  Amal- 
gada  «  :  Tirconneli,  186.  268,  cf. 
Cinel  Connell  ;  —  innambeo,  173, 
175  ;  —  na  n-og,  —  Tairngiri, 
173. 

Tirechan  66;  date  de  son  écrit  67  s., 
champion  de  la  suprématie  d'Ar- 
magh,  74  :  itinériiire  de  saint  Pa- 
trick chez — ,  57,  58,  141;  légende 
des  voyages  en  germe  chez  — , 
79  s.;  continuateur  de  — ,  83.  Cf. 
«  Muirchu  »,  «  Patrick  ». 

Tirésias,  21. 

Tisamène,  translation  des  reliques 
de  —,  24. 

•Tiachtga.  fête  de  — .  114,  et  cime- 
tière —,  165. 

Tlépolénios,  22. 

Tober  =  fontaine. 

•Tobcreendoney,  étymologie.  228  : 
Tobereevil,  216:  —  Ghrainne, 
212. 

Toit  arraché  annuellement,  127. 

Tombeau,  héroïque,  18  ss..  177  ss.; 
centre  du  culte  14,  21,  259;  situa- 
tion 19,  25,  26,  163,  168,  214,  215, 
218,  259  ;  érection  des  tombeaux, 


INDEX    ALPHABETIQUE 


361 


188.  Respect  dû  aux  —,  204. 
Siilt.slitution  du  tombeau  du  roi 
à  celui  de  l'iincôlre  commun,  -61. 
—  Dont  jaillissent  des  sources, 
ilO,  21i;  des  lacs,  il3.  Tombeau 
commun  des  trois  grands  saints 
d'Irlande,  304. 

'Tomregan,  école  de  — .  2'.»8. 

Tonsure  celtique,  308.  307. 

Tor  =  tour. 

•Ter  Inis,  99.  10.%  IjT. 

Torbach,  abbé  d'Armagli,  33. 

Totémi^îme  :  In  question  du  —  en 
Irlande,    io9,  331  ss. 

Tour  de  Bregon,  loi,  103  ;  —  de  Co- 
nann,  99,  103. 

'Tours,  3iS.  cf.  ((  Martin  »  ;  Patrick 
à  —,  80. 

Tremblement  de  terre,  60,  105,  145. 

Trene  Samna,  111,  cf.  Satnhainl 

Trêve  feslivalc  en  Irlande,  109. 

Tribu,  ±bi  s.,  cf.  Tiialh. 

Tricha  cet,  232,  identique  à  la 
tùalfi,  i'49;  unité  de  bataille,  249; 
unité  territoriale,  249  ;  étendue 
et  subdivisions  territoriales,  249; 
division  de  l'Irlande  en  — ,  249. 

*Trim,  abbaye  de  — ,  2G6  267. 

Tripartilc.   Vie  — ,  cf.  n   Patrick  ». 

Tristan,  7  ;  le  Roman  de  Tristan  et 
(lYseull,  137. 

Truites  :  sacrées,  227  ;  «  d'inspira- 
tion «  183  ;  de  saint  Patrick,  22S. 

•Tuag  Inbir,  17...  1><2. 

'Tuam  Tenha,  214.  cf.  «  Dinn-rig.  » 

Tûan  mac  Cairill,  97,  ITii 

Tuara&tal  =  subsides,  236. 

Tùath.  215  ;  groupe  fondamental 
de  la  société  irlandaise,  231  ; 
autonomie,  232;  roi  et  dignitaires, 
232;  nom,  234  s,  parenté  des 
membres.  234,  251  ;  c'est  un  clan, 
231  ;  —  organisée  en  famille  de 
clients,  2.33  ss..  et  fine.  248,  2:)1, 
cf.  Fine;  subdivisions  numériques 
de  la  — .  243  s.  :  la  —  comprend 
trente  fine,  2.")0.  Organisation  de 
la  —  en  diocèse.  264,  266.  Dieux 
de  la  — ,  232  ;  ce  sont  des  hé- 
ros. 263.  Saints  |)atrons  de  la  — , 
207.  Cf.   Trickacét. 

Tiiatha  Dé  Danann,  96,  99  ss.,  103, 
108,  124.  130,  143,  159,  201,  210, 


216,  247,  275.  280;  génies  de 
la  vie,  130  ;  incarnation  des  — , 
171,  172;  identiques  aux  génies 
des  fêtes,  131,  132  ;  aux  fir  sidlie, 
102,  13Ô,  165:  protégés  par  le 
fétk  fiada.  134;  humanisés  166, 
Les  —  et  les  filid,  284,  285. 

Tugen,  manteau  des  fitid,  288. 

•Tulach  na  coibche  à  Tailtiu,  109. 

'Tyrrhénienne  mer  — ,  43,  80,  90, 
97,  103  s.,  194  ;  baigne  les 'pays 
élyséens,  196,  198,  202  ;  les  con- 
trées où  l'on  accomplit  son  ini- 
tiation, 197,  198. 

Uadum,  cf.  Vadum. 

•Uisnech  Midi  :  fête  d'  —,  98,  HO, 
111,  115;  cimetière,  164,  167; 
légendes  et  mythes,  119,  162.  If 
d'  —,  211.  Patrick  à  —,  57,  64, 
141,  153. 

Uladli.  monument   funéraire,  187. 

•Uladh  royaume  d'  -,  63,  204,  224. 

Ulales,  93,  110,  220  ;  privilèges  des 
druides  chez  les  — ,  275  ;  dieux 
des  —,  233  ;  patron  des  —,  224. 
Cf.  «  "Ulster  ». 

'Ulster  68,  92,  137:  assemblées  et 
cimetères,  168  :  sépulture  des 
rois  d'  — ,  165  ;  localisation  de  la 
légende  de  saint  Patrick  en  — , 
68,  cf.  «  Armagh  »,  «  Lecale  »  ; 
champion  de  1'  — ,  220.CYcle  d' — , 
116.  137. 

Ultan,  saint,  évoque  d'Ardbraccan, 
66,  67;  son  Livre,  70,  71,  73,  79; 
son  Hymne,  77. 

Ulysse,  21,  324. 

*Vadum  duorum  avium,  58;  — 
Truimm  cf.  «  *Trim  ». 

Valerii.  les  — ,  234. 

Vautour,  une  des  métamorphoses 
de  Tùan  maie  Cairill,  170. 

Vendetta  des  parents  électifs  obli- 
gatoire en  Irlande,  257. 

Ver.  une  des  métamorphoses  des 
deux  porchers,  170  ;  avalé  par 
une  femme  la  rend  grosse,  171. 

'Vérone  souvenirs  de  Roméo  et  de 
.Iulictte  à—,  6. 

Victoricus  l'ange  — ,  intermédiaire 
entre  Dieu  et  Patrick.  36  :  ange 
protecteur  des  Irlandais,  76, 


362 


INDEX   ALPHABÉTIQUE 


Victorinns  de  Petavium,  sa  déclara- 
tion do  foi.  41. 

Vies  des  saints,  cf.  «  Hagiogra- 
phiques, légendes  ». 

Vie  :  effet  de  l'incarnation  des  gé- 
nies, 172  ;  concentrée  dans  l'Ar- 
bre de  Vie,  173  s.  :  —  humaine 
et  celle  des  arbres,  174.  —  pos- 
thume, 176;  idée  de  la  —  en 
Irlande,  17G  ;  —  individuelle  des 
morts  nommés,  178,  184  s.,  189  s., 
218.  —  et  mort,  17j,  cf.  «  Mort  ». 


Village  en  Irlande,  cf.  Baile. 
Villes,    opposition     aux    villages, 

traces  dans  le  culte,  321. 
Vincent  de  Lérins  saint  — .  44. 
Vladimir    saint    — ,    duc   de    Kiev, 

327. 
•Vosges,  culte  de   saint  Dié   dans 

les  —,  327. 
Vulgnte,  texte  de   la  —  confronté 

avec  les  citations  de  Patrick,  iO. 

•Wicklow.  38.  96. 


LISTE  DES  AUTEURS  ET  ANONYMES  CITÉS 


Acla    Sanclorum    publiés    par    les 

Bollandistes. 
Adamnan. 
Ahnrich,  cf.  Lucius. 
Allen. 

Ambroise  de  Milan. 
Ancienl  Laws  of  Ireland. 
Andler. 
Annals  :  Fragmentai'y,  cf.  O'Grady  : 

—  of  Tigemach,  cf.  Slokes,  Whi- 

lley  ;  —  of  Ulsler,  cf.  W.  Ilen- 

nessy  et  Mac  Carthy. 
Annales  Cutnbria?. 
Annales  des  fjuafre-Mailres. 
Anliphonarium  lienchorense. 
Apollonius  de  Rhodes. 
Apulée. 

Arbois  (d')  de  Jubainville. 
Archiv  fur  Celtiscfie  Lexikographie. 
Atkinson,  Robert. 
—  et  J.-H.  Bernard. 

Barry,  Albert. 

Barsanti,  Ottavio. 

Bédé  le  Vénérable. 

Bernard,  cf.  Atkinson. 

Bernouiili,  Cari  Albert. 

Bertrand,  Alexandre. 

Besse,  Dom. 

Boisacq. 

Borlase.  W.-Copcland. 

Boucharlat. 

Bulliot. 

Bury,  J  -B. 

Calendar  of  State   Papers  relating 
to  Ireland,  Charler  Halls. 


Carmichael. 

Cassien. 

(Jathcart,  William. 

Celse.  cf.  Origéne. 

Cennfaeladh  le  Savant. 

César. 

Chronicon  Scotorum,  cf.  Hennessy. 

Cicéron. 

Cinaed  hùa  Artacain. 

Golgan,  Joseph,  cf.  Index  général. 

Conellan,  Owen. 

Conrady. 

Constantius  de  Lyon. 

Corpus  Inscriptionum  Graecarum. 

Coladh  Gaedhel  re  Gallaihh. 

Cuan  hua  Lochain. 

Cumont,  Frantz. 

Curtius. 

Dante  (le— )• 

Decharme. 

Delehaye. 

Démosthène. 

Dill. 

Diodore  de  Sicile. 

Diogéne  Laërce. 

lJ(»rban. 

Doltin. 

Duveau,  Louis. 

F.bert. 

Lbrard. 

Eckleben,  Selmar. 

Lnnodius. 

l'Iochaidh  hùa  Flainn. 

Kschyle. 

Euchcrius. 


HC4 


LISTE    DES    AUTEURS    ET   ANONYMES    CITÉS 


Eugipius. 
Eusèbe. 

Fallow. 
Fauslus  de  Riez. 

Félice  (de),  Philippe. 
Félire,  cf.  Index  général. 
Ferguson,  Sir  Samuel. 
Fleming,  William. 
Florence  de  Worcesler. 
Folk-Lore  Journal,  [Ihe  — ). 
Folk-Lore  Record,  (Ihe  — ). 
Fortunat. 
Frazer,  J.-G. 
Fustel  de  Coulanges. 

Gainsford,  Robert-John, 
Gargan,  Deni.s. 
Gennep  (van). 
Giraldus  Cambrensis. 
Glossaires  irlandais,  cf.  Index  géné- 
ral. 
Gomme. 

Gradwell,  Monsignor. 
Graves,  Charles. 
Grégoire  de  Tours. 
Groot  (de). 
Gwynn,  Edward. 

Haddan  et  Stubbs. 
Hahn,  August. 

—  Ludwig. 
Hancock  Neilson. 

Hardiman,  James,  cf.  O'Flaherty. 

Harnack. 

Harris. 

Harrison,  Ellen. 

Healy. 

Hennessy,  William  M. 

—  —       et  Mac  Carthy. 
Hérodote. 

Héron. 

Hésychius. 

Hilaire,  saint —  d'Arles. 

—  —       de  Poitiers. 
Hogan,  Edmund. 
Holder. 

Hopkins,  W. 
Hore,  Herbert-J. 
Hubert,  Henri. 

—  et  M.  Mauss. 
Hunt,  William. 


Iliade. 

Irische  Texte,  ci.   Windisch. 

Isocrale. 

Jean  de  Thessalonique. 
Jérôme,  saint. 
Jérôme  de  Rhodes. 
Jocelin  de  Furness,  cf.  Index  géné- 
ral. 
Joyce,  P.-W. 

Kattenbusch. 

Kealing,  Geofîrey. 

Kcllner. 

Killcenny  Archaeological  Journal. 

Kinahan,  G.-K. 

Kinane. 

Kuhn,  Ernsf. 

Lampridius,  cf.  Eusèbe. 

Lanigan. 

Ledwich. 

Légende  Dorée. 

Legrand,  Albert. 

Lelièvrc. 

Levison,  W. 

Lizeray. 

Loofs. 

Loth. 

Lucius,  Ernst. 

Maas. 

Macalister. 

Mac  Carthy,  cf.  Hennessy. 

Mac  Corry,  J.-S. 

Mac  Firbis. 

Mannhardt. 

Mansi. 

Manuscritsirlandais.cf.  Lebar. Livre 

dans  l'Index  général. 
Marianus  Scotus. 
Marlinesco  Cesaresco,  Evelyn. 
Martyrologes,  cf.  Index  général. 
Mauss,  cf.  Hubert  et  Mauss. 
Meitzen. 
Meyer,  Kuno. 
Migne,  cf.  Palrologia. 
Milchhôfer. 
Moran,  le  cardinal  — . 
Morris. 

Muirchu,  cf.  Index  général. 
Muratori. 


LISTE    DES   AUTEURS    ET    ANONYMES    CITÉS 


365 


Nennius. 
Nisbclh. 
Nutt.  Alfred. 

OCurry 

O'Donêll.  lliigh  Joseph. 

O'Donovan,  John. 

Odyssée. 

O'Flaherly. 

OGrady.  Standish  Ilaycs. 

Ohlcrt." 

Origènc. 

Paris,  Pierre,  et  G.  Roques. 

Patrologia  Grœca. 

—  Lalina. 

Pausanias- 

Pétrie. 

Pindare. 

IMummer,  Charles. 

Plutarque. 

Pokorny. 

Pooler. 

Posidonius. 

Probus,  cf.  Index  général. 

Prosper  dWquitaine. 

Reeves,  Wiliiam. 

Reinach,  Salomon. 

Réville.  Albert. 

Revue  Celtique. 

Rhys. 

Robert,  Benjamin. 

Rohde,  trwin. 

Roscher. 

Saintyves. 
Sanderson,  Joseph. 
Scarre,  Annie  M. 
Schoell. 
Sébillot. 

bhahan,  Thos.-J. 
Shearman. 


Sigebert  de  Gembloux. 

Sophronius. 

Spenser. 

Squire. 

Slern,  Ludwig  Christian. 

Stokes,  Margaret. 

—  Whilley. 

—  —      et  John  Slrachan. 
Strabon. 

Strachan,  cf.  Stokes  et  Strachan. 

Stubbs.  cf.  Iladdan  et  Stubbs. 

Sullivan. 

Sulpice  .Sévère. 

Sumner  Maine. 

Symons,  B. 

Tacite. 

Tamasia. 

1  hurneysen. 

Tigernach,  cf.  Annals. 

Tillemont. 

Tirechan,  cf.  Index  général. 

Todd,  J.-ilenthorn. 

_  —      et  William  Roeves. 

Usener. 

Valentin,  abbé. 
Vendryès. 
Vincent  de  Lérins. 
Vinné  (de),  Daniel. 
Vulgaie. 

Walsh,  W.-P. 

Ware,  James. 

Wasserschleben. 

White,  N.-J.-D. 

Windele. 

Windisch. 

Wood-Martin. 

Zeuss. 
Zimmer. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Avant-propos i 

Préface,  par  M.  Henri  Hibert nii 

NTRODUCTIOX 

Double  acception  du  mot  liéros.  —  Analyse  de  la  notion  du  héros 
incarnation  de  valeur.  —  Héros  témoin  et  champion.  —  Reconnais- 
sance sociale  du  héros.  —  Le  héros  incarne  un  idéal  social.  —  11  est 
un  homme.  —  La  conquête  du  ma/ui.  —  Héros  avocat  et  patron.  — 
Analyse  de  la  notion  du  héros  funéraire.  —  Ktat  intermédiaire  entre 
la  vie  et  la  nxDrt  dans  lequel  se  trouve  le  héros.  —  Portée  sociale 
delà  mort  héroïque.  — Identité  du  héros  idéal  et  du  héros  funéraire. 
—  DéSnition  provisoire  du  héros.  —  Les  héros,  les  dieux  et  les 
saints. 

CHAPITRE   PREMIER 
LŒUVRE  DE  SAINT  PATRICK  EN  IRLANDE  29 

De  lexistenco  de  saint  Patrick.  —  Ses  écrits.  —  Patrick  et  Palladius.  — 
Préparation  de  saint  Patrick.  —  Son  -caractère.  —  Son  œuvre  eu 
Irlande. 

CHAPITRE  H 

LA  LÉGBItDE  DE  SAINT  PATRICK 
ÉTUDE  SOMMAIRE  DES  TEXTES  57 

Écart  entre  la  légende  et  l'histoire.  —  Itinéraire  de  saint  Patrick  en 
Irtande.  —  Thèmes  de  la  légende.  —  Personnalité  légendaire  de 
Patrick.  —  Les  Vies  de  Patrick.  —  Tirechân  et  Muirchu.  —  Leurs 
sources.  —  Caractère  édifiant  de  leur  œuvre.  —  Assimilation  d'élé- 
ments épiques  et  mythiques.  —  Assimilation  de  saint  Patrick  aux 
perscutnagcs  bibliques.  —  .\raplifications  des  Vies  subséquentes.  — 


308  TABLE    DES    MATIÈRES 

Les  textes.  —  Vies  types,  leurs  sources.  —  lies  postérieures  à  la 
]'ie  Tripartile.  —  Textes  isolés  et  fragmentaires. 

CHAPITRE  III 

LA  LÉGENDE  DE  SAINT  PATRICK 
ET  LA  MYTHOLOGIE  IRLANDAISE.  LES  FÊTES  89 

Caractère  mythique  de  la  légende  de  saint  Patrick.  —  Sa  trame  chro- 
nologique et  celle  de  la  mythologie  irlandaise. 

I.  Le  cycle  mythologique  irlandais.  —  Place  de  la  légende  de  saint 
Patrick  à  la  suite  de  l'histoire  des  invasions  mythiques. 

II.  Mythes  et  légendes  des  fêtes  irlandaises.  —  Le  sacrifice  et  le 
combat  des  dieux. 

III.  Saint  Patrick  acteur  du  drame  festival.  —  Caractère  national 
de  la  légende  de  saint  l*atrick. 

CHAPITRE  IV 

LES  REPRÉSENTATIONS  IRLANDAISES  DE  LA  MORT  ET 
DES  MORTS  DANS  LA  LÉGENDE  DE  SAINT  PATRICK        loo 

Confusion  des  génies  des  fêles  avec  les  morts,  les  ancêtres  et  les 
héros.  —  Les  fêtes  sont  célébrées  en  l'honneur  des  morts.  —  Repré- 
sentation de  la  mort  et  de  la  vie  :  désincarnalion  et  réincarnation 
des  génies.  —  Morts  anonymes  et  morts  nommés.  —  Portée  sociale 
de  la  mort  des  morts  nommés.  —  Mort  rituelle  et  mort  physique,  la 
navigation  errante,  l'initiation.  —  Double  série  des  rites  funéraires. — 
État  intermédiaire  entre  la  vie  et  la  mort  dans  lequel  sont  les  morts 
nommés.  —  Concentration  des  fêtes  funéraires  aux  fêtes  périodiques 
du  calendrier. 

Représentations  irlandaises  des  morts  et  saint  Patrick.  —  Saint  Patrick 
maître  des  morts.  —  Son  entrée  rituelle  dans  l'Autre  Monde.  —  Son 
initiation.  —  Son  assimilation  aux  navigateurs  errants.  —  Les  cir- 
constances de  sa  mort  et  de  son  enterrement. 

CHAPITRE  V 
SAINT  PATRICK  EST  UN  HÉROS  207 

.Vspects  du  culte  des  morts.  —  Les  dieux  irlandais  sont  des  morts.  — 
Les  dieux  et  les  morts  nommés  sont  des  héros.  —  Saint  Patrick  est 
un  héros  du  même  type  que  les  héros  irlandais. 

CHAPITRE  VI 

LA  CONSTITUTION  SOCIALE   DE   L  IRLANDE  ET  SON  INFLUENCE 
SUR  LA  FORME  DU  CULTE  231 

Raisons  pour  lesquelles  le  culte  des  dieux  prend  en  Irlande  la  forme 
héroïque.  —  Constitution   sociale  de  l'Irlande.  —  La  tùath.  —  Son 


TABLE    DES    MATIÈRES  369 

caractère  gontilice.  —  Sa  conslilution  en  clientèle  familiale.  —  La 
famille.  —  Degrés  de  parenté.  —  Du  lien  de  famille.  —  Immuabilité 
des  cadres  de  la  famille.  —  La  famille  est  une  subdivision  numérique 
de  la  lùalh.  —  La  tùalh  est  un  clan  local  et  polymorphe.  — 
Groupes  plus  étendus  que  la  làalh.  —  Parenté  utérine  et  parenté 
élective.  —  Formes  du  culte  qui  correspondent  à  l'organisation 
sociale  irlandaise  ;  culte  de  l'ancêtre  et  sa  réincarnation  dans  le  roi. 
—  Culte  des  déesses-mères  et  des  déesses  nourricières.  —  Forme 
héroïque  du  culte  des  dieu.x. 

Les  représentations  de  parenté  dans  le  culte  des  saints.  —  Orga- 
nisation de  l'Église  irlandaise  sur  la  base  de  la  tùalh.  —  Saints 
ancêtres  et  parents.  —  Le  culte  des  saints  est  un  culte  de  chefs.  — 
Parenté  de  saint  Patrick  avec  ses  fidèles. 


CHAPHRK  VI 

ROLE  DES  FILIU  DANS  LA  FORMATION  DE  LA  LÉGENDE 
DE  SAINT  PATRICK.  —  SAINT  PATRICK  HÉROS  NATIONAL    271 

Les  druides  et  les  filid.  —  Fonctions  des  druides.  —  Leur  situation 
sociale.  —  Les  fiiid,  leurs  fonctions.  —  Fonction  mythopoélique  des 
filid.  —  Personnification  de  l'idéal  propre  aux  filid  dans  le  type  du 
héros  irlandais.  —  Organisation  nationale  des  filid.  —  Constitution 
d'une  tradition  nationale  irlandaise.  —  Rivalité  des  druides  et  des  filid. 
—  Alliance  de  ceux-ci  avec  le  christianisme.  —  Recrutement  du  clergé 
parmi  les  filid.  —  Collaboration  des  filid  et  du  clergé  k  la  constitu- 
tion des  légendes  des  grands  saints  nationaux.  —  Exaltation  de 
Patrick  comme  héros  national  de  l'Irlande. 

Comparaison  de  saint  Patrick  et  des  aulres  saints  chrétiens.  — 
Différences.  —  Les  légendes  hagiographiques  et  les  légendes 
héroïques.  —  Base  Ihéologique  et  morale  de  la  représentation  du 
saint.  —  Saints.  —  Héros  littéraires.  —  Le  caractère  héroïque  des 
saints  est  déterminé  par  les  conditions  sociales  dans  lesquelles  s'est 
développée  leur  légende.  —  Les  types  des  héros  et  des  saints 
reflètent  un  certain  état  social.  —  Incarnation  du  lien  social  fon- 
damental dans  le  héros.  —  Classification  des  héros.  —  Conclusion. 

Index  alphabétiole 335 

Liste  des  auteurs  et  anonymes  cités 363 

Table  uks  matières 367 


CZARNOWSKI.  24 


i 


V 


.^ 


BX  4700  .P5  C9  1919  SMC 
Czarnowski,  Stefan, 
Le  culte  des  héros  et  ses 
conditions  sociales 

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